Sartorialisme, vie sociale et dépucelage
Les origines du mal
Vous êtes beaucoup, lycéens, étudiants et certains jeunes travailleurs, à vous intéresser au style sartorial mais, n’évoluant pas dans des milieux soumis à des codes vestimentaires classiques (port de la chemise ou du costume), à ne pas du tout voir comment vous lancer.
D’où vient le problème ?
Premièrement la mode s’est complètement décodifiée depuis les années 50 et le vêtement classique a été réduit à un rôle d’uniforme de travail ou des « grandes occasions ». C’est ce qui fait que la notion de « formalité » a aujourd’hui complètement perdu son sens : c’est moins le caractère formel d’une tenue que son côté non-usuel qui va choquer le plouc de base, la pièce classique en elle-même dérange.
Deuxièmement il faut avouer que la mode du preppy, sous l’égide des Tommy Hilfiger et autres Ralph Lo’, a fait mauvaise presse au vêtement classique en devenant l’apanage de toutes les baltringues de la jet set internationale.
Si vous n’évoluez pas dans un milieu qui impose au minimum le port de la chemise mais que vous vous intéressez au style sartorial après avoir vu quelques bonnes photos du Pitti ou autre, oubliez directement les tenues casual purement classiques :
- vous allez passer pour un marginal prétentieux et subir des moqueries en plus de suer de malaise ;
- vous allez perdre du temps et de l’argent pour des pièces achetées de manière impulsive sans avoir développé de goût assez pointu au préalable (on regrette presque toujours ses premiers gros achats).
L’approche à avoir et les limites de la remise en question
Comment s’y prendre alors ? Il va falloir faire une transition progressive en adoptant des pièces classiques casual sûres (c’est-à-dire rentables et faciles à porter) tout en conservant des éléments d’autres vestiaires dans lequel on baigne tous quotidiennement. L’idée est donc de viser un style « casual » au sens plouc, passe-partout, et évoluer progressivement vers de plus en plus de classique selon votre niveau de confort et votre envie.
On est toujours en quelque-sorte le plouc de quelqu’un. Même le type le plus neutre en survet’ Kipsta se fera traiter de clochard par certains. Allez à votre rythme mais ne soyez pas non plus excessivement prudents, beaucoup de gens ont aussi des opinions positives sur les vêtements classiques grâce notamment aux références culturelles récentes.
Dans la suite de l’article je vais vous présenter une succession d’idées et de principes importants à garder en tête si vous êtes concerné.
1) Eviter la veste sport classique
Même si en tant que débutants vous bavez souvent sur la veste sport -ou le blazère comme l’appellent les ploucs- , elle est un faux-ami dans les milieux non-formels pour deux raisons :
1) une veste est en général trop chaude pour l’été et trop froide pour l’hiver, son port est plus dicté par une convention sociale que par une réelle utilité ;
2) cette dimension sociale fait qu’elle est associée à une forme de statut et sera mal vue là où il n’est pas usuel d’en porter.
Le bon plan pour quand même profiter d’un haut très classique est d’opter pour un manteau long qui n’a pas la même portée sociale et se justifie pleinement en hiver. On le porte dans ce cas directement au-dessus de la première couche de vêtement (chemise, maille) comme s’il s’agissait d’une veste.
Si vous voulez vraiment porter une veste une solution est de la choisir dans une matière brute et épaisse, comme par exemple un tweed. On évite dans ce cas le côté « trop soigné » d’une laine lisse.
Un tissu non-lisse passe également beaucoup mieux avec un jeans, ce qui permet d’intégrer la veste dans des tenues très casual.
2) Remplacer la veste par une veste casual
Pour éviter l’aspect formel de la veste sport classique on peut simplement la remplacer par une veste casual.
La quasi-totalité des vestes à la mode aujourd’hui sont des inspirations ou dérivés directs de modèles classiques, très facile donc d’en porter. Retenez aussi que l’achat d’une veste casual même au prix plein est presque toujours un bon investissement : vous leur trouverez encore une utilité dans dix ans, ne fusse que pour aller à La Foir’Fouille ou au Bois de Boulogne, et contrairement aux vestes sport il ne s’agit pas de vêtements de « détail » qui vous dégouteront rapidement.
Petit panorama des modèles les plus courants (pour plus d’idées consultez nos autres articles) :
Les vestes courtes ou blousons
Il s’agit de ce qu’on appelle aujourd’hui les « bombers » et leurs dérivés. Elles ne doivent pas recouvrir les fesses.
Les vestes longues
Il s’agit de tous les autres types de veste casual qui ont la même longueur que celle d’une veste sport classique (sous les fesses). Vu la tendance actuelle qui est de faire tomber les vestes à mi-fesse vous serez peut-être cependant amené à faire un sacrifice sur la longueur si l’ensemble est correct et bon marché.
3) Remplacer la veste par une chemise
La chemise classique peut être selon moi un faux-ami à cause du syndrome mariage-preppy. Il faut faire attention à la manière de la porter en évitant par exemple un trop simple combo chemise/chino qui rapprochera trop du preppy.
Une manière assez sûre par contre de porter la chemise et qu’on voit beaucoup revenir en ce moment est de s’en servir comme couche extérieure au-dessus d’un t-shirt. On s’en sert alors pour jouer le rôle d’une veste, qui est normalement un vêtement plus abouti et onéreux, ce qui permet de donner un côté nonchalant et de créer du layering à peu de frais.
Etant donné que la chemise remplace la veste elle doit dans ce cas être de la même longueur, donc tomber plus ou moins au niveau de la paume de la main de sorte à diviser la silhouette en deux. La chemise peut être ouverte ou boutonnée de quelque-manière que ce soit. Les matières un peu « brutes », les motifs ou les poches sont bienvenus pour renforcer ce rôle de substitution.
On peut également appliquer la technique en mi-saison en remplaçant la chemise simple par une surchemise, sorte d’hybride à mi-chemin entre la chemise et la veste.
4) Se fournir en maille
Les mailles (pull col rond ou col V, col roulé, cardigan) sont une catégorie de vêtements qu’on retrouve dans absolument tous les vestiaires et qu’on peut aujourd’hui se procurer dans une qualité raisonnable à peu de frais. Elles sont en plus informelles par nature ce qui est particulièrement intéressant dans notre cas.
Les cardigans en maille fine sont très bons pour un style casual classique « pur » mais peut-être moins intéressants à porter pour les étudiants et autres personnes concernées par le sujet : les coupler à un t-shirt ou une chemise sans cravate est assez laid. En revanche comme on l’a vu dans l’article dédié les cardigans en maille épaisse peuvent remplacer une veste.
Autre option : le col roulé qui est à la mode en ce moment et s’intègre dans absolument tout type de tenue. Il constitue le type de maille le plus casual avec le pull col rond porté sans chemise.
Le col rond ou col v porté avec chemise est quant à lui un classique chez les étudiants. Pour faire ressortir l’aspect classique en gommant tout côté preppy ou « fils à papa » vous pouvez la porter avec une veste casual assez brute (bombardier en cuir, veste militaire, etc).
5) Abuser du col rond
Les t-shirts et pulls à col rond ont un gros « pouvoir casualisant », ce qui les rend intéressants pour les jeunes. Le t-shirt blanc en particulier va presque systématiquement sortir par temps chaud.
Leur usage est aussi intéressant pour porter facilement des types de veste qui se rapprochent fortement de la forme des vestes classiques de sorte qu’elles pourraient vite faire « trop habillé » avec une chemise. Je pense notamment aux sahariennes ou aux vestes en veau velours longues.
Il faudra juste éviter le grotesque t-shirt/blazer (entendez une veste en laine portée avec un t-shirt blanc et un jeans/chino façon métrosexuel parisien). Comme je l’ai déjà expliqué dans l’article sur le t-shirt le décalage formel entre les deux pièces est beaucoup trop important pour donner un résultat fluide.
6) Remplacer la chemise par un polo
Pas beaucoup de choses à dire sur le polo : il est une bonne option pour remplacer la chemise. Notez qu’on le choisit manches longues lorsqu’il est porté sous une veste. La question du polo est traitée en détail dans l'article suivant.
7) Porter les bons souliers
Les souliers ne sont pas à première vue un bon investissement dans notre cas : ils peuvent être mal perçus et coûtent un bras (si du moins vous voulez évitez l’aspect plastique). Le problème est un peu le même qu’avec la veste sport marine.
Il y a quand même une exception pour laquelle il est très intéressant d’investir : le derby. C’est vraiment le soulier le plus discret et polyvalent, vous le porterez aujourd’hui et demain, de la tenue la plus formelle à la plus casual.
A côté de ça vous pouvez éventuellement investir dans une paire de bottines, par exemple des desert ou brogue boots. Les mocassins sont moins faciles à porter actuellement mais pourquoi pas, ce n’est en tout cas pas une priorité. Les double-boucles quant à eux nécessitent un style sartorial déjà bien assumé.
8) Porter des sneakers
Porter des sneakers est le meilleur moyen de dire au plouc que vous venez du même monde que lui. C’est un peu comme dire « je t’emmerde » à un étranger dans sa langue natale, il le perçoit toujours comme une agression mais il y a au moins un pas fait vers l’autre, un effort de considération.
A côté de ça ce sont également des chaussures peu coûteuses, confortables et efficaces pour casualiser une tenue. Pas la peine de faire le vieux con en prônant le port exclusif du soulier en cuir, on en a tous besoin un jour (ne serait-ce que pour avoir un support sur lequel vomir).
Il y a deux types de sneakers qu’on retrouve souvent chez les sartorialistes : les minimalistes et les converses. Elle peuvent se porter avec tout type de tenue casual.
Plus rarement on peut aussi voir des Vans ou des GAT. En fait tout type de sneaker sobre à semelle plate peut faire l’affaire, mais autant s’amuser à « détourner » les modèles connus des styles sportswear/streetwear dans lesquels on les retrouve le plus souvent, ce qui apportera déjà assez d’originalité en soi.
Concernant les runnings je trouve que la plupart des modèles sont trop épais pour convenir à un style sartorial, mieux vaut les conserver uniquement pour les occasions qu’y s’y prêtent (longues journées de marche, etc).
9) Moduler le style du pantalon
Le pantalon influence fortement l’allure générale de la tenue. Du plus facile au moins facile à porter on a : le jeans, le chino et le pantalon classique.
Si vous avez peur de trop dénoter vous pouvez toujours moduler le style du pantalon :
- le jeans permettra de porter des hauts et chaussures assez formels facilement (chemise rentrée, veste suédée, souliers, etc) ;
- dans l’idée inverse des sneakers et hauts moins formels (t-shirt, veste en cuir, etc) vont permettre de s’exercer au port du pantalon à pinces taille haute ;
- le chino plat est quant à lui une sorte d’intermédiaire.
10) Utiliser les accessoires propres à certains vestiaires
Les accessoires propres à certains vestiaires peuvent changer l’aspect d’une tenue.
On peut se servir des accessoires du vestiaire classique pour sartorialiser une tenue à grosse tendance workwear ou streetwear.
A l’inverse un type venant du streetwear pourra porter un bonnet voire une casquette pour ne pas s’éloigner trop brusquement de son registre.
Conclusion et exemple de vestiaire-type
On voit bien à travers l’article comment il est possible de passer d’un vestiaire à l’autre pour faciliter le port d’une tenue dans un milieu informel. Il suffira pour celui qui se sent mal à l’aise de « gravir les échelons » petit à petit jusqu’à former des tenues entièrement classiques.
Pour terminer voici un exemple de vestiaire basique à composer dans l’idée de l’article :
Manteau :
- 1 pardessus long à revers cran aigu (bleu marine)
Vestes :
- Bomber G9 (bleu marine)
- Veste militaire M-65 (kaki)
- Veste safari ceinturée (sable)
- Veste Barbour International ceinturée (noir)
- Doudoune sans manches
Mailles :
- 1 cardigan grosse maille (bleu marine)
- 3 cols roulés (marine/crème/beige)
- 3 cols ronds (marine/gris/bordeaux)
Chemises/polos/t-shirts :
- 4 chemises (blanc uni col cutaway, bleu uni/bleu lignée/denim col button-down)
- 2 chemises d’été en lin (bleu uni, olive lignée)
- 1 polo manches courtes (beige)
- 2 polos manches longues (marine, gris)
- 3 t-shirts blancs
Bas :
- 1 jean
- 2 chinos plats (sable, olive)
- 2 pantalons (gurkha beige l’été, flanelle gris l’hiver)
Chaussures :
- 1 paire de brogues chocolat
- 1 paire de chukkas beiges
- 3 paires de sneakers
- 1 paire d'espadrilles pour l'été !
Comme base l’été : on peut porter un polo seul, une chemise en lin avec t-shirt, la saharienne avec un polo, le bomber G-9 avec un t-shirt, faire un layering t-shirt/chemise en lin/M-65, etc.
A la mi-saison : on peut porter le bomber G-9 avec un pull col rond, la M-65 avec un pull col rond et chemise, un cardigan en guise de veste avec un polo, etc.
L’hiver : on va généralement partir sur une base manteau ou veste/col roulé, en alternant entre les différents types de pantalon et les souliers/sneakers (en fonction des envies mais aussi évidemment de la météo). On peut aussi partir sur des layerings plus prononcés avec veste/maille/chemise/cravate.
Bref, c’est surtout pour vous donner une idée de la manière de raisonner mais il n’y a pas vraiment de règles. Souvent on commence la journée avec l’envie de porter une certaine pièce et on articule ensuite la tenue autour.