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Avant-propos
La paire qui fait l’objet du démontage est le modèle Andrew 6942 de Carlos Santos vendu à 339€. Cette paire a été achetée usagée mais a été portée moins d’une dizaine de fois par le précédent propriétaire. Il s’agit d’une double boucle avec un montage Goodyear rainette qui est trouvable chez d’autres marques sous divers noms. En effet, Carlos Santos est surtout réputé pour fournir via son usine Zarco bon nombre de private labels disponible en France. Loding, Malfroid, JM Legazel, Monsieur Chaussure, Gustavia, Marc Guyot, Prince Jorge et j’en passe font fabriquer ou on fait fabriquer certains de leurs modèles par Carlos Santos. Parmi toutes ces marques certaines proposent une double boucle très similaire, pour ne pas dire identique au modèle Andrew 6942 que nous allons démonter. Loding appelle leur modèle Melleray 473, chez Malfroid c’est Scapin (un lien avec les fourberies ?), quant à Monsieur Chaussure le nom est moins évocateur : MC01. En dehors de la communication faite par ces marques respectives et de quelques détails (notamment les peausseries), il ne s’agit que d’un seul et même modèle qui fait l’objet de plusieurs déclinaisons. Cet article n’a pas pour vocation à comparer ces différentes chaussures et à illustrer les différences existantes (ou non) dans le cahier des charges. Nous effectuerons sans doute ce travail un jour, mais pour l’instant nous allons nous contenter de démonter le modèle disons “originel”. Comme toutes ces chaussures sortent de la même usine, et sont fabriquées sur le même montage, vous saurez déjà très largement à quoi vous en tenir.
Puisque nous parlons du montage il est toujours bon de rappeler la façon dont s’articule la gamme de chaussures produites par Zarco, la marque ayant à juste titre la réputation d’être illisible à ce sujet. L’usine produit 4 gammes de chaussures. La première est en Blake, la seconde en Goodyear rainette, la troisième en Goodyear sous gravure (Handgrade), et enfin la quatrième est en Goodyear avec une cambrure en Blake (Handcrafted). Le modèle que nous allons démonter ainsi que ses copies vendues sous d’autres marques proviennent donc de la seconde gamme offerte par Zarco, ce qui correspond à la ligne principale de la marque.
Pour la première fois dans notre série de démontages nous allons mettre en parallèle nos commentaires avec ceux de “reviews, tests, avis” publiés par d’autres blogs. Cela afin d’exposer la différence qu’il peut exister entre les “attentes” issus de ces “tests” et la réalité. Et puis c’est toujours drôle de voir le babillage débile des influenceurs. À croire qu’il existe un concours secret entre eux pour savoir qui sortira la plus grosse connerie.
Cet article est par définition technique et assume que le lecteur a au moins lu notre article “Qu’est-ce qu’un soulier de qualité”.
Avant de démonter la paire nous commençons par vérifier si le cuir comporte des défauts. Carlos Santos n’indique pas la provenance du cuir mais la marque se fournit essentiellement chez les tanneries du Puy et Annonay. Les photos donnent une fausse impression de l’état d’usure de la paire, cette dernière est vraiment presque neuve et tout ce qu’il lui faudrait c’est un bon entretien. Une fois que l’on fait abstraction des plis d’aisance, marques causées par l’usage et du manque hydratation de la peau il n’y a globalement pas de problèmes majeurs avec le cuir. Ce dernier frisote pas mal par endroits mais c’est attendu à ce prix, et bien que la paire n’ait pas été entretenue le cuir demeure assez souple.
Pour ce qui est du montage ce modèle étant issu de la gamme principale il est en cousu Goodyear sous rainette. À 339€ c’est un peu mesquin car beaucoup de marques dans cette gamme de prix proposent du Goodyear sous gravure. Chez Carlos Santos si vous voulez accéder au Goodyear sous gravure il faut vous diriger vers la gamme Handgrade qui commence à 419€.
En ce qui concerne la qualité de finition, le soin apporté à la paire est tout à fait correct, il n’y a rien de particulier à signaler. La roulette d’emboitage est, comme souvent dans ces prix, pas très belle et peu profonde mais il n’y a aucun défaut rédhibitoire. La jointure trépointe/couche point est bien effectuée contrairement à ce que l’on trouve chez Meermin par exemple. Le piquage de la tige avec 10 stitches per inch (SPI) est dans la moyenne de ce qui existe dans cette gamme de prix, il y a mieux ailleurs, mais il y a aussi pire. La couture petit point est régulière et ne comporte pas de défauts.
Nous commençons par le démontage du bloc talon et déjà ça commence mal puisque non seulement ce dernier est en salpa, mais il est en plus très facile à faire sauter. Le bloc talon est maintenu en place par 5 clous vissés et de la néoprène. À titre d’exemple chez Bridlen et Meermin on avait 7 clous vissés (et de la néoprène), mais surtout le bloc talon était en cuir. Sans que ça soit la fin du monde, cela reste un point négatif.
Je ne vais pas m’amuser à retirer toutes les couches du bloc talon, j’ai juste enlevé un sous-bout supplémentaire. À titre de comparaison sur cette photo vous avez à gauche le bloc talon qui provient de Bridlen.
J’enlève ensuite la demi-première de propreté. En dessous de cette dernière se trouve un morceau de mousse caoutchouteuse de bonne densité. Rien de vraiment spécial dans ce domaine, la première de montage est en cuir et présente une épaisseur qui est très correcte.
Passons maintenant au montage, il y a beaucoup à dire. Commençons par le cambrion en bois. L’avantage du bois par rapport à l’acier est bien évidemment qu’il ne rouille pas. Alors, je sais bien que ça fait traditionnel d’utiliser un cambrion en bois, encore faut-il que cela soit fait proprement. Le cambrion est pratiquement tombé de lui-même au moment d’ouvrir la chaussure. Il est fort probable que le temps de séchage de la néoprène n’ait pas été respecté. Si vous avez déjà eu des chaussures qui grincent ou couinent le coupable est bien souvent le cambrion qui s’est décollé.
Le couche point est maintenu en place par des agrafes, ce qui est très commun pour les productions Européennes mais n’a pas ma préférence.
Une bonne nouvelle, le mur de montage est collé (sans surprise) mais également agrafé en place. Cela afin d’éviter que le mur de montage ne se mette à bouger si la colle se désagrège (ce qu’elle fera tôt ou tard) ou si vous mettez trop de pression sur le mur de montage en utilisant des embauchoirs inadaptés. Une solution qui gagnerait à être adoptée par toutes les marques qui utilisent des murs collés.
J’expose ensuite les renforts, Comme toujours le bout dur est en celastic. Ce dernier est d’une qualité assez correcte, supérieur à ce qui est utilisé par Meermin ou Bridlen par exemple.
À l’arrière le contrefort est en salpa, mais ce dernier est très souple, probablement pour favoriser un plus grand confort immédiat au détriment de la durabilité. C’est toujours mieux que du celastic. Il n’y a pas d’ailette de renforts. Dans cette gamme de prix ce n’est absolument pas surprenant et dans nos démontages seule la paire de Bridlen en avait.
Le cuir de tige fait environ 1.20 mm d’épaisseur. En réalité il est légèrement moins épais, mais obtenir une mesure précise tout en prenant une photo est délicat. Et je vois ceux qui vont me dire : « Mais peut être qu’ils parlaient de la première de montage ?…. ». Celle-ci mesure environ 3.46 mm d’épaisseur. Vous en tirez les conclusions que vous voulez quant aux experts en expertises et à leur (in)compétence.
Conclusion
Ce modèle est une bonne illustration du principe de segmentation au sein d’une même usine. Zarco sait faire des chaussures techniquement très avancées (avec la ligne Handcrafted par exemple) et ce savoir-faire est mis au service des lignes inférieures. Le choix d’agrafer le mur de montage collé en est une bonne illustration. La paire est également finie avec soin, et on est loin de trouver la même négligence qu’avec les productions Chinoises de Meermin par exemple. Pas de trépointes baladeuses, pas de déforme appliquée n’importe comment etc etc. Pour autant nous ne sommes pas non plus en présence d’un soulier qui soit techniquement radicalement différent de ce que Meermin propose. Pour le double du prix, vous avez un travail qui est bien effectué, mais qui n’est pas non plus sans reproches. Les productions de Carlos Santos en leur nom propre et dans leur gamme principale sont donc honnêtes et pêchent surtout par certains choix économiques qui peuvent trouver leur explication dans la concurrence. En effet, la ligne principale en Goodyear rainette est mise en vente à un prix assez proche de ce qui se fait chez les Espagnols d’Andrès Sendra alors que la ligne Handgrade et son cousu sous gravure semble plus lorgner du côté de Carmina.
Bonjour,
Merci pour ce nouvel article très instructif et pour votre travail de manière général.
Une question de plouc : J’imagine qu’il y a aussi une production avec des semelles en gomme chez Zarco (Malfroid et Loding en propose). Dans ce cas là, ça rentre dans quelle gamme, sous rainette ou sous gravure ? Parce qu’avec une semelle en gomme, cette question ne se pose pas.
Merci d’avance
Bonjour,
Les semelles gommes sont effectivement une catégorie à part. On va dire que dans l’esprit on se rapproche d’un cousu sous gravure, même si l’on ne parle pas de la même chose. Normalement, une semelle intercalaire est placée entre la première de montage et la semelle d’usure en gomme. Et la couture qui est visible sur la semelle gomme est uniquement décorative.
Je dis normalement car certaine marques ne mettent pas de semelle intercalaire, et puis il y a également le cas de la demi-semelle gomme qui est encore autre chose.
Merci pour le cadeau de Noël. Très bonnes fêtes à tous.
Merci, mais ceci n’était que l’apéritif. Le plat de résistance sortira un peu avant la nouvelle année.
Nous sommes gâtés !
Bonjour votre Instagram a disparu de la circulation. A t’il sauté ?
Oui l’Instagram n’existe plus depuis un moment et pour l’instant il n’y a pas de projet d’en refaire un.
Bravo et merci pour ce nouveau démontage très instructif, qui permet de mieux se rendre compte de l’anatomie d’une chaussure et que vous êtes à ma connaissance les seuls à proposer.
C’est également toujours un plaisir de se faire confirmer par un expert ce que l’on pressentait : à savoir que chez Jamais Vulgaire (Toujours Puceau), on parle de beaucoup de choses tout en en maîtrisant bien peu.
Je suis par ailleurs surpris que cette lumineuse assertion de la « review » de CUC(k) ait échappée à l’une de vos habituelles remarques assassines : « Pour rappel, le cousu Goodyear permet de tenir le pied au sec tout en proposant un montage solide et durable ». Tenir le pied au sec tout en proposant un montage solide et durable, n’est-ce pas la qualité que l’on peut attendre de toute semelle digne de ce nom, peu importe le montage ?
Joyeux Noël à vous
Bonjour et merci
Si il fallait compiler et commenter absolument toutes les conneries qui sortent chez les autres ce n’est pas un blog qu’il faudrait mais une encyclopédie.
Joyeux Noël à vous également.
Bonjour,
Merci pour cet article. Par hasard, n’auriez vous pas l’envie de faire un discord sur cette thématique ?
Bonjour,
Non pas vraiment, nous n’avons déjà pas assez de temps libre pour produire du contenu régulier sur le blog, s’occuper d’un discord n’est donc pas une priorité.
Superbe article.
Détails amusants : parmi les 3 marques citées, MC et Malfroid vendent le modèle de base (sans personnalisation) à 290€. Carlos Santos affiche 340€ et Loding 190€.
Si c’est vraiment la com’ et la peausserie qui fait varier le prix et qu’on estime que Carlos Santos investi moins dans la comm’ (est-ce vrai d’ailleurs ?) que les privates labels, on peut estimer quer les cuirs des privates labels coûtent moins chers que ceux de CS.
Comment? Outrage…. Moi qui croyait que toutes les marques en private label utilisent toujours les meilleurs cuirs du monde.
Attention toutefois aux raccourcis, d’autres facteurs entrent en compte dans le prix. Cela ne s’applique pas dans notre exemple puisque le modèle est identique mais la complexité du piquage, la difficulté du patronage etc etc entrent également en ligne de compte.
Bonjour,
J’ai très récemment découvert votre site par hasard en naviguant sur Internet à la recherche de marques de souliers qualitatives, et j’avoue que ca fait plusieurs jours que je le dévore avec plaisir, votre travail est rafraichissant. Je vous ai d’ailleurs rejoint sur Patreon.
Si j’étais à la recherche de bons conseils, c’est tout simplement car j’ai vécu une expérience absolument catastrophique chez Paire & Fils (de la qualité du produit jusqu’au service client) dont je vous passerai les détails car ce n’est pas l’objet de mon message.
J’adore les bottes (combat / Balmoral), et je souhaitais cette année m’orienter vers une paire de qualité. Aussi, après avoir lu plusieurs de vos articles, la meilleure solution en ce qui me concerne semble être Carlos Santos, puisque je vise 300/400 € voire un petit peu + si vraiment nécessaire. Auriez-vous des recommandations à propos du modèle Stallonne 8866 ? Ce modèle vous semble t-il correct ?
Bonne journée, et merci encore pour votre travail.
Bonjour et merci,
Carlos Santos est une marque fiable et leur modèle 8866 est l’une des nombreuses copies visuelles de la Coniston de C&J. Il n’y a pas vraiment de risque niveau qualité du produit. Pour le même prix il est possible de trouver des Coniston en seconde main, mais ça n’est pas forcément un choix à privilégier si vous voulez de la simplicité.
Effectivement, la ressemblance est frappante.
Je vous remercie pour votre retour.
Bonjour,
Merci pour ces articles de grande qualité qui transpirent l’analyse critique et l’expérience !
Que pensez-vous de la semelle utilisée par Carlos Santos pour les cousus en rainette ? Différences avec LodinG ou 7L par exemple ?
Au contraire de Cronwhill Shoes qui prétend toujours utiliser des semelles Rendenbach (malgré la fermeture, oubli d’actualisation) pour ses semelles premium, Carlos Santos ne communique pas et je m’interroge sur la longévité sans patin. J’ai mangé des semelles Ypsons en trois mois seulement (qu’ils ont repris gratuitement pour les refaire et mettre patin, talon complet…) quand j’ai entendu que des JR marquaient peu après deux ans intensifs (mensonges ?)…
Bon été,
Pierre
Bonjour,
La qualité des semelles est dans la norme de ce qui se fait dans leur segment tarifaire, il est donc préférable de faire monter un patin et un fer.
En ce qui concerne JR, il y a deux choses. Il faut savoir que lors de l’annonce de la fermeture, beaucoup de grossistes ont passé commande afin de remplir leur stock. Il existe donc toujours des quantités très importantes de semelles JR en circulation. De plus, la marque existe toujours. Mais elle n’est plus exploitée par la société historique. La marque appartient désormais à Kilger qui en plus de la recette a également racheté de l’équipement. En revanche je ne sais pas comment ces « nouvelles » JR se comportent par rapport aux « anciennes ». Les semelles qui étaient produites jusque là étaient de bonne qualité, mais leur réputation tenait aussi beaucoup au marketing. Il est difficile de se prononcer sur la longévité d’une semelle, l’utilisation qui en est faite pas le porteur joue beaucoup.