Guide d’entretien pour les souliers en cuir

Avant-propos

Vous venez de vous découvrir une passion pour les chaussures en cuir et à mesure de vos lectures sur les zinternets vous apprenez avec effroi (ou avec joie, c’est selon) qu’il ne faut pas seulement raquer pour les pompes mais qu’il faut également hypothéquer un rein en cirage, brosses et autres crachoirs pour la maintenance. Il fût un temps où l’on déléguait les bassesses de l’entretien au personnel de maison. Un tel luxe se trouve encore dans certains pays, un très bon ami à moi a grandi en Côte d’Ivoire avec tout l’attirail de la coloniale, hépatite comprise. Du boy au garde du corps en passant par la cuisinière, il avait tout. En guise de réveil on lui chatouillait les pieds et le jour où il est parti pour la métropole sa cuisinière s’est proposée de le suivre de crainte qu’il ne meure de faim. Aujourd’hui à moins d’être un expat dans le tiers monde ou un membre de la communauté fermée des 1 %, il n’y plus de petit personnel. Vous allez devoir vous farcir toutes les tâches ingrates vous-même, car le cirage de pompe c’est ingrat, d’où l’expression. C’est ingrat car c’est une perte de temps. Ce n’est pas pour rien que c’était un travail de rue pratiqué par des petites mains. Alors je sais que pour faire passer la pilule il est de bon ton de travestir cette corvée en une sorte de moment de détente. Si vous écouter Olga Squerri ça semble même être la recherche d’une volupté suprême. Mais ne vous y trompez pas, plus vous avez de paires et plus on se rapproche des galères voire même du bagne. Vous allez suivre la trajectoire classique, au début vous allez être un maniaque de l’entretien, un brossage après chaque port, une révision complète par semaine, des glaçages à la volée. Et puis, plus votre collection va s’agrandir plus vous allez trouver cela fastidieux. Les brossages vont devenir de plus en plus espacés, les nettoyages en profondeur hebdomadaires vont devenir mensuels et finalement annuels. Au début je peux concevoir que vous soyez amusé par l’idée de vous enfermer dans votre bureau pour astiquer vos chaussures en fumant un cigare tout en écoutant de la musique et en sirotant un cognac Louis XIII, mais plus les années passent et plus cela se transforme en excuse pour se pinter la ruche tranquillement sans avoir à supporter autrui. En réalité, après quelques années vous allez avoir tendance à balancer vos pompes dans un placard et à ne vous en soucier que si vous voulez les porter. Et puis un jour vous allez vous sentir coupable, ou vous allez avoir votre première paire bespoke et c’est alors vous recommencez le cycle jusqu’à ce que chacune de vos paires soient irréprochables. Au final l’entretien c’est un peu comme un bouquin fétiche. On le ponce jusqu’à la nausée et puis on le met de côté, presque à l’oublier. Jusqu’au jour où on le reprend et en voulant simplement parcourir les premières pages on se retrouve à le lire intégralement. Oui l’entretien est fastidieux mais comme il s’agit d’un passage inévitable autant en expliquer les bases surtout que vos parents, particulièrement s’ils sont de la génération 68, étaient trop occupés à militer en faveur des rouges et de la pédophilie pour vous apprendre à vous démerder dans la vie.

Avant de commencer, il est inutile de venir chouiner dans les commentaires pour dire “gnagna moi je fais pas comme ça”, d’une part je n’en ai absolument rien à cogner, d’autre part il n’existe pas une seule et unique façon de procéder mais des dizaines. Cet article a pour but d’être le plus complet possible et va donc couvrir l’entretien courant comme le décrassage intégral tel que certaines paires de seconde main peuvent en avoir besoin, à vous de piocher ce qui vous intéresse et d’utiliser la table des matières. Je décline également toute responsabilité si vous flinguez vos chaussures, les produits et techniques décrites sont normalement sans risques mais prudence est mère de sûreté.

Les principes

Le savoir de base

Quelle est la différence entre le cirage et le crémage ?

La majorité des gens s’imaginent qu’il faut “cirer” les chaussures à la Kiwi pour les entretenir. Les vendeurs de pompes en boutique ont tendance à entretenir ce mythe et essayent régulièrement de refiler une boite de cirage de leur marque aux clients les moins attentifs. Dès lors ces gens tombent des nues quand on leur explique qu’il existe deux produits différents que sont la pâte et la crème et que c’est ce dernier qu’il faut utiliser. La confusion est entretenue par des marques comme Saphir qui vendent les deux produits sous le label cirage, probablement pour ne pas être en décalage avec cette idée ancrée dans la société qu’il faut cirer les pompes. La crème est un produit semi solide qui va pénétrer en profondeur le cuir, afin de l’hydrater ou de le nourrir, c’est la même chose. Ce faisant la crème évite que le cuir ne se dessèche craquèle et finalement craque.
La pâte ("cirage"), est un produit plus dense que la crème qui va rester en surface et qui sert surtout à faire briller le cuir, mais qui dans une certaine mesure va également offrir une forme de protection contre les intempéries et les saletés. La pâte est également utilisée pour réaliser des glaçages, sujet que l’on ne va pas traiter dans cet article.
Il est impensable d'utiliser seulement de la pâte sans jamais crémer. Le cuir va devenir sec et finira par craquer car la pâte assèche le cuir. L’utilisation de la pâte est donc totalement facultative et relève d’une préférence personnelle plutôt que d’un réel besoin pour le cuir.

La pâte (à gauche) sert à faire briller et glacer, la crème (à droite) sert à nourrir le cuir. (Source: Sartorialisme)
La pâte (à gauche) sert à faire briller et glacer, la crème (à droite) sert à nourrir le cuir. (Source: Sartorialisme)
Quelle couleur choisir pour les crèmes et les pâtes ?

Le principe de base est de prendre une teinte légèrement plus foncée que celle des chaussures mais ça n’est pas une obligation. Il est possible de jouer avec les teintes et il existe quelques astuces. Par exemple pour donner un effet patiné à une paire de couleur bordeaux il peut sembler naturel d’utiliser du noir alors qu’en réalité cela produira un résultat “sale” assez peu réussi, et l’effet est beaucoup plus convaincant en utilisant du bleu marine. Vous pouvez en revanche utiliser du noir sur les coutures pour les faire ressortir.

Le matériel nécessaire pour l’entretien

Pour entretenir vos souliers vous aurez besoin d’un équipement de base, je ne liste ici que le minimum nécessaire à l’entretien du box calf classique, les autres cuirs seront traités à part.

- La crème : elle sert à nourrir le cuir, l’hydrater. Elle existe sous deux formes chez Saphir à savoir qu’il y a la surfine et le pommadier Médaille d’Or (MO). D’autres marques sont disponibles ailleurs (Boot Black, Colonil...)

- Les brosses : il est préférable d’en avoir au moins trois. Un décrottoir, une pour les noirs, l’autre pour les marrons, ça n’est pas raciste. Il existe différents types de crins : cheval, sanglier… mais on en trouve aussi en poil de chèvre par exemple. La règle de base est la suivante, plus le crin va être rigide plus on aura tendance à utiliser cette brosse pour le décrottage, plus il est doux et plus on aura tendance à l’utiliser pour le lustrage. La brosse à reluire par excellence est toujours en poil de Jacomet.

- Un chiffon : de préférence en 100 % coton, si vous avez une chemise Lanieri c’est l’occasion idéale de lui trouver une utilité à la hauteur de sa qualité. Fonctionne également avec un t-shirt BG/Asphalte.

-La pâte ("cirage") : elle est facultative pour l’entretien mais devient obligatoire si vous voulez faire un glaçage. Il en existe un peu partout, évitez tout ce qui contient du silicone genre Kiwi “parade gloss”, c’est de la merde.

Le matériel de base pour l'entretien. À vous de construire votre kit selon vos besoins, vous pouvez parfaitement substituer ou ajouter des pièces, mais vous avez ici tout ce qu'il faut pour nettoyer et nourrir le cuir. La pâte (cirage) n'est pas obligatoire. (Source: Sartorialisme)
Le matériel de base pour l'entretien. À vous de construire votre kit selon vos besoins, vous pouvez parfaitement substituer ou ajouter des pièces, mais vous avez ici tout ce qu'il faut pour nettoyer et nourrir le cuir. La pâte (cirage) n'est pas obligatoire. (Source: Sartorialisme)
Les produits à manier avec précaution

Absolument tous les produits sont à manier avec un certain niveau de précaution (j’insiste), mais certains sont plus agressifs que d’autres et peuvent rapidement conduire à des catastrophes s’ils ne sont pas utilisés correctement.

- La crème universelle ou crème essentielle : elle sert de couteau Suisse de l’entretien mais est la source de nombreux problèmes en raison d’un pouvoir décapant souvent sous-estimé.

- Le Reno'Mat (ou Renomat) : un produit qui sert à décrasser en profondeur mais qui peut également décaper le cuir avec un peu d’effort.

- les solvants organiques : acétone, essence de térébenthine, alcool isopropylique... Ils ont la même fonction que le Reno'Mat et permettent de nettoyer le cuir en profondeur, mais peuvent également le décaper très rapidement.

- L'huile de vison, l'huile de pied de bœuf, la graisse... : produits au très fort pouvoir nourrissant, en grande quantité ils peuvent trop assouplir le cuir et le déformer. À ne jamais utiliser sur les exotiques comme le crocodile ou le caïman sous peine de les tâcher de manière définitive.

Tous les produits d'entretien sont à manier avec précaution, mais certains risquent d'avoir des conséquences néfastes s'ils sont mal utilisés. (Source: Sartorialisme)
Tous les produits d'entretien sont à manier avec précaution, mais certains risquent d'avoir des conséquences néfastes s'ils sont mal utilisés. (Source: Sartorialisme)
Fréquence d’entretien

C’est une question difficile puisqu’elle dépend de l’usage des souliers, mais également de la qualité de la peausserie utilisée etc etc. Il est recommandé de donner un premier grand décrassage à une paire lors de son achat. Les chaussure (dès le milieu de gamme) font en général l’objet d’un “bichonnage” avant de quitter l’usine où elles sont fabriquées durant lequel les ouvriers appliquent des cires et autres produits sur la chaussure afin de la rendre attractive au client. Le problème c’est que vous ne savez pas combien de temps s’est écoulé entre le moment où la chaussure a quitté l’usine et le moment où vous l’avez achetée, elle peut entre-temps avoir été stockée dans un coin pendant des mois sans que vous n’en sachiez rien. L’autre problème est que vous ne savez pas exactement ce qui a été utilisé par l’usine lors du bichonnage. Il est donc préférable de commencer sur une base saine et de décrasser complètement la chaussure.

En fonction de l’usage que vous faites de vos chaussures il est ensuite recommandé de faire un crémage environ tous les 15 jours pour des souliers portés très régulièrement et un crémage tous les 2 mois pour des souliers portés occasionnellement. Il est ensuite recommandé de faire un grand nettoyage une fois l’an. Le plus important n’étant pas de se fixer sur un calendrier mais d’observer l’état du cuir et de voir s’il a besoin d’être nourri ou non.

Entretien commun à toutes les chaussures

Dans cette partie nous allons essentiellement traiter des parties autres que la tige qui peuvent demander un entretien plus ou moins régulier.

Entretien de l’intérieur de la chaussure

Nous allons tout d’abord aborder un point qui n’est jamais mentionné par tous les spécialistes des zinternet, ça vaut également pour certains débilos de private label et autres influenceurs qui savent manier un bilan comptable plutôt qu’une alêne. Remarquez que ça n’est pas surprenant, ils sont souvent fringants à l’extérieur et moisis de l’intérieur.

Quand j’ai demandé il y a des années de cela à mon mentor ce qui faisait la durabilité d’une chaussure, il m’a répondu que c’était la température des pieds du client. C’est une réponse qui peut surprendre mais que j’ai eu l’occasion d’entendre chez plusieurs autres bottiers à travers les ans, dont certains sont aujourd’hui nonagénaires et ont plus de 50 ans d’expérience parfois acquise dans les plus grandes maisons. C’est bien évidemment une façon polie de parler de sudation. La transpiration et le cuir ne font pas bon ménage, c’est quelque chose qui est assez connu chez les amateurs de voitures de luxe à intérieur cuir, moins chez les calcéophiles alors que c’est pourtant dans leur intérêt.

Certaines personnes ont “les pieds chauds” et d’autres ont les “pieds froids”, comprendre par-là que certaines personnes transpirent beaucoup alors que d’autres transpirent peu. La transpiration est extrêmement mauvaise pour le cuir notamment en raison de son acidité et du sel qu’elle contient. Non seulement la sueur va brûler le cuir et à la longue le fragiliser, mais elle va également réagir avec les différents éléments en métal qui sont utilisés aujourd’hui dans la fabrication de souliers industriels (agrafes, clous, pointes, cambrion…) et provoquer leur corrosion. Corrosion qui à son tour va interagir avec le cuir et faire pourrir la chaussure de l’intérieur. Ça n’est pas pour rien qu’au Mexique ou qu’au Sud des États-Unis (surtout au Tegzas) les bottes de cow-boy à montage traditionnel sont chevillées avec des pointes de citronnier.
D’où l’importance des embauchoirs qui vont servir à absorber une partie de la sudation et de ne jamais porter la même paire deux jours de suite. Mais cela ne suffit pas, il faut passer un coup de chiffon humide ou d’éponge à l’intérieur de la chaussure au minimum une à deux fois par an. Certains vont plus loin et vont imbiber leur chiffon d’alcool isopropylique ce qui est également une solution valable. Peu importe la solution que vous décidez d’adopter, il faut ensuite nourrir le cuir. Car bien que de nombreuses marques vous refilent des doublures en cuir naze de Chine, d’Inde ou du Brésil ça n’en reste pas moins du cuir et il important de l’entretenir de la même façon que le cuir de tige.
Pour nourrir la doublure vous avez l’embarras du choix, vous pouvez utiliser le rénovateur Saphir médaille d’or, la crème surfine incolore 02, ou encore la lotion médaille d’or. Peu importe le produit que vous choisissez d’utiliser, il faut l’appliquer avec parcimonie et pas plus d’une à deux fois par an.

L’entretien des lisses et du talon

L’entretien des lisses est réservé aux amateurs très avertis, mais avec la disparition progressive des cordonniers traditionnels je partage au moins quelques éléments afin de permettre à ceux que ça intéresse d’en apprendre plus.
Normalement l’application de la déforme est une étape réservée au cordonnier, qui dispose en général d’un poste à déforme sur son banc de finissage. Un bon cordonnier pourra s’occuper de vos lisses rapidement et pour trois fois rien, mais si vous habitez en province vous n’avez peut-être pas cette chance. Et encore estimez-vous heureux, dans certains pays comme les États-Unis beaucoup n’ont pas le choix et doivent s’occuper de cela eux même puisqu’il y a au mieux 10 cordonniers compétents pour tout le pays…. Les lisses n’ont en général pas besoin de beaucoup d’entretien, un crémage régulier est normalement très largement suffisant. Sauf si vous avez des paires qui sont très usées ou qui sont dédiées à des utilisations spéciales, je pense par exemple à la neige. Les paires que je réserve à une utilisation hivernale sont exposées régulièrement à la neige et au sel ce qui a tendance à très rapidement faire perdre sa teinte aux lisses. Il existe dès lors deux options, la première consiste à utiliser des petits flacons de teinture pour lisse ou des crayons réparateurs. La seconde est la déforme traditionnelle. Les flacons applicateurs existent sous plusieurs marques, mais il s’agit toujours d’un flacon plastique avec tampon applicateur de très petit conditionnement, les marques Fiebing’s ou Tarrago en proposent, mais vous en trouvez également chez l’immonde marque Kiwi. Dans tous les cas c’est le même principe, il suffit de très bien nettoyer la lisse, et d’appliquer. Le crayon réparateur fonctionne sur le même principe, et est trouvable chez la marque Woly sous le nom de “heel renovator”. J’insiste sur le fait qu’il ne s’agit que d’une solution plus ou moins temporaire en attendant que vous puissiez avoir accès à un cordonnier ou que vous appreniez à appliquer de la déforme proprement.

L’application de la déforme est difficile et demande de la minutie ainsi que de la patience. Je ne vais pas en décrire le processus d’application en détail ici puisque ça n’est pas ce qu’il y a de plus visuel et ça n’est de toute façon pas le but de cet article. Sachez seulement que dans le cas d’une finition artisanale il faut procéder à un verrage de la lisse, appliquer la déforme, passer un fer à lisse… Sachez également que si vous êtes à la recherche de déforme cette dernière est généralement vendue au litre aux cordonniers mais qu’elle est très difficile à conserver car elle sèche rapidement. Il est possible d’en acheter dans des quantités plus petites, par exemple Saphir vendent de la déforme au millilitre sous le nom de “teinture cirante Tanil”. On trouve également de la déforme avec applicateur et en petit conditionnement chez la marque Allemande Top Finish.

Flacons de teinture Fiebing’s pour lisse et talon et deux flacons de déforme traditionnelle. La déforme existe en noir, marron et incolore. (Source: Sartorialisme)
Flacons de teinture Fiebing’s pour lisse et talon et deux flacons de déforme traditionnelle. La déforme existe en noir, marron et incolore. (Source: Sartorialisme)

Entretien de la semelle

Les semelles en caoutchouc deviennent de plus en plus communes et ont l’avantage de ne demander aucun entretien particulier. Les semelles en crêpes sont extrêmement salissantes et peuvent se nettoyer avec une brosse à dent et du savon de Marseille mais surtout pas de solvants.
En ce qui concerne les semelles en cuir, il y a ceux qui font poser un patin et un fer, ceux qui ne le font pas et ceux qui ne posent que l’un des deux. Nous n’allons pas aborder cette question aujourd’hui puisque nous lui consacrerons éventuellement un article.
En revanche sachez qu’il existe différents produits d’entretien destinés aux semelles en cuir mais tout ce qui touche à l’entretien des semelles a tendance à se transformer rapidement en débat interminable. C’est comme parler patin avec un vendeur Weston, il n’y a pas de fin.

Avant toute chose sachez que les semelles de qualité (donc le croupon à tannage lent de première qualité provenant de Baker, Bastin, Garat…) est à la fois souple et rigide. C’est un cuir résistant comme Pétain et toute tentative de trop le nourrir va le ramollir, ce qui est contreproductif. Bien évidemment ce qui est valable pour ces cuirs est également valable pour le cuir de semelle absolument immonde que l’on trouve sur énormément de paires d’entrée/milieu de gamme.

Chez Saphir on trouve “l’huile semelle” dans la gamme médaille d’or, plus communément appelée Sole Guard. Le nom Anglais me laisse penser à une huile de serpent à destination du marché Anglophone qui est assez client de ce genre de gadgets un peu débiles. Il s’agit d’une une huile protectrice 100% végétale qui imperméabilise le cuir et empêche l'eau et le sel de pénétrer et de faire gonfler la semelle. Enfin, ça c’est la version officielle, personnellement j’ai essayé sur quelques paires pour voir s’il y avait un effet notable et après plusieurs années, j’en doute encore. Je ne suis pas encore tombé sur un cordonnier (réputé) qui en vante les mérites, mais j’ai en revanche trouvé des cordonniers qui ont vu des semelles totalement ramollies par l’utilisation de ce genre de produit (il existe également un équivalent chez Burgol et Tapir) ce qui confirme que s’il faut l’utiliser, c’est avec parcimonie. Quand je vois que Kirby Midas Allison vend ce machin 30$ j’ai tendance à penser que c’est simplement un attrape couillon, mais encore une fois quand on voit la vitesse à laquelle la qualité du cuir de semelle qui est utilisé par beaucoup de marques décroit, on peut comprendre que certains s’en vouent aux huiles saintes et aux incantations magiques pour espérer prolonger la vie de leurs semelles. Si certains ont de bonnes expériences avec ces produits tant mieux pour eux, mais j’ai tendance à les considérer comme à manipuler avec précaution voire à les éviter et à leur préférer un patin.

Il existe chez Weston une graisse à base de matières d’origine animales et de cires d’abeille qui sert à nourrir les semelles. Pour une raison qui m’échappe cette graisse est uniquement trouvable en boutique, et il me semble que c’est une graisse exclusivement fabriquée pour la marque. Je ne l’ai pas utilisée depuis une éternité puisque je fais poser des patins sur l’intégralité de mes souliers, en revanche à l’époque où je l’utilisais j’avais remarqué qu’elle avait l’avantage de ne pas ramollir le cuir. C’est à mon sens la meilleure option pour ceux qui veulent nourrir leur cuir de semelle sans prendre trop de risques, à condition que le produit soit resté le même.

Le sole guard de Saphir a également l’inconvénient d’être liquide, ce qui rend sont application moins pratique que celle d'une graisse. (Source: Sartorialisme)
Le sole guard de Saphir a également l’inconvénient d’être liquide, ce qui rend sont application moins pratique que celle d'une graisse. (Source: Sartorialisme)

L’entretien des lacets

Il n’est pas spécialement nécessaire d’entretenir les lacets cirés des chaussures de ville, toutefois il n’est pas une mauvaise idée de les passer de temps en temps à la cire, cela permet d’assurer leur maintien. Vous avez là aussi plusieurs solutions, personnellement j’utilise un simple pain de cire d’abeille mais vous pouvez également utiliser le cirage “pâte de luxe” de Saphir. Il suffit de mettre un peu de pâte incolore sur un chiffon et de pincer le lacet tout en le tirant vers le haut. Vous répétez cette opération plusieurs fois et vous laissez reposer un peu avant de recommencer, mais cette fois sur un coté du chiffon qui ne comporte pas de cirage afin d’enlever l’excédent.

L'entretien de la tige et de la trépointe

Avant de commencer il est important de préciser deux choses.

La première est que je vais essentiellement parler des produits Avel/Valmour/Saphir (tout ça c’est le même groupe) car je les connais et les utilise depuis des années et en plus comme dirait l’autre “pas mal non ? C’est Français” alors autant en profiter. Cela étant dit rien ne vous empêche d’aller voir les produits Colonil, Famaco ou Boot Black, la marque Japonaise qui ferait presque passer les produits Saphir pour bon marché, il n’y a rien de problématique avec ces marques. Le plus important est d’éviter les produits qui contiennent du silicone. Si vous décidez d’utiliser les produits Saphir souvenez-vous qu’il existe la gamme “normale” et la gamme Médaille d’Or. Elles ne sont pas nécessairement très différentes, en dehors du prix et en général un produit qui est présent dans l’une des gammes est également présent dans l’autre, sous un autre nom et avec une formule chimique légèrement différente. L’effet est plus ou moins le même. Si l’on prend par exemple le pommadier MO et qu’on le compare à la surfine vous allez remarquer une différence dans le nuancier, dans la texture, ou encore dans les solvants employés, mais au final le pouvoir nourrissant est similaire.

La seconde est qu’il n’est pas nécessaire d’investir dans beaucoup de produits pour entretenir vos chaussures, même dans le cas d’un grand nettoyage annuel. Le minimum dans ce cas est une bassine, de l’eau claire, une éponge, du savon de Marseille, une brosse et un pot de crème Surfine ou MO et c’est tout, comme nous allons le voir maintenant.

À gauche vous avez la crème surfine à droite la crème 1925, également appelée pommadier. En dehors d'un nuancier et d'une composition différentes les deux produits font la même chose. Il s'agit avant tout d'une histoire de prix et de préférence. (Source: Sartorialisme).
À gauche vous avez la crème surfine à droite la crème 1925, également appelée pommadier. En dehors d'un nuancier et d'une composition différentes les deux produits font la même chose. Il s'agit avant tout d'une histoire de prix et de préférence. (Source: Sartorialisme).

L’entretien annuel, première méthode

Cette technique est valable pour le box calf mais peut également fonctionner pour le veau velours.
Pensez à brosser vos chaussures avant de les immerger afin d’enlever le maximum de poussière, ensuite vous pouvez tremper vos chaussures dans une bassine d’eau tiède (j’insiste, mieux vaut une eau un peu froide que trop chaude), cela fonctionne également pour les trouvailles de seconde main à l’entretien douteux. Il n’y a pas vraiment de règle sur la façon de procéder, vous pouvez laisser vos chaussures immergées dans l’eau pendant 20 minutes ou plus comme vous pouvez simplement faire couler de l’eau dessus de façon abondante sans les immerger totalement. Si vous êtes vraiment frileux vous pouvez simplement passer une éponge humide plutôt que d’immerger les chaussures.

Une fois la chaussure bien mouillée vous les nettoyez avec une éponge savonneuse. Pour éviter les problèmes il est préférable d’utiliser du savon de Marseille traditionnel tout ce qu’il y a de plus simple. Une fois que vous avez bien nettoyé l’extérieur de la chaussure vous pouvez en profiter pour nettoyer l’intérieur également. Une fois cette opération réalisée rincez abondamment les chaussures à l'eau tiède pour enlever le savon.

Mettez ensuite les chaussures sur des embauchoirs bien adaptés à la forme et laissez sécher dans un endroit sec, loin des radiateurs. Quand vous faites sécher des chaussures, peu importe si c’est après une averse ou un nettoyage, n’ayez pas de source de chaleur à proximité. Vous pouvez remplacer les embauchoirs toutes les 3 ou 4 heures pour accélérer le processus de séchage. Une fois que les souliers sont parfaitement secs vous pouvez ensuite les crémer soit à la surfine ou à la MO. Pour le crémage ayez l’habitude de toujours passer sur la trépointe afin de nourrir la couture. Essayez de ne pas tartiner la paire, si vous n’avez pas de palot il est tout à fait possible d’utiliser un chiffon pour appliquer la crème. Laissez ensuite sécher et lustrez avec un chiffon ou une brosse. Si jamais vous en avez envie vous pouvez ensuite passer une couche de pâte de luxe pour augmenter la brillance.

L’entretien annuel, seconde méthode

Cette technique est valable pour le cuir box classique.

Cette méthode est similaire à la précédente, sauf qu’elle utilise un solvant plutôt que de l’eau et du savon. Comme pour la méthode du bain d’eau il faut brosser vos chaussures afin de les débarrasser de toute poussière.

Utilisez ensuite du Reno'Mat en petite quantité sur un chiffon pour enlever les anciennes couches de crème et/ou de cirage. Il est important de frotter sans appuyer et de ne pas utiliser trop de produit à la fois, le plus simple est de mettre le chiffon directement sur le goulot de la bouteille et de l’humidifier très rapidement. Dans le cas où vous êtes en train de travailler sur une paire d’occasion, il est possible que le précédent propriétaire ait tartiné la chaussure de cirage, dans ce cas l’acétone ou l’alcool isopropylique sont des alternatives plus agressives que le Reno'Mat. En fonction de la couche de cirage, c’est un travail qui peut demander plusieurs heures. Parfois il sera nécessaire de décaper la paire et de la reteindre ensuite, certains cirages anciens formant pratiquement une sorte de goudron sur la chaussure. Si jamais la paire doit être décapée, il faut alors utiliser la teinture Française de Saphir pour la recolorer mais on dépasse le cadre de l’entretien et on entre vraiment dans de la restauration.

Une fois que la chaussure est débarrassée de toutes les anciennes couches de crème il est important de la laisser reposer pendant une vingtaine de minutes. Les solvants ont tendance à assécher le cuir vous pouvez ensuite utiliser le rénovateur à l’huile de vison, ou la lotion Saphir afin de nourrir le cuir en profondeur. N’en abusez pas, puisque la prochaine étape consiste à appliquer de la surfine qui a également un pouvoir nourrissant. Insistez bien sur les plis d'usure pour les repasser et ainsi les atténuer. Une fois la surfine appliquée, laissez le soulier sécher et lustrez avec un chiffon ou une brosse. Là aussi vous pouvez ensuite passer une couche de pâte de luxe pour plus de brillance.

Vous pouvez faire des substitutions ou des ajouts mais voilà le matériel de base nécessaire pour l'entretien en profondeur. (Source: Sartorialisme)
Vous pouvez faire des substitutions ou des ajouts mais voilà le matériel de base nécessaire pour l'entretien en profondeur. (Source: Sartorialisme)

L’entretien régulier

Dans le cadre de l’entretien régulier on utilise une version raccourcie de la technique énoncée ci-dessus, il suffit en général de bien brosser le soulier afin de le débarrasser de toutes les impuretés et autres poussières et d’appliquer ensuite de la surfine. Avant de mettre de la surfine certains décrassent la chaussure avec un peu de crème universelle, c’est une question de choix. Là encore respectez bien les temps de séchage et lustrez avec une brosse ou un chiffon.

L'entretien régulier nécessite surtout du brossage. Vous pouvez même ajouter une brosse à reluire en poil de Jaco ou en poil de chèvre, c'est la même chose. (arrière plan, à gauche). (Source: Sartorialisme)
L'entretien régulier nécessite surtout du brossage. Vous pouvez même ajouter une brosse à reluire en poil de Jaco ou en poil de chèvre, c'est la même chose. (arrière plan, à gauche). (Source: Sartorialisme)

Les cas particuliers

Le cuir gras

Le cuir gras est un cuir qui est aisément reconnaissable par son aspect mat et qui demande relativement peu d’entretien.
Comme toujours il est important de commencer par bien brosser le soulier. Une fois cette étape effectuée vous pouvez graisser le cuir à l’aide de différents produits Saphir, il existe la “graisse de phoque” ou le baume "étalon noir" mais vous pouvez également utiliser leur “crème cuir gras”.

À noter que vous pouvez entretenir un cuir gras comme un cuir box, mais dans ce cas vous allez perdre les avantages du cuir gras, je ne vois donc pas l’intérêt.

Le cuir gras est simple d'entretien. Il existe plusieurs options pour la graisse mais la Dubbin (incorrectement appelée graisse de phoque) est la plus courante. Elle existe en incolore. Vous pouvez utiliser une brosse à dent pour la trépointe. (Source: Sartorialisme)
Le cuir gras est simple d'entretien. Il existe plusieurs options pour la graisse mais la Dubbin (incorrectement appelée graisse de phoque) est la plus courante. Elle existe en incolore. Vous pouvez utiliser une brosse à dent pour la trépointe. (Source: Sartorialisme)

Le veau velours

Le veau velours comme le nubuck demande très peu d’entretien surtout si vous avez l’intelligence de le choisir foncé, le veau velours clair étant plus salissant et surtout plus plouc. Une fois que vous achetez vos souliers pensez à les faire imperméabiliser à l’aide de la bombe imperméabilisante Saphir (opération à réaliser tous les ans environ). Il suffit ensuite d’entretenir le cuir à l’aide de deux brosses. La brosse en crêpe sert pour l’entretien courant, la brosse en laiton sert pour l’entretien annuel. Certains trouvent la brosse en laiton trop agressive et préfèrent ne pas l’utiliser.
Comme pour toutes les chaussures il est parfaitement possible d’utiliser une brosse en crin pour le dépoussiérage. Si jamais vous avez une tâche de gras sur vos souliers elle peut être efficacement traitée si elle est rapidement recouverte de terre de Sommières, que l'on laissera agir au moins 24 heures. Il peut être intéressant d’utiliser un gommadin pour traiter les petites tâches surtout si la paire est claire. Quand le veau velours commence à vraiment trop perdre sa teinte il est possible de lui donner un coup de spray rénovateur, ce dernier existe dans plusieurs couleurs différentes.

Le veau velours est extrêmement simple d'entretien. La brosse en laiton (à gauche) est optionelle. (Source: Sartorialisme)
Le veau velours est extrêmement simple d'entretien. La brosse en laiton (à gauche) est optionelle. (Source: Sartorialisme)

Le cordovan

Le cordovan est un cuir très gras qui demande peu d’entretien, le plus important est de brosser le cuir énergiquement de façon occasionnelle. Saphir ont une crème pommadier spéciale cordovan que vous pouvez utiliser une à deux fois l’an mais il est inutile de l’utiliser de manière plus régulière. Si vous récupérez une paire en cordovan de seconde main et qu’elle est très encrassée par des couches de crème, vous pouvez passer la paire au Reno'Mat, cela ne pose pas de problème si c’est fait correctement.
Vous pouvez également investir dans un os de cerf, il sert notamment à atténuer les plis du cordovan, et fonctionne très bien mais demande de fournir un effort assez long. Cela permet aussi d’effacer les traces laissées par l’eau de pluie.

Si vous faites le choix d'utiliser de la crème sur votre cordovan, assurez-vous qu'elle est adaptée. N'utilisez pas non plus cette crème sur le box. (Source: Sartorialisme)
Si vous faites le choix d'utiliser de la crème sur votre cordovan, assurez-vous qu'elle est adaptée. N'utilisez pas non plus cette crème sur le box. (Source: Sartorialisme)

Les cuirs exotiques

Le cuir exotique recouvre beaucoup de matières différentes, et il est inutile d’évoquer les spécificités du cuir de baleine, de requin ou d’éléphant tant il est rare de rencontrer ces peaux. Le crocodile, le caïman et le lézard s’entretiennent avec une simple brosse et avec la crème Reptan de Saphir. Cette crème est à appliquer avec parcimonie et avec un chiffon. N’utilisez en revanche jamais d’huile de vison sous peine de tâcher le cuir de façon pratiquement définitive. Si la paire devient trop encrassée il est parfaitement possible de passer un coup de Reno'Mat mais cela assèche en général assez fortement les peaux de reptiles, il faut donc penser à bien nourrir le cuir par la suite.

Le Reptan est l'équivalent de la surfine mais pour les exotiques. (Source: Sartorialisme)
Le Reptan est l'équivalent de la surfine mais pour les exotiques. (Source: Sartorialisme)

Les cuirs rectifiés (bookbinder, etc...)

Un coup d’éponge humide et c’est marre. Le cuir était protégé par une couche de matière plastique il n’est pas possible de le nourrir.

La disparition probable de Gieves & Hawkes et le cycle de vie des marques

Article mis à jour le 27 Janvier 2023. Frasers Group est devenu propriétaire de Gieves & Hawkes en 2022, reste à voir ce qu'il adviendra de la marque. Probablement rien de bon.

Avant-propos

Oh dear, si vous suivez un peu l’actualité économique de ces derniers mois il ne vous aura pas échappé que Gieves & Hawkes, qui se trouve sur Savile Row depuis 20 000 ans, risque de fermer ses portes à cause d’évènements malheureux en provenance de Chine. Évènements qui sont, cette fois, sans rapport direct avec un quelconque laboratoire de recherche. Il y a quelques années, la vénérable entreprise de confection ainsi que d’autres grands noms du textile ont été rachetés par un groupe chinois qui souhaitait mettre en place une stratégie internationale visant à concurrencer le géant LVMH - Louis Vuitton Moët Hennessy, le groupe français de champagne et de cognac qui fabrique des bagages pour footballeurs dont le facteur G est inversement proportionnel au compte en banque. Étonnamment, ce plan semble ne pas avoir fonctionné, et maintenant, à moins qu'un acheteur ne soit trouvé, Gieves & Hawkes va disparaître. Et c’est bien dommage car il est toujours triste de voir disparaitre un nom célèbre. Un nom? Oui, un nom. Gieves & Hawkes ce n’était plus que ça, un nom, ou plus exactement, une marque. Il ne faut pas pour autant se méprendre, il n’est pas question de renier l’histoire de Gieves & Hawkes, leur héritage, et ce qu’il leur reste de savoir-faire. Ça serait mal comprendre mon propos. Il s’agit plus d’expliquer que cette disparition potentielle n’est que la suite logique d’un cycle économique qui a fait de nombreuses victimes et en fera encore. Brioni, Pal Zileri, Crombie et beaucoup d’autres sont sur la sellette. Et tout cela n’a pas grand-chose à voir avec le vilain Covid, qui n’a fait que rendre plus apparentes les failles d’un système qui vide les marques de leur substance. Système qui existe en grande partie à cause de notre rapport à ces dites marques.

Introduction

Je ne vous apprends rien si je vous dis que les marques sont un signe distinctif. Elles permettent entre autres de structurer la concurrence, d’identifier les produits etc, et les enjeux qui gravitent autour d’elles sont importants car les marques sont le trait d'union entre l'entreprise et le consommateur. Les marques ont un très fort pouvoir d’évocation, elles se nourrissent parfois de plusieurs centaines d’années d’existences, et évoquent des idées, des traits de caractère, des réputations, des associations. À tel point qu’aujourd’hui elles occupent une place prédominante dans la société. Une étude publiée par le CAIRN estime par exemple qu’un consommateur connaît en moyenne 5 000 noms de marques. Certains construisent ou manifestent des pans entiers de ce qu’ils estiment être leur identité à travers une marque. Dès l’enfance on signifie son appartenance à un groupe, une caste, en choisissant des marques qui sont censées représenter notre place dans la société. Si vous avez grandi au début des années 90 vous n’étiez pas la même personne et n’aviez pas les mêmes perspectives d’avenir si votre mauvais sweater en polyplouc était griffé “Com8”, “Element” ou “Lacoste” et si vous pensez que ce phénomène se limite à l’adolescence vous n’avez jamais croisé le chemin de la tribu des traders, portfolio manager et autres bourreurs de Wall Street qui ont fait de la Patagonia jacket leur signe de ralliement. Parfois cela prend même des dimensions rigolotes, genre le Discord des suceurs monomaniaques Bonne Gueule. Vous y trouvez virtuellement tous les bobos urbains et péri-urbains hypocondriaques et à calvitie précoce de France. Le genre à se trimbaler avec un cabas à roulette et à être déjà mort en dedans. Les mecs se prennent pratiquement pour le département ressources humaines de la marque et vont jusqu’à “analyser” ses nouveaux employés tel une armée de Karen en chaleur. Cette identification aux marques est d’autant plus forte dans le monde du vêtement puisqu’il est un élément fondamental de la culture matérielle, il est l’un des marqueurs de toute société humaine. On peut même parler de véritable langage destiné à signifier et pas seulement à protéger ou à orner. Pour l’historien Daniel Roche: “l’histoire du vêtir témoigne en profondeur sur les civilisations. Elle en révèle les codes”. Le choix du vêtement et dans une certaine mesure, de la marque est tout sauf anodin.

La Patagonia jacket accessoire indispensable pour marquer votre appartenance au club des ploucs de la fuck you money. (Source : tigerdroppings)
La Patagonia jacket accessoire indispensable pour marquer votre appartenance au club des ploucs de la fuck you money. (Source : tigerdroppings)

Dans certains cas les gens deviennent complètement obnubilés par les marques, et ces dernières participent de manière non négligeable à l’acte d’achat. Je ne compte pas le nombre de fois où l’on nous a demandé “vers quelles marques faut-il se tourner pour un costume à 1000 euros” ou “à quand un guide d’achat sur les marques de demi-mesure” sans que l’on ait absolument la moindre indication sur les besoins des personnes qui posent ces questions. Car eux même n’en ont rien à foutre, ils veulent juste qu’on leur balance une liste de marques de “qualité”, comme si ça voulait dire quelque chose. Beaucoup ont tendance à avoir un raisonnement inverse à celui qui pourrait sembler logique, plutôt que de se demander quels sont leurs besoins et de voir ensuite les marques qui correspondent, ils préfèrent demander d’abord quelles sont les “bonnes marques” pour ensuite voir si elles font ce qu’ils cherchent. Et au final on se trouve avec des ploucs de 18 ans fringués à la Hugo Jacomo ou avec des ninjas full TeKOuÈrEuH en plein cœur de Paris.
D’ailleurs les articles les plus populaires du site sont justement les guides d’achats, que ça soit sur les montres ou les chaussures. Et cela n’est d’ailleurs pas spécifique à notre blog, il suffit de voir à quel point les guides, sélections et comparatifs pullulent partout ailleurs pour se rendre compte de leur succès. Et puis c’est pratique les guides d’achats, n’importe quel attardé peut en pondre une pelleté en un rien de temps. Ça va faire du clic et puis ça ne demande pas connaissances particulières. La preuve, un duo de mongoles récemment devenu Youtubeurs a fait un guide d’achat sur les pompes, dans lequel ils utilisent une photo de chaussures en cuir de pécari pour illustrer un cuir grainé…. Nouvel éclat de médiocrité chez les Laurel et Hardy du néant. Et les types sont soit disant dans la sape depuis des plombes. On pourrait multiplier les exemples à l’infini, se pencher sur le cas du karatécaca de prépa mais ce n’est pas la peine. Seulement, si quelqu’un pouvait trouver un vrai travail à tous ces demi-chômeurs issus de formations bidon dans la “communication du luxe”, ils auraient peut-être moins de temps libre pour raconter leurs conneries.

Mais revenons à nos moutons, l’obsession des gens pour les “marques de qualité” et pourquoi cette obsession est stupide. Commençons rapidement par évacuer tout possible malentendu, non nous ne faisons pas ceux qui ne veulent pas comprendre. Quand les gens demandent une “bonne marque” ils veulent en général dire : une marque qui fait de bons produits. C’est entendu. Mais c’est débile. Une marque peut très bien faire un bon produit et un produit de merde. Weston font la Chasse et ils font aussi du mauvais cousu Blake. Rien n’empêche la cohabitation au sein d’une même marque de plusieurs gammes, lignes, produits etc etc d’une qualité extrêmement variable. Comme rien n’empêche plusieurs marques de vendre le même produit. En réalité nous vivons dans une époque où il y a beaucoup de nouvelles marques, sans pour autant qu’il y ait de nouveaux produits. Et malheureusement nous sommes également à l’heure où les marques “traditionnelles” (comprendre par là non 2.0) “historiques”, “Ivy leage” ou encore “old money” subissent pratiquement toutes le même sort que Gieves & Hawkes et deviennent des coquilles vide dont l’objectif est de remplir les poches d’actionnaires et autres investisseurs.

La Chukka boot Miles de Weston, un modèle “issu d’une fabrication artisanale”.  (Source: Weston)
La Chukka boot Miles de Weston, un modèle “issu d’une fabrication artisanale”. (Source: Weston)
La même Chukka boot Miles, dont le cousu Blake est tout simplement dégueulasse. Pour presque 400€ vous avez une semelle de merde en plastique avec une fausse trépointe moulée directement dans ladite semelle. Il n’y a pas de semelle intercalaire. On est plus proche de Bata qu’autre chose. Cela étant dit, le cuir est de très bonne qualité. (Source : HFR)
La même Chukka boot Miles, dont le cousu Blake est tout simplement dégueulasse. Pour presque 400€ vous avez une semelle de merde en plastique avec une fausse trépointe moulée directement dans ladite semelle. Il n’y a pas de semelle intercalaire. On est plus proche de Bata qu’autre chose. Cela étant dit, le cuir est de très bonne qualité. (Source : HFR)

Les nouvelles marques 2.0 sans nouveaux produits

Il n’y a pas si longtemps Simone Crumpet a rédigé un billet sur son blog dressant le constat que la mode (comprendre par-là l’industrie de l’habillement) arrivait à court d'idées, et cela de plus en plus vite. Et il avait raison. Je ne suis pas certain d’en connaître la cause, est-ce là une manifestation de la post-modernisation et sa mondialisation, la désindustrialisation, le fait que les crétins d’école de commerces ne puissent rien faire sans copier le travail des autres. Ce phénomène est probablement multifactoriel, toujours est-il qu’on voit de moins en moins de choses intéressantes qui arrivent sur le marché. Et pourtant, on assiste à une explosion de nouvelles marques.
Aujourd’hui n’importe qui peut créer une marque, il faut dire que c’est beaucoup plus facile que d’apprendre à fabriquer quelque chose de ses propres mains. Alors que les tailleurs, bottiers et autres artisans disparaissent de nouvelles marques toutes plus vides de savoir-faire les unes que les autres apparaissent de façon aussi inopportune qu’un furoncle au derrière.
Je ne vais pas m’étendre longtemps sur le sujet, si vous êtes familier du blog vous n’êtes pas sans ignorer que je suis très critique des private labels. Car dans beaucoup de cas, il ne s’agit que de marques. Comprenez par là qu’il n’y a absolument rien derrière le marketing puisque le produit est fabriqué par une usine qu’ils ne contrôlent pas, et qu’il est bien souvent trouvable ailleurs sous un autre nom. Au début des années 2010, les marques dites 2.0 se sont concentrées sur la production de produits de faible qualité et à fort contenu conceptuel (low quality, high concept) ça a été l’explosion des marques “disruptives” sans intermédiaires etc etc. En réalité, comme Alain, ils produisent du concept. Leur créneau c’est exclusivement la communication. On s’est alors retrouvé avec des dizaines de modèles de sneakers blanches pratiquement identiques, qui sortaient toutes des mêmes usines, totalement dopées à la communication sur les rézaux. Et chacun insistant, ils avaient là un produit r.é.v.o.l.u.t.i.o.n.n.a.i.r.e. Ces ploucs trouvent tous des arguments plus débiles les uns que les autres pour dire pourquoi leur modèle est unique. Et vas-y que le mien il est écolo, le mien y vient du Népal, le mien il est cousu par mama Rosa. Et ils ont déclinés ça à toutes les sauces. Regarde mon t-shirt blanc révolutionnaire, mon pull parfait, mon jean ultime. Et chaque saison ça recommence avec tous les hivers la blague du manteau long (qui arrive à mi-cuisse) en tissus résistant etc etc. Quant au produit, il est le plus souvent de qualité moyenne, sans être franchement mauvais, il est en décalage total avec le battage qui est fait autour de lui et qui lui attribue des pouvoirs magiques. Il n’est d’ailleurs jamais iconique puisqu’il ne s’agit justement que de produire des copies de modèles iconiques déjà vus ailleurs. Ce qui est amusant avec cette surabondance de communication c’est que les gens sont complètement paumés (en même temps, c’est le but). Quand ils nous demandent quel t-shirt blanc acheter et qu’on se contente de dire “le premier venu à la bonne taille” ils ne comprennent pas pourquoi on n’en recommande pas un des marques avec les pouvoirs magiques. C’est un putain de t-shirt blanc bande de cons.

Les débilos sortant tout juste d’école de commerce vous présentent leur super PROJET, fabriqué à la MAIN en ITALIE, totalement UNIQUE et terriblement TENDANCE. La sneaker blanche.   Ça coûte trois fois rien à produire, ça se vend cher, ça sort des même usines, mais sans que l’on sache trop comment c’est révolutionnaire. C’est ça, produire du concept. (Source : dans le désordre, common projects, koio, bonne gueule, asphalte, archibald of london, olivier cabell)
Les débilos sortant tout juste d’école de commerce vous présentent leur super PROJET, fabriqué à la MAIN en ITALIE, totalement UNIQUE et terriblement TENDANCE. La sneaker blanche. Ça coûte trois fois rien à produire, ça se vend cher, ça sort des même usines, mais sans que l’on sache trop comment c’est révolutionnaire. C’est ça, produire du concept. (Source : dans le désordre, common projects, koio, bonne gueule, asphalte, archibald of london, olivier cabell)

Certains vont très probablement me reprocher de forcer le trait, mais en réalité je ne fais qu’effleurer la surface. Si vous avez lu notre démontage de la chaussure Andrew 6942 par Carlos Santos vous savez que Loding, Malfroid, Monsieur Chaussure et probablement d’autres ont, peausserie mis à part, exactement le même modèle à leur catalogue. Mais vous pouvez être certain que la perception par le public de ces modèles n’est pas la même, à cause de la marque et donc du prix. On pourrait multiplier les exemples à l’infini. Et certes, certains produits qui sont fabriqués en private label peuvent être d’excellente facture et sont parfois proposés à des prix “moins chers que les marques de luxe”. Le secret c’est de rogner à mort sur la marge. Mais au final est-ce que le produit est “mieux” ? Pas toujours, très concrètement vous prenez une paire de Jacques et Déméter, qui sont de très bonnes chaussures, et vous les mettez en face d’une paire de Weston. À montage et prix équivalent les Weston auront un meilleur cuir. Car quand on en vient à la question du sourçage, une PME n’a pas la même force de frappe qu’une multinationale, et cela est vrai sur d’autres domaines comme celui de l’utilisation des peausseries etc etc. Et puis il y a le cas du private label d’excellente facture, qui n’est pas du tout moins cher que “la marque de luxe” car il vient d’une marque de luxe. Dans certain cas l’arnaque est même totale. Drake’s ont dans leur collection un cardigan en private label à 520€, vous pouvez trouver exactement le même chez William Lockie (le fabricant et fournisseur de Drake’s pour les mailles) pour 320€, la seule différence étant l’étiquette. Est-ce qu’une étiquette vaut à elle seule une différence 200€ pour le même produit ? Évidemment non, mais c’est là tout le pouvoir des marques. Pouvoir vous faire payer 60 % plus cher pour un simple nom, et c’est pour obtenir ce résultat que toutes les marques dépensent des fortunes en communication. Encore une fois l’idée n’est pas de mettre tous les private labels dans le même panier, ni de dire que ces produits ne valent pas la peine d’être acheté. Mais simplement de dire que l’obsession des gens pour les marques permet à ce genre de système de perdurer comme elle permet de maintenir en vie de façon plus ou moins artificielle des entreprises qui ne sont plus que des coquilles vides qui ne vivent que sur leur nom et leur gloire passée.

Le Cardigan Drake’s à 520€ (Source : Drake’s)
Le Cardigan Drake’s à 520€ (Source : Drake’s)
Le Cardigan William Lockie à 329€. Ne cherchez pas, c’est exactement le même. (Source : Caine)
Le Cardigan William Lockie à 329€. Ne cherchez pas, c’est exactement le même. (Source : Caine)
Peausserie mis à part vous avez ici le même produit, sous différentes marques. (Source : Monsieur chaussure, Carlos Santos, Malfroid)
Peausserie mis à part vous avez ici le même produit, sous différentes marques. (Source : Monsieur chaussure, Carlos Santos, Malfroid)

Le cycle de vie des marques traditionnelles

Des marques qui vivent de leur nom et de leur réputation sans que cette dernière ne repose sur grand-chose si ce n’est la marque, il en existe beaucoup dans le monde du style classique. Brooks Brothers, Ralph Lauren, Aquascatum, L.L. Bean, Sebago, Church’s, Berluti, Barbour, Crombie, Brioni, J. Crew, Gieves & Hawkes, Gant…. Sont toutes à ce stade ou sont en passe de le devenir, alors évidemment ce ne sont que des exemples parmi tant d’autres et toutes ne sont pas au même niveau de décadence, il existe en réalité un cycle de vie propre au monde de l’entreprise. En fonction des théories, ce cycle comporte plus ou moins de phases mais tout le monde s’accorde à dire qu’il y a quatre temps principaux, la création, le développement, la maturité et le déclin. Certains ajoutent des temps intermédiaires, comme la phase critique qui est suivie soit de la réorganisation, de la cession ou de la fusion. Je n’invente donc rien, je me suis contenté de préciser le modèle pour l’adapter aux entreprises du vestiaire classique et je l’ai présenté sous la forme du graphique que vous pouvez voir ci-dessous. Il est important de préciser que ce graphique ne tient absolument pas compte de l’échelle temporelle. Il faut parfois 100 ou 200 ans pour voir une entreprise passer de sa genèse à une coquille vide.

Cycle de vie des marques. (Source: Sartorialisme)
Cycle de vie des marques. (Source: Sartorialisme)

Alors évidemment il faut donner les réserves d’usages, toutes les entreprises ne suivent pas exactement le même schéma. Certaines disparaissent bien avant d’avoir atteint le statut de coquille vide. Il existe, comme toujours, des situations particulières et dans le cas des entreprises qui font à la fois du bespoke et du pàp il faut se garder de les juger ensemble, tout en étant lucide sur le fait que l’activité bespoke est souvent résiduelle. Qu’il s’agisse de Berluti ou de Gieves & Hawkes leur production en bespoke reste d’une qualité exceptionnelle, mais elle ne représente pas grand chose en termes de volume par rapport aux activités annexes qui ont été développées et qui n’ont rien à voir avec ce qui a fait la réputation de la marque. De la même façon que l’activité de malletier de Vuitton ne représente rien par rapport aux produits dérivés vendus par la marque. C’est là tout l’intérêt de la coquille vide, utiliser un nom prestigieux pour lui faire vendre n’importe quoi. Et bien évidemment, une coquille vide peut sortir des produits intéressants ou qui satisfont vos besoins, là n’est pas la question.

Louis Vuitton côté pile, des malles exceptionnelles qui coûtent une fortune. (Source: Louis Vuitton)
Louis Vuitton côté pile, des malles exceptionnelles qui coûtent une fortune. (Source: Louis Vuitton)
Louis Vuitton côté face, une vision de fin du monde. (Source: Louis Vuitton)
Louis Vuitton côté face, une vision de fin du monde. (Source: Louis Vuitton)

Avant d’aller plus loin, nous pouvons également identifier sur le graphique un phénomène qui est évident mais qui est important de souligner. Ce ne sont pas les meilleures marques, mais les moins bonnes qui ont tendance à être les plus mises en avant, en ligne ou ailleurs. Cela va de soi, mais pour certain il s’opère dans leur esprit ce phénomène curieux qui veut que : marque omniprésente = marque intéressante, marque de qualité ou marque je ne sais quoi. C’est un peu l’effet Mercurochrome ou Juvamine, à force de répétition on finit par céder. Plus le budget marketing est important plus la marque est présente, il n’y a rien de difficile à comprendre.

Nous allons maintenant préciser les différentes phases qui sont sur le graphique, gardez à l’esprit que toutes les caractéristiques ne s’appliquent pas à toutes les entreprises. Notez également que l’existence d’une entreprise se complexifie au fur et à mesure qu’elle progresse dans le cycle, ce qui explique le déséquilibre manifeste dans la quantité de critères listés.

La genèse

  • Le fondateur est omniprésent et est en contrôle direct de beaucoup d’aspects de l’entreprise
  • Les produits évoluent rapidement, et l’entreprise est réactive aux besoins des clients
  • L’entreprise fait en général UNE chose très bien
  • Le marketing est basique
  • L’avenir de l’entreprise est incertain car elle est fragile
  • Le public aime les produits, sans nécessairement reconnaître l'entreprise qui les a créés (le sempiternel “who made this ?” sur Instagram…)
  • Le prix est élevé, mais le client qui ose franchir le pas est récompensé par un produit de qualité

La maturation

  • Le fondateur est toujours très impliqué et bien qu’il ait moins de contacts avec les clients il reste en général accessible et peut même intervenir directement
  • Les produits se stabilisent, la gamme s’affirme
  • Les prix sont justes, constants et sans manipulations artificielles
  • Une base de clients passionnés se forme et ils deviennent fidèles
  • L’entreprise pratique des prix plus élevés que la concurrence sans que les clients ne rechignent car la qualité est présente
  • Le marketing n’est pas une priorité mais n’est plus au stade basique

Iconique

  • Le fondateur est pratiquement inaccessible aux clients
  • Les produits sont immédiatement reconnaissables et ont une aura unique sur le marché
  • La marque gagne une reconnaissance au-delà de son audience originelle
  • Les prix et la qualité demeurent élevés
  • La gamme est développée en cohérence et en harmonie avec les produits iconiques de la marque
  • Le personnel commercial est d’une excellente qualité et fait tout pour satisfaire le client
  • Le marketing n’est toujours pas une priorité mais il prend une importance croissante
  • Tout ralentissement de la croissance est inquiétant pour la marque car bien que prospère elle opère avec des marges “justes”
  • La mode n’est pas une considération, l’accent est mis sur la qualité des produits et leur durabilité.

Nouveaux marchés

  • Le fondateur n’est plus aux commandes de l’entreprise, ou a délégué sa gestion et ne supervise plus que de très loin
  • Le nouveau management (ou la nouvelle direction) est issu d’écoles de commerce et ont une logique financière et non commerciale
  • Le nouveau management (ou la nouvelle direction) cherche à augmenter les marges de façon significative et fait appel à de nouveaux investisseurs
  • La qualité baisse sur toute la gamme, y compris les produits iconiques, mais la qualité de ces derniers demeure acceptable
  • Des changements mineurs apportés aux produits iconiques (nouvelle couleur, nouvelle matière...) sont traités du point de vue marketing comme le lancement d’un tout nouveau produit
  • Le personnel historique de la marque qui a fait son succès est petit à petit purgé ou voit son rayon d’action et d’initiative limité voire neutralisé
  • L’entreprise considère comme conquis son marché traditionnel et s’intéresse à de nouvelles catégories de clients
  • Ces nouveaux clients sont soit étrangers (expansion à l’international) soit d’une catégorie socioprofessionnelle différente (expansion vers le bas, avec des prix toujours élevés)
  • L’effort d’expansion (à l’international ou vers le bas) est supporté par une augmentation considérable du marketing
  • L’entreprise s’aventure sur des marchés qu’elle ne connaît (ou comprend) pas et rencontre des échecs parfois cuisants
  • Les clients historiques de la marque commencent à s’en détourner

Pompe à fric

  • Le fondateur de l’entreprise n’a plus aucune implication avec cette dernière, dans bien des cas il est décédé, parfois depuis plusieurs générations
  • La nouvelle direction cherche exclusivement à générer une manne financière considérable pour son bénéfice propre, par le biais d'une expansion rapide de la marque avec des produits de qualité nettement inférieure à des prix encore élevés et des marges très importantes. Cela en sacrifiant irrévocablement tout ce qui a été fait par le fondateur de l’entreprise. En d'autres termes, partir de rien pour former une grande entreprise est moyennement rentable. Transformer une grande entreprise en rien est extrêmement rentable
  • L’entreprise à une vision à court terme et prend des raccourcis pour atteindre ses objectifs
  • Les modèles iconiques sont en voie de disparition, leur qualité est très inférieure à ce qu’elle était par le passé
  • Les prix fluctuent de manière extrême. Les prix sont élevés mais cassés par des soldes intempestives, multiplication des opérations promotionnelles, adoption du système de coupon et de code de réduction
  • La mode et les tendances sont une obsession, la marque doit paraître “branchée”
  • Le marketing est omniprésent, et totalement schizophrénique puisqu’il est dans un premier temps utilisé pour se distancier du passé de l’entreprise et promouvoir de nouveaux produits à très forte marge
  • Pour dans un second temps invoquer sans relâche l’héritage de la marque lorsque les nouveaux produits sont un échec
  • Des magasins de type “outlet” apparaissent (surtout vrai chez les anglo-saxons)
  • Recours pratiquement systématique à la délocalisation ou au private labeling
  • Les clients historiques sont partis

Coquille vide

  • L’entreprise entre à plusieurs reprises dans des périodes de difficulté et d’administration. L’endettement et les pertes sont des problèmes endémiques
  • L’entreprise connaît un cycle de faillite/rachat
  • La nouvelle direction après une faillite pense qu’elle peut redresser les ventes de l’entreprise grâce au marketing
  • Le marketing demeure schizophrénique
  • Utilisation de directeurs artistiques célèbres et/ou perçus comme branchés
  • L’entreprise utilise l’histoire de la marque alors qu’elle n’a plus aucune connexion avec elle
  • Une personne sans lien avec l’entreprise originale ou avec un lien ténu sert de figure de paille pour émuler la personne du fondateur (disparu depuis plusieurs générations)
  • Le nom de la marque est exploité par des licences, des liges de diffusion, des lignes d’outlet qui n’ont aucun lien avec l’entreprise originale
  • La gamme est volontairement illisible pour tromper le client
  • Les produits ne sont plus différenciés sur le marché et se retrouvent confrontés à une nouvelle concurrence
  • Le savoir-faire de la marque a été entièrement dilapidé ou dilué
  • Les produits iconiques n’existent plus, ou ne partagent aucune qualité des produits originels

Quelques exemples

Maintenant que vous savez plus ou moins à quoi correspond le cycle de vie des entreprises, nous pouvons nous aborder le cas de quelques entreprises afin de voir où elles se situent dans ce cycle.

Gieves & Hawkes

Nous allons naturellement commencer par Thieves & Hawkes. Il n’y a guère de surprise puisque j’ai déjà qualifié la marque de coquille vide à plusieurs reprises, mais il me reste à expliquer pourquoi. Parlons tout d’abord de l’histoire derrière la création de Gieves & Hawkes. La marque aime rappeler à qui veut l’entendre qu’elle a maintenant 250 années d’existence…. C’est faux. Thomas Hawkes a bel et bien ouvert son premier magasin en 1771 sur Brewer Street, mais la marque de son vivant n’a jamais été appelée Gieves & Hawkes. En réalité Gieves & Hawkes n’opère sous ce nom que depuis 1974… après la fusion de Hawkes & Co (qui n’avait déjà plus rien à voir avec Thomas Hawkes) et de Gieves, Ltd, une autre entreprise fondée en 1841.

D’un côté la marque met en avant son activité d’habilleur de l’aristocratie depuis 1809, et de l’autre elle montre des éphèbes plouquissimes qui seraient ridicules même sur Instagram. Exemple typique de marketing schizophrénique que l’on trouve chez énormément de coquilles vides. (Source: Gieves & Hawkes)
D’un côté la marque met en avant son activité d’habilleur de l’aristocratie depuis 1809, et de l’autre elle montre des éphèbes plouquissimes qui seraient ridicules même sur Instagram. Exemple typique de marketing schizophrénique que l’on trouve chez énormément de coquilles vides. (Source: Gieves & Hawkes)

Le cœur de métier de Hawkes & Co et de Gieves, Ltd c’était la fourniture d’uniformes pour la royal navy, l’armée, les explorateurs et la famille royale. Mais en réalité cela fait plus de 40 ans que la marque utilise son nom pour faire du prêt à porter de qualité variable. Dès les années 80, Gieves & Hawkes vendent une licence à Hickey Freeman pour que ces derniers puissent exploiter le nom sur le marché Américain avec une ligne de prêt à porter très médiocre. Au Royaume-Uni, c’est la même chose la ligne a d'abord été fabriquée par Chester Barrie, et puis il y a eu une ligne italienne fabriquée par d'Avenza, ainsi qu'une ligne à bas prix fabriquée par Wensum et ainsi de suite. En réalité de 1996 à 2002 Gieves & Hawkes n’enregistrent pas le moindre profit sauf pour l’exercice de 1999. D’année en année, la société réalise perte sur perte, s’endette et est dans une situation catastrophique. La faute au covid ?

La situation financière de Gieves en 2002 était déjà mauvaise, sans qu’aucun virus ne soit en cause. (Source: Gieves & Hawkes)
La situation financière de Gieves en 2002 était déjà mauvaise, sans qu’aucun virus ne soit en cause. (Source: Gieves & Hawkes)

En 2002 Gieves & Hawkes sont rachetés par les Chinois de USI Holdings Limited, le groupe a pour objectif de développer la marque sur le marché Asiatique, plus spécifiquement Chinois, qui commence à s’embourgeoiser. Cela tombe bien car ils disposent également d’usines de confections sur place et c’est donc tout naturellement qu’une grande partie de la production de Gieves & Hawkes est délocalisée vers la Chine. Ils en profitent également pour décortiquer la marque et lance une nouvelle griffe baptisée “ Gieves”. Cette nouvelle marque est censée occuper le segment des vêtements “branchés et décontractés”, comprendre par là de qualité médiocre mais de prix élevé. Elle ne fera pas long feu. En 2007 Robert Gieve, la cinquième et dernière génération de la famille “au service” de Gieves & Hawkes, décède et avec lui s’éteint le lien entre la marque et la famille du même nom.

Qui se souvient de “Gieves” ? Comme toutes les lignes pensées pour des gens qui n’existent pas, elle sera un échec total. Le jeu de l’offre et de la demande semble ne pas avoir de prise sur les décisions des coquilles vides, qui bien souvent fabriquent des produits pour une clientèle fantôme. Avec les conséquences que l’on peut deviner…. (Source: Gieves & Hawkes)
Qui se souvient de “Gieves” ? Comme toutes les lignes pensées pour des gens qui n’existent pas, elle sera un échec total. Le jeu de l’offre et de la demande semble ne pas avoir de prise sur les décisions des coquilles vides, qui bien souvent fabriquent des produits pour une clientèle fantôme. Avec les conséquences que l’on peut deviner…. (Source: Gieves & Hawkes)
...À savoir des pertes de plusieurs millions. Mais tout va bien dans le meilleur des mondes puisque les “étapes prises pour développer la marque sont censées aboutir à des résultats positifs”. Un an plus tard   Gieves & Hawkes va être finalement vendu à un autre groupe Chinois…. (Source: Gieves & Hawkes)
...À savoir des pertes de plusieurs millions. Mais tout va bien dans le meilleur des mondes puisque les “étapes prises pour développer la marque sont censées aboutir à des résultats positifs”. Un an plus tard Gieves & Hawkes va être finalement vendu à un autre groupe Chinois…. (Source: Gieves & Hawkes)

Malgré leurs efforts les Chinois de USI Holdings Limited ne parviennent pas à redresser la situation, ils essayent de pénétrer le marché Russe, c’est un cuisant échec, et ils vont alors se concentrer sur le marché Chinois. Gieves & Hawkes ne réalisent des bénéfices que sur l’année 2005, tous les autres exercices comptables sont déficitaires parfois de 3 à 4 millions de livre sterling, du jamais vu dans l’histoire de la marque. En 2012 USI Holdings Limited finissent par céder Gieves & Hawkes à un autre consortium Chinois, Trinity Ltd. Qui eux même appartient à Shandong Ruyi, la grenouille chinoise qui voulait devenir aussi grosse que le bœuf LVMH. Trinity a poursuivi le travail de sape effectué par USI et s’est immédiatement dotée d’un nouveau directeur créatif. Qui a ensuite été remplacé par un autre… et puis un autre… et encore un autre….

Lors de sa prise de contrôle Trinity pense pouvoir redresser la barre grâce à la magie du marketing. Ils y croient sérieusement et annoncent même la nomination de leur nouveau directeur créatif dans le rapport financier annuel de l’entreprise… Quand vous considérez que l’arrivée d’un designer branchouille dont les addictions probables aux drogues dures sont payées par un salaire mirobolant est un “évènement majeur pour votre société”, c’est que vous êtes vraiment dans la merde. (Source: Gieves & Hawkes)
Lors de sa prise de contrôle Trinity pense pouvoir redresser la barre grâce à la magie du marketing. Ils y croient sérieusement et annoncent même la nomination de leur nouveau directeur créatif dans le rapport financier annuel de l’entreprise… Quand vous considérez que l’arrivée d’un designer branchouille dont les addictions probables aux drogues dures sont payées par un salaire mirobolant est un “évènement majeur pour votre société”, c’est que vous êtes vraiment dans la merde. (Source: Gieves & Hawkes)

Le consortium a surtout poussé très fort pour l’expansion de Gieves & Hawkes en Chine, à tel point qu’aujourd’hui la marque dispose de 30 magasins en Chine. Contre 5 pour le reste du monde, tous localisés en Angleterre. La marque reste toujours excessivement déficitaire à l’exception de 2016 et 2018 où de faibles profits sont enregistrés grâce au marché Chinois. La marque est maintenue sous perfusion uniquement pour servir de vitrine à Trinity qui souhaite se donner une image de luxe et de tradition, le Covid n’a rien à voir dans tout ça, cela fait des décennies que les dés étaient pipés. Marks and Spencer ont récemment fait savoir qu’ils étaient potentiellement intéressés pour racheter Gieves & Hawkes. Si l’acquisition se fait ce n’est qu’une question de temps avant que vous ne puissiez acheter un costume avec plus de 250 ans d’histoire fantasmée et plein de royal warrants entre vos plats surgelés et votre papier toilette. On n’arrête pas le progrès.

Des centaines d’années d’histoire (fantasmée) pour en arriver là…  Marks and Spencer comme sauveur des joyaux de la couronne… À quand le rachat de Smalto par Lidl ? (Source: Reuters)
Des centaines d’années d’histoire (fantasmée) pour en arriver là… Marks and Spencer comme sauveur des joyaux de la couronne… À quand le rachat de Smalto par Lidl ? (Source: Reuters)

Puisque l’on parlait d’une marque du groupe Trinity, nous pouvons parler d’une autre en lien avec le groupe Chinois, Aquascutum.

Aquascutum

Fondée en 1851, par John Emary Aquascutum (d’aqua, eau et scutum, bouclier) est réputé pour ses toiles imperméables. Emary fait breveter sa découverte et devient fournisseur de manteaux imperméables pour l’armée, l’aristocratie, les dirigeants politiques…. Dès 1897 la marque est gratifiée d’un royal warrant et elle diversifie son activité en créant également des vêtements pour femme ainsi que des costumes et autres accessoires de haute qualité. À travers les époques la marque habille, notamment de ses trench-coats, le prince Rainier de Monaco, Winston Churchill, Humphrey Bogart, Margaret Thatcher, Sophia Loren, Cary Grant, Michael Caine…. Aquascutum était une entreprise familiale jusqu'en 1990, date à laquelle elle a été rachetée par le conglomérat textile japonais Renown Incorporated. À partir de cette époque commence la longue descente aux enfers, les résultats ne suivent pas et la société enchaine les exercices déficitaires. La marque est rachetée par Jaeger en septembre 2009 et entre dans le cycle traditionnel de faillite et de rachat des coquilles vides. Elle est devenue la propriété d'YGM Trading, un détaillant de mode de Hong Kong en avril 2012, qui comme toujours dans ces cas développe la marque sur le marché Chinois. En mars 2017, YGM Trading a revendu Aquascutum à Jining Ruyi Investment Co, une société holding de Shandong Ruyi. En 2020 Aquascutum entre en liquidation, et dans la même année elle a accordé à Trinity Limited les droits exclusifs de conception, de fabrication et de distribution de ses produits en Chine et a désigné Trinity comme son agent de licence exclusif pour gérer son activité de licence mondiale. La société disparait du registre du commerce Anglais, l’entreprise se retire intégralement du marché Européen dans le plus grand silence. Aquascutum est aujourd’hui une entreprise intégralement Chinoise sans le moindre lien avec son pays d’origine.

L’achat de la licence Aquascutum par les Chinois de Trinity a surtout été commentée par les observateurs du monde du business. Silence absolu en revanche chez les Huguette, et autres influenceuses. (Source: ACN)
L’achat de la licence Aquascutum par les Chinois de Trinity a surtout été commentée par les observateurs du monde du business. Silence absolu en revanche chez les Huguette, et autres influenceuses. (Source: ACN)
Le site internet d’Aquascutum est un éloge entier à l’histoire de la marque alors que l’entreprise qui la dirige n’a absolument rien de commun avec elle. (Source : Aquascutum)
Le site internet d’Aquascutum est un éloge entier à l’histoire de la marque alors que l’entreprise qui la dirige n’a absolument rien de commun avec elle. (Source : Aquascutum)
Aujourd’hui Aquascutum sont Chinois, et ce n’est pas Simone Crumpet qui vous en parle. Ce qui ne l’a pas empêché de leur faire de la promotion ces dernières années, bien que la qualité n’ait plus aucun rapport avec ce qu’elle était originellement. (Source : Aquascutum)
Aujourd’hui Aquascutum sont Chinois, et ce n’est pas Simone Crumpet qui vous en parle. Ce qui ne l’a pas empêché de leur faire de la promotion ces dernières années, bien que la qualité n’ait plus aucun rapport avec ce qu’elle était originellement. (Source : Aquascutum)
JM Weston

Parlons maintenant d’une entreprise plus proche de chez nous, J.M. Weston qui sont en train de négocier à toute vitesse leur passage de l’étape “nouveau marché” à “pompe à fric”. L’entreprise fondée en 1891 à Limoges, par Édouard Blanchard est réputée pour ses chaussures, notamment la 180 ou encore la “chasse” mais elle est également responsable de la fourniture des bottes de la garde républicaine et de la gendarmerie nationale.

Cela fait depuis un certain temps que Weston s’est lancé dans une expansion vers le bas, comprendre par-là, faire baisser la qualité. Comme en atteste cette une de 1994. (Source :les echos)
Cela fait depuis un certain temps que Weston s’est lancé dans une expansion vers le bas, comprendre par-là, faire baisser la qualité. Comme en atteste cette une de 1994. (Source :les echos)

Weston intègre le giron d’EPI en 1976, une société de holding qui comporte de nombres pôles (luxe, immobilier, spiritueux…). L’histoire de la marque sous EPI est riche, puisqu’elle se caractérise entre autres par l’achat en 1981 la tannerie Bastin & Fils, et en 2011 par l’achat de la tannerie du Puy qui sera ensuite revendue à Hermès en 2015. Weston a ensuite passé beaucoup de temps à essayer de se développer sur de nouveaux marchés, notamment l’Amérique et l’Asie. Elle essuiera un échec cuisant aux États-Unis où elle fermera finalement sa seule boutique de New York city après des années d’une présence timorée, pour ne pas dire franchement anecdotique. La situation en Asie est en revanche plus heureuse avec un certain succès sur le marché Japonais puisque la marque possède plusieurs magasins au pays du soleil levant, le seul qui bénéficie d’ailleurs d’un site internet local.

Pour l’expansion vers les États-Unis, comme nous venons de le voir c’est plutôt mal parti. Chose amusante cette une date de 2021, soit après la fermeture de l’unique magasin de la marque sur le sol Américain… (Source : Luxus)
Pour l’expansion vers les États-Unis, comme nous venons de le voir c’est plutôt mal parti. Chose amusante cette une date de 2021, soit après la fermeture de l’unique magasin de la marque sur le sol Américain… (Source : Luxus)

En revanche la gamme de la marque est maintenant développée en dehors de toute cohérence, l’arrivée de Michel Perry en tant que directeur artistique (remplacé par Olivier Saillard en 2017) n’est probablement pas étrangère à cela, bien que la tendance se poursuive après son départ. De nombreux modèles branchés, moches et bien en deçà des standards habituels de la marque en termes de qualité font leur apparition. Autrefois Weston utilisaient leur autre marque, Sylvestre Vincent quand ils voulaient faire des modèles "moins chers". Maintenant, ils le font directement sous leur propre nom. Et puis on ne compte plus les absurdités entre la 180 triple semelle pour jouer au clown, les sneakers immondes dont même les CPF ne voudraient pas et les copies de Schmoove pour... mais pour qui en fait? C'est bien simple il y a maintenant de quoi ouvrir un musée des horreurs de renommée mondiale.

Le fleuron de la chaussure française. Si, si. (Source : Weston)
Le fleuron de la chaussure française. Si, si. (Source : Weston)

Plus récemment, Valérie Hermann (ancienne de Ralph Lauren) a rejoint EPI à la tête de leur pôle luxe, l’avenir nous dira combien de temps il faudra pour transformer Weston en une coquille vide. À en juger par la dernière ineptie de la marque ça ne saurait être long. En effet Weston vient de sortir une bottine appelée Léonard, 1300€ pour un montage qui n’est pas effectué sous gravure.…
Weston est une marque qui a tellement d’estime pour ses clients qu’au moment de passer à la caisse elle vous défonce la rondelle sans vaseline ET vous crache à la gueule en même temps. Ça doit être ça l’élégance.

1300€ le montage en cousu rainette… Non, ce n’est pas une blague. (Source : Weston).
1300€ le montage en cousu rainette… Non, ce n’est pas une blague. (Source : Weston).

On pourrait multiplier les exemples à l’infini, et je n’ai cité que des entreprises historiques, n’imaginez pas que les marques plus récentes sont épargnées. Nous avons par exemple écrit un article sur Loding et la procédure de sauvegarde dont l’entreprise fait l’objet, et qui illustre parfaitement ce que nous évoquons ici. On pourrait parler de Suitsupply qui s’est étendu à un nombre considérable de nouveaux pays à travers le monde, dont les prix montent et la qualité baisse. Certes leur stratégie a toujours été de favoriser une expansion rapide au détriment de la rentabilité, toujours est-il que la marque a connu ses premiers revers puisque dans le plus grand silence, elle a été forcée de laisser tomber sa ligne pour femme Suitstudio. Une fois de plus, le Covid chinois est le responsable tout désigné, en réalité cette ligne n’a jamais fonctionné et était moribonde dès son lancement. Les soldes étaient presque permanentes, les modèles n’étaient pas renouvelés, et tout indiquait que la marque allait arrêter les frais tôt ou tard. Et puis, on pourrait également aborder les cas particuliers, comme Arnys. Lors de son absorption par Berluti la qualité a augmenté plutôt que de baisser. Il faut dire qu’avec Arnys on se demande s’il était réellement possible de descendre plus bas. Toujours est-il qu’il existe évidement des anomalies et exceptions comme c’est le cas dès qu’une règle se détache.

Mais au fait, combien ça gagne un influenceur ?

Avant-propos

C’est vrai ça, on sait combien gagne en moyenne une caissière, un éboueur, un prof, mais dès que l’on arrive au sujet des influenceurs… niet, nada, rien, que dalle. Le secret serait aussi bien gardé que celui du compte Suisse de Cahuzac. Il y a bien des estimations qui circulent un peu partout. Des rumeurs, des bruits de couloir “j’ai entendu dire que sur Youtube on gagnait 1000$ par million de vues”, “tu sais, il parait que sur Touiche on peut empocher énormément d’argent”. La question génère beaucoup de fantasmes, probablement parce que le mode de vie des influenceurs est perçu comme idyllique et source d’argent facile, l’appât du gain excite donc les convoitises. Pourtant la réalité n’est pas aussi évidente, car il y a beaucoup d'appelés, mais peu d'élus (Matthieu 22:14). Le monde de l’influence est saturé, que ça soit dans le domaine sartorial ou non. Il n’est pas évident de se faire une place au soleil, il y a beaucoup de déçus et quelques gros poissons. Et bien évidemment, ce sont ces gros poissons qui nous intéressent, puisqu’il n’y aurait pas beaucoup d’intérêt à parler d’influenceurs que personne ne connait. Instagram regorge de pauvres ploucs, bien souvent en pleine crise de milieu de vie, qui s'affichent en pantalon bariolés et vestes extravagantes mal coupées dans l'espoir de gratter une collaboration pour des produits hydratants à la con. Ils n'intéressent évidemment personne, sauf les autres ploucs en tenues bariolées, avec lesquels ils partagent leur dernier “unboxing” Suitsupply, bref ils s’appellent Stéphane, Michel, Steve, et s’imaginent émuler Gatsby le Magnifique alors que leur vie c’est plutôt Mort à Crédit.
L’autre intérêt à parler des gros c’est qu’ils font de l’influence leur activité principale et qu’ils organisent donc leur activité en sociétés commerciales. Or, peut être que vous l’ignorez mais grâce à l’Union Européenne le libéralisme est mort en Europe et un certain nombre de données relatives aux sociétés commerciales sont publiques. En effet les statuts, les documents comptables etc, sont librement accessibles à tous. C’est censé favoriser le bon fonctionnement de l'économie en permettant des rapports avec les tiers fondés sur la confiance et en contribuant à la sécurité des affaires, ainsi qu'à la prévention des difficultés des entreprises. Si, si. Et après certains osent encore parler “d’ultra libéralisme” en France, les cons. Mais on s’éloigne du sujet.

Avant d’aller plus loin dans l'article, comprenez bien que l'influence est quelque chose d'organique, qu'elle se produit naturellement entre personnes et que le fait de payer des gens pour qu'ils répandent “leurs” opinions n'est pas chose nouvelle. En revanche ce phénomène s'est rapidement développé au point d'être devenu un modèle de publicité alternatif, d'où l'intérêt d'y jeter un œil. Les réseaux sociaux sont en très grande partie responsable de ce mouvement et ils sont un formidable outil de communication puisqu’ils brouillent les frontières qui existent entre la vie privée et la vie professionnelle. Et brouillent de la même façon ce qui est publicité et ce qui ne l’est pas. Sans surprise beaucoup d’influenceurs font le choix d’exploiter leur vie privée à des fins professionnelles ou du moins mettent en scène une vie privée fantasmée pour mieux se vendre. L’explosion du monde de la communication est donc un vecteur important de la prolifération des influenceurs mais elle n’a fait que rendre global ce qui existait déjà sous d’autres formes.

Qu'est-ce qu'un influenceur, relai d'opinions, relai d'informations et la frontière poreuse entre les deux.

Il n'est pas question de faire ici une histoire des relais d'informations et d'opinions, ni de couvrir l'intégralité du sujet de l'influence. Néanmoins il serait incomplet d'aborder la question de la rémunération des influenceurs, sans comprendre ce qui fait leur valeur. De fait, afin de bien cerner le monde des influenceurs, il est important de prendre du recul et de s'intéresser à la fois aux domaines du marketing, de l'opinion et de l'information, qui sont intrinsèquement liés.

Dans le monde numérique, qui est celui qui nous intéresse ici, un influenceur est une personne qui, par son statut, sa position ou son exposition médiatique, est capable d'être un relai d'opinion influençant les habitudes de consommation de son public dans un but marketing. Un influenceur va ainsi se mettre en scène pour promouvoir des produits ou des services à son audience. Son travail consiste donc à mettre en place du contenu multimédia afin de favoriser l’expansion, la réputation et la communication de marques. Pour dire les choses en un mot l’influenceur fait de la publicité. Et il n’y a pas de mal à faire de la publicité, c’est une activité économique au moins aussi vieille que la prostitution. Pour autant les influenceurs n’aiment pas être affiliés au monde publicitaire, car leur crédibilité repose sur leur authenticité (présumée) et sur leur apparente indépendance. Les influenceurs vont parfois jusqu’à prendre des détours extrêmes pour ne pas être considéré comme tels. S’ils sont un peu vieux, ils vont dire qu'ils font de la “relation publique”, certains se présentent comme “consultant”, “conseiller en stratégie”, ou encore journaliste. Mais rarement influenceur. Est-ce par haine de soi, schizophrénie ou simple machiavélisme calculateur, ça c’est à vous de voir. Toujours est-il que si vous leur demandez si ils font de la publicité pour telle ou telle marque, la réponse sera invariablement non. À la rigueur ils admettent faire de la promotion, euphémisme destiné à éviter la question. Pour autant sachez que la publicité est inscrite dans l'objet social des sociétés de beaucoup d'influenceurs. Néanmoins sachez également que l'objet social d'une société est souvent conçu d'une manière large pour éviter de trop fréquentes modifications statutaires. Il ne faut donc pas confondre objet social et activité de l'entreprise, une entreprise peut inscrire la publicité dans son objet social à titre “préventif” sans en faire, l'inverse n'est en revanche techniquement pas possible.

Les statuts du blog Jamais Vulgaire. L'entreprise a pour objet l'activité de régie publicitaire, la vente ainsi que toutes les opérations liées à ces deux domaines. D'ailleurs les articles sont écrits contre rémunération. (Source : Infogreffe/RCS)
Les statuts du blog Jamais Vulgaire. L'entreprise a pour objet l'activité de régie publicitaire, la vente ainsi que toutes les opérations liées à ces deux domaines. D'ailleurs les articles sont écrits contre rémunération. (Source : Infogreffe/RCS)
L'entreprise qui sert à l'exploitation du blog Parisian Gentleman a un objet social assez large et l’on y trouve entre autres l'e-commerce, la création de contenus digitaux, rédactionnels, photographiques, la production audiovisuelle, la création de campagnes de publicité et relation publique et enfin la publicité en ligne. (Et non, vous ne rêvez pas les statuts sont rédigés en Comic Sans) (Source : Infogreffe/RCS)
L'entreprise qui sert à l'exploitation du blog Parisian Gentleman a un objet social assez large et l’on y trouve entre autres l'e-commerce, la création de contenus digitaux, rédactionnels, photographiques, la production audiovisuelle, la création de campagnes de publicité et relation publique et enfin la publicité en ligne. (Et non, vous ne rêvez pas les statuts sont rédigés en Comic Sans) (Source : Infogreffe/RCS)

Passons maintenant de l'autre côté de la Manche. Les entreprises britanniques utilisent une classification industrielle standard (SIC) qui a pour but de classer les entreprises en fonction du type de leur activité économique. C'est un peu l'équivalent de l'objet dans le droit des sociétés Français.
Simon Crompton liste son occupation comme journaliste, mais l'entreprise qu'il dirige avec sa femme et qui exploite Permanent Style liste en premier la vente par correspondance (SIC 47910), et les activités de publications d'autres natures (SIC 58190). Dans cette catégorie tombe : les catalogues, les photos/gravures, les cartes de vœux, les formulaires, les reproductions d'art, les statistiques...eeeeet la publicité. Nous y voilà.

Vente par correspondance :<a href="https://www.siccode.co.uk/sic2007/code-47910"> SIC47910</a>
Activités de publications d'autres natures: <a href="https://www.siccode.co.uk/sic2007/code-58190"> SIC58190</a>
(Source : Companies House)
Vente par correspondance : SIC47910 Activités de publications d'autres natures: SIC58190 (Source : Companies House)

Aleksandar Cvetkovic est un autre influenceur Anglais, notamment contributeur au magazine “the Rake” mais il prend part également à plusieurs podcasts et autres médias où il se présente comme un “content consultant” et un journaliste. Son activité est là aussi organisée en société et son objet est la représentation de média (SIC 73120) en réalité cette catégorie comprend la vente ou la location d'espaces publicitaires.

Représentation de média:  <a href="https://www.siccode.co.uk/sic2007/code-73120"> SIC 73120</a>(Source : Companies House)
Représentation de média: SIC 73120(Source : Companies House)

La valeur ajoutée de l'influenceur.

Le lien influenceur/publicité que nous venons de faire est tellement évident qu'il semble presque inutile de le mentionner, et pourtant pour beaucoup le lien n'est pas manifeste. Après tout si cette technique de marketing fonctionne aussi bien, c'est en partie grâce à son aspect subreptice et à la confusion des genres. Confusion des genres induite par le statut réel ou supposé de l'influenceur. Nous l’avons vu, dans le milieu sartorial il est assez commun de trouver des gens qui se disent journalistes ou éditeurs en chef par exemple. Simon Crompton est assez vocal sur son appartenance à la caste journalistique, et s’est même feint de plusieurs articles sur le sujet, seul contre tous, le menton haut, cheveux au vent. Comme si le vernis journalistique était une sorte de sésame magique pour clamer une indépendance. Vernis journalistique également utilisé pour suggérer que le travail effectué est la vérité vraie et qu'il est donc d'une certaine façon objectif et supérieur. Et nous voulons bien lui donner raison, s’il veut être journaliste grand bien lui fasse, car au fond être journaliste au 21ème siècle, c’est plus une question de sémantique que d’éthique.

Le profil LinkedIn de Simon Crompton liste son occupation comme journaliste et éditeur (Source : LinkedIn)
Le profil LinkedIn de Simon Crompton liste son occupation comme journaliste et éditeur (Source : LinkedIn)
Le profil LinkedIn d’Hugo Jacomet liste son occupation comme éditeur en chef de Parisian Gentleman.  (Source : LinkedIn)
Le profil LinkedIn d’Hugo Jacomet liste son occupation comme éditeur en chef de Parisian Gentleman. (Source : LinkedIn)
Simon Crompton a rédigé en 2019 un article sur le sujet “la fin des influenceurs ?”. C’est un article amusant à plusieurs niveaux. Tout d’abord en rédigeant cet article il se distancie lui-même des influenceurs, pour renforcer son appartenance à la caste journalistique. Par ailleurs, il explique que les influenceurs sont obsédés par les chiffres et que dans son domaine il n’y a pas besoin d’avoir 100k followers sur Instagram. Alors qu’il en a lui-même 165k…. (Source : Permanentstyle)
Simon Crompton a rédigé en 2019 un article sur le sujet “la fin des influenceurs ?”. C’est un article amusant à plusieurs niveaux. Tout d’abord en rédigeant cet article il se distancie lui-même des influenceurs, pour renforcer son appartenance à la caste journalistique. Par ailleurs, il explique que les influenceurs sont obsédés par les chiffres et que dans son domaine il n’y a pas besoin d’avoir 100k followers sur Instagram. Alors qu’il en a lui-même 165k…. (Source : Permanentstyle)
Là où ça devient vraiment amusant, c’est que dans le dossier de presse qu’il met à la disposition de ses annonceurs potentiels Simon Crompton est lui-même obsédé par les chiffres, puisqu’il vend des espaces publicitaires, et que ces derniers ne servent à rien s’il n’y a pas d’yeux pour les reluquer. <a href="https://www.permanentstyle.com/wp-content/uploads/2016/05/PSpack.pdf"> Dossier de presse 2016</a> 
(Source : Permanentstyle)
Là où ça devient vraiment amusant, c’est que dans le dossier de presse qu’il met à la disposition de ses annonceurs potentiels Simon Crompton est lui-même obsédé par les chiffres, puisqu’il vend des espaces publicitaires, et que ces derniers ne servent à rien s’il n’y a pas d’yeux pour les reluquer. Dossier de presse 2016 (Source : Permanentstyle)
Ça fait quand même beaucoup de chiffres pour quelqu’un qui prétend que cela n’a que peu d’importance… (Source : Permanentstyle)
Ça fait quand même beaucoup de chiffres pour quelqu’un qui prétend que cela n’a que peu d’importance… (Source : Permanentstyle)

Le 21ème siècle, l’époque où les journalistes sont influenceurs et les influenceurs journalistes.

Avant le développement des nouvelles technologies de communication, les journalistes avaient un quasi-monopole sur la diffusion de l'information. C'est bien simple, si comme Crompton vous êtes nés avant le funeste 21ème siècle, il y a de fortes chances que durant votre enfance vous rêviez de devenir, pompier, cosmonaute, ou.... journaliste. Pour la jeunesse de cette époque l’ivresse du scoop et des grands reportages étaient incarnés par Tintin, Clark Kent ou encore Spirou qui sentant que sa carrière comme groom battait de l’aile s’est reconverti dans le journalisme. Des générations d’adultes à travers le monde ont lu les journaux de Joseph Pulitzer ou suivi les reportages d’Albert Londres et l’apparition de la télévision ne change pas la donne. Le média change mais les journalistes sont toujours les relais d’informations. Ils enquêtent sur les dernières paroles de George Abitbol, l'homme le plus classe du monde. S'engagent dans le journalisme total et reçoivent des tuyaux de Gorge Profonde.

Seulement, à l’heure de l’internet plus personne n'a envie de devenir journaliste. Corporation de bouches inutiles, agressives et promptes à s’auto-congratuler. C'est devenu ringard, précaire même puisque la profession est aujourd'hui majoritairement composé de pigistes fragiles qui sans les APL ne pourraient payer le loyer de leur studio parisien miteux. Les journalistes passent leur temps à dire des bêtises et faire des saloperies parce qu’ils ne servent plus à rien et ils le savent. Ils ne servent plus à rien parce qu’il n’y a plus besoin d’eux et qu’ils sont des milliers quand ils devraient être dix.

Quand un journaliste nous informe qu’une énième personnalité cosmopolite vient d’être arrêtée par la police pour des faits de pédophilie… dans 99% des cas il a lui-même appris ces choses-là à la même heure et de la même façon que vous, c’est à dire en ouvrant son ordinateur le matin. Au diable les journalistes, quand n’importe qui peut filmer n’importe quoi en direct sur internet et le partager avec le reste du monde. Du balais les journaleux qui passent leur temps à bâtonner (expression du milieu pour dire “paraphraser l'AFP”) des informations que vous connaissez déjà. La perte de ce monopole sur la diffusion de l’information fait que les journalistes rapportent de moins en moins les informations et les commentent de plus en plus. On me dira que commenter l’actualité c’est un exercice tout aussi utile que celui consistant à informer, à porter à la connaissance du public des faits qu’il ne sait pas (ce qui est la définition exhaustive du journalisme), même si les deux activités n’ont aucun rapport entre elles…
L’ennui, c’est que si l’art du commentaire ne manque pas d’intérêt, la discipline a encore moins besoin de bras que le journalisme. Touiteur est plein de commentateurs et autres experts, plus nuls les uns que les autres. La seule chose qui justifie qu’un journaliste s’autorise à commenter l’actualité et nous dire ce qu’il en pense, c’est qu’au préalable un point de vue original lui a traversé l’esprit. Malheureusement, comme toute la profession est (sociologiquement) consanguine, ils ont tous les mêmes opinions dysgéniques et cosmopolites. De fait, les points de vue originaux sont encore plus rares que les informations inédites.
Durant son âge d’or le journalisme s’est décliné à plusieurs sauce, il y avait tellement d’informations à partager que sont apparus les journalistes spécialisés. Vous aviez le journalisme automobile, le journalisme informatique, le journalisme sportif… et plus l’information s’est démocratisée dans son accès plus ces journalistes se mettaient à faire de l’opinion. Jusqu’au jour où au début des années 2000 vous pouviez avoir les informations en même temps qu’eux. Et aujourd'hui, vous les avez même avant eux. Dès lors, pourquoi acheter un magazine quand les informations qu’il relaie sont périmées avant même sa publication. Il n’y a plus aucun intérêt à suivre les journalistes puisqu’une fois perdu leur monopole de l’information la seule chose qu’ils apportent est leur opinion, et une opinion c'est comme un trou du derrière, tout le monde en possède un. Dans un sens ils étaient déjà des proto-influenceurs, c’était la version archaïque, celle qui s’imaginait appartenir à une caste, avec une déontologie (fantasmée) et une carte de presse. Ils acceptaient déjà les petits cadeaux, les voyages de presse tous frais payés dans les grands hôtels, les produits offerts ou prêtés sur de longues durées. Cette caste a été petit à petit grand-remplacée par la nouvelle génération d’influenceurs. Ceux de l’internet, ceux qui sans complexe se mettent en scène, tiennent des blogs, des chaines youtube et des profils Instagram ou TikTok.
Si Crompton, et beaucoup d’autres se prétendent journalistes, c'est qu'ils sont intimement convaincus de l'être, comme sont convaincus les pigistes ethnomasochistes et attardés de Konbini, Vice, 9gag. Ils sont tous journalistes, n'importe qui est journaliste aujourd'hui. Même Gianni Cerruti se disait journaliste. Si vous imaginez qu’un journaliste est quelqu’un d’intègre, sans conflit d’intérêt, qui cite ses sources, les recoupe tout cela dans le but de chercher la vérité, vous faites erreur. Ça c’est le travail des chercheurs, et encore, uniquement quand ils ne sont pas trop occupés à truquer leurs études pour obtenir du financement public, passer à la télé ou emmerder leurs confrères. Le qualificatif de journaliste sert de verni idéologique et n'est en aucun cas une preuve d'indépendance ou d'impartialité. D'ailleurs, les journalistes impartiaux ça n'existe pas.

Il faut dire que quand on voit le niveau des journalistes généralistes dès qu'ils s'intéressent au vêtement, il y avait définitivement une place à occuper sur le marché...

Vous êtes probablement en train de vous dire “mais bordel, de quoi il parle avec ses journalistes, moi je voulais juste savoir combien il gagne Jacomet”. Patience, j’y viens. Sachez simplement que le journalisme n'est qu'un statut parmi d'autres et qu'il n'y a pas de profil type parmi les influenceurs. Ici on parle du journalisme car c'est possiblement la catégorie la plus représentée, avec celle des rédacteurs, éditeurs et assimilés. Mais les influenceurs possèdent également des marques, sont propriétaires de boutiques, ou travaillent parfois dans des domaines sans rapport et font ça pour s'amuser, comme une activité annexe, ils peuvent même être de simples clients. En revanche il est intéressant de noter la faible proportion d’artisans parmi les influenceurs. Je parle bien évidement des vrais artisans, pas des boutiquiers formation Formens qui jouent à la dinette et autres private label standardisés. Les artisans qu'ils soient bottiers, tailleurs, chemisiers sont des producteurs et sont un peu à la marge. D’une part ils n'ont bien souvent pas le temps ou l'envie de s'amuser à faire des selfies à longueur de journée pour récolter des likes. Certains arrivent à partager leur travail sur les réseaux sociaux ou se lancent même un peu sur Youtube, mais cela reste plutôt rare et procède plutôt d’une volonté de transmission du savoir. D’autre part, ils ne sont pas les clients principaux des influenceurs, ils sont supplantés en cela par les innombrables marques 2.0 ou traditionnelles. Les petits artisans sont en général plutôt discrets sur la communication et n'ont qu'assez rarement recours aux services des influenceurs. Il faut dire que leurs clients ne se baladent pas trop sur Instagram et sont souvent assez imperméables à ce mode de communication.

La construction d'une image et d’une communauté.

La valeur d'un influenceur ne se limite pas à son statut, elle comprend également son image. L’influenceur doit avoir une image propre, politiquement correcte et lisse. Il est rarement laid, et s’il est fauché et inculte, il doit tout faire pour vous donner l'apparence du contraire. C’est une sorte de proto-gendre idéal, leur vie est censée être parfaite et doit renvoyer une impression de bien-être absolu. Leur discours doit être exclusivement positif. C’est d’ailleurs le message que délivre Hugo Jacomet dans sa vidéo de lancement pour son compte Cameo. Cameo est un service qui propose à des débiles de payer (cher) pour que leur star favorite leur envoie une vidéo personnalisée. C’est une plateforme qui mélange culte de la personnalité, exploitation de la détresse humaine, narcissisme décomplexé des élites autoproclamées. Pour la modique somme de 99€, Mr Jacomet se fera un plaisir de vous délivrer un message P.O.S.I.T.I.F. On peut heureusement douter que les influenceurs nagent dans le bonheur de façon perpétuelle comme ils veulent vous le faire croire. Leur vie est en réalité beaucoup plus proche de celle de monsieur tout le monde, parfois elle est même probablement bien pire.
Saviez-vous par exemple que ce même Hugo Jacomet a passé son réveillon de la Saint-Sylvestre, non pas en compagnie d’une famille aimante, d’amis fidèles ou de connaissances prestigieuses, mais avec les 3 clowns chargés de la refonte de son site internet. Moyenne d’âge dans la petite vingtaine, dégaine d’ultra plouc façon Scarface. Le genre à avoir un BTS et mettre CEO sur un CV après avoir monté une boîte sans avenir entre potes. Ou à mettre des “inspirational quotes” pompées sur le net un peu partout. À voir le regard de merlan frit de leur hôte, la soirée était probablement plus un échange de bon procédés qu’un moment de bien être intense. Étrangement les photos ont depuis disparues d’internet...enfin, pas pour tout le monde. C’est donc plutôt ça la vrai vie des influenceurs, des gens sans âme qui font du copinage leur activité principale. Beaucoup sont des classes moyennes qui vivent une sorte de double vie. D'un côté ils se mettent en scène et une fois que tout est terminé ils rentrent sagement dans leur studio manger des pâtes. C'est surtout vrai de ceux dont le succès est faible ou modéré, pour les 1% qui accèdent à une forme de célébrité il est évidemment possible de brasser pas mal d'argent. Mais pour cela, il faut être convainquant, c’est la définition même de l'influenceur, convaincre son public dans un but marketing. Il faut donc travailler son image. Il y a une certaine quantité de “story telling” à faire, notamment via les réseaux sociaux, dans le but d'être le plus fédérateur possible. Car le juge de paix est bien évidemment la “communauté” de l'influenceur. Plus ce dernier est suivi, plus il est impliqué et plus sa parole a valeur d'évangile. Ce qui est du pain béni pour les marques et autres départements marketings qui veulent vendre des trucs à ladite “communauté”. Avoir une communauté va plus loin qu’avoir un lectorat. Il y a une distinction entre les deux, une sorte d’attachement, qui fait que la communauté a confiance en l’influenceur et est donc prête à se faire entuber. Parfois à sec.

Comment ? En répondant à un questionnaire visant à préciser son âge, ses revenus, ou encore son budget vêtement par exemple. Permanent Style organise ponctuellement un sondage visant à “mieux connaître” sa communauté. Il se félicite même que le taux de réponse est aux alentours de 40 %, alors que selon lui les standards dans son industrie sont aux alentours de 2 %…. Il faut dire qu’il offre bien évidemment une carotte sous forme d’une carte cadeau de 500£ à gagner. Quant il s’agit de donner des informations personnelles les gens sont suffisamment cons pour les donner volontairement mais la possibilité d’une récompense les rend encore plus dociles. Et à votre avis, à quoi servent les informations qui sont récoltées ? À attirer les annonceurs bien évidemment. Chaque année Permanent Style met en ligne à destination des annonceurs un dossier de presse, un média pack, utilisé pour vendre les espaces publicitaires de son site. Ce dossier donne accès aux prix mais également à des informations sur la communauté fréquentant Permanent Style.

Le sondage réalisé par Crompton pour montrer à ses annonceurs que sa communauté à de la thune à perdre…Pardon, je voulais dire, le sondage qu’il réalise afin d’être plus proche de ses lecteurs…  (Source : Permanentstyle)
Le sondage réalisé par Crompton pour montrer à ses annonceurs que sa communauté à de la thune à perdre…Pardon, je voulais dire, le sondage qu’il réalise afin d’être plus proche de ses lecteurs… (Source : Permanentstyle)
Étonnant, ces chiffres collectés de façon presque innocente se retrouvent immédiatement dans le média pack préparé à destination des annonceurs. Tout lien de causalité est bien évidemment fortuit. (Source : Permanentstyle).
Étonnant, ces chiffres collectés de façon presque innocente se retrouvent immédiatement dans le média pack préparé à destination des annonceurs. Tout lien de causalité est bien évidemment fortuit. (Source : Permanentstyle).
Crompton côté pile, celui qui s’adresse à sa communauté et se plaint que les magazines parlent peu du style masculin. Et quand ils le font les produits sont trop chers, il donne ici l’exemple de sweaters Loro Piana qui coûtent entre £500 et £2000. Assez amusant quand on considère le placement tarifaire de ce qu’il présente sur son blog. Mais il y a mieux. (Source : Permanentstyle)
Crompton côté pile, celui qui s’adresse à sa communauté et se plaint que les magazines parlent peu du style masculin. Et quand ils le font les produits sont trop chers, il donne ici l’exemple de sweaters Loro Piana qui coûtent entre £500 et £2000. Assez amusant quand on considère le placement tarifaire de ce qu’il présente sur son blog. Mais il y a mieux. (Source : Permanentstyle)
Crompton côté face, celui qui s’adresse à ses annonceurs et se vante d’avoir refourgué 100 paires de chaussettes à £100 en une semaine à sa communauté. Le message aux marques est évident “regardez moi ces cons que j'ai fédéré autour de mon image, ils ont de l'argent à perdre”. Et puisqu’on parlait des pulls Loro Piana à £2000 “trop cher”. Crompton se vante également du fait qu’un de ses lecteurs a acheté un gilet de la marque à £3500 après avoir vu un article sur le site à leur sujet. Ironie quand tu nous tiens. (Source : Permanentstyle)
Crompton côté face, celui qui s’adresse à ses annonceurs et se vante d’avoir refourgué 100 paires de chaussettes à £100 en une semaine à sa communauté. Le message aux marques est évident “regardez moi ces cons que j'ai fédéré autour de mon image, ils ont de l'argent à perdre”. Et puisqu’on parlait des pulls Loro Piana à £2000 “trop cher”. Crompton se vante également du fait qu’un de ses lecteurs a acheté un gilet de la marque à £3500 après avoir vu un article sur le site à leur sujet. Ironie quand tu nous tiens. (Source : Permanentstyle)
Un influenceur n’a pas besoin de savoir grand-chose du sujet qu’il traite, il a seulement besoin de répéter ce que les marques lui disent. C’est d’ailleurs ce que Crompton avoue ici à demi-mot. Il explique (en 2016) que toute son expérience vient du fait d’avoir été client de tailleurs pendant ces 10 dernières années. Admettant donc que quand il a lancé son blog en 2006 il n’y connaissait absolument rien. Nous rappelons d’ailleurs que Crompton faisait partie des influenceurs qui a fait de la promotion à Gianni Cerruti, le Ponzi de la cravate. 
 <a href="https://www.sartorialisme.com/passaggio-cravatte-scandale/"> Si vous avez manqué cette histoire, c’est par ici que ça se passe.</a>
Un influenceur n’a pas besoin de savoir grand-chose du sujet qu’il traite, il a seulement besoin de répéter ce que les marques lui disent. C’est d’ailleurs ce que Crompton avoue ici à demi-mot. Il explique (en 2016) que toute son expérience vient du fait d’avoir été client de tailleurs pendant ces 10 dernières années. Admettant donc que quand il a lancé son blog en 2006 il n’y connaissait absolument rien. Nous rappelons d’ailleurs que Crompton faisait partie des influenceurs qui a fait de la promotion à Gianni Cerruti, le Ponzi de la cravate. Si vous avez manqué cette histoire, c’est par ici que ça se passe.

Puisque nous parlons de Simon Crompton attardons nous un peu sur son image. Il se met en scène via un style de vie faussement humble et socialement conscient tout en voyageant à travers le monde pour créer une énorme garde-robe de costumes bespoke bien souvent marrons et pas toujours très réussis. Du moins cela a été son créneau pendant la grande majorité de sa carrière. La situation récente est un peu différente, avec les restrictions fascistes imposées sur les voyages, la massification rapide du télétravail et le quasi abandon des boutiques par leur clientèle un changement de stratégie semble avoir été opéré par Crompton qui a beaucoup plus joué sur l’aspect “père de famille modèle à la maison” s’habillant en loungewear à tarif exorbitant (afin de ne pas trop trahir sa ligne éditoriale). On aurait pu penser que cette période de “repos” forcé l’aurait amené à couvrir les tailleurs anglais provinciaux, sujet qui est étrangement délaissé sur son blog pourtant situé en Angleterre. À la place il préfère se mettre en scène avec ses enfants pour exploiter leur image à des fins marketings, et parlait dans ses derniers articles de choses inhabituelles chez lui comme des gris-gris ethniques porte-clefs hors de prix, de vestes m65 et de marques mainstream comme Massimo Dutti. Ce qui au passage le rapproche des influenceurs plus “traditionnels”, lui qui est pourtant un fier journaliste.

Il est d’ailleurs amusant de constater que quand sa communauté lui demande s’il va finir par un jour traiter du sujet des tailleurs Anglais (autre que Londoniens) sa réponse est invariablement la même. Il ne couvre pas les tailleurs Anglais provinciaux car ils ne sont pas pertinents pour son blog, seul 35 % de ses lecteurs sont Anglais et parmi eux la moitié vit à Londres. De fait un très faible pourcentage de son lectorat se trouverait à proximité d’un tailleur Anglais. Il faudra que l’on m’explique pourquoi il couvre en permanence les tailleurs Italiens alors qu’il a une audience composée à 50 % d’Américains. Aux dernières nouvelles les États-Unis et l’Italie étaient sur deux continents différents, si l’on suit sa logique il est donc peu probable que ses lecteurs américains vivent à proximité des tailleurs Italiens qu’il présente et qu’ils aient donc la moindre pertinence pour son public. L’explication est en réalité beaucoup plus simple. L’influenceur va où l’argent est.

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il est fort possible que sa ligne éditoriale actuelle change sur le long terme et qu’il ne se consacre plus autant au bespoke, mais qu’il aborde plus le prêt à porter pour “monsieur tout le monde”. Tout en ajoutant une dose de green-washing parce que ça fait bien. D’ailleurs le mot “sustainability” commence a faire son apparition dans plusieurs de ses titres depuis quelques temps, le bougre maîtrise la SEO. Seul l’avenir nous dira quelle direction sera prise par le blog mais devant les difficultés actuelles rencontrées par le monde du costume, il n’est pas étonnant de voir les influenceurs se tourner de plus en plus vers le vêtement décontracté.

La logique douteuse de Crompton quant aux tailleurs provinciaux Anglais. La réalité est plus simple, si on ne parle pas d’eux, c’est qu’ils n’ont pas d’argent à donner ou ne veulent pas en donner. (Source : Permanentstyle)
La logique douteuse de Crompton quant aux tailleurs provinciaux Anglais. La réalité est plus simple, si on ne parle pas d’eux, c’est qu’ils n’ont pas d’argent à donner ou ne veulent pas en donner. (Source : Permanentstyle)
L'homme du peuple. Il s'habille en bespoke pour jouer avec ses enfants, dont il tire parti pour rendre ses produits plus attractifs et son image plus séduisante. Exploiter publiquement l’image de ses enfants à des fins marketing est probablement tout l’inverse de ce qu’un père modèle ferait, mais la vénalité ne semble pas avoir de limite. Vous constaterez au passage que la publication a pratiquement deux fois plus de “likes” que ses publications normales et surtout 10 fois plus de commentaires. C’était bien évidemment le but recherché. (Source : Instagram)
L'homme du peuple. Il s'habille en bespoke pour jouer avec ses enfants, dont il tire parti pour rendre ses produits plus attractifs et son image plus séduisante. Exploiter publiquement l’image de ses enfants à des fins marketing est probablement tout l’inverse de ce qu’un père modèle ferait, mais la vénalité ne semble pas avoir de limite. Vous constaterez au passage que la publication a pratiquement deux fois plus de “likes” que ses publications normales et surtout 10 fois plus de commentaires. C’était bien évidemment le but recherché. (Source : Instagram)

En ce qui concerne Hugo Jacomet le modèle est très similaire, il suffit de remplacer les costumes marrons par des costumes Cifonelli et vous avez plus ou moins la même chose. Vous avez même le droit à des appels aux dons vibrants qui racontent toute l’histoire (ou presque) du parcours de Mr Jacomet où il explique avoir eu des bureaux sur les champs Élysées, avoir été producteur de films, de musique… et qui comporte tous les aspects classiques du marketing de la personne que vous êtes en droit d’attendre d’un influenceur professionnel. Ce qu'il ne dit en revanche pas, c'est qu’il a tout d’abord été interdit de gestion (sanction pénale, inscrite au casier judiciaire) pendant 4 ans en vertu des articles L. 653-8 du Code de commerce dans le cadre de sa gestion de la société ART & FACT PRODUCTION et qu'il a été prononcé en faillite personnelle pour 8 ans à compter de 2018 sanction lourde, accompagnée d’une déchéance de certains droits dont celui de gestion et également inscrite au casier judiciaire) dans le cadre de sa gestion de la société FACT & CO. Car du point de vue du storytelling, ce n'est pas bon. Ça serait même plutôt néfaste car il peut devenir difficile à expliquer comment on est en possession d’une garde-robe majestueuse et que l’on procède à l’acquisition (pour 128 000€ selon la DVF) ainsi qu’à la rénovation de fond en comble d’une vaste propriété en province. Rénovation également exploitée à grand renfort de story Instagram faisant état de tables en marbre de Carrare, ou cuisinière Lacanche Cluny. C’est Marie-Paule qui va être jalouse. Tout ce qui peut écorner l’image est donc systématiquement soigneusement dissimulé et il est extrêmement important de se mettre en scène sous une lumière favorable. En utilisant par exemple des personnes handicapées pour raconter de belles histoires à faire pleurer dans les chaumières ou en exploitant une double mastectomie, les photos ne seront pas publiées ici pour éviter les problèmes de droit à l’image mais n’ayez aucun doute que cela a été fait.

Témoin de publication de l’interdiction de gestion concernant Mr Hugo Jacomet. (Source : Bodacc)
Témoin de publication de l’interdiction de gestion concernant Mr Hugo Jacomet. (Source : Bodacc)
Témoin de publication de la faillite personnelle de Mr Hugo Jacomet  dans le cadre de sa gestion de la société FACT & CO. (Source : Bodacc)
Témoin de publication de la faillite personnelle de Mr Hugo Jacomet dans le cadre de sa gestion de la société FACT & CO. (Source : Bodacc)
Péripéties de la famille Kardashian ? Non, double mastectomie de la fille Jacomet. Les influenceurs mélangent volontairement vie privée et vie publique. Les petits malheurs du quotidien, tragédies familiales et autres choses qui, par pudeur, relevaient autrefois du privé sont aujourd’hui exploitées pour générer du capital sympathie. Ce qui permet bien évidemment ensuite d’être encore plus bankable auprès du public et des marques. (Source : Instagram)
Péripéties de la famille Kardashian ? Non, double mastectomie de la fille Jacomet. Les influenceurs mélangent volontairement vie privée et vie publique. Les petits malheurs du quotidien, tragédies familiales et autres choses qui, par pudeur, relevaient autrefois du privé sont aujourd’hui exploitées pour générer du capital sympathie. Ce qui permet bien évidemment ensuite d’être encore plus bankable auprès du public et des marques. (Source : Instagram)

Par contre aucun des influenceurs sartoriaux n’a encore eu l’idée de partir en maraude et de distribuer des repas chauds aux sans-abris, probablement par peur de salir leurs beaux atours. En revanche ils ont tous bien fait attention à uploader une photo noire sur Instagram à un jour donné, car c’est ce que la bien pensance et l’opinion (soi-disant) dominante leur commandait de faire du confort de leur domicile, pendant que des villes entières étaient mises à feu et à sang. Le principe du marketing est bien évidemment de s’inscrire dans la mouvance prétendument majoritaire, surtout si elle est la plus bruyante possible. Puisque le bruit apporte l’exposition et que l’exposition apporte des clients. Soyez certains que si nous étions en 1933 ils se seraient tous ralliés à la cause politique qui faisait führer à ce moment. Pour changer de camp en 41. La nature humaine est terriblement constante, c’en est presque ennuyeux. Je me réjouis d’avance du jour où il sera hype d’inviter un migrant Afghan chez soi et de le documenter sur Instagram, je parie que ça va faire tourner des têtes.

Dans l’Yonne républicaine Hugo Jacomet annonce fièrement que sa chaîne Youtube Sartorial talks compte un million d’abonnés.  <a href="https://www.lyonne.fr/saint-florentin-89600/actualites/hugo-jacomet-a-quitte-paris-pour-la-tranquillite_13746074/#refresh"> Lien vers l'article. </a> 
(Source : lyonnerépublicaine)
Dans l’Yonne républicaine Hugo Jacomet annonce fièrement que sa chaîne Youtube Sartorial talks compte un million d’abonnés. Lien vers l'article. (Source : lyonnerépublicaine)
À l’heure d’écrire cet article elle n’en compte que 113 000. Et son pendant Français discussions sartoriales en compte 79 700. Il y a semble-t-il un petit problème de comptabilité (tiens, tiens) mais je suppose que le journaliste a mal compris. (Source : Youtube)
À l’heure d’écrire cet article elle n’en compte que 113 000. Et son pendant Français discussions sartoriales en compte 79 700. Il y a semble-t-il un petit problème de comptabilité (tiens, tiens) mais je suppose que le journaliste a mal compris. (Source : Youtube)

La rémunération.

Passons maintenant à ce qui vous intéresse tous depuis le début, le grisbi. En bon Français vous refusez toujours de dire combien vous gagnez mais crevez d’envie de fourrer votre nez dans la comptabilité des autres. Votre désir sera satisfait. Il faut dire que si vous avez tenu jusque-là vous méritez votre récompense, le titre est volontairement putassier et je fais monter la sauce pendant tout l’article. Que voulez-vous, moi aussi je maîtrise les méthodes “click bait” employées par la totalité des influenceurs de nos jours. Alors, l’argent.
Sachez encore une fois que toutes ces informations sont disponibles publiquement, il n’y a pas de secret, il n’y a pas eu besoin d’utiliser les époux Turenge pour extorquer des informations, et non nous n’avons séquestré personne, même si n’en doutez pas, c’est toujours utile une cave.
Simon Crompton a toujours eu recours à la publicité sur son blog. D’après lui il n’accepte pas les articles sponsorisés ni les articles publi-rédactionnels. Ces expressions ont des acceptions différentes en fonction du contexte mais en général les articles sponsorisés sont ceux où on vous demande de dire du bien de la marque, mais cette dernière vous laisse l’écrire vous-même. Dans le cadre du publi-rédactionnel, la marque écrit l’article pour vous. Il n’est en revanche pas fait mention des cadeaux, voyages, frais d’hôtels etc etc c’est à vous de tirer vos propres conclusions sur le sujet.

Pour financer sa société Crompton vend donc des espaces sur son site à des annonceurs. C’est un moyen de fonctionnement assez traditionnel et éprouvé de faire de la publicité sur internet. En 2016 il vendait ces espaces entre 200£ et 500£ par mois en fonction du placement sur la page. Sa newsletter offrait également deux emplacements (en haut et en bas) vendus respectivement 300£ et 200£. Au fur et à mesure que le site s’est développé de nouveaux espaces publicitaires sont apparus mais l’on ne va pas entrer dans les détails de toutes ses offres. En 2019 les prix allaient de 300£ à 500£/mois et les marques devaient acheter un emplacement pour un minimum de 3 mois. En 2020 il y a eu plusieurs changements majeurs. L’emplacement en bannière est en vente pour 1700£ par mois, les emplacements sur le côté du site sont à vendre pour des prix allant de 1000 à 3000£ par trimestre. Ce qui veut dire que si vous prenez la formule la plus chère avec le nouveau système il vous en coutera 12000£ contre 6000£ auparavant. Ça doit être la crise.

On notera également qu’une nouvelle catégorie a fait son apparition, les projets à la carte qui comprennent les livres, vidéos et “editorial series” qui commencent à 3000£. Nous vous mettons en parallèle le prix des insertions dans le magazine pointure, pour vous donner un point de comparaison avec les prix pratiqués dans la presse écrite.

Le tarif des insertions dans le magazine Pointure est élevé, comme c’est souvent le cas dans la presse traditionnelle puisque les coûts supportés sont supérieurs à ceux du numérique. C’est l’une des raisons derrière le succès des influenceurs, dans bien des cas ces derniers coûtent moins chers. Certains tapinent même pour rien. (Source : Pointure)
Le tarif des insertions dans le magazine Pointure est élevé, comme c’est souvent le cas dans la presse traditionnelle puisque les coûts supportés sont supérieurs à ceux du numérique. C’est l’une des raisons derrière le succès des influenceurs, dans bien des cas ces derniers coûtent moins chers. Certains tapinent même pour rien. (Source : Pointure)

Mais est-ce que tout cela marche bien ? De toute évidence, oui. Simon Crompton ne publie pas ses comptes complets, mais il publie des comptes abrégés, qui ne donnent qu’une image partielle de la situation de sa société mais qui permettent quand même de se faire une idée quant à sa (bonne) santé.

La somme détenue en banque, peut être considérée comme confortable puisqu’elle représente plusieurs centaines de milliers de livres anglaises, même une fois que l’on en soutire le passif. Ces comptes doivent très probablement également inclure ses autres sources de revenus comme ses livres et les vêtements qu’il vend. Dont les chaussettes à £100. (Source : Companies House)
La somme détenue en banque, peut être considérée comme confortable puisqu’elle représente plusieurs centaines de milliers de livres anglaises, même une fois que l’on en soutire le passif. Ces comptes doivent très probablement également inclure ses autres sources de revenus comme ses livres et les vêtements qu’il vend. Dont les chaussettes à £100. (Source : Companies House)
Ce même bilan pour l'année 2019. (Source : Companies House)
Ce même bilan pour l'année 2019. (Source : Companies House)

Si on compare la situation de Simon Crompton, avec celle de Aleksandar Cvetkovic, lui aussi contributeur du Rake, mais moins populaire, il est facile de voir que c’est un milieu avec des réalités très diverses sur le sujet de la rémunération. Cvetkovic dispose également d’une société, signe qu’il est suffisamment demandé pour en faire une activité annexe, mais probablement pas une activité à temps plein. Le train de vie qui est mis en scène par énormément d’influenceurs sartoriaux n’est justement qu’une mise en scène. Pour beaucoup c’est une activité qui paye plus en nature qu’en liquide et l’image du type avec 10 costumes en demi-mesure ratés dans sa garde-robe qui mange des pâtes midi et soir dans sa soupente n’est pas que rhétorique.

Voici les comptes publiés par sa micro-société. Il est en revanche difficile de dire avec détail ce à quoi ces comptes correspondent puisqu’il ne dispose pas d’un blog mais est essentiellement pigiste et prend également part à un podcast qui semble lui appartenir. C’est globalement la réalité de l’influenceur de moyenne envergure. Assez influent pour faire de l’argent, mais pas pour bien en vivre. (Source : Companies House)
Voici les comptes publiés par sa micro-société. Il est en revanche difficile de dire avec détail ce à quoi ces comptes correspondent puisqu’il ne dispose pas d’un blog mais est essentiellement pigiste et prend également part à un podcast qui semble lui appartenir. C’est globalement la réalité de l’influenceur de moyenne envergure. Assez influent pour faire de l’argent, mais pas pour bien en vivre. (Source : Companies House)

En ce qui concerne Hugo Jacomet la situation est un peu plus complexe puisque le blog n’a jamais vendu d’espace publicitaire identifié comme tel et il n’existe pas non plus de grille tarifaire disponible publiquement comme dans le cas de Permanent Style. Le guide PG était un espace où les marques payaient pour figurer à la façon d’un catalogue, mais tout le blog ainsi que son pendant vidéo sont à traiter sous le prisme d’un outil d’influence marketing ou publicitaire selon le mot qui a votre préférence. La société qui est derrière le blog n’est pas celle de Mr Jacomet car au moment de sa création (2018) il a été prononcé en faillite personnelle, sanction entrainant de facto une interdiction de gestion. Il a alors fait ce que font beaucoup d’interdits de gestion, et a fait enregistrer la société au nom de sa femme et de son fils (ce dernier a d’ailleurs cédé ses parts récemment au bénéfice de sa belle-mère). Les comptes de la société sont publics mais étaient déposés avec une clause de confidentialité. Sauf pour 2019, ce qui permet également d’accéder aux comptes de 2018.

La répartition des parts sociales lors de la constitution de la société servant manifestement à la gestion de Parisian Gentleman. Du fait de l’interdiction de gestion attachée à sa faillite personnelle Mr Jacomet n’en possède aucune et ne saurait en aucun cas être président de cette société, dirigée donc par sa femme qui ne semble pas parler Français couramment et (avant qu’il ne cède ses parts à sa belle-mère) son fils. Toute ressemblance avec la technique dite du gérant de paille est bien évidemment fortuite. (Source:Infogreffe)
La répartition des parts sociales lors de la constitution de la société servant manifestement à la gestion de Parisian Gentleman. Du fait de l’interdiction de gestion attachée à sa faillite personnelle Mr Jacomet n’en possède aucune et ne saurait en aucun cas être président de cette société, dirigée donc par sa femme qui ne semble pas parler Français couramment et (avant qu’il ne cède ses parts à sa belle-mère) son fils. Toute ressemblance avec la technique dite du gérant de paille est bien évidemment fortuite. (Source:Infogreffe)
Cession des parts sociales du fils Jacomet en faveur de la femme Jacomet née Nicholson. (Source:Infogreffe)
Cession des parts sociales du fils Jacomet en faveur de la femme Jacomet née Nicholson. (Source:Infogreffe)

La société gère très probablement les revenus générés par le blog, mais également la chaîne Youtube, Patreon, Caméo, les collaborations.... Il est en revanche impossible de déterminer le pourcentage que représente chaque activité dans le chiffre d’affaires de l'entreprise. Tout au plus sait-on que la page Patreon rapportait dans les 2000€ par mois à son lancement mais Patreon a depuis donné la possibilité à ses membres de cacher cette information. Toujours est-il qu'en 2018 la société avait un chiffre d’affaires supérieur à 89 000€ et qu'en 2019 il était monté à plus de 115 000€. Ce qui est supérieur à ce qui est réalisé par certaines marques faisant appels aux services du blog, comme quoi l'influence, ça rapporte. Nous n’allons pas aborder la question du résultat net de l’entreprise qui a été négatif en 2018 et en 2020, c’est à vous de faire vos propres conclusions.

La page Patreon de Sartorial Talks, le podcast de Parisian Gentleman à son lancement. Pratiquement 2000$ pour 63 contributeurs, ce sont des chiffres que l’on croise plus souvent dans le domaine de la pornographie que du vêtement. (Source : Patreon)
La page Patreon de Sartorial Talks, le podcast de Parisian Gentleman à son lancement. Pratiquement 2000$ pour 63 contributeurs, ce sont des chiffres que l’on croise plus souvent dans le domaine de la pornographie que du vêtement. (Source : Patreon)
Hugo Jacomet a récemment lancé un compte Cameo, pour la modique somme de 99€ il vous enverra un message vidéo personnalisé. Lubrifiant non inclus. (Source : Cameo)
Hugo Jacomet a récemment lancé un compte Cameo, pour la modique somme de 99€ il vous enverra un message vidéo personnalisé. Lubrifiant non inclus. (Source : Cameo)
Bilan de la société Sartorial Works (Source:Infogreffe)
Bilan de la société Sartorial Works (Source:Infogreffe)
Suite du bilan de la société Sartorial Works (Source:Infogreffe)
Suite du bilan de la société Sartorial Works (Source:Infogreffe)
Décision de poursuite de l'activité de la société malgré la perte de la moitié du capital social. Vous tirez vos propres conclusions là dessus. (Source:Infogreffe)
Décision de poursuite de l'activité de la société malgré la perte de la moitié du capital social. Vous tirez vos propres conclusions là dessus. (Source:Infogreffe)

Conclusion

Maintenant que vous savez combien gagnent les influenceurs, c’est à vous de décider si c’est une bonne occupation de votre temps libre. Évitez simplement de traiter tout le monde de plouc, on a vu mieux au niveau de l’optimisation de la SEO. Oh et comme on n'en a rien à cogner puisque nous ne sommes pas une société commerciale, voici les revenus adSense de notre blog... environ 1,2€ par jour.

Pour les quelques tarés qui n’utilisent pas de bloqueur de publicité notre site affiche une bannière adSense sur la page d’accueil. C’est cette bannière qui rapporte environ 1,2€ par jour. (Source: Sartorialisme)
Pour les quelques tarés qui n’utilisent pas de bloqueur de publicité notre site affiche une bannière adSense sur la page d’accueil. C’est cette bannière qui rapporte environ 1,2€ par jour. (Source: Sartorialisme)
De façon occasionnelle le site a également publié des liens affiliés. Les liens affiliés rapportent une commission au site quand quelqu’un effectue un achat en passant par ces liens. Voici les revenus générés par l’affiliation sur notre blog.
De façon occasionnelle le site a également publié des liens affiliés. Les liens affiliés rapportent une commission au site quand quelqu’un effectue un achat en passant par ces liens. Voici les revenus générés par l’affiliation sur notre blog.