Avant-propos
Meermin n’est en aucun cas affilié à cet article. Toutes les photos sont la propriété de Sartorialisme.com (sauf mention contraire) et ne peuvent être utilisées sans autorisation.
Cet article va être un peu différent de ce que nous proposons d’habitude. Tout d’abord il sert de préambule à notre premier démontage (non verbal) qui sera bientôt publié. Par ailleurs il va nous permettre de conduire une expérience grandeur nature et de montrer ce qu’il est possible d’attendre en tant que client d’une marque, en l'occurrence Meermin. Ensuite cet article va également vous aider à identifier les différents types de défauts qu’il est courant de voir sur les chaussures. Enfin il s’agit de démontrer une fois pour toutes pourquoi l’achat en boutique est toujours préférable à l’achat en ligne.
Pour la réalisation de cet article nous avons acheté 5 paires de Meermin sur une période s’étalant de 2018 à 2021 et cela dans le but de reproduire l’expérience d’un client normal. Le choix de la marque s’est basé sur le fait que Meermin est une marque extrêmement populaire qui au fil des années s’est imposée sur le segment de l’entrée de gamme. Dès lors, il semblait logique de voir si cette réputation est justifiée et surtout si elle résiste à l’épreuve du temps. Concrètement, il est très rare de pouvoir avoir des retours fiables sur une marque. Certes il existe les forums qui regroupent une grande quantité d’informations mais cette dernière est souvent noyée dans une masse informe d’interventions inutiles dans laquelle il faut trancher à coup de hachoir. Les reviews google ? Si je vous disais qu’un vieux fou propriétaire de plusieurs marques de pompes passe son temps à aller dénigrer ses concurrents (et anciens partenaires) avec de faux avis clients à 1 étoile ? Il reste ensuite les influenceuses mais l’on est en droit de douter de la sincérité et de l’impartialité de quelqu’un qui exhibe une garde-robe de dictateur africain tout en étant en faillite personnelle, soyons sérieux. Notez que je n’ai rien contre essayer honnêtement un produit reçu gratuitement, tant qu’il ne s’agit pas de sucer. Malheureusement bon nombre de gens s’adonnent à la gorge profonde sans même que les marques ne leur demandent, une servilité commerciale doublée de la trouille de perdre leur gagne-pain se chargent de les transformer en avaleuses professionnelles.
Présentation de Meermin
Toute les marques se dotent d’une histoire et s’inventent une légende, c’est bon pour le business. Lisez notre article sur les arnaques dans le milieu de la chaussure si vous voulez en apprendre plus là-dessus. Toujours est-il que toutes les marques s’attachent à leur petite image d’Épinal et Meermin n’est pas différent des autres. En fonction des périodes vous avez soit le droit au couplet sur la petite entreprise familiale d’Espagne fondée par José Alabladejo qui se bat contre les géants de ce monde pour faire des chaussures qualitatives à des prix abordables. Soit vous avez le droit à l’histoire de la petite start-up qui vante sa stratégie agressive et disruptive parce qu’ils sont trop fous et qu’ils vendent directement au client, tout en faisant des marges “ridiculement” basses. Parce que si vous en doutiez, le secret de Meermin, ce n’est pas sa production Chinoise, non, ce sont ses marges “ridiculement” basses. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est le directeur lui-même.
C’est pour cette raison que la majorité des entreprises occidentales font déménager leur capacité de production en Chine depuis des années, produire plus cher ailleurs ce qu’elles peuvent faire moins cher chez elles. Ça n’est pas du tout pour bénéficier des facilités locales en matière de législation, de taxation et de coût de la main d’œuvre. En réalité Meermin est une petite multinationale au capital social avoisinant les 2 millions d’euros, qui dispose de sociétés dans plusieurs pays du monde et dont le chiffre d’affaire global dépasse les 10 millions d’euros. Pas mal pour une “petite entreprise familiale avec des marges basses”.
Examen des chaussures
Toutes ces paires ont été achetées sur le site internet de la marque, nous n’avons donc pas eu la possibilité d’examiner les chaussures avant achat. Le pied gauche est celui qui est utilisé pour la majorité des illustrations, mais les deux pieds sont examinés et dans certains cas les illustrations proviennent des deux. Les différences majeures entre pied droit et pied gauche sont mentionnées, les différences mineures ou anecdotiques sont ignorées.
Paire numéro 1
Cette paire est la plus ancienne du lot, achetée début 2018 il s’agit d’un mocassin de type penny loafer en cousu rainette. C’est la seule paire du lot à avoir été portée ce qui explique les plis de marche au niveau du plateau. C’est également cette paire qui fera l’objet d’un démontage donc nous n’allons pas nous attarder dessus puisqu’elle fera l’objet d’une analyse en profondeur. En revanche la paire est relativement exempte de défaut, en dehors de quelques coutures pas très droites sur la tige et autres petits défauts esthétiques mineurs. Cela n’est pas illustré en photo mais cette paire porte la mention “made in Spain” sur sa demi première de propreté.
La paire présente l’un des problèmes récurrents chez Meermin, la séparation trépointe / couche point qui est faite à l’arrache. Ce n’est pas un défaut rédhibitoire, et cela ne demande pas de renvoyer la paire. La roulette d’emboitage n’est pas très belle, et l’application de la déforme un peu crasseuse mais ce ne sont pas des défauts, juste un signe du manque de soin porté par les ouvriers.
Paire numéro 2
Cette paire est un derby de fin 2018 en country calf, un veau grainé donc. Pour rappel un cuir grainé est un cuir normal qui a été passé sous presse afin de lui imprimer un motif… et accessoirement pour en masquer les défauts.
La storm welt a été terminée de façon pour le moins brutale, le problème est plus esthétique qu’autre chose.
La couture petit point (PP) est plutôt régulière et ne se ballade pas trop au milieu de la trépointe. En revanche la storm welt ne colle pas parfaitement à la tige, c’est un détail mineur, le jour est très faible.
Les finitions à l’intérieur de la chaussure sont peu soignées mais là encore il n’y a rien de particulièrement problématique. Cette paire ne présente aucune indication de provenance.
Paire numéro 3
Cette paire est une bottine de type balmoral en bi-matière achetée fin 2019.
Deux photos qui illustrent le problème des lots pied gauche/pied droit. Les usines ne fabriquent pas des paires de chaussures, elles fabriquent des pieds droits et des pieds gauches qui sont ensuite assemblées en paire. De fait vous pouvez vous trouver avec un pied qui a été coupé dans un cuir propre et un autre dans un cuir beaucoup moins beau. C’est le cas ici. Le pied droit utilise un cuir qui frisote énormément du quartier à la claque. Le cuir présente également des différences notables de teinte. Cela n’est pas présent sur le pied gauche. Un cuir qui frisotte ne veut pas dire que le cuir va avoir une durabilité moindre, en revanche cela veut dire que le pied droit ne va pas du tout vieillir de la même façon que le pied gauche. Rappelez-vous au passage que Meermin n’utilise que le meilleur cuir, venant des meilleures tanneries d’Europe et non du cuir de pangolin contrairement à ce que certains chiens d’impérialistes aiment à raconter.
Sur le pied gauche la ligne de perforation n’est pas droite, de plus le trou du haut n’est pas totalement percé, l’emporte-pièce n’a fait que marquer le cuir sans le trouer. C’est un défaut uniquement esthétique anodin à ce niveau de prix.
Le pied gauche présente une cassure significative dont je ne suis pas certain de comprendre l’origine. À l’intérieur de la bottine cela est marqué par une tache noire comme si le cuir avait été chauffé très fortement. L’ouvrier a probablement eu un problème au moment du collage du renfort entre la tige et la doublure mais pour en savoir plus il serait nécessaire de démonter la bottine.
Des plis d’aisance… sur une paire neuve ? Je n’ai jamais porté cette paire, je me suis contenté de la sortir de sa boite et de lui mettre des embauchoirs. Le pied droit n’a pas ces plis. Il semble donc très probable que cette paire ait déjà été vendue à quelqu’un, qui a essayé le pied gauche, visiblement en intérieur et pour peu de temps, la semelle gomme présente également une infime trace d’usure. Cette personne est parvenue à renvoyer la paire et Meermin s’est contenté de la remettre en circulation. À mon sens on dépasse ce qui est tolérable même dans cette gamme de prix. À son retour cette paire devait être identifiée comme défectueuse et mise en vente à un prix réduit.
La nouvelle mention de provenance, dessinée en Majorque fabriquée en Chine. Cette paire semble être l’un des premiers modèles à avoir été intégralement produit en Chine. Jusque-là certains des modèles indiquaient une provenance Espagnole et étaient montés en Chine puis “terminés” en Espagne. Il faut tout de même noter que beaucoup (l’intégralité ?) des modèles pré 2018 n’indiquaient aucune provenance, laissant planer le doute sur la réalité de la production Majorquine de la marque.
Paire numéro 4
Il s’agit d’une paire de double boucle en veau velours achetée durant la toute première solde de Meermin d’Avril 2020. La marque ne faisait jusque-là pas de soldes. En revanche elle revendait les paires rejetées par le contrôle qualité de l’usine sur Ebay en enchère libre, chose qu’elle a arrêtée de faire dans les mois précédents la solde. Nous pensions qu’il était possible que Meermin utilise cet évènement pour se débarrasser des paires autrefois vendues sur Ebay (spoiler : cela a bien été le cas). Nous sommes parvenus à acheter une paire malgré la grande popularité de l’évènement, toutes les paires soldées ont été vendues en moins de 24h. Lorsque les paires ont été livrées et que les retours ont commencer à apparaître sur les forums il est devenu apparent que Meermin a bien refourgué ses rejets d’usine à -25 % sans mentionner la présence de défauts. Depuis cet évènement Meermin a organisé une nouvelle solde en Novembre 2020, en précisant cette fois qu’il s’agissait bien de “factory seconds”. Connaissant leur mauvaise foi légendaire cet aveux de leur part est presque un miracle. Voici donc notre paire des soldes d’Avril 2020.
Lorsque les chaussures sont sur la chaine de montage la tige est protégée par un plastique. Ce sont les restes de ce plastique que vous pouvez voir ici. C’est sans conséquence sur la longévité de la chaussure mais c’est en général un bon indicateur du manque de soin apporté lors de la fabrication. Au passage j’ai pendant longtemps pensé que Meermin ne protégeait pas ses tiges tant leurs souliers avaient tendance à comporter bon nombre d’éraflures et autres marques diverses. Je sais maintenant que j’avais tort, mais je me demande encore plus comment ils se démerdent pour marquer autant les tiges…
La fameuse séparation trépointe / couche point faite à l’arrache. De plus, l'ouvrier a teinté la tige au niveau de l'emboitage. À ce niveau c'est plus qu'une simple bavure. Probablement un artiste contrarié forcé par le glorieux parti communiste chinois à travailler dans une usine de chaussure. C'est un défaut mineur mais l'application de la teinture est si régulière (à l'exception de la fin de la ligne) que l'on se demande si l'employé savait ce qu'il devait faire.
Le défaut le plus sérieux sur cette paire. Les points sombres sont en réalité la couture trépointe. Cette couture est normalement invisible, aucune pression n’était appliquée sur la chaussure pour la photo. En forçant un peu j’arrivais à voir les fils mais je ne pouvais pas prendre la photo en même temps. Quand la couture trépointe est visible c’est souvent à cause de problèmes de tensions, et cela a tendance à fragiliser le soulier donc à nuire à sa durabilité. J’ai vu des trépointes bien plus exposées que cela, néanmoins cela justifie quand même un remplacement de la chaussure. D’autant plus qu’il y a d’autres problèmes avec cette paire.
De la colle, de la colle PARTOUT. Ça n’a rien d’exceptionnel sur une paire de Meermin et c’est sans conséquence. Notez la mention “made in Shanghai” sur la languette.
Une machine à coudre qui va trop loin. Dans le cas de la dernière photo l’ouvrier, emporté par son élan et son amour du parti a voulu poursuivre sa couture PP sur le couche point.
Cette chaussure a déjà été portée et a fait l’objet d’un retour. La couture a été “écrasée” par la démarche de quelqu’un. Il en va de même avec la semelle caoutchouc qui présente également quelques légères traces d’usure.
Paire numéro 5
Cette dernière paire a été achetée en Janvier 2021 et est donc la plus récente du lot il s’agit d’un mocassin de type bit loafer. C’est également la seule paire issue de la gamme “femme“ de notre sélection. Le volume de la gamme féminine étant moindre nous voulions voir si ces modèles faisaient l’objet d’un traitement particulier ou si le niveau de (non) finition était le même que sur la gamme homme.
On retrouve notre ami le morceau de plastique protecteur. La déforme est toujours appliquée de façon aussi aléatoire. Le couche point forme une bosse et la couture PP n’est pas droite. En fait elle sort pratiquement de la trépointe mais cette photo ne le montre pas bien. Les sous-couches du bloc talon sont en salpa, d’ailleurs un coin a été endommagé. C’est prometteur pour la suite.
La tige frisote un peu, il y a différentes marques, éraflures et autres décolorations. “Made just using the finest French boxcalf” qu’ils disaient. Beaucoup de ces défauts vont disparaître lors d’un premier crémage. Sinon vous pouvez également voir que coudre droit chez Meermin est optionnel. Vu le prix c’est normal, et personne ne va le remarquer. Mes commentaires sarcastiques sont surtout là pour me moquer de la communication de la marque et de ses “very skillful artisans” du parti unique.
Là aussi la tige frisote un peu, il y a quelques fils qui se baladent, aucune finition de tranche au niveau de la languette.
Un fil qui a sauté et des coutures pas très propres…
Enfin on termine sur la spécialité de Meermin, une séparation trépointe / couche point faite à l’arrache avec en prime une couture PP qui déborde et un morceau de plastique coincé entre la tige et le couche point.
Conclusion
Bien que 5 paires ne représentent qu’un échantillon limité, quelques tendances se détachent. Tout d’abord il y a beaucoup de défauts cosmétiques, mais également quelques défauts plus sérieux. Par ailleurs, les deux paires les plus anciennes sont de loin les plus propres. On peut toujours spéculer sur les raisons derrière la baisse de qualité, toujours est-il que le prix a augmenté sans que le niveau de finition ne se maintienne. On peut toujours spéculer sur les raisons derrières ce déclin. Est-ce que le déplacement intégral de la production vers la Chine y est pour quelque chose ? Quelle quantité de travail était effectué en Espagne auparavant ? Néanmoins, si certains doutent encore de la provenance des chaussures voici un tableau présentant les imports de la succursale de Meermin aux États-Unis. Les pompes sont livrées par conteneur directement depuis Shanghai, il n’y a aucune raison pour qu’il n’en soit pas de même pour les ventes en Europe.
De la même façon il faut savoir que depuis 2016 Meermin a connu une croissance exponentielle, avec une augmentation très forte de leur capital (ils sont passés d’un million d’euros en 2016 à pratiquement deux millions en 2017). La marque en a profité pour s’internationaliser en implantant aux États-Unis une nouvelle entité commerciale qui leur permet d’avoir à la fois un point de vente mais également un centre de stockage. Est-ce l’exemple d’une société qui a grandi trop vite et n’a pas été en mesure de gérer son expansion ? Il y a juste quelques mois en août 2020 la marque a ouvert une nouvelle entité commerciale à Hong Kong. Son utilité n’en est pas encore connue mais il peut s’agir d’un magasin. Toutefois, Meermin n’étant pas propriétaire de leur usine à Shanghai il est également possible que la marque ouvre une entité de production différente. Hong Kong bénéfice d’un régime différent de Shanghai, et ce dernier est particulièrement avantageux du point de vue fiscal…
L’autre point à retenir est que les caractéristiques intrinsèques des souliers n’ont pas beaucoup bougé à travers les années. Les contreforts et bouts durs sont toujours aussi fins et souples par exemple, ce n’est pas pour rien que les Meermin ont tendances à devenir difformes après quelques années. Le travail des tiges est lui aussi toujours aussi aléatoire et ainsi de suite. Après il est difficile de se prononcer sur ces aspects dans la mesure ou le cahier des charges de Meermin n’a jamais été homogène à travers la gamme. Par exemple certains modèles ont un bloc talon en cuir, d’autres ont un bloc talon en salpa, et cela a toujours été le cas et résulte juste d’exigences différentes pour des modèles différents. Il n’en reste pas moins que Meermin a toujours fait des chaussures d’entrée de gamme, et qu’il y a toujours eu des ratés comme l’image suivante le démontre.
S’il y a bien une chose qui est mise en valeur par cette sélection de paires c’est la nécessité d’acheter en boutique et non plus en ligne. Acheter en ligne se résume plus à un jeu de roulette Russe qu’autre chose, alors certes c’est l’option la plus facile et la plus pratique et sans aucun doute celle qui est privilégiée par la majorité des clients mais il faut bien comprendre que cela vous expose à des déceptions. Au final, pour le prix payé Meermin reste une marque intéressante à condition de choisir vos paires. À ce prix vous avez un vaste choix de tailles, de formes, de modèles… le fait est que la marque n’offre plus la même attention aux détails que par le passé.
Bonus: le service client
L’objectif était de reproduire l’expérience d’un client normal de la marque et cela passe également par la qualité du service. Parmi nos 5 paires, 2 avaient déjà été portées, ce qui en soit en dit déjà long sur le niveau d’exigence de la marque, mais cet article n’aurait pas été complet sans un message au légendaire service client.