Avant-propos
C’est vrai ça, on sait combien gagne en moyenne une caissière, un éboueur, un prof, mais dès que l’on arrive au sujet des influenceurs… niet, nada, rien, que dalle. Le secret serait aussi bien gardé que celui du compte Suisse de Cahuzac. Il y a bien des estimations qui circulent un peu partout. Des rumeurs, des bruits de couloir “j’ai entendu dire que sur Youtube on gagnait 1000$ par million de vues”, “tu sais, il parait que sur Touiche on peut empocher énormément d’argent”. La question génère beaucoup de fantasmes, probablement parce que le mode de vie des influenceurs est perçu comme idyllique et source d’argent facile, l’appât du gain excite donc les convoitises. Pourtant la réalité n’est pas aussi évidente, car il y a beaucoup d'appelés, mais peu d'élus (Matthieu 22:14). Le monde de l’influence est saturé, que ça soit dans le domaine sartorial ou non. Il n’est pas évident de se faire une place au soleil, il y a beaucoup de déçus et quelques gros poissons. Et bien évidemment, ce sont ces gros poissons qui nous intéressent, puisqu’il n’y aurait pas beaucoup d’intérêt à parler d’influenceurs que personne ne connait. Instagram regorge de pauvres ploucs, bien souvent en pleine crise de milieu de vie, qui s'affichent en pantalon bariolés et vestes extravagantes mal coupées dans l'espoir de gratter une collaboration pour des produits hydratants à la con. Ils n'intéressent évidemment personne, sauf les autres ploucs en tenues bariolées, avec lesquels ils partagent leur dernier “unboxing” Suitsupply, bref ils s’appellent Stéphane, Michel, Steve, et s’imaginent émuler Gatsby le Magnifique alors que leur vie c’est plutôt Mort à Crédit.
L’autre intérêt à parler des gros c’est qu’ils font de l’influence leur activité principale et qu’ils organisent donc leur activité en sociétés commerciales. Or, peut être que vous l’ignorez mais grâce à l’Union Européenne le libéralisme est mort en Europe et un certain nombre de données relatives aux sociétés commerciales sont publiques. En effet les statuts, les documents comptables etc, sont librement accessibles à tous. C’est censé favoriser le bon fonctionnement de l'économie en permettant des rapports avec les tiers fondés sur la confiance et en contribuant à la sécurité des affaires, ainsi qu'à la prévention des difficultés des entreprises. Si, si. Et après certains osent encore parler “d’ultra libéralisme” en France, les cons. Mais on s’éloigne du sujet.
Avant d’aller plus loin dans l'article, comprenez bien que l'influence est quelque chose d'organique, qu'elle se produit naturellement entre personnes et que le fait de payer des gens pour qu'ils répandent “leurs” opinions n'est pas chose nouvelle. En revanche ce phénomène s'est rapidement développé au point d'être devenu un modèle de publicité alternatif, d'où l'intérêt d'y jeter un œil. Les réseaux sociaux sont en très grande partie responsable de ce mouvement et ils sont un formidable outil de communication puisqu’ils brouillent les frontières qui existent entre la vie privée et la vie professionnelle. Et brouillent de la même façon ce qui est publicité et ce qui ne l’est pas. Sans surprise beaucoup d’influenceurs font le choix d’exploiter leur vie privée à des fins professionnelles ou du moins mettent en scène une vie privée fantasmée pour mieux se vendre. L’explosion du monde de la communication est donc un vecteur important de la prolifération des influenceurs mais elle n’a fait que rendre global ce qui existait déjà sous d’autres formes.
Qu'est-ce qu'un influenceur, relai d'opinions, relai d'informations et la frontière poreuse entre les deux.
Il n'est pas question de faire ici une histoire des relais d'informations et d'opinions, ni de couvrir l'intégralité du sujet de l'influence. Néanmoins il serait incomplet d'aborder la question de la rémunération des influenceurs, sans comprendre ce qui fait leur valeur. De fait, afin de bien cerner le monde des influenceurs, il est important de prendre du recul et de s'intéresser à la fois aux domaines du marketing, de l'opinion et de l'information, qui sont intrinsèquement liés.
Dans le monde numérique, qui est celui qui nous intéresse ici, un influenceur est une personne qui, par son statut, sa position ou son exposition médiatique, est capable d'être un relai d'opinion influençant les habitudes de consommation de son public dans un but marketing. Un influenceur va ainsi se mettre en scène pour promouvoir des produits ou des services à son audience. Son travail consiste donc à mettre en place du contenu multimédia afin de favoriser l’expansion, la réputation et la communication de marques. Pour dire les choses en un mot l’influenceur fait de la publicité. Et il n’y a pas de mal à faire de la publicité, c’est une activité économique au moins aussi vieille que la prostitution. Pour autant les influenceurs n’aiment pas être affiliés au monde publicitaire, car leur crédibilité repose sur leur authenticité (présumée) et sur leur apparente indépendance. Les influenceurs vont parfois jusqu’à prendre des détours extrêmes pour ne pas être considéré comme tels. S’ils sont un peu vieux, ils vont dire qu'ils font de la “relation publique”, certains se présentent comme “consultant”, “conseiller en stratégie”, ou encore journaliste. Mais rarement influenceur. Est-ce par haine de soi, schizophrénie ou simple machiavélisme calculateur, ça c’est à vous de voir. Toujours est-il que si vous leur demandez si ils font de la publicité pour telle ou telle marque, la réponse sera invariablement non. À la rigueur ils admettent faire de la promotion, euphémisme destiné à éviter la question. Pour autant sachez que la publicité est inscrite dans l'objet social des sociétés de beaucoup d'influenceurs. Néanmoins sachez également que l'objet social d'une société est souvent conçu d'une manière large pour éviter de trop fréquentes modifications statutaires. Il ne faut donc pas confondre objet social et activité de l'entreprise, une entreprise peut inscrire la publicité dans son objet social à titre “préventif” sans en faire, l'inverse n'est en revanche techniquement pas possible.
Passons maintenant de l'autre côté de la Manche. Les entreprises britanniques utilisent une classification industrielle standard (SIC) qui a pour but de classer les entreprises en fonction du type de leur activité économique. C'est un peu l'équivalent de l'objet dans le droit des sociétés Français.
Simon Crompton liste son occupation comme journaliste, mais l'entreprise qu'il dirige avec sa femme et qui exploite Permanent Style liste en premier la vente par correspondance (SIC 47910), et les activités de publications d'autres natures (SIC 58190). Dans cette catégorie tombe : les catalogues, les photos/gravures, les cartes de vœux, les formulaires, les reproductions d'art, les statistiques...eeeeet la publicité. Nous y voilà.
Aleksandar Cvetkovic est un autre influenceur Anglais, notamment contributeur au magazine “the Rake” mais il prend part également à plusieurs podcasts et autres médias où il se présente comme un “content consultant” et un journaliste. Son activité est là aussi organisée en société et son objet est la représentation de média (SIC 73120) en réalité cette catégorie comprend la vente ou la location d'espaces publicitaires.
La valeur ajoutée de l'influenceur.
Le lien influenceur/publicité que nous venons de faire est tellement évident qu'il semble presque inutile de le mentionner, et pourtant pour beaucoup le lien n'est pas manifeste. Après tout si cette technique de marketing fonctionne aussi bien, c'est en partie grâce à son aspect subreptice et à la confusion des genres. Confusion des genres induite par le statut réel ou supposé de l'influenceur. Nous l’avons vu, dans le milieu sartorial il est assez commun de trouver des gens qui se disent journalistes ou éditeurs en chef par exemple. Simon Crompton est assez vocal sur son appartenance à la caste journalistique, et s’est même feint de plusieurs articles sur le sujet, seul contre tous, le menton haut, cheveux au vent. Comme si le vernis journalistique était une sorte de sésame magique pour clamer une indépendance. Vernis journalistique également utilisé pour suggérer que le travail effectué est la vérité vraie et qu'il est donc d'une certaine façon objectif et supérieur. Et nous voulons bien lui donner raison, s’il veut être journaliste grand bien lui fasse, car au fond être journaliste au 21ème siècle, c’est plus une question de sémantique que d’éthique.
Le 21ème siècle, l’époque où les journalistes sont influenceurs et les influenceurs journalistes.
Avant le développement des nouvelles technologies de communication, les journalistes avaient un quasi-monopole sur la diffusion de l'information. C'est bien simple, si comme Crompton vous êtes nés avant le funeste 21ème siècle, il y a de fortes chances que durant votre enfance vous rêviez de devenir, pompier, cosmonaute, ou.... journaliste. Pour la jeunesse de cette époque l’ivresse du scoop et des grands reportages étaient incarnés par Tintin, Clark Kent ou encore Spirou qui sentant que sa carrière comme groom battait de l’aile s’est reconverti dans le journalisme. Des générations d’adultes à travers le monde ont lu les journaux de Joseph Pulitzer ou suivi les reportages d’Albert Londres et l’apparition de la télévision ne change pas la donne. Le média change mais les journalistes sont toujours les relais d’informations. Ils enquêtent sur les dernières paroles de George Abitbol, l'homme le plus classe du monde. S'engagent dans le journalisme total et reçoivent des tuyaux de Gorge Profonde.
Seulement, à l’heure de l’internet plus personne n'a envie de devenir journaliste. Corporation de bouches inutiles, agressives et promptes à s’auto-congratuler. C'est devenu ringard, précaire même puisque la profession est aujourd'hui majoritairement composé de pigistes fragiles qui sans les APL ne pourraient payer le loyer de leur studio parisien miteux. Les journalistes passent leur temps à dire des bêtises et faire des saloperies parce qu’ils ne servent plus à rien et ils le savent. Ils ne servent plus à rien parce qu’il n’y a plus besoin d’eux et qu’ils sont des milliers quand ils devraient être dix.
Quand un journaliste nous informe qu’une énième personnalité cosmopolite vient d’être arrêtée par la police pour des faits de pédophilie… dans 99% des cas il a lui-même appris ces choses-là à la même heure et de la même façon que vous, c’est à dire en ouvrant son ordinateur le matin. Au diable les journalistes, quand n’importe qui peut filmer n’importe quoi en direct sur internet et le partager avec le reste du monde. Du balais les journaleux qui passent leur temps à bâtonner (expression du milieu pour dire “paraphraser l'AFP”) des informations que vous connaissez déjà. La perte de ce monopole sur la diffusion de l’information fait que les journalistes rapportent de moins en moins les informations et les commentent de plus en plus. On me dira que commenter l’actualité c’est un exercice tout aussi utile que celui consistant à informer, à porter à la connaissance du public des faits qu’il ne sait pas (ce qui est la définition exhaustive du journalisme), même si les deux activités n’ont aucun rapport entre elles…
L’ennui, c’est que si l’art du commentaire ne manque pas d’intérêt, la discipline a encore moins besoin de bras que le journalisme. Touiteur est plein de commentateurs et autres experts, plus nuls les uns que les autres. La seule chose qui justifie qu’un journaliste s’autorise à commenter l’actualité et nous dire ce qu’il en pense, c’est qu’au préalable un point de vue original lui a traversé l’esprit. Malheureusement, comme toute la profession est (sociologiquement) consanguine, ils ont tous les mêmes opinions dysgéniques et cosmopolites. De fait, les points de vue originaux sont encore plus rares que les informations inédites.
Durant son âge d’or le journalisme s’est décliné à plusieurs sauce, il y avait tellement d’informations à partager que sont apparus les journalistes spécialisés. Vous aviez le journalisme automobile, le journalisme informatique, le journalisme sportif… et plus l’information s’est démocratisée dans son accès plus ces journalistes se mettaient à faire de l’opinion. Jusqu’au jour où au début des années 2000 vous pouviez avoir les informations en même temps qu’eux. Et aujourd'hui, vous les avez même avant eux. Dès lors, pourquoi acheter un magazine quand les informations qu’il relaie sont périmées avant même sa publication. Il n’y a plus aucun intérêt à suivre les journalistes puisqu’une fois perdu leur monopole de l’information la seule chose qu’ils apportent est leur opinion, et une opinion c'est comme un trou du derrière, tout le monde en possède un. Dans un sens ils étaient déjà des proto-influenceurs, c’était la version archaïque, celle qui s’imaginait appartenir à une caste, avec une déontologie (fantasmée) et une carte de presse. Ils acceptaient déjà les petits cadeaux, les voyages de presse tous frais payés dans les grands hôtels, les produits offerts ou prêtés sur de longues durées. Cette caste a été petit à petit grand-remplacée par la nouvelle génération d’influenceurs. Ceux de l’internet, ceux qui sans complexe se mettent en scène, tiennent des blogs, des chaines youtube et des profils Instagram ou TikTok.
Si Crompton, et beaucoup d’autres se prétendent journalistes, c'est qu'ils sont intimement convaincus de l'être, comme sont convaincus les pigistes ethnomasochistes et attardés de Konbini, Vice, 9gag. Ils sont tous journalistes, n'importe qui est journaliste aujourd'hui. Même Gianni Cerruti se disait journaliste. Si vous imaginez qu’un journaliste est quelqu’un d’intègre, sans conflit d’intérêt, qui cite ses sources, les recoupe tout cela dans le but de chercher la vérité, vous faites erreur. Ça c’est le travail des chercheurs, et encore, uniquement quand ils ne sont pas trop occupés à truquer leurs études pour obtenir du financement public, passer à la télé ou emmerder leurs confrères. Le qualificatif de journaliste sert de verni idéologique et n'est en aucun cas une preuve d'indépendance ou d'impartialité. D'ailleurs, les journalistes impartiaux ça n'existe pas.
Vous êtes probablement en train de vous dire “mais bordel, de quoi il parle avec ses journalistes, moi je voulais juste savoir combien il gagne Jacomet”. Patience, j’y viens. Sachez simplement que le journalisme n'est qu'un statut parmi d'autres et qu'il n'y a pas de profil type parmi les influenceurs. Ici on parle du journalisme car c'est possiblement la catégorie la plus représentée, avec celle des rédacteurs, éditeurs et assimilés. Mais les influenceurs possèdent également des marques, sont propriétaires de boutiques, ou travaillent parfois dans des domaines sans rapport et font ça pour s'amuser, comme une activité annexe, ils peuvent même être de simples clients. En revanche il est intéressant de noter la faible proportion d’artisans parmi les influenceurs. Je parle bien évidement des vrais artisans, pas des boutiquiers formation Formens qui jouent à la dinette et autres private label standardisés. Les artisans qu'ils soient bottiers, tailleurs, chemisiers sont des producteurs et sont un peu à la marge. D’une part ils n'ont bien souvent pas le temps ou l'envie de s'amuser à faire des selfies à longueur de journée pour récolter des likes. Certains arrivent à partager leur travail sur les réseaux sociaux ou se lancent même un peu sur Youtube, mais cela reste plutôt rare et procède plutôt d’une volonté de transmission du savoir. D’autre part, ils ne sont pas les clients principaux des influenceurs, ils sont supplantés en cela par les innombrables marques 2.0 ou traditionnelles. Les petits artisans sont en général plutôt discrets sur la communication et n'ont qu'assez rarement recours aux services des influenceurs. Il faut dire que leurs clients ne se baladent pas trop sur Instagram et sont souvent assez imperméables à ce mode de communication.
La construction d'une image et d’une communauté.
La valeur d'un influenceur ne se limite pas à son statut, elle comprend également son image. L’influenceur doit avoir une image propre, politiquement correcte et lisse. Il est rarement laid, et s’il est fauché et inculte, il doit tout faire pour vous donner l'apparence du contraire. C’est une sorte de proto-gendre idéal, leur vie est censée être parfaite et doit renvoyer une impression de bien-être absolu. Leur discours doit être exclusivement positif. C’est d’ailleurs le message que délivre Hugo Jacomet dans sa vidéo de lancement pour son compte Cameo. Cameo est un service qui propose à des débiles de payer (cher) pour que leur star favorite leur envoie une vidéo personnalisée. C’est une plateforme qui mélange culte de la personnalité, exploitation de la détresse humaine, narcissisme décomplexé des élites autoproclamées. Pour la modique somme de 99€, Mr Jacomet se fera un plaisir de vous délivrer un message P.O.S.I.T.I.F. On peut heureusement douter que les influenceurs nagent dans le bonheur de façon perpétuelle comme ils veulent vous le faire croire. Leur vie est en réalité beaucoup plus proche de celle de monsieur tout le monde, parfois elle est même probablement bien pire.
Saviez-vous par exemple que ce même Hugo Jacomet a passé son réveillon de la Saint-Sylvestre, non pas en compagnie d’une famille aimante, d’amis fidèles ou de connaissances prestigieuses, mais avec les 3 clowns chargés de la refonte de son site internet. Moyenne d’âge dans la petite vingtaine, dégaine d’ultra plouc façon Scarface. Le genre à avoir un BTS et mettre CEO sur un CV après avoir monté une boîte sans avenir entre potes. Ou à mettre des “inspirational quotes” pompées sur le net un peu partout. À voir le regard de merlan frit de leur hôte, la soirée était probablement plus un échange de bon procédés qu’un moment de bien être intense. Étrangement les photos ont depuis disparues d’internet...enfin, pas pour tout le monde. C’est donc plutôt ça la vrai vie des influenceurs, des gens sans âme qui font du copinage leur activité principale. Beaucoup sont des classes moyennes qui vivent une sorte de double vie. D'un côté ils se mettent en scène et une fois que tout est terminé ils rentrent sagement dans leur studio manger des pâtes. C'est surtout vrai de ceux dont le succès est faible ou modéré, pour les 1% qui accèdent à une forme de célébrité il est évidemment possible de brasser pas mal d'argent. Mais pour cela, il faut être convainquant, c’est la définition même de l'influenceur, convaincre son public dans un but marketing. Il faut donc travailler son image. Il y a une certaine quantité de “story telling” à faire, notamment via les réseaux sociaux, dans le but d'être le plus fédérateur possible. Car le juge de paix est bien évidemment la “communauté” de l'influenceur. Plus ce dernier est suivi, plus il est impliqué et plus sa parole a valeur d'évangile. Ce qui est du pain béni pour les marques et autres départements marketings qui veulent vendre des trucs à ladite “communauté”. Avoir une communauté va plus loin qu’avoir un lectorat. Il y a une distinction entre les deux, une sorte d’attachement, qui fait que la communauté a confiance en l’influenceur et est donc prête à se faire entuber. Parfois à sec.
Comment ? En répondant à un questionnaire visant à préciser son âge, ses revenus, ou encore son budget vêtement par exemple. Permanent Style organise ponctuellement un sondage visant à “mieux connaître” sa communauté. Il se félicite même que le taux de réponse est aux alentours de 40 %, alors que selon lui les standards dans son industrie sont aux alentours de 2 %…. Il faut dire qu’il offre bien évidemment une carotte sous forme d’une carte cadeau de 500£ à gagner. Quant il s’agit de donner des informations personnelles les gens sont suffisamment cons pour les donner volontairement mais la possibilité d’une récompense les rend encore plus dociles. Et à votre avis, à quoi servent les informations qui sont récoltées ? À attirer les annonceurs bien évidemment. Chaque année Permanent Style met en ligne à destination des annonceurs un dossier de presse, un média pack, utilisé pour vendre les espaces publicitaires de son site. Ce dossier donne accès aux prix mais également à des informations sur la communauté fréquentant Permanent Style.
Puisque nous parlons de Simon Crompton attardons nous un peu sur son image. Il se met en scène via un style de vie faussement humble et socialement conscient tout en voyageant à travers le monde pour créer une énorme garde-robe de costumes bespoke bien souvent marrons et pas toujours très réussis. Du moins cela a été son créneau pendant la grande majorité de sa carrière. La situation récente est un peu différente, avec les restrictions fascistes imposées sur les voyages, la massification rapide du télétravail et le quasi abandon des boutiques par leur clientèle un changement de stratégie semble avoir été opéré par Crompton qui a beaucoup plus joué sur l’aspect “père de famille modèle à la maison” s’habillant en loungewear à tarif exorbitant (afin de ne pas trop trahir sa ligne éditoriale). On aurait pu penser que cette période de “repos” forcé l’aurait amené à couvrir les tailleurs anglais provinciaux, sujet qui est étrangement délaissé sur son blog pourtant situé en Angleterre. À la place il préfère se mettre en scène avec ses enfants pour exploiter leur image à des fins marketings, et parlait dans ses derniers articles de choses inhabituelles chez lui comme des gris-gris ethniques porte-clefs hors de prix, de vestes m65 et de marques mainstream comme Massimo Dutti. Ce qui au passage le rapproche des influenceurs plus “traditionnels”, lui qui est pourtant un fier journaliste.
Il est d’ailleurs amusant de constater que quand sa communauté lui demande s’il va finir par un jour traiter du sujet des tailleurs Anglais (autre que Londoniens) sa réponse est invariablement la même. Il ne couvre pas les tailleurs Anglais provinciaux car ils ne sont pas pertinents pour son blog, seul 35 % de ses lecteurs sont Anglais et parmi eux la moitié vit à Londres. De fait un très faible pourcentage de son lectorat se trouverait à proximité d’un tailleur Anglais. Il faudra que l’on m’explique pourquoi il couvre en permanence les tailleurs Italiens alors qu’il a une audience composée à 50 % d’Américains. Aux dernières nouvelles les États-Unis et l’Italie étaient sur deux continents différents, si l’on suit sa logique il est donc peu probable que ses lecteurs américains vivent à proximité des tailleurs Italiens qu’il présente et qu’ils aient donc la moindre pertinence pour son public. L’explication est en réalité beaucoup plus simple. L’influenceur va où l’argent est.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il est fort possible que sa ligne éditoriale actuelle change sur le long terme et qu’il ne se consacre plus autant au bespoke, mais qu’il aborde plus le prêt à porter pour “monsieur tout le monde”. Tout en ajoutant une dose de green-washing parce que ça fait bien. D’ailleurs le mot “sustainability” commence a faire son apparition dans plusieurs de ses titres depuis quelques temps, le bougre maîtrise la SEO. Seul l’avenir nous dira quelle direction sera prise par le blog mais devant les difficultés actuelles rencontrées par le monde du costume, il n’est pas étonnant de voir les influenceurs se tourner de plus en plus vers le vêtement décontracté.
En ce qui concerne Hugo Jacomet le modèle est très similaire, il suffit de remplacer les costumes marrons par des costumes Cifonelli et vous avez plus ou moins la même chose. Vous avez même le droit à des appels aux dons vibrants qui racontent toute l’histoire (ou presque) du parcours de Mr Jacomet où il explique avoir eu des bureaux sur les champs Élysées, avoir été producteur de films, de musique… et qui comporte tous les aspects classiques du marketing de la personne que vous êtes en droit d’attendre d’un influenceur professionnel. Ce qu'il ne dit en revanche pas, c'est qu’il a tout d’abord été interdit de gestion (sanction pénale, inscrite au casier judiciaire) pendant 4 ans en vertu des articles L. 653-8 du Code de commerce dans le cadre de sa gestion de la société ART & FACT PRODUCTION et qu'il a été prononcé en faillite personnelle pour 8 ans à compter de 2018 sanction lourde, accompagnée d’une déchéance de certains droits dont celui de gestion et également inscrite au casier judiciaire) dans le cadre de sa gestion de la société FACT & CO. Car du point de vue du storytelling, ce n'est pas bon. Ça serait même plutôt néfaste car il peut devenir difficile à expliquer comment on est en possession d’une garde-robe majestueuse et que l’on procède à l’acquisition (pour 128 000€ selon la DVF) ainsi qu’à la rénovation de fond en comble d’une vaste propriété en province. Rénovation également exploitée à grand renfort de story Instagram faisant état de tables en marbre de Carrare, ou cuisinière Lacanche Cluny. C’est Marie-Paule qui va être jalouse. Tout ce qui peut écorner l’image est donc systématiquement soigneusement dissimulé et il est extrêmement important de se mettre en scène sous une lumière favorable. En utilisant par exemple des personnes handicapées pour raconter de belles histoires à faire pleurer dans les chaumières ou en exploitant une double mastectomie, les photos ne seront pas publiées ici pour éviter les problèmes de droit à l’image mais n’ayez aucun doute que cela a été fait.
Par contre aucun des influenceurs sartoriaux n’a encore eu l’idée de partir en maraude et de distribuer des repas chauds aux sans-abris, probablement par peur de salir leurs beaux atours. En revanche ils ont tous bien fait attention à uploader une photo noire sur Instagram à un jour donné, car c’est ce que la bien pensance et l’opinion (soi-disant) dominante leur commandait de faire du confort de leur domicile, pendant que des villes entières étaient mises à feu et à sang. Le principe du marketing est bien évidemment de s’inscrire dans la mouvance prétendument majoritaire, surtout si elle est la plus bruyante possible. Puisque le bruit apporte l’exposition et que l’exposition apporte des clients. Soyez certains que si nous étions en 1933 ils se seraient tous ralliés à la cause politique qui faisait führer à ce moment. Pour changer de camp en 41. La nature humaine est terriblement constante, c’en est presque ennuyeux. Je me réjouis d’avance du jour où il sera hype d’inviter un migrant Afghan chez soi et de le documenter sur Instagram, je parie que ça va faire tourner des têtes.
La rémunération.
Passons maintenant à ce qui vous intéresse tous depuis le début, le grisbi. En bon Français vous refusez toujours de dire combien vous gagnez mais crevez d’envie de fourrer votre nez dans la comptabilité des autres. Votre désir sera satisfait. Il faut dire que si vous avez tenu jusque-là vous méritez votre récompense, le titre est volontairement putassier et je fais monter la sauce pendant tout l’article. Que voulez-vous, moi aussi je maîtrise les méthodes “click bait” employées par la totalité des influenceurs de nos jours. Alors, l’argent.
Sachez encore une fois que toutes ces informations sont disponibles publiquement, il n’y a pas de secret, il n’y a pas eu besoin d’utiliser les époux Turenge pour extorquer des informations, et non nous n’avons séquestré personne, même si n’en doutez pas, c’est toujours utile une cave.
Simon Crompton a toujours eu recours à la publicité sur son blog. D’après lui il n’accepte pas les articles sponsorisés ni les articles publi-rédactionnels. Ces expressions ont des acceptions différentes en fonction du contexte mais en général les articles sponsorisés sont ceux où on vous demande de dire du bien de la marque, mais cette dernière vous laisse l’écrire vous-même. Dans le cadre du publi-rédactionnel, la marque écrit l’article pour vous. Il n’est en revanche pas fait mention des cadeaux, voyages, frais d’hôtels etc etc c’est à vous de tirer vos propres conclusions sur le sujet.
Pour financer sa société Crompton vend donc des espaces sur son site à des annonceurs. C’est un moyen de fonctionnement assez traditionnel et éprouvé de faire de la publicité sur internet. En 2016 il vendait ces espaces entre 200£ et 500£ par mois en fonction du placement sur la page. Sa newsletter offrait également deux emplacements (en haut et en bas) vendus respectivement 300£ et 200£. Au fur et à mesure que le site s’est développé de nouveaux espaces publicitaires sont apparus mais l’on ne va pas entrer dans les détails de toutes ses offres. En 2019 les prix allaient de 300£ à 500£/mois et les marques devaient acheter un emplacement pour un minimum de 3 mois. En 2020 il y a eu plusieurs changements majeurs. L’emplacement en bannière est en vente pour 1700£ par mois, les emplacements sur le côté du site sont à vendre pour des prix allant de 1000 à 3000£ par trimestre. Ce qui veut dire que si vous prenez la formule la plus chère avec le nouveau système il vous en coutera 12000£ contre 6000£ auparavant. Ça doit être la crise.
On notera également qu’une nouvelle catégorie a fait son apparition, les projets à la carte qui comprennent les livres, vidéos et “editorial series” qui commencent à 3000£. Nous vous mettons en parallèle le prix des insertions dans le magazine pointure, pour vous donner un point de comparaison avec les prix pratiqués dans la presse écrite.
Mais est-ce que tout cela marche bien ? De toute évidence, oui. Simon Crompton ne publie pas ses comptes complets, mais il publie des comptes abrégés, qui ne donnent qu’une image partielle de la situation de sa société mais qui permettent quand même de se faire une idée quant à sa (bonne) santé.
Si on compare la situation de Simon Crompton, avec celle de Aleksandar Cvetkovic, lui aussi contributeur du Rake, mais moins populaire, il est facile de voir que c’est un milieu avec des réalités très diverses sur le sujet de la rémunération. Cvetkovic dispose également d’une société, signe qu’il est suffisamment demandé pour en faire une activité annexe, mais probablement pas une activité à temps plein. Le train de vie qui est mis en scène par énormément d’influenceurs sartoriaux n’est justement qu’une mise en scène. Pour beaucoup c’est une activité qui paye plus en nature qu’en liquide et l’image du type avec 10 costumes en demi-mesure ratés dans sa garde-robe qui mange des pâtes midi et soir dans sa soupente n’est pas que rhétorique.
En ce qui concerne Hugo Jacomet la situation est un peu plus complexe puisque le blog n’a jamais vendu d’espace publicitaire identifié comme tel et il n’existe pas non plus de grille tarifaire disponible publiquement comme dans le cas de Permanent Style. Le guide PG était un espace où les marques payaient pour figurer à la façon d’un catalogue, mais tout le blog ainsi que son pendant vidéo sont à traiter sous le prisme d’un outil d’influence marketing ou publicitaire selon le mot qui a votre préférence. La société qui est derrière le blog n’est pas celle de Mr Jacomet car au moment de sa création (2018) il a été prononcé en faillite personnelle, sanction entrainant de facto une interdiction de gestion. Il a alors fait ce que font beaucoup d’interdits de gestion, et a fait enregistrer la société au nom de sa femme et de son fils (ce dernier a d’ailleurs cédé ses parts récemment au bénéfice de sa belle-mère). Les comptes de la société sont publics mais étaient déposés avec une clause de confidentialité. Sauf pour 2019, ce qui permet également d’accéder aux comptes de 2018.
La société gère très probablement les revenus générés par le blog, mais également la chaîne Youtube, Patreon, Caméo, les collaborations.... Il est en revanche impossible de déterminer le pourcentage que représente chaque activité dans le chiffre d’affaires de l'entreprise. Tout au plus sait-on que la page Patreon rapportait dans les 2000€ par mois à son lancement mais Patreon a depuis donné la possibilité à ses membres de cacher cette information. Toujours est-il qu'en 2018 la société avait un chiffre d’affaires supérieur à 89 000€ et qu'en 2019 il était monté à plus de 115 000€. Ce qui est supérieur à ce qui est réalisé par certaines marques faisant appels aux services du blog, comme quoi l'influence, ça rapporte. Nous n’allons pas aborder la question du résultat net de l’entreprise qui a été négatif en 2018 et en 2020, c’est à vous de faire vos propres conclusions.
Conclusion
Maintenant que vous savez combien gagnent les influenceurs, c’est à vous de décider si c’est une bonne occupation de votre temps libre. Évitez simplement de traiter tout le monde de plouc, on a vu mieux au niveau de l’optimisation de la SEO. Oh et comme on n'en a rien à cogner puisque nous ne sommes pas une société commerciale, voici les revenus adSense de notre blog... environ 1,2€ par jour.