Mais revenons à notre groupe de travail et au résultat qu’il a obtenu. La conservatrice restauratrice, Baker, mais également Hermès insistent tous très lourdement sur le fait qu’ils ont “percé le mystère du cuir de Russie” (la conservatrice dira même “j'ai eu la satisfaction profonde de retrouver cette recette perdue”), qu’ils l’ont recréé et qu’il s’agit d’une “résurrection”, ou encore qu’ils l’ont “sauvé de l’oubli”. Tout en mentionnant assez rapidement qu’il s’agit d’une reproduction. Pour être franc, ils ont un peu le cul entre deux chaises. D’un côté, ils ont envie de faire passer le message qu’ils ont “the real deal”, que le cuir de Russie, maintenant, c’est eux. Mais de l’autre ils doivent concéder (à demi-mot) qu’il ne s’agit bel et bien que d’une reproduction…. Comme on en faisait déjà au XVIIIème et XIXème siècle.
Il faut bien comprendre que le cuir de Russie d’Hermès a été fabriqué de la même façon que toutes les copies qui avaient été faites précédemment, à savoir en se basant sur un travail d’archive et puis en tâtonnant, en faisant des essais petit à petit. Il ne faut pas s’imaginer que l’on est en mesure de faire de l’ingénierie inversée, qu’en analysant une peau de cuir de Russie historique, on aura immédiatement toutes les informations. Ils n’ont en réalité rien percé du tout, la recette “perdue” n’a pas été retrouvée. C’est d’ailleurs évident quand la conservatrice déclare par exemple : “on est en train de comparer notre cuir moderne au cuir ancien, et ça colle parfaitement. Même au niveau des teintures utilisées, on vient juste de découvrir qu’on utilisait du bois du Brésil comme à l’époque”. Mais cela fait au moins 300 ans que l’on sait que les Russes utilisaient du bois-brésil. La seule différence c’est qu’effectivement aujourd'hui on est en mesure de le confirmer scientifiquement. D’ailleurs, les recherches scientifiques liées à au cuir de Russie (et à Hermès) ont été publiées. Ce sont ces mêmes recherches qui ont confirmés que le cuir de Russie est avant tout un cuir de bovidés. L’article Method development for the identification of Russia Leather - Comparative study of waterlogged leather samples (auquel la restauratrice a participé) donne tous les détails qu’il y a à savoir. Ces recherches ont fait l’objet d’une publication à l’ICOM, vous pouvez également trouver une conférence qui a eu lieu sur le sujet organisée par la musée du Quai Branly. Bref, le sujet est bien documenté. Vous y apprendrez que la recherche de tannins est un exercice difficile, mais qu’il a été possible de confirmer grâce à l'identification de catéchine que l'écorce de bouleau et de saule est utilisée dans le processus de fabrication du cuir de Russie, et comme il a déjà été dit, que le bois-brésil était également utilisé. En revanche l'utilisation de l'huile de bouleau n'a pu être confirmée à ce stade, d’autres recherchent semblent en cours à ce sujet. Voilà les informations que l’on peut obtenir aujourd’hui grâce à l’ingénierie inversée du cuir, cela permet de fermer des pistes, d’en ouvrir d’autres de confirmer des choses, mais ça ne dira jamais “ajoutez 500 grammes de sucre et laissez reposer pendant 12 mois”.
Malgré tout cela, il n’en reste pas moins que la reproduction de Baker est la plus belle sur le marché, et de loin. Si l’on fait abstraction du marketing, de la “recette secrète” et de tout ce qui gravite autour, le groupe de travail d’Hermès, la conservatrice, Baker, tous ont fait un travail absolument formidable pour obtenir un résultat qui est très largement au-dessus de la concurrence. Le cuir existe en deux itérations différentes, d’un côté il y a celle proposée par Baker au commun des mortels (qui demeure très belle et est adaptée en fonction des clients) et de l’autre il y a le cuir Volynka qui est un cuir spécifiquement réalisé pour Hermès. Comme je le disais c’est une marque déposée, la marque a demandé une couleur et un grain très spécifique, qui sont à mon avis parmi les plus beaux de toutes les reproductions. Le grain est légèrement plus marqué, la teinte est plus nuancée, peut-être un peu plus profonde. C’est un superbe cuir de maroquinerie qui prend très bien la lumière et qui est vraiment très joli quand il est utilisé pour les sacs ou des serviettes. Si Hermès insistent autant sur la fidélité de leur copie à l’original c’est probablement car les autres marques se contentent en général d’imiter le grainage du cuir de Russie sur des peaux au tannage lambda (par exemple l'Utah grain de Haas), sans se préoccuper des autres caractéristiques comme l’odeur. Sur cet aspect Hermès ont réussi à produire un cuir qui a une odeur immédiatement identifiable, c’est au final une odeur assez proche de ce qu’on peut avoir avec une peau du Metta Catharina, mais en plus fort. Du moins durant les premiers jours, l’odeur s’estompe un peu avec le temps. C’est une odeur assez masculine, qui mélange des notes de tourbe et qui est légèrement boisée. À mon sens leur reproduction est un sans-faute, mais par pitié, qu’on arrête avec le Metta Catharina, avec la magie, avec le cuir de Russie martyrisé, le cuir de Russie outragé, mais le cuir de Russie retrouvé.