Tous les secrets des sacs à main de luxe dévoilés, un guide complet

Avant-propos

Tout a commencé par une blague, une de plus à ajouter notre longue liste de méfaits. Un commentateur s’est plaint que le site ne parlait plus que de sujets techniques, alors qu'il voulait des "conseils". Un benêt de plus qui a besoin qu’on lui tienne la main. De temps en temps, vous avez comme ça des ploucs un peu plus débiles que la moyenne (déjà fort basse) qui pensent que nous devrions nous soucier de leur opinion, que nous écrivons pour satisfaire autre chose que notre envie d’amusement. C’est l’internet, rien d’étonnant. Pour nous moquer, nous avions répondu que le prochain article conseillerait justement aux ploucs fragiles dans son genre comment se choisir un sac à main. J'étais même allé jusqu'à commencer la rédaction de l'article en question, pour voir. Et puis, en cours de route, je me suis rendu compte qu'au fond, pourquoi pas. Le site a (paradoxalement) une petite base de lectrices, les articles sur la maroquinerie fonctionnent très bien, alors autant faire quelque chose de complet. 40 pages et plus de 18 000 mots plus tard, vous avez devant vous la blague la plus longue de l'histoire, derrière la carrière du 46ème président des États-Unis. Ça ne va pas faire rire les débiles, mais qu’importe ils adorent nous lire la bave aux lèvres. Bref, messieurs ramenez vos femmes, mesdames attachez vos ceintures, on va bien rigoler.

Introduction

Si nous en croyons nos données Google Analytics, une quantité surprenante de femmes lisent notre babillage. Est-ce que ces dames sont curieuses ? Cherchent-elles à emprunter des éléments au vestiaire masculin, où est-ce que nos lecteurs masculins ne savent pas proprement renseigner leur sexe sur leur compte Google ? Pire, serions-nous essentiellement lus par des invertis? Toujours est-il que nous culpabilisons un peu car nous ne connaissons pas grand-chose à la mode féminine et il nous est par conséquent impossible de façon extensive d’écrire sur le sujet. Nous en profitons pour dire en passant, que si une lectrice est calée sur son sujet et se sent suffisamment langue de pute pour écrire dans nos colonnes, nous sommes preneurs. Nous parlons bien évidemment de mode féminine qui soit classique et classieuse, histoire de rester un peu sur le sujet. Non que nous ayons une dent contre les femmes qui portent le costume, mais c’est un épiphénomène, pratiquement une légende. Un influenceur très célèbre qui se revendique “gentleman” malgré ses problèmes avec la justice habille sa femme de façon à ce qu’elle soit son parfait doppelgänger, poupée de cire poupée de son. Est-ce là une forme particulière d’onanisme ? Toujours est-il que Narcisse avait eu au moins la pudeur de tomber amoureux de son reflet, il n’a pas été jusqu’à faire de sa femme une travestie. Mais je digresse, je disais donc, mesdames, si vous vous sentez l’âme d’une paria et avez la langue d’une poissonnière, nos portes sont ouvertes.

En attendant, nous allons nous charger d’effectuer quelques incursions dans votre domaine. Mais, de loin, et en n’abordant que ce que nous connaissons, soit la maroquinerie et les chaussures. Vous, vous en doutez à la lecture du titre, nous allons aujourd’hui parler de sac à main. Pièce essentielle du vestiaire féminin. Trou noir insondable qui semble défier toutes les lois de la physique en matière de contenant et de contenu pour les hommes. Comme toujours, cet article n’a pas pour vocation de vous dire quoi acheter, mais plutôt de vous expliquer comment sont fabriqués vos sacs, ce qu’ils valent objectivement, ce à quoi vous pouvez vous attendre en échange de votre argent durement gagné ou de celui de votre conjoint. Bien évidemment il sera impossible de ne pas aborder la question du style et de l’image car ce sont des éléments en général déterminants dans l’achat d’un sac. J’ai bien conscience que ces aspects sont vus avec mon œil d’homme rétrograde et sexiste ou je ne sais quoi (blabla, patriarcat toussa toussa) votre avis différera sûrement du mien sur ces aspects et c’est tant mieux. J’espère que cela vous divertira ou dans le cas contraire que je serai au moins parvenu à vous faire perdre votre temps, l’écume aux lèvres voire à vous faire me mentionner auprès de votre thérapeute, assurez vous seulement que ça ne soit pas Gérard Miller, il semblerait que la bien-pensance incarnée ait potentiellement quelques problèmes en ce moment.

Cet article a été pensé pour être plus ou moins autonome par rapport aux autres articles sur la maroquinerie déjà présents sur le blog. Je traite donc d’éléments qui ont parfois déjà été abordés dans nos colonnes et je renvoie aux articles en question pour approfondissement si besoin est.

L'article est long, pour votre santé mentale, lisez-le en plusieurs fois. Si vous appréciez notre travail vous pouvez également nous soutenir en rejoignant notre Patreon ou en partageant cet article sur les réseaux sociaux et avec vos proches.

Quelques définitions, histoire de savoir de quoi nous parlons

Avant de commencer je tiens à préciser que je ne parle dans cet article que du sac à main de “maroquinerie fine”, au sens large, le terme "maroquinerie fine" étant largement vidé de sens. Il existe deux branches dans la maroquinerie, la fine et la rustique (certains parlent de tradition Européenne et de tradition Américaine). Les techniques ne sont pas les mêmes, le degré de complexité et de finition non plus. Je n’ai absolument rien contre la maroquinerie rustique quand elle est bien faite, mais ça n’est tout simplement pas le sujet ici.

Il existe principalement deux grandes traditions de la maroquinerie. La maroquinerie “fine” (à gauche), et la maroquinerie “rustique” (à droite), au sens non péjoratif du terme. Cette maroquinerie utilise beaucoup le repoussage et est par exemple très populaire chez les médiévistes ou aux États-Unis. Nous traitons uniquement de la maroquinerie fine. (Source : 20 minutes / tandy museum)
Il existe principalement deux grandes traditions de la maroquinerie. La maroquinerie “fine” (à gauche), et la maroquinerie “rustique” (à droite), au sens non péjoratif du terme. Cette maroquinerie utilise beaucoup le repoussage et est par exemple très populaire chez les médiévistes ou aux États-Unis. Nous traitons uniquement de la maroquinerie fine. (Source : 20 minutes / tandy museum)

Sac de luxe, sac industriel, sac artisanal... quelles différences?

Tout d’abord j’insiste sur le fait que nous allons avant tout traiter du sac à main “de luxe”, ce qui nous amène naturellement à la question suivante qu’est-ce qu’un sac de luxe ? Ou commence le sac de luxe ou termine le sac de bougresse (ou de plouqette), est-ce qu’il existe encore vraiment des sacs de luxe dans notre époque industrialisée à outrance ? Car c’est bien là le problème, est en général considéré comme luxueux ce qui est rare. Or avec l’avènement du luxe industriel, plus grand-chose n’est rare car TOUT ce qui est produit par des marques est fabriqué en masse. Nous verrons d’ailleurs que la gestion de la rareté est un critère qui est pris en compte par les marques, qui doivent mettre en place des stratégies totalement artificielles pour limiter la prolifération de leurs produits. J’ai volontairement choisi de parler de sac de luxe plutôt que de sac de “mode” ou de “designer” même si la différence est essentiellement sémantique. Car d’une part je ne suis pas un moddeux, et d’autre part le sac de mode n’obéit à aucune règle tangible. N’importe quel sac peut devenir tendance pour peu qu’une Karadachiante s’affiche avec. La mode ne procède pas d’une recherche qualitative, ce qui est au contraire l’essence de ce blog. À l’heure où le mot “luxe” est très galvaudé j’ai fait le choix de m’en tenir à une définition assez traditionnelle à savoir un produit qui soit exécuté selon les règles de l’art, qui soit composé de matériaux nobles, c’est donc face à ce standard que les sacs de designers seront jugés. J’ai bien conscience que cet article soit à contre-courant de ce qu’est le marché de la mode et du sac à main en général, mais c’est justement là tout son intérêt. D’autant plus que l’on parle de plus en plus du sac à main comme d’un investissement ou comme placement financier, ce qui est une nouveauté.

Par ailleurs, on peut diviser le marché du sac à main femme en 4 grandes catégories à savoir le sac industriel, le sac industriel dit de luxe, le sac semi-industriel (en réalité Hermès) et enfin le sac artisanal. Contrairement à ce qui est avancé par beaucoup de marques d’entrée de gamme ou de start-ups (Léon Flan ; Fourrès etc etc) ça n’est pas la taille d’une entreprise qui détermine son degré d’industrialisation mais les processus de fabrication qui sont utilisés. C’est assez simple à comprendre, et pourtant tout un travail de distorsion de la vérité est mené par de nombreuses entreprises qui veulent pouvoir prétendre faire de l’artisanat quand en réalité elles font du mauvais travail à la chaîne. Pour faire simple une personne qui travaille avec 50 machines fait de l’industriel, alors que 50 personnes qui travaillent à la main avec éventuellement une machine font de l’artisanat. C’est une façon assez synthétique de voir les choses, et donc au final assez simpliste, mais c’est la meilleure façon d’expliquer l’une des plus grosses arnaques de notre siècle, à savoir l’usurpation, pour ne pas dire le viol en masse organisé et répété de l’appellation artisanat par des industriels avides de shekels.

Maintenant que vous avez ces bases en tête, nous allons passer à l’étape suivante, à savoir qu’est-ce qui différencie le sac industriel, du sac industriel dit de luxe ?

Et bien pas grand-chose à vrai dire. Essentiellement, le prix. En fait on peut résumer les différences à 3 grands concepts, tout d’abord “l’expérience client” (les belles boutiques, le packaging poussé et créatif, le service après-vente…), ensuite la communication (les shows/défilés, la publicité, les influenceurs et célébrités à sponsoriser) et enfin, le plus important pour beaucoup : la marque (reconnaissance sociale et montrer que vous avez de la maille). Vous noterez que la qualité de fabrication n’est pas un critère de distinction déterminant dans l’industriel, car il n’existe pas véritablement de différence flagrante de ce point de vue entre un sac industriel Jacquanus à 700€ et un sac Balenciaga à 3000€. Du moins, pour ce qui concerne la production destinée aux pécores lambda. Les commandes spéciales des très grandes marques (LVMH/Hermès) peuvent parfois être réalisées dans des conditions (un peu) différentes, mais très honnêtement, cette production est minoritaire nous ne nous attarderons donc pas dessus. Donc au risque de vous surprendre, il est tout à fait possible de sortir un sac identique qualitativement parlant à ce que font Chanel ou Dior, pour le tiers du prix, c’est même ce que font pas mal de “nouvelles” marques en private label comme Polène etc. Est-ce que c’est bien ? Non, c’est toujours globalement pas terrible mais au moins le prix n’est pas (encore) abusé. Vous pouvez être certain qu’au fur et à mesure que ces “nouvelles” marques gagnent en popularité les prix vont augmenter. Attention toutefois, je ne parle ici que des marques qui sont aux alentours des 600/700€. En dessous de ce prix vous avez de nombreuses marques qui existent mais sont en général très en dessous en savoir-faire industriel et en qualité de fabrication. Toutes les marques qui disent faire “l’upcyclée gnagnan” qui disent fabriquer “100 % main en France” (les No(bo)dies et compagnie) et sortent un produit à 300€ font en général des produits nazes et qui n’ont pas vraiment d’intérêt en dehors d’être fonctionnels. Ces sont les Dacia du monde de la maroquinerie. Ça plaît à certains, c’est fonctionnel, mais ça n’a jamais fait briller en société.

Un sac Delvaux (à gauche) un sac Polène à droite. Foncièrement, il n’y a pas de différence majeure du point de vue de la qualité de fabrication entre les deux marques, pourtant le prix n’a rien à voir. Bien évidemment, les budgets marketing sont différents, la présence en boutique, le service etc etc. Mais tout de même, est-ce que cela suffit à expliquer un prix multiplié par 18!!
Un sac Delvaux (à gauche) un sac Polène à droite. Foncièrement, il n’y a pas de différence majeure du point de vue de la qualité de fabrication entre les deux marques, pourtant le prix n’a rien à voir. Bien évidemment, les budgets marketing sont différents, la présence en boutique, le service etc etc. Mais tout de même, est-ce que cela suffit à expliquer un prix multiplié par 18!!

Vous noterez également qu’en fonction de ces critères, certaines marques pourtant perçues comme luxueuses dans l’imaginaire collectif sont en réalité assez banales. Longchamp, par exemple c’est typiquement le sac qui est perçu comme luxueux par la lycéenne vaguement bourgeoise qui cherche à affirmer son statut avec prétention, mais qui passé 25 ans devient une marque lambda. Sauf peut-être si vous venez de l’étranger et que votre image mentale de la France c’est Amélie Poulain. Lancel tombe aussi dans cette catégorie, Yves Saint Laurent s’en approche très dangereusement, bref vous avez compris l’idée. Ça n’est pas parce qu’une marque se dit “luxueuse” qu’elle l’est vraiment, loin de là, nombre de marques sur Instagram s’auto-qualifient de luxueuses de façon totalement injustifiée. C’est une posture, de la comm. À la rigueur on pourrait qualifier certaines de ces marques de “premium”. Cette nouvelle catégorie qui fait son apparition un peu partout pour répondre à la lente mais certaine partition de la classe moyenne en classe moyenne populaire d’un côté et classe moyenne pas encore trop laborieuse de l’autre. Le premium ça n’est pas le luxe, où plutôt c’est le luxe des personnes sans imagination et sans moyens. Dans le monde du sac à main les marques “premium” sont en général d’anciennes marques de luxe qui ont diluées leur image pour vendre au plus grand nombre ou des private labels qui viennent de se lancer et cherchent une clientèle.

Maintenant, comment distinguer entre un sac industriel de luxe, et un sac artisanal ? Cette fois le prix n’est pas véritablement un facteur, car il tend à être similaire, ce qui est surprenant quand on considère que l’un est fabriqué intégralement à la main par (en général) une personne, et l’autre intégralement à la machine par plusieurs, c’est dire si les marges ne sont pas les mêmes. Toujours est-il que c’est surtout du côté de la qualité de fabrication que la différence se joue, et éventuellement de la personnalisation. Le service client et le marketing sont aussi des différenciateurs, puisque les artisans sont à un désavantage évident dans ce domaine dans la mesure où ils n’ont pas de département marketing pouvant inonder le monde et dicter ce qu’est LEUR image du luxe, et par conséquent, ce qui DOIT être la vôtre. L’artisanat c’est avant tout une personne qui assure la fabrication, parfois, seule, parfois en coopération avec d’autres, mais qui dans tous les cas met sa peau sur la table. Paradoxalement, c’est aussi le “véritable” luxe, comprendre par là celui des détenteurs du pouvoir réel amateurs de discrétion, pas des poseurs qui étalent leur existence dans les médias et les réseaux.

La plus grosse différence entre les industriels du luxe et les artisans réside dans l'attention aux détails... une notion vague chez beaucoup de marques comme l'illustre ce sac Prada. Fun fact, il s'agit du sac qui a été sélectionné pour le packshot... (Source: Prada)
La plus grosse différence entre les industriels du luxe et les artisans réside dans l'attention aux détails... une notion vague chez beaucoup de marques comme l'illustre ce sac Prada. Fun fact, il s'agit du sac qui a été sélectionné pour le packshot... (Source: Prada)

Qu’en est-il du sac semi-industriel ? C’est une solution intermédiaire qui se rencontre globalement assez peu dans le cadre du sac à main. Il s’agit d’un mélange de processus industriels et de fabrication traditionnelle à la main. C’est plus ou moins ce que peut faire Hermès, et encore cela va dépendre des sacs, toute la gamme n’est pas du tout sur un pied d’égalité. En réalité, c’est une façon de faire que l’on retrouve essentiellement dans les ateliers des industriels du luxe réservés aux commandes spéciales. Ces dernières sont, en général, réalisées en dehors des chaines d’assemblage propres au reste de la fabrication. Il s’agirait de ne pas se mettre à dos les célébrités qui passent commandes. On trouve également certains artisans qui font le choix du semi-industriel afin de pouvoir proposer des tarifs plus bas que s’ils travaillaient exclusivement à la main et donc d’être accessible à un plus grand nombre de clients.

Les sirènes du marketing

Lorsque vous êtes à la recherche d’un sac à main, qui plus est un peu “luxueux” et donc cher il est facile de se faire berner par les sirènes du marketing, qui vous mangeront sans hésitation. Dès lors il s’agit, tel Ulysse attaché au mat de son navire, de leur résister. Ou tout du moins de ne pas être dupe malgré la beauté de leurs fables. Car toutes les marques industrielles, de luxe ou non, racontent en général n’importe quoi.

Parfois certaines marques font l’effort louable de montrer les coulisses de manière vaguement transparente. Par exemple Camille Fournet dispose d’une page interactive sur leur site internet, qui montre pratiquement étape par étape la fabrication d’un de leur sac. Cette page montre clairement que leur production de sac est tout ce qu’il y a de plus industriel, le fait qu’ils appellent leurs ouvriers des “artisans” n’y changent rien. C’est d’ailleurs pour cela que je dis “vaguement transparente” car le montage est forcément avantageux, il ne montre pas tout, et les légendes sont parfois franchement en décalage avec ce qui est présenté en image. Comme c’est l’exemple dans l’illustration suivante :

Dire que l’outil de refente est réglé “savamment” alors qu’il s’agit de tourner une roue pour afficher les bons chiffres est révélateur. Quand les plus basiques des tâches sont élevées au rang de science “savante”, vous savez qu’il y a arnaque quelque part. C’est comme appeler un caissière, une “hôtesse de caisse”, ou un éboueur un “agent de maintenance”, ça n’est pas parce que l’adjectif est plus flatteur qu’il change la teneur du travail effectué (Source: camillefournet)
Dire que l’outil de refente est réglé “savamment” alors qu’il s’agit de tourner une roue pour afficher les bons chiffres est révélateur. Quand les plus basiques des tâches sont élevées au rang de science “savante”, vous savez qu’il y a arnaque quelque part. C’est comme appeler un caissière, une “hôtesse de caisse”, ou un éboueur un “agent de maintenance”, ça n’est pas parce que l’adjectif est plus flatteur qu’il change la teneur du travail effectué (Source: camillefournet)
Autre exemple que je trouve encore plus amusant dans cette image il est dit que de la colle à base aqueuse est utilisée car non toxique pour “nous, les artisans”. Sauf, que dans la vidéo, cette étape est 100 % automatisée, c’est un robot qui fait l’encollage. Qu’en déduire, sinon que c’est le robot, l’artisan. C’est le genre d’image totalement révélatrice qui est amusante car elle illustre parfaitement la déconnexion totale entre les marques de luxe et l’artisanat. Pour eux, tout peut devenir artisanat du moment que les marges sont juteuses. (Source: camillefournet)
Autre exemple que je trouve encore plus amusant dans cette image il est dit que de la colle à base aqueuse est utilisée car non toxique pour “nous, les artisans”. Sauf, que dans la vidéo, cette étape est 100 % automatisée, c’est un robot qui fait l’encollage. Qu’en déduire, sinon que c’est le robot, l’artisan. C’est le genre d’image totalement révélatrice qui est amusante car elle illustre parfaitement la déconnexion totale entre les marques de luxe et l’artisanat. Pour eux, tout peut devenir artisanat du moment que les marges sont juteuses. (Source: camillefournet)

Bref, utilisez votre jugement (si vous en avez), ça n’est pas parce qu’on vous montre une photo de Staline avec comme légende “le gros Roudoudou Bienveillant” qu’il cesse de devenir un taré génocidaire. Ça n’est pas parce qu’on vous montre une main actionner des machines avec comme légende “nos artisans ont du talent” que cela cesse d’être de l’industriel.

J’ai déjà longuement abordé cette question du marketing dans l’article état des lieux de la maroquinerie, je ne vais donc pas m’y attarder outre mesure. Néanmoins, les fables, mythes et mensonges qui circulent sur internet et dans l’imaginaire collectif ont la vie dure et il n’est pas mauvais de faire un rappel. Le marché de la maroquinerie brasse beaucoup d’argent. À titre de rappel, le chiffre d’affaires de la maroquinerie en France pour 2022 était de 4,9 milliards d’euros. Je rappelle également que 88 % de ce chiffre est réalisé par seulement 40 entreprises de plus de 200 salariés. Autrement dit, les gros bonnets du milieu que sont LVMH et compagnie. Au risque de vous choquer mesdames, cette réussite n’est pas due au marché national, les Françaises achètent des sacs plutôt cheapos dans l’ensemble. C’est à l’exportation que beaucoup d’argent est brassé puisque la maroquinerie Française a exporté pour 12 milliards d’euros de produits en 2022. Merci la Chine. Devant de tels enjeux économiques il est important pour les marques de ne pas négliger leur image.

Rappelons aussi la base, aucun des sacs des marques de “luxe” traditionnelles (en groupe ou non) ne sont fabriqués à la main. L’essentiel du marché de la maroquinerie est composé par des marques industrielles, qu’il s’agisse de Chanel, Balenciaga, Dior, Cartier, Céline, Polène, Vuitton…. En dehors d’Hermès qui par certain aspect (et par certains aspects seulement, j’insiste là-dessus) fait un peu cavalier seul, virtuellement tous les acteurs utilisent des processus industriels. Ce qui ne les empêchent pas de prétendre le contraire à travers leur communication. Elles emploient des techniques volontairement trompeuses pour vous faire croire que la fabrication est artisanale alors que ça n’est bien évidemment pas le cas, tout est calibré et tout est mécanisé. J’avais déjà utilisé cette vidéo de Chanel pour illustrer à quel point les marques mentent à leur clientèle et ou tout n’est plus ou moins que mise en scène.

Je trouve hilarant que Chanel mette bien en avant le mot “savoir-faire” quand en arrière-plan vous avez une machine CNC (contrôlée par ordinateur donc, même pas par un humain) qui s’occupe de faire le quilting  (matelassage si vous préférez) si cher à la marque. (Source: chanel)
Je trouve hilarant que Chanel mette bien en avant le mot “savoir-faire” quand en arrière-plan vous avez une machine CNC (contrôlée par ordinateur donc, même pas par un humain) qui s’occupe de faire le quilting (matelassage si vous préférez) si cher à la marque. (Source: chanel)

Mais Chanel n’est pas la seule marque à être coupable de ce genre de petit arrangement avec la réalité. Prenez Colombo par exemple, une marque Italienne spécialisée dans les sacs en peaux exotiques. C’est exactement le même principe, mais qui parodie un peu plus l’artisanat. Dans cette vidéo vous avez le sempiternel ouvrier à gant blanc qui “fabrique seul” un sac. Sauf que lors du montage de très nombreuses étapes sont sautées, vous ne voyez en réalité pas un tiers du processus de fabrication. La vidéo donne d’ailleurs l’étrange impression que le sac se fabrique tout seul tant il est montré à des stades de fabrications très différents. La raison derrière cela est bien simple, la marque n’a pas envie de montrer le travail qui est effectué, car il est réalisé à la machine. Concrètement, vous ne voyez que ce que l’on veut bien vous montrer. Et si vous faites vraiment attention, l’ouvrier ne fait pas grand-chose sinon couper, et tenir du cuir entre ses doigts…

Vous ne verrez jamais les usines gigantesques bondées de piqueuses, vous ne verrez jamais l’intégralité des machines qui sont utilisées, vous verrez encore moins les sous-traitants. Sauf à aller chercher dans la presse… et encore… Car bien évidemment, les marques ne sont pas les seules à travailler dans le sens du mensonge elles payent aussi des influenceurs pour cela. Et puis elles reçoivent aussi le concours des médias. La presse “du luxe” travaille bien évidemment main dans la main avec l’industrie du luxe. C’est un système qui fonctionne en symbiose et qui n’a aucun intérêt à ce que la réalité ne soit révélée. Donc quand vous lisez la presse du milieu, elle aborde toujours ce qui plait, jamais ce qui dérange.

Un article du New York Times qui sous-entend qu’Hermès est resté loyal à la façon de fonctionner des guildes du Moyen Age. L’image Américaine du Moyen Age c’est une fois l’an dans des foires médiévales pleines de cosplayers avec des armures en mousse et des épées en plastique, et ça se voit. Ils n’ont absolument aucune idée de ce dont ils parlent. Le monde moderne de la maroquinerie est autant éloigné des guildes du Moyen Age que Joe Bidon l’est de son cerveau. (Source : NYT)
Un article du New York Times qui sous-entend qu’Hermès est resté loyal à la façon de fonctionner des guildes du Moyen Age. L’image Américaine du Moyen Age c’est une fois l’an dans des foires médiévales pleines de cosplayers avec des armures en mousse et des épées en plastique, et ça se voit. Ils n’ont absolument aucune idée de ce dont ils parlent. Le monde moderne de la maroquinerie est autant éloigné des guildes du Moyen Age que Joe Bidon l’est de son cerveau. (Source : NYT)
Hermès dans les années 40 c’était ça. (Source: draeger)
Hermès dans les années 40 c’était ça. (Source: draeger)
L’usine d’Hermès à Guyenne de nos jours. Je peux vous assurer que ces gens ne travaillent pas de la même façon que les ouvriers de la photo précédente malgré tout ce que peut raconter la marque. (Source lefigaro)
L’usine d’Hermès à Guyenne de nos jours. Je peux vous assurer que ces gens ne travaillent pas de la même façon que les ouvriers de la photo précédente malgré tout ce que peut raconter la marque. (Source lefigaro)

Il en va bien évidemment de même avec les influenceurs, qui ne répandent que les opinions pour lesquelles ils sont payés. Un influenceur n’a pas de sens critique, il n’a qu’un compte en banque. Le seul endroit où vous pouvez trouver des informations qui sont contradictoires sont les cercles d’initiés qui vous sont par définition fermés (autrement dit faire partie du milieu), et la presse généraliste ou “d’investigation” qui malgré toutes ses lacunes cherche de temps en temps à aller chercher des histoires intéressantes… Encore faut-il qu’elle le puisse. Car dans les groupes du luxe, ce qui est important c’est la notion de groupe, vous êtes-vous jamais demandé pourquoi certaines marques dans ces groupes ne réalisent jamais de bénéfices ? Pourquoi ces groupes investissent dans des domaines parfois très éloignés de leurs compétences ? LVMH possède le Parisien et les Échos, François Pinault (Gucci, Yves Saint Laurent, Balenciaga via Kering) détient via sa holding Artémis Le Point. Je ne suis bien évidemment pas en train de dire que ces gens dictent mot à mot ce qui sort dans leurs journaux. Mais tout de même, je vous invite à avoir la curiosité d’aller voir combien d’articles du Parisien ou des Échos émettent la moindre critique, même à voix basse envers Louis Vuitton….

Si jamais vous avez la flemme d’aller voir par vous-même… voici le ton des articles que vous pouvez trouver sur Louis Vuitton sur le Parisien. Ça parle de savoir-faire ancestral (qui n’existe pas), de la méchante contrefaçon, des voleurs de magasins ou d’entrepôts, des défilés de mode et de directeurs artistiques “géniaux”. Ça n’est guère différent chez les Échos.

Petit florilège des articles du Parisien sur Vuitton, je ne doute pas une seule seconde de la qualité de travail journalistique ni de l’indépendance absolue de la rédaction. (Source : leparisien)
Petit florilège des articles du Parisien sur Vuitton, je ne doute pas une seule seconde de la qualité de travail journalistique ni de l’indépendance absolue de la rédaction. (Source : leparisien)
Petit florilège des articles sur LVMH/Vuitton dans les Echos. La brosse à reluire fonctionne pas mal. Pourquoi n’y a-t-il pas d’article sur les fondations d’art du propriétaire ou sur sa pratique habile de l’optimisation fiscale ? C’est de l’économie non ? (Source : lesechos)
Petit florilège des articles sur LVMH/Vuitton dans les Echos. La brosse à reluire fonctionne pas mal. Pourquoi n’y a-t-il pas d’article sur les fondations d’art du propriétaire ou sur sa pratique habile de l’optimisation fiscale ? C’est de l’économie non ? (Source : lesechos)
Bonus : assez peu critique envers LVMH (voire pas du tout) les Echos se payent en revanche le concurrent Kering. (Source : lesechos)
Bonus : assez peu critique envers LVMH (voire pas du tout) les Echos se payent en revanche le concurrent Kering. (Source : lesechos)

La qualité de fabrication, ça n’est pas parce que vous ne le voyez pas que ça n’existe pas.

Avant de commencer à détailler ce point je tiens à préciser que les marques ont des gammes vastes, et que tous les produits ne sont pas fabriqués selon les mêmes standards. Ils ne sont même pas tous fabriqués aux mêmes endroits. Il y a des sacs “ambassadeurs” qui tiennent le rôle d’icônes et dont le but est de faire rayonner la marque (au hasard, à l’heure actuelle le Birkin et le Kelly de chez Hermès), mais il y a aussi des produits à très forte marge (au hasard, la ligne petit H d’Hermès). En règle générale les produits iconiques peuvent bénéficier d’un traitement de faveur et être mieux fabriqués que les produits qui sont destinés à une plus grande diffusion. Mais il y a bien évidemment des exceptions, toutes les marques ne fonctionnent pas de la même façon. Il faut donc s’abstenir de juger une marque sur un seul de ses produits, et privilégier une vue d’ensemble.

Un sac ambassadeur à gauche (le steamer de Vuitton), un sac à très forte marge (le onthego de Vuitton). Seulement 2000€ (plus ou moins) séparent les deux modèles, pourtant l’un rapporte beaucoup plus au fabricant que l’autre. Le steamer a quelques passages mains, l’onthego, n’en a pas). (Source : LVMH)
Un sac ambassadeur à gauche (le steamer de Vuitton), un sac à très forte marge (le onthego de Vuitton). Seulement 2000€ (plus ou moins) séparent les deux modèles, pourtant l’un rapporte beaucoup plus au fabricant que l’autre. Le steamer a quelques passages mains, l’onthego, n’en a pas). (Source : LVMH)

Il se trouve que l’un des éléments sur lequel les marques mentent le plus est la qualité de fabrication, car c’est précisément l’un des aspects les plus honteux de leur production. Ça et les conditions de travail des salariés, mais ces derniers sont défendus par des syndicats… alors que la qualité de fabrication, bizarrement il n’y a personne pour la défendre. Le monde de la maroquinerie a considéré que l’industrie avait fait son œuvre et qu’il n’y avait pas d’autre façon valable de produire. Ils auraient tort d’y renoncer, puisque l’industrialisation leur permet de faire exploser les marges. Alors qu’à la base, le travail du sellier maroquinier est avant tout manuel. Je ne suis pas en train de dire qu’il faille lutter contre la technologie, que certaines étapes ne gagnent pas à être mécanisées ou automatisées… Mais cela ne veut pas dire qu’il soit pour autant nécessaire d’absolument tout sacrifier sur l’hôtel du progrès. Notamment quand on sait que la qualité de fabrication est en chute libre, et que même la clientèle commence à le remarquer.

J’ai déjà détaillé dans les précédents articles comment au sortir de la seconde guerre mondiale l’artisanat de luxe s’est petit à petit transformé en industrie du luxe. Aujourd’hui cette transition est terminée et toutes les marques se satisfont parfaitement d’utiliser des méthodes qui sont intégralement mécanisées. Ce que j’essaye d’expliquer par-là, c’est que dans les années 70 ou encore 80, toute la production n’était pas encore totalement industrielle partout. Certaines marques fonctionnaient encore de façon plus ou moins hybride. Un peu à la façon d’Hermès aujourd’hui. Aujourd’hui, ça n’est plus le cas. Hermès fait figure d’exception, et a maintenu, pour certains produits seulement, une façon de faire qui emprunte encore des techniques utilisées en artisanat. Notamment le cousu sellier, mais pas que.

Qu’est-ce que le cousu sellier ?

Le cousu sellier également appelé point sellier est une technique de couture réalisée à la main. Originellement assez régulièrement utilisé en maroquinerie “industrielle” il est aujourd’hui surtout utilisé par les artisans selliers-maroquiniers. Le point sellier n'est pas choisi par les artisans par hasard ou par caprice, il existe une raison derrière son utilisation en maroquinerie. Cette raison est simple : la solidité. Il s’agit d’une couture virtuellement indestructible. Et pour cause, le cousu sellier est comme son nom l’indique issu de l’univers de la sellerie où il est utilisé pour réaliser des pièces d’attelage pour le travail des chevaux. Comme vous pouvez l’imaginer ces pièces sont soumises à des contraintes particulièrement importantes. La sellerie-maroquinerie est la transposition en maroquinerie des techniques de fabrication de la sellerie, sur les sacs on devrait normalement trouver le point sellier à minima sur toutes les parties dites d’usure (poignées, lanières...) ou toutes les parties qui sont exposées à des forces importantes. C’est malheureusement de moins en moins le cas, car le point sellier est obligatoirement réalisé à la main, il n’existe pas de machine à coudre qui puisse effectuer ce type de couture. Il est réalisé avec un fil et deux aiguilles. Le fil passe donc alternativement du dessus au dessous pour se croiser, ce qui forme un point d’arrêt (un nœud si vous vous préférez) à chaque point de couture. Si un point “casse” car il est usé par des frottements, ou coupé, il n’entraine pas avec lui le reste de la couture… au contraire de la piqure machine. La piqure machine est effectuée avec deux fils, où le fil du dessus retient le fil du dessous. Comme un fil tient l’autre, si le moindre point casse, il suffit de tirer dessus et toute la couture se défait. C’est exactement le même problème lorsque vous tirez sur un fil qui a sauté dans la couture d’un vêtement, l’intégralité de la couture va venir avec.
L’inconvénient du cousu sellier c’est qu’il coûte très cher à réaliser. Car c’est une technique longue à apprendre, difficile à maitriser et lente à réaliser. Alors qu’une piqure machine est rapide à apprendre, (certaines formations professionnelles vous l’apprennent en 9h alors qu’il faut des jours voire des semaines pour maitriser le point sellier) et surtout elle est rapide à effectuer puisqu’elle ne demande que quelques secondes ou quelques minutes de temps de travail. À contrario réaliser un sac à main intégralement au point sellier demande plusieurs heures, pour ne pas dire plusieurs jours. Vous comprenez donc que les industriels du luxe dont le combat principal est l’augmentation de leur capacité de production font le choix de compromettre la durabilité de leurs produits au profit de la rapidité. Pour faire simple, plus ils vont vite, plus ils peuvent vendre cher des sacs de merde, plus ils feront de profit.

Illustration 11 exemple de point sellier. (Source : Sartorialisme)
Illustration 11 exemple de point sellier. (Source : Sartorialisme)

Le piquage machine bâclé des industriels

Il n’est pas rare de voir divers problèmes liés au piquage sur les sacs industriels. Pire, c’est en réalité assez commun. Parfois c’est déjà le cas sur des sacs neufs qui n’ont même pas encore quitté la boutique. Bien souvent ce sont des problèmes liés aux cadences élevées qui sont pratiquées dans les usines de maroquinerie (grand groupe de luxe, comme sous-traitant). Il arrive donc que les ouvrières piqueuses, qui je le rappelle sont à leur machine à coudre toute la journée, fassent des erreurs ou manquent de conscience professionnelle. Elles peuvent sauter des points, bien souvent certaines coutures ne sont pas droites, parfois elles ne terminent pas leurs coutures correctement, parfois les bons processus ne sont pas implémentés par l’usine. Par exemple, une fois qu’une couture est terminée elles devraient couper le fil, et dans la mesure où elles travaillent majoritairement avec du fil de polyester, elles devraient ensuite bruler “la queue” du fil qui dépasse de la couture. Lorsqu’elles travaillent avec du fil de lin (c’est le cas chez Hermès mais sinon c’est assez rare), ce dernier devrait être repoussé dans la couture et maintenu par un point de colle. Beaucoup d’usines ne prennent pas le temps de faire cela.

Fils qui n’ont pas été coupés/brulés par l’ouvrière une fois sa couture terminée sur un sac Vuitton (à gauche) et Chanel (à droite)
Fils qui n’ont pas été coupés/brulés par l’ouvrière une fois sa couture terminée sur un sac Vuitton (à gauche) et Chanel (à droite)

Globalement il y a un désintérêt assez marqué des industriels dans la question de la solidité de leurs coutures (et de leur produit), ce qui conduit à un certain nombre de problèmes, qui sont ensuite la source de retours. Mais les marques s’y retrouvent car les coûts engendrés par les retours sont moins importants que ceux qui seraient engendrés par la mise en place du cousu sellier ou par un contrôle qualité plus strict. À ce sujet je vais vous raconter une anecdote qui m’a été confié par un ancien employé de SIS, un sous-traitant de Louis Vuitton. Je tiens à préciser que je me contente de rapporter ce qui m’a été dit, je ne suis donc pas en mesure de confirmer la véracité ou non du propos. Toujours est-il que SIS dispose de plusieurs usines, certaines sont en France, mais le groupe est également présent en Asie et à Madagascar. Dans le cadre de la fabrication en sous-traitance du sac Speedy de Louis Vuitton SIS réaliserait le gros du travail dans son usine Française, et enverrait les sacs à Madagascar pour effectuer l’enchappage de la poignée et feraient ensuite renvoyer les sacs en France. L’enchappage ne présente pas de difficulté particulière, si ce n’est qu’il y a quelques pauvres petits points qui sont effectués en cousu sellier. En réalité, la véritable difficulté, c’est que cette partie du sac ne peut pas passer dans la machine… d’où la nécessité de faire la petite dizaine de points à la main. Visiblement, il est plus rentable de faire embraquer des sacs en conteneur, de leur payer une petite croisière aller-retour à Madagsacar pour que les employés locaux se chargent de cette étape, plutôt que de former le personnel Français à réaliser quelques points de couture sellier. On en est là aujourd’hui. Je vais revenir sur ce point plus tard, car cela soulève aussi une question sur l’hypocrisie massive des marques (et des clientes) en matière “d’écologie”.

L’enchape est cette pièce de cuir à la base des poignées (cercle rouge). La couture de cette enchape est réalisée à la main car la pièce ne peut pas passer dans une machine à coudre. (Source : LVMH)
L’enchape est cette pièce de cuir à la base des poignées (cercle rouge). La couture de cette enchape est réalisée à la main car la pièce ne peut pas passer dans une machine à coudre. (Source : LVMH)
Puisqu’on en est au piquage machine chez Vuitton, voilà un belle exemple de couture qui n’est pas rectiligne. Une preuve de l’excellent savoir-faire ancestral de la maroquinerie Française. (Source : Sartorialisme)
Puisqu’on en est au piquage machine chez Vuitton, voilà un belle exemple de couture qui n’est pas rectiligne. Une preuve de l’excellent savoir-faire ancestral de la maroquinerie Française. (Source : Sartorialisme)
Petit florilège de coutures nazes sur des sacs Dior, Chanel, Vuitton. Toutes les marques industrielles sont concernées, ne croyez pas que ça soit mieux ailleurs. (Source : Sartorialisme)
Petit florilège de coutures nazes sur des sacs Dior, Chanel, Vuitton. Toutes les marques industrielles sont concernées, ne croyez pas que ça soit mieux ailleurs. (Source : Sartorialisme)

Comment reconnaître un point sellier ?

Je vais commencer par dire que vous n’avez pas vraiment besoin d’être capable différencier un piquage machine d’une couture point sellier. Car en dehors d’Hermès, et de Vuitton (sur une toute petite partie du steamer bag), très peu de marques utilisent le point sellier de façon répandue. Personne dans le département marketing de ces marques n’est capable de faire la différence. Beaucoup de marques ne l’utilisent pas du tout en ce qui concerne les sacs, en dehors d’un point doublé ici où là, et encore. Mais comme toutes les marques aiment à faire croire que leurs coutures sont effectuées à la main (comme vous pouvez le voir ci-dessous), je vais vous donner l’astuce qui permet de faire la différence entre une piqûre machine et un point sellier noué. Car il existe plusieurs variantes du point sellier, mais je ne vais pas rentrer dans les détails. Celui qu’on rencontre le plus est le point sellier noué.

Simagrée chez Camille Fournet. Voilà le genre de mises en scène totalement mensongères qui sont réalisées par les grandes marques du soi-disant “luxe”. On vous montre TOUT pour vous faire croire que les coutures sont effectuées à la main, on vous met même négligemment dans un coin une alêne aux pinces (l’outil entouré en rouge) qui sert à la réalisation d’une couture main. Sauf que TOUTES les coutures que vous voyez dans cette photo sont réalisées à la machine. Le seul point qui n’est pas réalisé à la machine est le point à cheval (entouré en bleu, si, si, cherchez bien). Autrement dit, vous avez deux points réalisés à la main sur toute la photo…. Vous parlez d’un “savoir-faire” transmis de génération en génération. (Source: camillefournet)
Simagrée chez Camille Fournet. Voilà le genre de mises en scène totalement mensongères qui sont réalisées par les grandes marques du soi-disant “luxe”. On vous montre TOUT pour vous faire croire que les coutures sont effectuées à la main, on vous met même négligemment dans un coin une alêne aux pinces (l’outil entouré en rouge) qui sert à la réalisation d’une couture main. Sauf que TOUTES les coutures que vous voyez dans cette photo sont réalisées à la machine. Le seul point qui n’est pas réalisé à la machine est le point à cheval (entouré en bleu, si, si, cherchez bien). Autrement dit, vous avez deux points réalisés à la main sur toute la photo…. Vous parlez d’un “savoir-faire” transmis de génération en génération. (Source: camillefournet)

En général la piqure machine est réalisée avec une aiguille ronde, ce qui produit une couture droite. Parfois, les machines à coudre sont équipées d’une aiguille losangique, ce qui produit une couture avec un angle, c’est surtout décoratif. Il existe tout de même une raison derrière ce choix, les anguilles rondes sont essentiellement utilisées quand on travaille avec du tissu (sur une doublure par exemple), elles évitent de couper la trame de celui-ci, ce que ferait une aiguille losangique.

Une couture machine droite réalisée avec une aiguille ronde (Source : sailrite)
Une couture machine droite réalisée avec une aiguille ronde (Source : sailrite)
Une couture machine avec angle réalisée avec une anguille losangique. Le fil suit toujours la forme du trou. Comparez avec l’image précédente pour bien voir la façon dont le fil se comporte et comme cela affecte l’angle de la couture (Source sailrite)
Une couture machine avec angle réalisée avec une anguille losangique. Le fil suit toujours la forme du trou. Comparez avec l’image précédente pour bien voir la façon dont le fil se comporte et comme cela affecte l’angle de la couture (Source sailrite)

Le point sellier est assez facile à reconnaître, la couture forme un angle, comme pour une couture machine à aiguille losangique, mais son orientation est différente. Bien évidement l’orientation change selon si l’on est sur la face ou sur l’arrière de la couture.

Comparaison entre une couture main point sellier à gauche et une piqure machine à droite. (Source : Sartorialisme)
Comparaison entre une couture main point sellier à gauche et une piqure machine à droite. (Source : Sartorialisme)

Enfin, à titre d’information j’avais déjà réalisé une illustration qui montre plus ou moins quelle proportion d’un sac Birkin est cousu main

En bleu, la piqure machine, en orange la couture main point sellier.  (Source : Sartorialisme)
En bleu, la piqure machine, en orange la couture main point sellier. (Source : Sartorialisme)

Uniformisation du produit, rapport qualité-prix et perfection industrielle

Nous allons prendre un peu de hauteur et considérer maintenant la qualité de fabrication (ou le manque de) sous un angle passablement philosophique. Ne vous inquiétez pas, ça ne fait pas mal. Avant toute chose il est important de comprendre qu’aucun produit de maroquinerie industrielle ne sera jamais exempt de défaut. Ce que beaucoup de clients ont tendance à prendre pour une “qualité de fabrication” exceptionnelle est en réalité un degré d’uniformisation et d’industrialisation très poussé. Tous les produits sont calibrés, toutes les coupes sont effectuées au laser ou à la presse hydraulique, les pièces déjà parées sont livrées numérotées dans des bacs aux assembleuses, qui mettent le sac en forme et le passent aux piqueuses, qui le donnent ensuite aux ouvrières qui sont chargées de faire les finitions. Sur le principe il n’y a pas de problème à cette division du travail. Ce qui pose un problème c’est que toute cette chaine repose plus ou moins sur le travail de machines. L’humain intervient peu, dans la majorité des cas il n’est là que pour manier la machine. Or la machine est là pour permettre d’augmenter la productivité et de faire baisser les coûts. Notez comme je n’ai pas dit, faire baisser les prix. Car c’est là tout le génie du luxe industriel, c’est de pouvoir fabriquer beaucoup, vite, et à bas coûts. Les économies réalisées par les industriels ne sont pas reportées sur les clientes. Et c’est là que nous arrivons au problème du serpent qui se mord la queue. Puisque les prix pratiqués par les marques de la mode sont astronomiques, les clientes ont des exigences qui sont astronomiques. Parfois elles vont jusqu’à prendre pour défauts des éléments qui n’en sont pas. Leurs attentes sont irréalistes car les prix pratiqués sont irréalistes. Le travail de l’homme est par définition variable, mais LVMH vend de la “perfection”. On est en droit de se demander s’il y a le moindre mérite à faire payer aussi cher des objets qui ne sont pas le résultat d’un savoir-faire humain. Car c’est là que le client est berné. Les artisans travaillent très dur pour obtenir un niveau d’uniformité élevé (c’est ce que l’on appelait à une époque pas si lointaine, le savoir-faire) là où la machine ne travaille pas du tout. Pire, beaucoup des défauts qui existent sur les sacs de designers sont souvent le résultat des (rares) étapes effectuées à la main par leur main d’œuvre… Le client voit d’ailleurs dans ces défauts la preuve que leurs sacs sont fabriqués à la main par une main d’œuvre compétente, c’est au contraire une preuve de son manque de compétence. Car beaucoup des défauts que vous voyez sur les sacs des grands groupes du luxe sont facilement évitables, et sont en général absent de la production artisanale. Je dis en général, car l’artisan travaillant à la main il n’est jamais à l’abri d’une erreur. Certains préfèrent jeter un projet pratiquement complet s’il a un défaut, d’autre le vendent, c’est bien souvent une question d’éthique mais ça peut aussi être une question alimentaire.

un défaut typiquement évitable en artisanat de haut vol, mais terriblement commun dans l’industrie du luxe : une rigole longue et profonde comme un tranchée de Verdun sur la peinture de tranche d’un sac Jacquemus. Et c’est le modèle qui a été choisi pour le packshot, mais pour être honnête c’est comme ça chez toutes les marques. (Source : Jacquemus).
un défaut typiquement évitable en artisanat de haut vol, mais terriblement commun dans l’industrie du luxe : une rigole longue et profonde comme un tranchée de Verdun sur la peinture de tranche d’un sac Jacquemus. Et c’est le modèle qui a été choisi pour le packshot, mais pour être honnête c’est comme ça chez toutes les marques. (Source : Jacquemus).

La main d’œuvre

Je ne vais pas mettre tous les ouvriers de maroquinerie dans le même panier. Comme partout, il y en a des bons, et puis il y en a des mauvais. Le problème c’est que la proportion de mauvais dépasse largement celle des bons, à cause de la forte croissance de la maroquinerie “de luxe” cursus LVMH. J’ai déjà parlé des pratiques de sous-traitance dans les groupes de luxe, j’ai déjà parlé des employés recrutés par Pôle emploi qui sont formés pendant 9 mois avant d’être lâchés sur les lignes de production. La demande en maroquinerie de luxe est telle que la main-d’œuvre ne suit pas. La réalité c’est que la majorité des ouvriers ont une vision parcellaire de leur métier, beaucoup se plaignent de sa répétitivité (dans les grosses usines, vous êtes attaché à un poste et n’effectuez qu’une seule et même étape toute la journée). Beaucoup d’ouvrières s’imaginaient trouver un monde glamour, beaucoup en reconversion pensaient trouver un métier manuel qui faisait sens. Au final beaucoup trouvent que le métier est tout autant dénué de sens qu’un bête job de bureau. La vaste majorité des gens qui travaillent dans ces usines ne sont pas des maroquiniers, ils font ce qu’on leur dit de faire et n’ont aucune latitude dans l’exécution de leur travail. Pourquoi est-ce que je vous dis tout ça ? Pour vous faire rentrer dans la tête que le maroquinier expert à gant blanc que LVMH met en avant dans sa communication n’existe pas. Avec le blog je suis assez régulièrement en contact avec des gens qui passent ou sont passés dans les usines des sous-traitants, et beaucoup disent la même chose : ils sont déçus. Forcément, il y a aussi des ouvriers qui, touchés par le syndrome de Stockholm sont contents de leur boulot de misère. Je me promène aussi régulièrement sur les forums, sites, réseaux sociaux dédiés à la maroquinerie et je vois toujours des ouvriers des grandes marques qui ne comprennent tout simplement pas ce qu’ils font. Littéralement. C’est à dire qu’ils font ce qu’on leur dit de faire, et c’est tout. Encore récemment, je suis tombé sur une ouvrière de chez Maison Goyard qui disait que la peinture de tranche Uniters n’était pas supposée être chauffée. Alors que la documentation technique du fabricant dit le contraire, que tous les artisans maroquiniers que je connais font le contraire. Je sais que pour vous en tant que profane ça ne vous dit pas grand-chose, mais pour vous donner un point de comparaison que vous pouvez comprendre, c’est comme si un vendeur de voiture vous disait qu’un cabriolet n’était pas fait pour être conduit cheveux aux vents. Heureusement qu’il existe toujours des gens qui dans ces usines sont curieux, consciencieux, appliqués, heureusement, heureusement que certains font de leur mieux, et que certains en sortent et décident de se lancer dans l’artisanat.

Une discussion comme on en voit souvent sur les réseaux sociaux qui évoquent la maroquinerie. L’intervenant masqué en rouge mentionne que la peinture Uniters se chauffe (ce qui est correct et confirmé par le fabricant). L’intervenant masqué en noir dit que ça n’est pas conseillé. C’est faux. Mais d’où vient le “savoir-faire” de cette personne… (Source : facebook)
Une discussion comme on en voit souvent sur les réseaux sociaux qui évoquent la maroquinerie. L’intervenant masqué en rouge mentionne que la peinture Uniters se chauffe (ce qui est correct et confirmé par le fabricant). L’intervenant masqué en noir dit que ça n’est pas conseillé. C’est faux. Mais d’où vient le “savoir-faire” de cette personne… (Source : facebook)
Oh…. De chez Maison Goyard. L’orthographe est d’origine, je précise. Au passage, si ces grandes marques interdisent à leurs employés de chauffer la peinture de tranche, c’est justement parce que c’est une étape qui demande un peu de savoir-faire.... (Source : facebook)
Oh…. De chez Maison Goyard. L’orthographe est d’origine, je précise. Au passage, si ces grandes marques interdisent à leurs employés de chauffer la peinture de tranche, c’est justement parce que c’est une étape qui demande un peu de savoir-faire.... (Source : facebook)
Puisqu’on en est à parler d’ouvriers (in)compétents, il n’y a pas de raison pour ne pas mettre un taquet à Hermès puisque la marque sacralise parfois un peu trop sa main d’œuvre. Un sac Constance, avec une couture probablement réalisée par un collégien en stage d’entreprise. Les ouvriers d’Hermès considèrent que le Constance est un sac difficile à réaliser car il utilise beaucoup le point sellier. Je sais que les coutures contrastantes sont chiantes à faire et font que les défauts sautent aux yeux, mais là, il y a un peu d’abus. (Source : purseblog)
Puisqu’on en est à parler d’ouvriers (in)compétents, il n’y a pas de raison pour ne pas mettre un taquet à Hermès puisque la marque sacralise parfois un peu trop sa main d’œuvre. Un sac Constance, avec une couture probablement réalisée par un collégien en stage d’entreprise. Les ouvriers d’Hermès considèrent que le Constance est un sac difficile à réaliser car il utilise beaucoup le point sellier. Je sais que les coutures contrastantes sont chiantes à faire et font que les défauts sautent aux yeux, mais là, il y a un peu d’abus. (Source : purseblog)

La qualité des cuirs

Il y a deux façons de traiter de la qualité des cuirs, soit succinctement, soit en profondeur. Contrairement à nos habitudes je vais cette fois n’aborder cet aspect que succinctement. Il y a plusieurs raisons derrière ce choix. Tout d’abord le domaine est vaste et complexe, et il existe déjà beaucoup d’informations à ce sujet sur le blog. Par ailleurs la clientèle des sacs à main n’est en général pas tant préoccupée par la qualité du cuir que par son aspect visuel immaculé. Il y a une nuance majeure et j’espère que vous la saisissez, nous allons y revenir dans un instant.
Depuis que les grands groupes du luxe industriel se sont mis à racheter des tanneries à grand coups de cuillères à pot il existe plus ou moins deux cas de figure. Soit vous achetez un sac chez une marque dont le groupe possède des tanneries (LVMH, Chanel, Hermès...) soit vous achetez un sac chez une marque qui se fournit chez des fournisseurs tiers (tanneries indépendantes, ou revendeurs, qui peuvent dans certains cas appartenir à des grands groupes, tel HCP d’Hermès).
Au final, tout ça n’a que peu d’importance car la vaste majorité des cuirs qui sont utilisés pour la maroquinerie sont “maquillés”. Concrètement ils sont traités avec une couche de peinture, littéralement. Les marques n’aiment pas beaucoup parler de peinture sur leurs cuirs (même si ça en est, au sens littéral du terme) alors elles préfèrent parler de “finition”. Mais c’est un euphémisme destiné à ne pas effaroucher la clientèle. Il y a toujours eu des finitions sur le cuir, mais il faut distinguer entre une finition dite aniline (transparente) et une finition pigmentée (opaque). Il existe une finition intermédiaire que l’on appelle semi-aniline, et qui comme son nom l’indique se situe entre les deux précédentes. Les finitions pigmentées ne sont pas une nouveauté, mais elles gagnent en popularité ces dernières années car elles permettent plusieurs choses. La première, et c’est bien souvent l’objectif recherché par les marques, est de masquer les imperfections. Devant l’explosion des prix des sacs à main de luxe, la clientèle a des attentes irréalistes. Et exige donc des cuirs immaculés. Sauf qu’il existe une quantité finie de cuirs naturellement immaculés, et la demande dépasse l’offre. Dès lors, la solution est de peindre les cuirs pour leur donner un aspect immaculé, au détriment de leur aspect naturel. Autre avantage des finitions pigmentées, le cuir devient imperméable. Pour les marques les avantages sont évidents. Le premier est d’éviter aux clients d’avoir à entretenir le cuir et de réaliser des sacs qui résistent mieux au quotidien (griffures, tâches...). Le second est de pouvoir utiliser des cuirs de qualité visuelle variable et de masquer les potentielles imperfections. Mais il y a plusieurs contreparties à cela. La première est de donner au cuir un aspect uniforme. Plus la couche de peinture est épaisse, moins le cuir a l’air naturel. Cela veut aussi dire que le cuir ne se patine pratiquement pas avec le temps. Au contraire d’un cuir avec une finition aniline (ou semi aniline) qui ne se comporte pas de la même façon.

Comparaison entre les pores d’un cuir en finition aniline, finition semi-aniline et pigmenté. La pigmentation bouche les pores, rendant le cuir imperméable. (Source : colorlock)
Comparaison entre les pores d’un cuir en finition aniline, finition semi-aniline et pigmenté. La pigmentation bouche les pores, rendant le cuir imperméable. (Source : colorlock)

Malgré tout ce que je viens de dire, je ne vois pas de problème avec les cuirs légèrement pigmentés comme il peut en exister chez certaines tanneries, même si ma préférence va vers les couleurs naturelles obtenues par une teinte dans la masse. En réalité le problème n’est pas sur l’utilisation des pigments, tant que celle-ci est raisonnée tout va bien. Le problème c’est celui des cuirs pigmentés qui ont un aspect totalement artificiel (les roses pétants, les noirs profonds, les bleus vifs, les blancs…) et qui donnent une image totalement faussée de ce qu’est le cuir. Si l’on devait faire un parallèle, le cuir pigmenté des marques de luxe, c’est un peu comme les mannequins ultra-photoshopées en couverture des magazines, ça n’existe pas vraiment dans la réalité. Et cela fait naitre des attentes totalement irréalistes dans l’esprit de la clientèle.
Pire, cela conduit la clientèle à voir des défauts là où il n’y en a pas. J’ai découvert par hasard que sur les blogs, et forums féminins qui ont pour sujet les sacs de luxe le cuir Togo de chez Hermès avait la réputation d’être un cuir “veiné”. Ce qualificatif a normalement un sens, car si des veines étaient visibles sur le Togo cela serait considéré comme un défaut et les parties impactées seraient délaissées, or ça n’est pas le cas et les sacs réalisés par Hermès en Togo présentent assez souvent des plis assez marqués.

La saga des “veines” sur le cuir dit Togo d’Hermès sur les forums “spécialisés” dans le sac à main de luxe. (Source forumpurseblog)
La saga des “veines” sur le cuir dit Togo d’Hermès sur les forums “spécialisés” dans le sac à main de luxe. (Source forumpurseblog)
Selon cette “experte” Hermès, les “veines” du Togo seraient un signe d’une vache avec une plus grande vascularisation… (Source forumpurseblog)
Selon cette “experte” Hermès, les “veines” du Togo seraient un signe d’une vache avec une plus grande vascularisation… (Source forumpurseblog)
Le pire c’est que ce truc est validé par des publications qui font “autorité” parmi le public visé. (source:purseblog)
Le pire c’est que ce truc est validé par des publications qui font “autorité” parmi le public visé. (source:purseblog)
Ça n’est pas limité à Purse blog, si vous vous posiez la question, c’est un phénomène chez tous les anglophones. (Source: lemon8)
Ça n’est pas limité à Purse blog, si vous vous posiez la question, c’est un phénomène chez tous les anglophones. (Source: lemon8)

Ce sont justement ces plis que beaucoup de personnes mal informées qualifient de “veines” sur le Togo. Comme vous pouvez le voir sur les sacs Hermès ci-dessous la marque n’essaye pas du tout de les cacher, bien au contraire. Car il se trouve que c’est bien une caractéristique propre à ce cuiret non des veines.

Un Birkin de chez Hermès qui présente les plis et creux caractéristique du Togo. (source: instagram)
Un Birkin de chez Hermès qui présente les plis et creux caractéristique du Togo. (source: instagram)
Le phénomène est présent sur toutes les couleurs. (Source: instagram)
Le phénomène est présent sur toutes les couleurs. (Source: instagram)

Pour votre culture personnelle voilà à quoi ressemblent véritablement des veines sur le cuir, l’aspect est très différent des plis du Togo.

Notez la différence dans la direction prise par les veines par rapport aux plis du Togo, les veines sont beaucoup moins rectilignes.  (Source: leathershoppes)
Notez la différence dans la direction prise par les veines par rapport aux plis du Togo, les veines sont beaucoup moins rectilignes. (Source: leathershoppes)

En réalité il existe deux façons d’obtenir un cuir grainé comme le Togo, soit par utilisation d’une presse avec une plaque qui vient imprimer un motif sur le cuir (ce qui est le cas sur le Clémence). Soit par un processus de tannage qui vient rétracter la peau. C’est ce qui se passe dans le cadre du Togo qui est un cuir dit crispé, ce qui veut dire qu’il est tanné par des procédés spéciaux qui rétractent la fleur donnant à cette dernière un relief inégal de plis et de creux. Ce sont ces plis qui sont à l’origine de cette légende urbaine des “veines”. Si jamais vous voulez briller en société et impressionner votre SA Hermès, vous pouvez lui dire que lors du processus de tannage les peaux destinées au Togo perdent environ de 20 à 30 % de leur surface à cause du rétrécissement qu’elles subissent.
Puisque nous en sommes à parler du cuir, nous allons maintenant aborder la nouvelle tendance des cuirs “écologiques” mais nous allons le faire dans une nouvelle section.

L’hypocrisie écologique

Les marques de luxe sont en train de faire leur petit greenwashing car elles sentent que c’est une mode qui a le vent en poupe. Les industriels suivent toujours les grandes tendances de l’histoire, peu importe leur bien fondé, du moment qu’elles font fureur auprès des masses. L’objectif n’est donc pas de discuter de l’importance supposée d’une “économie plus verte” mais de pointer quelques contradictions et hypocrisies dans le milieu.

J’ai entendu parler du cuir “upcyclé” c’est quoi ?

C’est l’explication vaseuse des marques d’entrée de gamme (sub 600€) ou des private labels pour expliquer pourquoi ils ont bien souvent du cuir qui sort des poubelles de tanneries (no name ou réputées). Littéralement, ne vous laissez pas berner par cette expression, c’est à 2000 % du marketing pour gogol, la pratique ne date pas d’hier et ne procède pas d’une recherche écologique, mais d’une incapacité financière à commander les volumes minimums exigés par les grandes tanneries. Si vous avez assez d’argent, rien ne vous empêche de travailler directement avec les tanneries d’Hermès et des autres. Mais les prix sont élevés, car ces tanneries ne fabriquent pas des petites quantités. Du coup ces marques passent par des revendeurs tiers qui se fournissent (parfois littéralement) dans les poubelles des tanneries ou des usines de fabrication, ou qui rachètent les stocks d’invendus ou de surplus. Il arrive aussi simplement que ces revendeurs passent directement auprès des tanneries pour ensuite vendre au détail.
Cette tendance n’est pas encore parvenue chez les grandes marques de luxe, pour la simple raison que ce sont elles qui possèdent les tanneries. Elles n’ont pas investi des millions dans des tanneries parfois peu rentables pour utiliser les fonds de poubelles. La clientèle asiatique qui n’en a littéralement rien à branler de l’angoisse climatique du petit bobo blanc et urbain ne comprendrait pas. Les groupes qui possèdent des tanneries (Hermès/LVMH/Chanel) ont donc un contrôle total sur la production de leur matière première et se réserve logiquement le meilleur. Le reste est destiné au marché public et est acheté par des détaillants qui se chargent de la revente à des particuliers ou à des petits artisans. Les petits artisans font de l’upcyclage depuis des années sans vous le dire parce qu’il n’y a objectivement rien de glorieux à faire les poubelles. Comme quoi, ils sont encore à la pointe de l’écologie, c’est dommage que personne n’achète leur production parce qu’elle est “trop chère” et qu’à la place la clientèle préfère les industriels en private label d’entrée de gamme ou les marques de luxe à gros logos.

Des chutes de box qui proviennent des poubelles d’Hermès. Vous pouvez voir les trous laissés par les emporte-pièces des ouvriers à l’usine. Beaucoup de petits artisans se fournissent de cette façon sans le dire. Certaines start-ups industrielles aussi, mais elles s’en vantent. (Source: Sartorialisme)
Des chutes de box qui proviennent des poubelles d’Hermès. Vous pouvez voir les trous laissés par les emporte-pièces des ouvriers à l’usine. Beaucoup de petits artisans se fournissent de cette façon sans le dire. Certaines start-ups industrielles aussi, mais elles s’en vantent. (Source: Sartorialisme)
L’étiquette identifiant ce lot de box comme provenant d’Hermès. (Source: Sartorialisme)
L’étiquette identifiant ce lot de box comme provenant d’Hermès. (Source: Sartorialisme)

Il est important de comprendre autre chose vis à vis de “l’upcyclage”. Cette expression ne veut rien dire, elle n’a pas de définition légale, il n’existe pas de cadre. Vous pouvez lui faire dire ce que vous voulez, dans le meilleur des cas il s’agit simplement de stocks inutilisés. Dans le pire il peut s’agit de faire passer des produits inférieurs (comme du salpa) pour du cuir. Mais là encore, la problématique ne concerne pas vraiment les marques de luxe.

Le "cuir" de poisson, d’ananas, de bambou, de plastique, de soleil vert on en fait quoi ?

Une marque de pseudo luxe dans des cuirs de poisson “upcyclés”. La cour des miracles (Source : instagram)
Une marque de pseudo luxe dans des cuirs de poisson “upcyclés”. La cour des miracles (Source : instagram)

On le jette à la poubelle, c’est la seule place qui soit convenable pour ces ersatz dignes des heures les plus sombres de notre histoire. Ça n’est pas du cuir, ça n’en a pas les caractéristiques, et c’est parfois fabriqué avec des dérivés du pétrole. Si vos achats de cuir vous font paniquer à ce point là pour vos “émissions carbones”, je recommande le suicide, mais insistez bien par testament sur l’inhumation. La crémation rejette du CO2.

La véritable raison derrière l’abandon des cuirs exotiques par Chanel

En 2018 Chanel a annoncé renoncer à l’utilisation des cuirs exotiques (alligator, crocodile, serpent, lézard…). Au détour de plusieurs communiqués, la marque justifie son choix en utilisant tout un tas de mots à la mode (développement durable, environnement, bien-être animal blabla). Vous êtes excessivement naïfs si vous pensez que ce sont là les véritables raisons derrière cet abandon. En réalité, Chanel, et Kering dans une moindre mesure, se sont fait couper l’herbe sous le pied par Hermès et LVMH qui ont massivement investi dans les fermes de reptiles et les tanneries spécialisées dans les cuirs exotiques. N’ayant pas été capable d’anticiper, Chanel s’est retrouvé devant le fait accompli, les meilleurs acteurs du marché avaient déjà été achetés. Dans l’impossibilité de trouver des peaux d’une qualité suffisante de façon fiable, le groupe a préféré se feindre d’une courbette et prétendre qu’il s’agissait d’une décision basée sur des considérations éthiques. Il n’est pas impossible que d’autres marques leur emboitent le pas et surfent sur cette vague, Kering (qui s’est surtout concentré sur les serpents) commence déjà à vendre de l’imitation de cuir d’alligator ou de crocodile (du cuir de vache avec un motif imprimé) à des prix délirants alors que ces copies sont des cuirs très bon marché. Je ne serai même pas étonné s’ils disaient faire cela pour des considérations “éthiques” alors que la motivation financière est évidente.

Logistique de fabrication et service client

D’une façon générale il est amusant de voir les marques de luxe essayer de surfer sur l’expansion de la religion écologiste quand on sait que littéralement toute leur structure, toute l’essence même de leur fonctionnement est l’antithèse de l’écologie. Souvenez-vous des sacs Speedy que nous avons évoqués plus haut, et de la façon dont ils seraient envoyés à l’autre bout du monde pour la réalisation d’une seule et unique étape de fabrication. Il serait amusant de voir de quelle façon LVMH et leur sous-traitant pourrait justifier cela. Il en va de même avec les problèmes de fabrication qui génèrent des retours, qu’il faut ensuite traiter. En fonction du problème les sacs sont réparés et remis au client, ou remplacés par du neuf et détruits. Détruits car ces marques n’ont pas d’outlet, ou ne font pas de soldes, ça affaibli l’image de marque. Alors qu’il serait probablement plus “écologique” de mettre en place des techniques de fabrication plus solides, et de renforcer le contrôle qualité. Mais, ça, les marques ne le veulent pas. Ce qu’il reste aux marques de luxe c’est justement leur service client souvent exceptionnel, la substance - elle - n’existe plus, elle a été sacrifiée pour faire du profit. Alors on vous sert souvent de la merde, mais avec des gants blancs, on accepte les échanges, les retours, peu importe la nature du défaut, peu importe s’il y a même un défaut. Imaginez un restaurant de grand standing, où l’on sert avec gants blancs des plat tout préparés achetés chez Metro pour ensuite vanter “la gastronomie locale” ou “le terroir”. C’est ça aujourd’hui la maroquinerie des groupes de luxe. Si vous croyez à leurs discours sur le développement durable vous êtes bien naïfs. Et si vous êtes un minimum logique dans votre conversion à l’écologisme, cesser d’acheter chez les industriels.

Les différents types de montage d’un sac à main

Maintenant que nous avons évoqué ces bases, nous allons commencer à parler des différents types de montage. Sachez qu’il existe plusieurs façons de “monter” un sac, ou de l’assembler si vous préférez. Ça n’est pas véritablement une question fondamentale pour le client, et je ne vais donc pas l’évoquer en profondeur, toutefois sachez que cela va avoir un impact sur “la tenue” du sac, comprendre par-là, sa capacité à maintenir sa forme sans s’affaisser, sa rigidité si je devais utiliser un mot simpliste. On voit trop souvent des clients acheter des sacs souples et se plaindre d’un manque de tenue, ou vis versa.

Nous allons donc essayer de donner quelques explications. Il existe trois grandes familles de montages qui se distinguent de la façon suivante : il y a le montage de sellerie, qui se caractérise par un bord d’objet “franc ou net”, le montage de maroquinerie qui regroupe les travaux dont le bord de la pièce est "rembordée", et le montage piqué retourné, qui est aussi un travail de maroquinerie. Aujourd’hui avec la démocratisation du sac souple et surtout l’industrialisation du milieu cette distinction est à prendre avec un grain de sel car la frontière entre sellerie et maroquinerie est devenue plus “poreuse” qu’elle ne pouvait l’être historiquement. Les techniques de sellerie et de maroquinerie pouvant très bien être utilisées ensembles sur un même objet. Nous allons y revenir sur la question du point sellier. Toujours est-il que ces trois grandes familles comportent plusieurs types de montages. Il existe par exemple le montage Allemand, le montage Cavour, le montage Gousset, le montage Mexicain le montage rembordé contrecollé (parfois simplement appelé contrecollé), le piqué retourné simple, le piqué retourné avec jonc… pour ne citer que les plus courants.

Dans l’industriel grossier voire même très grossier (de luxe ou non) on trouve assez régulièrement des montages contrecollés (comme c’est le cas dans l’illustration suivante) qui sont utilisés notamment en raison de leur grande simplicité, c’est un montage qu’on retrouve sur des sacs Fourrès à 200€, autrement dit, du montage “sac poubelle”, ça fait le taf, mais c’est tout.

Sac de la marque Darovia en montage contrecollé, le prix est délirant pour un sac aussi simple à réaliser (au delà de 1000€). On se penchera sur le cas dans un futur article histoire de se marrer un peu. (Source: Darovia)
Sac de la marque Darovia en montage contrecollé, le prix est délirant pour un sac aussi simple à réaliser (au delà de 1000€). On se penchera sur le cas dans un futur article histoire de se marrer un peu. (Source: Darovia)

L’autre montage qui a la faveur des industriels est le piqué retourné. Le sac est piqué sur l’envers (à l’intérieur donc), et est ensuite retourné à l’endroit. Cette technique de montage permet de masquer les coutures “structurantes”, mais elle requiert un cuir souple ce qui va forcément avoir une influence sur la tenue du sac qui sera moindre. C’est pour cette raison que l’on appelle parfois les sacs en piqués retournés des sacs “souples” (à l’époque où ces sacs sont devenus à la mode, les professionnels parlaient de sac chiffon, ou sac serpillière) et je sais que ce que je vais dire est une évidence, mais leur principale caractéristique est donc… leur souplesse. Dès lors j’ai été étonné d’apprendre que certaines clientes achetaient sur Amazon des plaques en acrylique fabriquées en Chine dans des dimensions correspondant spécifiquement à certains modèles (le Speedy notamment, qui est en piqué retourné avec jonc) pour les placer au fond du sac et le rigidifier. Comportement étrange qui conduit à ne pas vouloir qu’un sac souple soit... souple. C’est comme acheter un SUV et se plaindre qu’il soit trop gros pour la ville, ou choisir un mec violent qui vous met des tartes dans la gueule en espérant qu’il devienne doux. C’est une erreur de casting. Je ne vais pas prétendre que ce genre d’évènement est rare dans la société, bien au contraire c’est même trop fréquent. Toutefois je ne saurais que recommander chaudement d’acheter un sac pour ce qu’il est, et non pour ce qu’il représente. C’est malheureusement trop souvent l’inverse et il est fatiguant de voir des gens acheter un Speedy parce que c’est un Speedy, pour ensuite se plaindre qu’il ne correspond pas à ce qu’ils voulaient.

Pour pallier à cette déficience du comportement humain certaines marques font le choix de proposer leurs sacs dans des montages différents. C’est le cas par exemple du célèbre Kelly d’Hermès. Dans sa version originelle des années 30 il s’agit d’abord d’un sac piqué retourné avec jonc. Plus tard la marque lance sa version sellier et dans cette configuration, il s’agit d’un sac à montage gousset. Si tout cela vous semble compliqué, les photos qui vont suivre vont éclaircir beaucoup de choses.

À gauche vous avez un sac Kelly en piqué retourné avec jonc, à droite un Kelly sellier, qui est en réalité un sac avec gousset. Le gousset est la partie centrale du sac qui détermine de son épaisseur et de sa profondeur. Observez bien la différence de tenue entre les deux sacs. Différence qui peut s’accentuer avec le temps en fonction de l’utilisation qui est faite et du soin qui est portée au sac. (Source: sartorialisme)
À gauche vous avez un sac Kelly en piqué retourné avec jonc, à droite un Kelly sellier, qui est en réalité un sac avec gousset. Le gousset est la partie centrale du sac qui détermine de son épaisseur et de sa profondeur. Observez bien la différence de tenue entre les deux sacs. Différence qui peut s’accentuer avec le temps en fonction de l’utilisation qui est faite et du soin qui est portée au sac. (Source: sartorialisme)
Une sélection d’éléments structurants plus ou moins efficace. (Source: amazon)
Une sélection d’éléments structurants plus ou moins efficace. (Source: amazon)

Si vous tenez absolument à rigidifier un sac souple, je recommande l’astuce de grand-mère qui consiste à remplacer la plaque Acrylique Chinoise d’Amazon par une brique. Il n’y a que du positif, non seulement vous allez rigidifier votre sac, mais vous allez en plus vous faire les bras sans avoir besoin de payer un abonnement au tarif prohibitif dans une salle de gym naze. Cerise sur le gâteau, votre sac deviendra une arme par destination qui pourra faire voler en éclat les dents de n’importe quel Jean-François ou Mathéo qui demande votre numéro dans la rue avec des sifflets. Starfoullah.

Un sac souple s’affaissera avec le temps, je comprends qu’on veuille limiter le processus, mais sachez qu’il existe des sacs rigides pour une raison… (Source : purseblog)
Un sac souple s’affaissera avec le temps, je comprends qu’on veuille limiter le processus, mais sachez qu’il existe des sacs rigides pour une raison… (Source : purseblog)

Comment entretenir et stocker son sac

Pour l’entretien, très franchement je n’ai pas envie de donner des conseils. Il est beaucoup trop facile de faire des erreurs et je ne tiens pas à être responsable d’un suicide par barbiturique ou par “accident de personne” dans le métro à cause d’une erreur de manipulation d’un produit sur votre sac favori. Les marques réputées proposent des services d’entretien utilisez-les, je pense notamment au “spa Hermès”. Le service client impeccable c’est ce que vous payez chez certaines de ces marques (presque plus que le produit), ayez au moins la cohérence de les utiliser même s’ils coûtent un peu d’argent et que votre sac sera indisponible pendant un certain temps.

Pour le stockage, loin de la lumière, dans un endroit sec mais loin du chauffage, dans la boite d’origine, à plat mais pas à vide. Si possible en hauteur pour éviter les dégâts causés par les enfants, les chiens, les chats, les maris jaloux… Il est préférable d’enlever les bandoulières. Vous pouvez laisser des poches d’airs en plastique telle qu’on les trouve dans les colis postaux pour éviter que le sac ne s’affaisse s’il est stocké pour une longue période. C’est particulièrement vrai pour les sacs en toile Vuitton. La toile enduite Vuitton est en PVC et il arrive très régulièrement qu’elle craque là où elle fait des plis. Si vous habitez Paris et n'avez pas la place, c'est votre choix d'habiter dans un trou à rats.

Le design et l’image

Une partie conséquence du prix des sacs de luxe tient à deux choses, le design et l’image. Je ne vais pas trop évoquer l’image, je vais plutôt le faire dans la partie guide des marques. En ce qui concerne le design il est évident que les grandes marques sont excessivement fortes. Elles ont des gens talentueux qui sont payés très chers, qui se droguent beaucoup et dont les déviances et perversions font passer celle de Casanova pour des enfantillages. Ce sont clairement des gens qui sont plus proches de Dutroux que du ciel et lorsqu’ils touchent la Grâce du doigt elle porte plainte pour attouchement. Toujours est-il qu’il y a des créations qui font mouche auprès du public et c’est pour ça que qu’ils sont adulés par les actionnaires. Il ne faut pas se voiler la face, il y a aussi des créations qui sont des échecs complets et qui ne rencontrent pas leur public. Hermès souffre un peu de cette tendance mais ils ne sont pas les seuls. Ils ont 3 designs qui sont très forts, le Kelly est un design qui date des années 30 et qui était à l’origine appelé “sac de voyage à courroies pour dame” il a existé 30 ans avant Grace Kelly cela fait plus de 30 ans qu’il existe après son décès tragique. Il ne fait aucun doute qu’il continuera à se vendre bien après le souvenir de la Princesse, si jamais l’on pouvait oublier un jour une existence aussi gracieuse. Ils ont aussi le Birkin, et puis dans une moindre mesure le Constance. La marque lance assez souvent des nouvelles déclinaisons de ces poids lourds, mais en face elle ne propose pas toujours des choses convaincantes. Il y a par exemple le modèle “verrou” qui s’est avéré être décevant, mais ça n’est pas le seul qui n’a pas rencontré le succès escompté. Hermès a tellement des designs iconiques qu’il est parfois difficile pour la concurrence de ne pas les imiter. C’est d’ailleurs le problème que l’on trouve sur une grande partie de la production artisanale, cette dernière est d’une qualité et d’une exclusivité incomparable à ce que l’on peut trouver chez les grandes marques, mais elle manque parfois de personnalité. C’est bien souvent une production de techniciens, de gens qui maitrisent parfaitement leur artisanat, mais qui ignorent tout des drogues dures et de la créativité débridée des designers. Les deux pourraient bénéficier d’une coopération mutuelle, mais ce sont deux mondes diamétralement opposés qui ne se côtoient que de temps en temps et dans des circonstances très particulières. De fait, bien que la production artisanale soit à mon sens la plus gratifiante, et la plus exclusive, elle manque malheureusement parfois de personnalité. Personnalité qui est LA caractéristique primordial pour la clientèle car elle en est souvent dépourvue et elle cherche par l’achat d’un sac de designer à affirmer quelque chose. Quand elle ne cherche pas souvent à combler une certaine vacuité. Nous le faisons tous plus ou moins, il n’y a rien d’étrange ou de mal dans cela mais il faut admettre que s’il y a bien une chose à mettre au crédit des sacs de designers c’est justement leur design… qui l’eu crut.

La grande force des marques et des designers est de pouvoir imaginer des designs qui vont s'imposer. La petite malle de Louis Vuitton est un exemple concret de ce phénomène puisqu'il s'agit d'un best-seller depuis des années. (Source: Sartorialisme)
La grande force des marques et des designers est de pouvoir imaginer des designs qui vont s'imposer. La petite malle de Louis Vuitton est un exemple concret de ce phénomène puisqu'il s'agit d'un best-seller depuis des années. (Source: Sartorialisme)
Autre exemple de réussite des designers, lancer des modes. Gucci comme d'autres sont en pleine vague "rétro" avec des designs qui s'inspirent du passé. Exemple le Diana qui avait été lancé en 91 et a été "relancé" en 2021 après un redesign. (Source: Gucci)
Autre exemple de réussite des designers, lancer des modes. Gucci comme d'autres sont en pleine vague "rétro" avec des designs qui s'inspirent du passé. Exemple le Diana qui avait été lancé en 91 et a été "relancé" en 2021 après un redesign. (Source: Gucci)

La limitation artificielle de la rareté

Le marché du sac à main de luxe s’est beaucoup développé ces 20 dernières années, rien qu’entre 2012 et 2021, la valeur de la production française de sacs à main a progressé de 91,2% tandis que la valeur des exportations augmentait de 152% sur la même période. La demande a toujours été forte aux États-Unis, mais de nouveaux marchés se sont ouverts notamment en Russie, Chine et au Moyen Orient. Devant cette forte augmentation de la demande les marque se sont ajustées et ont procédé à l’ouverture de nouvelles usines et ont de plus en plus recours à la sous-traitance. Malgré cette augmentation pratiquement constante des capacités de productions, plusieurs marques disent toujours avoir du mal à satisfaire la demande. Il existe là un léger paradoxe, les marques utilisent des techniques de productions industrielles (qui sont par définitions rapides), recrutent littéralement les premiers venus, et ont un recours massif à la sous-traitance, et malgré tout cela elles n’arriveraient toujours pas à satisfaire la demande. Pourquoi ? Pourquoi est-ce que le marché de la revente est si vivace ? Est-ce que la demande est si forte qu’elle ne saurait avoir de limites ? Est-ce que les industriels sont des incapables ? Ou est-ce qu’ils ont au contraire tout intérêt à faire en sorte que la demande ne soit jamais satisfaite ? Pour éviter de diluer leur “prestige” et donc perdre en image de marque certains industriels limitent volontairement la disponibilité de leurs produits sur le marché, tout en produisant autant que possible. Même une marque comme Louis Vuitton, portant très largement disponible, et dont l’image est quand même déjà en partie diluée tente de limiter sa présence. La marque a fait pas mal de ménage dans ses réseaux de distributions, les produits Louis Vuitton sont vendus exclusivement dans les magasins de la marque et sur son site internet officiel. La société n'accorde pas de licence à d'autres pour la revente de ses produits. Paradoxalement la marque est l’une des plus agressive à l'égard des intermédiaires, des licences et des franchises, alors que vous pouvez trouver leurs sacs sur n’importe quelle escort Parisienne, marcheuses comprises. En plus de cette politique d’exclusivité sur leur réseau de distribution, Louis Vuitton limite également la quantité d’objets qu’un client peut acheter. Pas plus de 3 articles de maroquinerie (y compris la petite maroquinerie) par transaction, avec pas plus de 2 produits identiques par transaction. En outre, les clients ne peuvent, au cours de 4 semaines consécutives, acheter plus de 6 articles de maroquinerie (y compris la petite maroquinerie), ou acheter dans plus de 3 magasins LV différents dans le réseau mondial, ou effectuer plus de 8 transactions pour tous les types de produits. Restrictif…. mais pas trop. Louis Vuitton n’est bien évidemment pas la seule marque à avoir des canaux de distribution exclusifs limités et des quotas. De nombreuses autres ont suivies la tendance, mais certaines vont également plus loin. Chanel par exemple a décidé de limiter la vente de ses modèles “Classique” et “Coco Handle” à deux (voire un selon les marchés) par client par an. Ces politiques ne sont pas nouvelles, cela fait plus de 15 ans qu’elles sont en place. Les magasins Américains Saks Fifth Avenue, Neiman Marcus et Bergdorf Goodman limitaient déjà l’achat de certains sacs de designers à 3 par mois au début des années 2000. Il est simplement intéressant de voir qu’à l’heure ou le sac à main est devenu un investissement la politique des quotas a tendance à se généraliser.

Bien évidemment, au sommet de cette pyramide de l’exclusivité artificiellement organisée, il y a Hermès. La marque est championne dans ce domaine puisque l’expérience boutique pour l’achat de la maroquinerie, en particulier des sacs, s’apparente à un mélange entre un jeu de piste, une loterie et une partie de poker menteur. Une version condensée des 12 travaux.
Hermès commence par vous demander de prendre un rendez-vous, ouverture de la loterie à 10h30, il y a quelques centaines de places au maximum pour plusieurs milliers de candidats. Vous trouvez une place et recevez confirmation de votre rendez-vous. Mais leur conception du rendez-vous est étrange car l’heure change. Ça c’est la partie jeu de piste qui commence. Vous avez rendez-vous à 14h. Et puis vous recevez un message vous indiquant que votre rendez-vous est déplacé à 13h30… il est 12h45 et vous êtes à l’autre bout de Paris en pantoufle en train de glander tranquillement. Vous sautez dans le premier Uber venu, vous lui demandez de se grouiller autant que possible… vous avez à peine le temps d’attacher votre ceinture que vous recevez un nouveau message, votre rendez-vous est avancé à 13h… cette fois vous savez que c’est mort. Vous vous dites que foutu pour foutu vous y allez quand même. À peine arrivé devant la porte du magasin votre téléphone sonne à nouveau, votre rendez-vous est de nouveau décalé à 14h30… Cette fois vous entrez bien décidé à en découdre… On vous demande votre laisser-passer A38… pardon, l’heure de votre rendez-vous. Vous vous expliquez, ils disent qu’ils vont vous accommoder et on vous amène au fond du magasin. Vous vous détendez, erreur de débutant, ils vous mettent en confiance afin de faire baisser votre garde pour la séance de poker menteur qui se prépare. Hermès sait que si vous êtes une femme, relativement jeune, et aisée, vous voulez un Birkin ou un Kelly. Ils ont une position facile, ils connaissent vos désirs et ont préparés leur ligne de défense en conséquence. Ils demandent tout de même ce que vous voulez. Vous répondez un Kelly 28 bleu foncé, mais vous dites que vous n’avez rien contre le rouge ou le bordeaux. Le vendeur prend l’air grave, jette un coup d’œil à sa tablette (où il a accès à l’inventaire) et disparaît dans la réserve. Il revient 20 minutes plus tard, l’air triomphant. “J’ai quelque chose qui devrait vous plaire !”. Et il déballe un Constance rose vif, le sourire aux lèvres. Vous êtes perplexe, et demandez des explications. “On n’a pas de Kelly en stock, il est très demandé en ce moment”. Ça c’est en général le cul de sac, il n’y a pas d’issue. Il y a des dizaines de variation autour de scénario. Parfois ils vont dire qu’ils ont des Kelly ou des Birkin, mais pas dans la taille que vous désirez, parfois ils vont dire qu’ils n’ont pas votre couleur, ou le cuir de vos souhaits. Mais est-ce la vérité ? Le plus souvent, non. Toutes les boutiques ont des Kelly et des Birkin en stock, bien souvent ils ont mêmes des modèles exotiques, pourtant si “inaccessibles”.

Vous êtes-vous déjà demandé ce que font les vendeurs Hermès dans la réserve pendant que vous poireautez ? Voilà la réponse :

37 jacquemus

Bon en réalité, si vous vous demandez vraiment à quoi ça ressemble une réserve Hermès, c’est une salle plus ou moins grande avec plein de boites. Un peu comme toutes les réserves. Les images sont relativement rares, mais elles existent comme celles de dessous.

Le stock d'une boutique Hermès, il y a de tout. (Source: purseblog)
Le stock d'une boutique Hermès, il y a de tout. (Source: purseblog)

Vous pouvez voir qu’il y a du Kelly 35 en crocodile, du Birkin 30 en crocodile et beaucoup d’autres choses. Les boutiques Hermès servent de goulot d’étranglement, en réalité il n’y a pas tellement de difficulté d’approvisionnement de leur côté. Ils veulent tout simplement préserver une image d’exclusivité, même s’ils ont pratiquement de tout dans leurs réserves. Il y a eu des gangs qui se sont montés, de “faux acheteurs” qui recrutaient des comédiens. Pour ensuite alimenter un marché de revente parallèle. Ils se sont fait choper. Je suis d’ailleurs étonné qu’aucun vendeur Hermès n’ait pensé à monter un trafic de sac en échange de services sexuels ou quelque autre truc un peu sordide. Peut-être qu’ils n’ont pas l’initiative de la vente et que c’est réservé au responsable boutique, mais même là je ne serais pas étonné qu’il y a des combines. Bref, vous avez compris, quand Hermès vous dit qu’ils n’ont pas votre sac en stock, c’est très probablement un bobard aussi gros que leurs bénéfices.

D’autres images des réserves Hermès (Source : Instagram)
D’autres images des réserves Hermès (Source : Instagram)

Est-ce que les sacs à main peuvent être de bons placements financiers ?

Oui et non. En réalité, la question est plutôt de se demander si c’est une bonne idée de considérer les sacs à main comme des investissements financiers. Pas vraiment. Mais il faut nuancer un peu. Ça ne veut pas dire qu’il n’est pas possible de faire beaucoup d’argent. Mais que c’est très risqué, c’est un marché hautement spéculatif et versatile. La valeur d’un sac est surtout dictée par la mode, or la mode est un élément volatile et imprévisible. Aujourd’hui le Kelly mini est un sac excessivement populaire, il se vend vite et bien. Mais ça ne sera pas toujours le cas. Si je prends le Bolide par exemple il était très populaire de 2002 à 2012. Et puis le bolide a perdu de la vitesse, si vous me passez l’expression, pour pratiquement disparaître des boutiques et de la rue. Quand la mode était aux gros sacs (à main, ça va de soi) le Birkin 40 était Roi, aujourd’hui vous devez presque payer pour vous en débarrasser. Il ne faut pas non plus croire que n’importe quelle marque a le potentiel de représenter un investissement, certaines sont plus représentées que d’autres dans les enchères. Hermès est en bonne place, suivi par Vuitton et Chanel, le reste est loin derrière. Si l’on prend le Downtown bag d’Yves Saint Laurent il a été très populaire au début des années 2000 mais est aujourd’hui trouvable pour une bouchée de pain un peu partout, comme beaucoup d’autres modèles de la marque. À moins d’être excessivement affûté, et surtout très chanceux, il est difficile de prévoir quel sac présente le potentiel d’un bon retour sur investissement ou non. Surtout chez les marques de fast fashion à la Gucci. Mais même chez Hermès, il y a des choses qui me font tiquer, vous avez peut-être entendu parler du Birkin en crocodile “Himalaya” qui a dépassé allègrement les $300 000. Heureusement que la bijouterie était en or blanc et qu’elle était incrustée de diamants car au risque de vous décevoir il n’y a pas de crocodiles en Himalaya. Je précise parce que je suis persuadé que beaucoup se sont posés la question. C’est juste le nom d’une finition qui “rappelle les sommets Himalayens” enfin ça c’est que dit le marketing, vous me dites que ça vous rappelle Bure sur Yvette un jour de neige ça marche aussi hein. Bref c’est à 100 % du marketing, il n’y a rien de spécial à ce sac, cette finition n’est pas rare, elle n’est pas difficile à obtenir, elle coûte plus ou moins exactement le même prix que toutes les autres finitions que l’on peut trouver sur le crocodile, le prix reflète juste le caprice de quelqu’un de très riche et n’a aucun lien avec la valeur intrinsèque de l’objet. Et ça n’est même pas de l’artisanat, encore moins de l’art, on est sur de la bête fabrication semi industrielle à la Hermès. Je doute très fortement qu’une fois la mode passée le sac puisse prétendre à réaliser le même prix aux enchères, mais je ne peux pas prévoir le futur et donc peut-être que je me trompe. Enfin, et pour conclure sur le sujet, rappelez-vous que les sacs à main de designers ne sont pas rares, les marques limitent artificiellement leur rareté en imposant des quotas ou en utilisant des petites astuces de boutiquiers. C’est d’ailleurs ce qui fait qu’il existe un marché de la revente, et c’est ce qui tire les prix vers le haut. Mais allez faire un tour sur Ebay et sur tous les autres sites de seconde main. Si je veux un Birkin ou un Kelly dans une taille et une couleur définie, j’en trouve des centaines voire des milliers. Beaucoup sont des contrefaçons, en fonction des marques, la majorité même. Mais pas tous et l’on ne peut pas dire qu’entre les dizaines et les dizaines de sites de reventes il y a exactement une pénurie de sacs de designer.

Un Birkin "Himalaya" du genre de celui qui a défrayé la chronique aux enchères. Ça n'est que de la hype. (Source: christies)
Un Birkin "Himalaya" du genre de celui qui a défrayé la chronique aux enchères. Ça n'est que de la hype. (Source: christies)

La contrefaçon

Puisque je viens de l’évoquer nous allons maintenant nous pencher sur la question de la contrefaçon. Je ne vais pas m’étendre dessus, bien qu’elle soit une offre attractive, le fait qu’elle soit également illégale m’empêche de la recommander comme une alternative sérieuse. Et pourtant elle n’a probablement jamais été aussi attirante, notamment car il devient de plus en plus difficile de faire la différence entre les contrefaçons et les originaux. En partie car l’accès à l’information et aux fournisseurs s’est démocratisé (merci internet), et parce que les processus industriels standardisés facilitent le travail des contrefacteurs. D’autant plus que certains contrefacteurs sont des anciens ouvriers des marques de luxe ou de leurs sous-traitants. Devant l’explosion des prix ils trouvent là un moyen facile et rentable d’arrondir leurs fins de mois et s’organisent en de véritables réseaux. Il existe même des ouvriers d’usines parfaitement légitimes qui organisent leur propre production de contrefaçon avec leur outil de travail. Autrement dit, ils s’arrangent pour fabriquer sur leur temps de travail, quelques sacs qu’ils essayent ensuite de mettre de côté pour les revendre sur le marché parallèle. Les marques font tout pour éviter ces pratiques, mais puisqu’elles disposent de beaucoup de sous-traitants, parfois dans des pays lointains où les questions d’éthique ne sont pas aussi poussées qu’elles peuvent l’être ailleurs… il est difficile pour elles de totalement enrayer ce phénomène. Vous avez donc sur le marché noir, des sacs qui ne sont pas des contrefaçons mais qui sont illégitimes car ils n’ont pas été fabriqués pour la vente dans le cadre du marché légal. Hermès a été confronté à un cas similaire, la marque permettait à ses ouvriers de fabriquer un sac par an pour leur usage personnel à condition qu’ils ne soient ni en box, ni en exotique. Ces sacs étaient identifiés avec une étoile filante et ne devaient en principe pas se retrouver sur le marché. Des ouvriers ont trouvé des failles dans le système, et se sont mis à faire leur production de “vrai faux” sacs Birkin et Kelly. D'autres revendaient purement et simplement les sacs qu'ils fabriquaient malgré l'interdiction. Hermès a depuis révoqué ce privilège, les ouvriers n’ont plus le droit de fabriquer de sac pour leur usage personnel.
Il est aussi amusant de noter que de nos jours contrefaçon ne rime plus avec mauvaise qualité. Les marques diront forcément le contraire, mais la qualité de leur production a tellement décliné ces dernières décennies qu’il n’est pas rare aujourd’hui de trouver des copies qui sont largement mieux fabriquées que les produits qu’elles imitent. C’est notamment le cas des copies asiatiques où vous pouvez trouver des imitations de Birkin ou Kelly intégralement en cousu sellier. La tendance s’est donc inversée par rapport aux 20/30 dernières années où contrefaçon était presque toujours synonyme de mauvaise qualité. Comme il est possible d’acheter les mêmes cuirs que les grandes marques, qu’il est possible d’acheter les mêmes outils, les mêmes colles, les mêmes peintures de tranche, la seule limite de nos jours se situe au niveau de la bijouterie (les fermoirs, loquets, clefs…). Eeeet encore, c’était sans compter sur l’ingéniosité des Chinois, si je sais où trouver des fermoirs estampillés de grand noms, vous pouvez être certain que les contrefacteurs le savent également.

Le plus grand risque avec la contrefaçon réside bien évidement sur le marché de l’occasion. Si vous pensez pouvoir échapper aux contrefaçons en utilisant les services d’authentification en ligne de grands sites (real real, ebay et j’en passe) vous vous trompez. Ces experts authentifient des faux, et rejettent parfois des vrais. En passant, c'est aussi parfois le cas de certains grandes maisons de ventes aux enchères. Car ils n’ont globalement pas d’expérience réelle de ce qu’ils font. Ils se contentent de suivre de la documentation fournie par les marques. Or les méthodes de fabrication évoluent avec le temps, les marques changent leurs processus, et il est impossible de fournir une documentation exhaustive qui couvre toutes les variations d’un seul et même sac des années 60 à nos jours. Par exemple je rappelle que le Kelly est un design qui date des années 30… il y a eu des changements sur la façon de faire chez Hermès depuis… D’ailleurs n’importe quelle personne qui prétend pouvoir authentifier le sac de n’importe quelle marque est un menteur. En général les gens qui connaissent leur métier se spécialisent dans une ou deux marques, il y a trop de modèles, trop de variations, trop paramètres qui entrent en compte pour tout connaître. Ne vous fiez donc pas aux site qui prétendent pouvoir authentifier tout et n'importe quoi du genre de legitgrails évitez également de faire confiance aux sites qui font des comparaisons de sacs "real vs fake", en général ils ne savent pas trop de quoi ils parlent.

Enfin pour finir sur ce sujet, il faut dire que la contrefaçon n’est plus réservée aux gens pauvres. Il existe aujourd’hui divers degrés de contrefaçons, avec des contrefaçons très haut de gamme qui peuvent coûter quelques milliers d’euros. Certains contrefacteurs sont même plus compétents que les ouvriers des marques qu'ils copient (surtout en Asie). Et puis je peux vous assurer que certains clients (très) fortunés achètent des copies, tout simplement car ça les fait marrer, car ils savent que personne ne peut faire la différence, et que de toute façon personne ne les suspecterait de faire une chose pareille. Ils ont donc leur petite dose de frisson à moindre prix et ont enfin l’impression de vivre.

Une reproduction d'un Kelly (le sac ne porte pas la marque Hermès) réalisée par un artisan ou un amateur. Le travail est plus que convaincant. (Source: Kaia)
Une reproduction d'un Kelly (le sac ne porte pas la marque Hermès) réalisée par un artisan ou un amateur. Le travail est plus que convaincant. (Source: Kaia)

J’ai entendu parler d’un type sur TikTok qui démontait les sacs de grandes marques, Marie Claire dit que c’est un expert est-ce que je peux lui faire confiance ?

D’une oreille seulement, et en vous bouchant le nez. Un peu comme le font ceux qui sont les premier à cliquer dès nous publions un nouvel article, pour ensuite avoir le plaisir de pleurnicher sur les réseaux sociaux parce que nous sommes des méchants. Mais je m’égare. Je disais donc, d’une oreille et en vous bouchant le nez. Fondamentalement il est intéressant de démonter la production des grandes marques pour voir ce qu’il y a derrière. Mais il y a plusieurs problèmes très conséquents avec le personnage. Ayant un QI à 3 chiffres comme toute personne un tantinet civilisée j’ignorais tout de TikTok, et j’ignore en général tout des réseaux sociaux. Quelqu’un a attiré mon attention sur cet “expert” et j’ai été y jeter un œil (très) distrait. À première vue je pensais juste que c’était quelqu’un qui faisait son petit buzz en se contentant de démontrer des sacs de grandes marques pour les clasher. Pour cet article j’ai été creuser le sujet un peu plus en profondeur et j’ai rapidement découvert qu’il n’est lui-même qu’un maroquinier très médiocre, et qu’il profite de sa popularité pour vendre ses propres produits de merde. Malin. Pour paraphraser Claude Riche (un mort, ne cherchez pas) il fait sans doute autorité en matière de buzz, d’algorithme et d’audience, mais ses opinions sur la maroquinerie et sur le cuir en général je vous conseille de ne les utiliser qu'en suppositoire, et encore, pour enfants. D’ailleurs ça tombe bien, il sort beaucoup de ses estimations en matière de coût de fabrication de son derrière. Ça, ça n’était pas dans la citation originale, je me suis permis un petit ajout de circonstance. Bref, vous avez compris qu’à mon avis il n’est pas une référence.

Un expert selon Marie Claire. Il est effectivement expert, mais en communication. (Source: marieclaire)
Un expert selon Marie Claire. Il est effectivement expert, mais en communication. (Source: marieclaire)

Guide des marques

guide_sac_de_luxe

Voici enfin le moment que vous attendiez toutes et tous (..?), le guide des marques.

Nous allons diviser ce guide en deux parties, d’un côté l’industriel, de l’autre l’artisanal. Le classement n’est bien évidemment pas exhaustif. L’objectif du côté des industriels est d’aborder un peu l’image de certaines marques et puis surtout de présenter les modèles qui vous en donnent plus pour votre argent. Coté artisanat l’objectif est de présenter des gens dont vous n’avez probablement jamais entendu parler et qui travaillent dans les règles de l’art, pour un prix bien souvent similaire aux grandes marques du "luxe".

Les industriels du luxe

Chanel

(Source : Chanel)
(Source : Chanel)

Une marque au look typiquement traditionnel, qui est en général reflété chez une partie de la clientèle qui normalement plutôt BCBG/femme active urbaine jamais très loin des positions de cadre quand elles ne sont pas cadres elles même. En général c’est là qu’on trouve le combo tailleur/trench crème sac Chanel Classique noir. C’est aussi un sac qui est typiquement perçu comme “parisian chic” et est accommodé tel quel. Pensez t-shirt blanc, veste décontractée et jean/ trench coat crème/tailleur. Malheureusement la qualité de fabrication des sacs Chanel est en baisse constante depuis la fin des années 80. Les problèmes sont assez communs, mais vous avez le service client pour y remédier. Il y a une gamme qui est un peu plus “rock n roll” dans l’esprit et que je trouve personnellement d’assez mauvais goût mais ça n’a pas d’importance. En revanche ils sont aussi en général encore plus bâclés. Enfin il ne faut pas négliger que devant la popularité de la marque ses sacs sont trouvables partout et à tous les prix, ce qui donne assez souvent un grand écart dans le style des propriétaires, mais c’est une remarque qui est valable pour beaucoup de marques. En neuf les prix sont éclatés et sans rapport avec le produit, quand je pense que pour moins cher vous pouvez vous payer un Birkin ou un Kelly…

L’image “traditionnelle” de Chanel à gauche, le tout venant à droite. (Source : whowhatwear)
L’image “traditionnelle” de Chanel à gauche, le tout venant à droite. (Source : whowhatwear)

Si je devais en offrir un à ma femme (je pense aux quelques hommes qui se sont perdus jusqu’ici) : probablement un Classique noir. Sinon, un modèle vintage d’avant les années 80 en bonne condition.

Le Classique de Chanel (Source : Chanel)
Le Classique de Chanel (Source : Chanel)

Colombo

(Source : Colombo)
(Source : Colombo)

Une marque pratiquement inconnue du grand public Occidental qui peine à gagner en visibilité même si elle est d’origine Italienne et existe depuis 1937. Je dis bien d’origine italienne car Colombo appartient aujourd’hui au géant Coréen Samsung qui a une “petite” présence dans le domaine du vêtement et de la mode. La marque fait la majorité de son business en Corée avec pas loin de 13 points de vente, mais elle dispose aussi d’une boutique en Italie sur la célèbre Via della Spiga de Milan. Le cœur de cible de la marque étant les populations fortunées de Corée du Sud le style est excessivement classique et Européen. La marque s’est spécialisée dans l’exotique, et propose diverses finitions ainsi que des couleurs originales. Le Pantheon et le Hera sont plutôt sympa. La marque essaye quand même de proposer quelques modèles plus “actuels” (ce qui n’est pas forcément une bonne chose) il existe donc des modèles en exotique moins traditionnels et il y a une gamme en cuir lisse. Les modèles en cuir lisse sont un peu plus tapageurs et pas toujours de bon goût... La fabrication est toujours italienne mais il ne faut pas se laisser berner par le marketing, c’est du 100 % industriel, pas de point sellier. Comme il s’agit essentiellement d’exotique, le prix est forcément élevé, l’avantage est que vous êtes certaines de ne voir personne avec le même sac… Le manque d’image de marque fait que ce ne sont pas des sacs spéculatifs, mais l'exotique tend à mieux conserver sa valeur.

Si je devais en offrir un à ma femme (je pense aux quelques hommes qui se sont perdus jusqu’ici) : probablement un Pantheon small ou medium vert foncé. Même si je trouve le système de fermeture naze.

Le Panthéon de Colombo (Source : Colombo)
Le Panthéon de Colombo (Source : Colombo)

Balenciaga

(Source : Balenciaga)
(Source : Balenciaga)

La marque a tendance fin de race par excellence, entre leurs penchants ayant une odeur de pédophilie affichés en campagne marketing (suivie d’une grosse séance de damage control), la laideur sans fin de leur gamme et les prix délirants (plus de 3000€ pour de la vache imprimée crocodile…) je doute que si vous lisez ces colonnes quelque chose vous attire chez eux. Pour couronner le tout la qualité de fabrication est catastrophique. On s’en doutait un peu mais c’est la cerise sur le gâteau à la merde.

Chez Balenciaga on aime les enfants… (Source : balenciaga)
Chez Balenciaga on aime les enfants… (Source : balenciaga)
… mais pas les lignes droites. (Source : balenciaga)
… mais pas les lignes droites. (Source : balenciaga)

Si je devais en offrir un à ma femme (je pense aux quelques hommes qui se sont perdus jusqu’ici) : un modèle vintage des années 80 en lézard noir et bijouterie or. Tout achat dans la gamme moderne serait motif de divorce pour faute (de goût).

Un sac d'avant la déchéance (Source: ebay)
Un sac d'avant la déchéance (Source: ebay)

Gucci

(Source: Gucci)
(Source: Gucci)

La marque propose une gamme qui mélange le classique et le moderne, elle a un peu mauvaise réputation en raison de la très grande quantité de copies qui circulent, mais leur gamme n’est actuellement pas trop dégueulasse. Au contraire de la qualité de fabrication qui est quand même assez moyenne, l’attention aux détails n’est pas vraiment une priorité, mais c’est la norme et leurs concurrents ne sont pas différents. En général chez les grandes marques du luxe j’ai tendance à recommander les produits en peaux exotiques, tout simplement parce qu’ils sont parfois un peu plus soignés. Chez Gucci c’est plutôt l’inverse Kering (les propriétaires) ont massivement investi dans le serpent et ça se voit, la marque en propose beaucoup et si c’est votre truc je vous recommande ça plutôt que leurs crocodiles. Gucci est visiblement à la ramasse sur le crocodile. Les peaux ne sont pas belles, la pigmentation est vraiment abusive afin de masquer les défauts, pour le prix qu’ils font payer ça n’est vraiment pas la peine. Pareil pour l’autruche, je ne vois pas l’intérêt de la tartiner dans une mer de pigments alors qu’elle n’en a pas besoin. J’aime bien l’utilisation de bambou pour les poignées sur certains modèles de la gamme. En général les poignées en cuir sont assez moches sur les sacs industriels, et elles s’abiment assez vite (ce qui n’est pas de leur faute, la sueur et la friction sont en cause). Du coup les poignées en bambou sont une solution que je trouve élégante, tant qu’ils ne décident pas de les remplacer par du plastique, je suis preneur.

Si je devais en offrir un à ma femme (je pense aux quelques hommes qui se sont perdus jusqu’ici) : le Gucci Diana shoulder bag, dans sa version small ou medium. Probablement le noir ou le crème.

Le Gucci Diana (Source: Gucci)
Le Gucci Diana (Source: Gucci)

Delvaux

(Source: Delvaux)
(Source: Delvaux)

Delvaux est une marque très ancienne, qui a été pendant longtemps sous contrôle Chinois avant d’être rachetée en 2021 par le groupe Suisse Richemont. Le style est classique chic et assez moderne mais pas vraiment à l'avant garde, ni toujours de bon goût..

Ce qui est un succès chez Hermès (le crocodile Himalaya) est un désastre chez Delvaux. (Source: Delvaux)
Ce qui est un succès chez Hermès (le crocodile Himalaya) est un désastre chez Delvaux. (Source: Delvaux)

Il y a quelques modèles qui se veulent vaguement irrévérencieux (motif camouflage, ou griffé “ceci n’est pas un Delvaux” façon citation conne pour adolescent) et qui sont ratés. Globalement Delvaux est une marque qui doit probablement souffrir de la concurrence offerte par des marques comme Polène. Sans aller jusqu’à dire que c’est la même chose, le concept est similaire et Polène le fait pour beaucoup moins cher. Delvaux aime bien se faire mousser sur la qualité de fabrication mais elle n’a rien de spécial, pire elle est même en dessous de ce qu’on peut trouver chez Vuitton qui n’est pas aussi mauvais qu’on aime à la dire. Enfin, c’est plutôt que toutes les marques sont médiocres, Vuitton l’est juste un peu moins. Donc chez Delvaux, pas de point sellier, pas de points doublés, les finitions de tranche sont simplistes, bref c’est dans la norme des autres marques de luxe. Il n’y a pas d’exotique, probablement car la marque n’a pas de chaine d’approvisionnement adéquate. Les couleurs sont sympas, les modèles sont bien pensés, le prix est juste difficilement justifiable, plus que pour d’autres marques de luxe, mais on ne peut pas dire qu’ils soient une exception dans ce domaine.

Si je devais en offrir un à ma femme (je pense aux quelques hommes qui se sont perdus jusqu’ici) : Le brillant PM est sympa et passe partout.

Le Birllant PM de Delvaux (Source: Delvaux)
Le Birllant PM de Delvaux (Source: Delvaux)

Fendi

(Source: Fendi)
(Source: Fendi)

Fendi est une marque de la galaxie LVMH et ça se voit, puisqu’ils racontent n’importe quoi, comme essayer de faire passer un point gantier pour un point sellier.

Un point gantier que Fendi essaye de faire passer pour un point sellier... (Source: Fendi)
Un point gantier que Fendi essaye de faire passer pour un point sellier... (Source: Fendi)

Forcément, la gamme est large et essaye de satisfaire le plus grand nombre. Fendi est une marque qui se cherche un peu et qui n’est peut-être plus aussi populaire que durant les années où Karl Lagerfeld était à la direction créative. Le Fendi First est assez orignal, le Baguette et le Peekaboo sont des classiques. À titre personnel les seuls modèles que je trouve regardables sont ceux en exotiques, le reste est beaucoup trop de mauvais goût, comme le Fendi Baguette en paillasson de bain. J’espère pour eux que c’est du paillasson d’élevage, où ils auront des problèmes avec les écolos.

Tapis de bain à $4k où sac de luxe? (Source: Fendi)
Tapis de bain à $4k où sac de luxe? (Source: Fendi)

Si je devais en offrir un à ma femme (je pense aux quelques hommes qui se sont perdus jusqu’ici) : Le baguette "à peindre soit même".... Non je déconne, c'est de la merde. Autant donner mon argent à un artisan.

Fendi, sponsor des artistes en herbe (Source: Fendi)
Fendi, sponsor des artistes en herbe (Source: Fendi)

Yves Saint Laurent

(Source: Yves Saint Laurent)
(Source: Yves Saint Laurent)

Je mentionne uniquement pour éviter que quelqu'un vienne me dire que j’ai “oublié” Yves Saint Laurent. Globalement, aucun intérêt tant l’image a été diluée ça n’est ni beau, ni innovant, ni bien fait, et le prix est délirant. Aux alentours de 3500€ pour un sac en vache imprimée crocodile, pas de doute on est bien chez Kering. À la rigueur les sacs en lézard sont passables et encore… il y a tellement mieux ailleurs pour le même prix.

De la vache motif crocodile au prix de l'or. (Source: YSL)
De la vache motif crocodile au prix de l'or. (Source: YSL)

Si je devais en offrir un à ma femme (je pense aux quelques hommes qui se sont perdus jusqu’ici) : Même pas en rêve, autant se payer un week-end dans un relais & château ou acheter un bijou.

Cartier

(Source: Cartier)
(Source: Cartier)

Il y a des choses sympas chez Cartier de temps en temps, surtout si vous aimez le bordeaux, le noir et le vert. Niveau qualité de fabrication ce ne sont pas les pires des industriels, même si ça dépend des années. Bon il ne faut pas rêver non plus, la marque ne fait pas dans le point sellier, et globalement ça reste quand même très basique. Il y a quelques créations intéressantes parfois, notamment la collection Cactus qui était absolument hors de prix (plus de 100K pour des petits sacs) mais la bijouterie y était pour beaucoup. L’image de la marque est sinon pas mal diluée.

Une partie de la gamme Cactus (Source: Cartier)
Une partie de la gamme Cactus (Source: Cartier)
Le prix était absolument délirant, mais au moins la marque a fait quelque chose d'original (Source: Cartier)
Le prix était absolument délirant, mais au moins la marque a fait quelque chose d'original (Source: Cartier)

Si je devais en offrir un à ma femme (je pense aux quelques hommes qui se sont perdus jusqu’ici) : Il y a tellement de modèles (authentiques) de seconde main qui viennent du Japon pour presque rien que ça n'est la peine de vous ruiner pour du neuf.

Hermès

(Source: Hermès)
(Source: Hermès)

La seule marque de luxe qui fait dans le semi-industriel et non dans l’industriel complet. Je suis le premier à me moquer d’Hermès, mais ce sont les seuls à encore fabriquer certains de leurs modèles avec de véritables étapes à la main. Même si un Birkin ou un Kelly n’a que 10 à 15 % de coutures en cousu sellier, c’est mieux que 99,9 % de la concurrence qui en a… 0 %. Le Kelly et le Birkin sont des designs éprouvés, j’aime moins le Constance, mais si c’est votre truc et que vous en trouvez un qui n’a pas été bâclé, c’est aussi un bon sac. Posséder un sac Hermès est à double tranchant, en posséder un sans avoir l’air de détenir le compte en banque qui va avec vous rangera immédiatement dans la catégorie des pauvres bougresses qui ont une copie chinoise. Autre élément à considérer, on pourrait penser la clientèle d’Hermès un peu classieuse, mais il y a une proportion non négligeable de Nabila Karadashian eco+.

Pas mal de gens pense que la clientèle Hermès c'est ça. (Source: agencevu)
Pas mal de gens pense que la clientèle Hermès c'est ça. (Source: agencevu)
Alors qu'en réalité c'est plutôt ça. Ça peut surprendre quand on pense qu'il s'agit d'une marque pour la bourgeoisie versaillaise. (Source: cnbc)
Alors qu'en réalité c'est plutôt ça. Ça peut surprendre quand on pense qu'il s'agit d'une marque pour la bourgeoisie versaillaise. (Source: cnbc)

Au passage, des influenceurs profitent de leur position pour refourguer des copies de sacs Hermès (ou autre), la clientèle du sac de luxe, ça n'est vraiment plus ce que c'était...

Si je devais en offrir un à ma femme (je pense aux quelques hommes qui se sont perdus jusqu’ici) : il n’est pas possible de se tromper avec un Kelly, un Birkin ou un Constance de préférence dans une couleur un peu originale genre vert cyprès. Le reste est un peu comme un enfant non désiré, on l’aime quand même, mais ça reste une erreur.

Sac Kelly de Hermès (Source: Hermès)
Sac Kelly de Hermès (Source: Hermès)

Louis Vuitton

(Source: Louis Vuitton)
(Source: Louis Vuitton)

Une marque clivante si elle en est. La dilution de l’image est très forte, notamment à cause des innombrables contrefaçons, mais aussi à cause de la prévalence de la marque parmi certaines catégories socio-professionnelles. Le nom de Louis Vuitton est associé à la profession des marcheuses de rue comme pouvait l’être la chtouille ou la syphilis à une époque. Ce qui ne veut pas dire qu’ils ne peuvent pas s’intégrer idéalement dans une tenue. Mais c’est une association aussi automatique que touriste allemand = tong chaussette. Ça n’est pas péjoratif, mais il faut être au courant. Le Steamer Bag est le dernier sac Vuitton à incorporer du point sellier autrement que de façon anecdotique. Bon il n’y a que la couture du bas qui est encore faite au point sellier, mais comme c’est la plus importante on ne va pas trop se plaindre. Les prix ont tendance à s'envoler chez Louis Vuitton, et il y a de plus en plus de sacs laids, mais la marque propose encore des choses qui restent relativement classiques

Si je devais en offrir un à ma femme (je pense aux quelques hommes qui se sont perdus jusqu’ici) : une des nombreuses versions de la petite malle, de préférence celle en crocodile vert foncé ou bleu.

La petite malle par Louis Vuitton (Source: Louis Vuitton)
La petite malle par Louis Vuitton (Source: Louis Vuitton)

Goyard

(Source: Goyard)
(Source: Goyard)

Goyard est un peu le sous Louis Vuitton de la personne qui ne voulait pas de LV par simple esprit de contradiction tout en gardant un style similaire. Pour preuve, les modèles sont très similaires à LV, mais moins bien fabriqués. Si l'on prend simplement comme exemple le steamer de Goyard n’a aucune couture au point sellier, là où celui de Vuitton a encore sa base cousue de cette façon. Globalement il y a quelques modèles originaux, la Dé trunk (le nom est stupide) ou le Saïgon mini trunk (le nom évoque plus les bordels d’Indo et les fumeries d’opium que le luxe) par exemple… dommage que Gucci ait déjà eu l’idée des poignées en bambou, du coup le Saïgon a des poignées moches qui jurent un peu.

Le Saïgon, la poignée fait ultra cheap pour un sac à 10k. (Source: Goyard)
Le Saïgon, la poignée fait ultra cheap pour un sac à 10k. (Source: Goyard)

Si je devais en offrir un à ma femme (je pense aux quelques hommes qui se sont perdus jusqu’ici) : Le Bellechasse Biaude PM, parce qu'on peut le trouver avec l’immonde toile PVC à l’intérieur et non à l’extérieur, mais c'est uniquement sous la menace, sinon autant aller chez LV voire mieux, Hermès.

Le Bellechasse Biaude PM par Goyard (Source: Goyard)
Le Bellechasse Biaude PM par Goyard (Source: Goyard)

Moynat

(Source: Moynat)
(Source: Moynat)

Un énième ancien malletier qui a été racheté par LVMH pour faire des sacs en toile PVC. Cela étant dit il y a quelques modèles très sympathiques. Les modèles en toile sont presque abordables, signifiant leur place en bas de l’échelle LVMH de la toile enduite, avec Goyard juste au-dessus et Louis Vuitton couronnant le tout. En revanche les sacs sont globalement plutôt modernes et sobres ce qui change de certaines autres marques du groupe. Il y a quelques belles réussites notamment le Réjane ou le Flori (en nano).

Si je devais en offrir un à ma femme (je pense aux quelques hommes qui se sont perdus jusqu’ici) : Le Réjane BB, dans une couleur sympathique.

Le Réjane par Moynat (Source: Moynat)
Le Réjane par Moynat (Source: Moynat)

Les artisans

Nous n’allons pas évoquer les prix dans cette section, car ils sont assez proches de ce que vous allez payer pour les grandes marques, ils commencent environ à 3 ou 4000€ pour un sac et peuvent monter beaucoup plus haut. Cela étant dit, contrairement aux grandes marques industrielles, les prix sont directement corrélés à la valeur de l’objet, vous payez essentiellement de la main d’œuvre et de la matière première et une petite marge. Alors que dans l’industriel vous payez essentiellement la marge Les produits artisanaux sont fabriqués intégralement à la main, les prix varient donc un peu en fonction des artisans (le coût de la vie n’est pas identique partout), en fonction des cuirs et bijouteries utilisés, et dans le cas des commandes sur mesure en fonction de la difficulté du projet.

L’artisanat est un univers différent du monde mécanique et calibré des grandes marques, vous travaillez directement avec un être humain et non avec une multinationale gigantesque, cela comporte des avantages, mais aussi des inconvénients.

Il existe assez peu d'artisans en France qui vont produire des sacs intégralement à la main, qui développent leurs propres modèles et qui contrôlent tous les aspects de la fabrication, je limite pour l'instant cette section à trois noms, donc un est étranger mais travaille en Suisse. Il faut se méfier de certains "maroquiniers" qui utilisent leur nom, ou leur titre de MOF pour vendre de la maroquinerie bas de gamme fabriquée dans une usine. Comme il faut se méfier des marques qui prétendent faire de l'artisanal et n'en sont pas. Je ne liste pas Hosoï, bien qu'il s'agisse d'un des meilleurs maroquiniers en France, il travaille surtout sur du sac homme.

Si certains artisans veulent figurer dans cette liste et que ce qu'ils font nous plait, ils peuvent toujours nous contacter.

Serge Amoruso

(Source: Amoruso)
(Source: Amoruso)

Serge Amoruso est un maroquinier Parisien, vous trouverez sa boutique au 37 Av. Daumesnil, dans le Viaduc des Arts. Il a été formé à l’école Grégoire, est passé par le département malles d’Hermès puis a enseigné la maroquinerie pendant plusieurs années avant de se lancer en indépendant. Comme pour beaucoup de maroquiniers il bénéficie d’une certaine popularité en dehors des frontières hexagonales, notamment au Japon. En 2010 Serge Amoruso a obtenu le titre de Maitre d’Art, ce titre est décerné à vie aux professionnels des métiers d'art possédant un savoir-faire remarquable et rare, qui s'engagent pendant trois ans dans un processus de transmission à un élève. Ses créations sont épurées et modernes et en plus du cuir il travaille de nombreux types de matériaux différents. Il s’occupe également de réalisations sur mesure.

Peter Nitz

Peter Nitz n’est pas un maroquinier de formation. Originaire des États-Unis il a d’abord travaillé pour une maison d’enchère à Chicago. Il a ensuite déménagé en Europe où il s’est lancé dans la revente en lignes de vêtement et accessoires de luxe d’occasion à une époque où le marché était encore désert. Il a rapidement acquis une certaine notoriété dans ce domaine et une clientèle. Il s’est lancé dans la maroquinerie aux alentours de 2008 après avoir rencontré une ouvrière d’Hermès, avec laquelle il a appris le métier. Depuis il a ouvert son atelier indépendant à Zurich.

Plusieurs variations du dream bag de Peter Nitz en alligator et crocodile (Source: Peter Nitz)
Plusieurs variations du dream bag de Peter Nitz en alligator et crocodile (Source: Peter Nitz)

Sa production est moderne et imite par certains aspects la communication des designers des grandes marques mais la qualité est évidemment irréprochable. Son sac le plus populaire est le dream bag mais il a d’autres créations et propose aussi de la fabrication sur mesure.

Victor Dast

Victor Dast est un jeune maroquinier Parisien excessivement prometteur qui ne laisse rien au hasard dans ses créations. Il est passé par une école d’arts appliqués puis a rejoint les Compagnons du Devoir. Il commence son Tour de France en 2016, il se forme auprès de maîtres d'art de renom dont Jacques Ferrand. Durant son apprentissage il est amené à travailler pour les grands groupes de luxe, position qu’il quitte lassé par le manque d’intérêt flagrant que portent ces marques envers la qualité de leurs produits. Poussé par son amour des belles matières et de la précision du geste il lance Atelier Dast avec sa compagne en 2022. À l’heure actuelle Atelier Dast travaille à la réalisation de leur premier modèle de sac à main. Ce modèle sera décliné dans deux variantes, une medium et une mini.

Nous vous proposons quelques images du prototype. Le style se veut moderne et coloré, Victor réalise également des créations sur mesure dans un style feutré et moderne. C'est un maroquinier très sympathique, un ami de la maison, qui nous a laissé le suivre durant toutes les étapes de l'élaboration du nouveau sac. Nous allons donc pouvoir proposer à ceux qui nous suivent sur Patreon du contenu très rare sur toutes les étapes qui accompagnent la naissance d'un nouveau produit intégralement fabriqué à la main. C'est plus que rare de nos jours.

Élaboration de la maquette (Source: Victor Dast)
Élaboration de la maquette (Source: Victor Dast)
Le prototype terminé (Source: Victor Dast)
Le prototype terminé (Source: Victor Dast)

Le semi-entoilé n’existe pas

Avant-propos

Va trouver plus gros poncif que ça dans la bouche des auto-proclamés papes d’el famoso art sartorial : le semi-entoilé, c’est rigoureusement différent, ça n’a rien à voir, c’est le jour et la nuit comparé à l’entoilage thermocollé. Passons sur le fait que bien souvent les gens qui professent de telles inepties ne sauraient pas recoudre un bouton correctement et analysons un peu le propos. Certes, ils ne sont pas tailleurs, n’ont jamais appris ni à couper ni à apiécer une veste et sont bien incapables de saisir la différence entre “relarge” et “embus”. Mais bon, comment ne pas se dire que sur un malentendu ça peut passer, ils ont peut-être raison...

Ainsi, selon les grands manitous de la sape mal accordée, il y a deux genres de veste, celle qui est thermocollée et celle qui est entoilée (semi ou complet). La première, c’est la mauvaise veste. On prend son devant et pour le rigidifier, lui donner une consistance et un tombé, on applique sur le tissu une couche de toile thermocollante qui est ensuite collée au drap de laine par une presse (qui fait adhérer la colle du thermocollant au tissu par l’effet de la chaleur). C’est mal parce que ça ne respire pas, c’est trop rigide, ça n’accompagne pas le corps, ça fait des cloques immondes au premier passage au pressing et ça a un toucher franchement insupportable. En bref, c'est le mal et vous ne devriez surtout pas investir vos quelques deniers péniblement gagnés à la sueur de la machine à café d’un open-space livide de Bourg-en-Bresse dans cette merde.

La deuxième catégorie de veste, c'est le nirvana, le grand frisson, l’harmonie céleste, c’est l’entoilé ! (semi ou complet bon... différence de degré et non de nature pour les apôtres du style). L’entoilé donc, c’est une toile de laine non raffinée montée librement et qui peut avec amour flotter dans le corps de votre veste. C’est l’extase de la légèreté et de la structure, d’un tombé harmonieux et fluide, d’un toucher léger et subtil. Et la différence entre le semi et le complet... Roh, vous savez ma bonne dame, presque rien, rien que la longueur de la toile qui dans le premier cas ne couvrirait que la poitrine et dans le second irait jusqu’au bas de la veste, donc franchement quelle différence !?

Et bien, différence justement, il y a ! C’est ce qu’on va explorer dans cet article qui devrait, si tout se déroule bien, vous convaincre de ne plus jamais écouter la majeure partie de l’internet français sur l’entoilage. Naturellement de ne plus jamais investir quoi que ce soit dans une veste “semi-entoilée” et si vous n’avez pas les moyens de recourir à un artisan qualifié pour vous faire des vêtements, ce qui est j’imagine le cas de la grande majorité des gens, même de ceux qui lisent ces lignes, d’aller chercher des vêtements fait main en seconde main si vous voulez avoir sur le corps une veste avec une structure à tout le moins correcte. Car oui, n’en déplaise aux diplômés d’école de commerce adeptes de web/design/marketing/ia 9.0, la seule distinction qui vaille est à faire entre un vêtement fait à la main et un autre fait à la machine et il n’y a que la première catégorie qui intéresse les amateurs de qualité.

Le mot “entoilé” ne veut rien dire, ou alors pas ce que vous croyez

Les gens ne cousent plus, ce que je trouve personnellement très triste. Même si ça m’a valu des avances cavalières de quelques adeptes de la jaquette volante, je suis un homme.e.s qui coud quand il a du temps libre. Donc, on va discuter un peu de ce que toute bonne grand-mère sait, même si elle passe son temps à coudre des bavettes et que les adeptes du fameux art sartorial ignorent absolument, à savoir quelques éléments de vocabulaire.

Une veste thermocollée est une veste entoilée. Oui oui, une veste thermocollée est entoilée. Dans notre langue, “entoiler” signifie, par n’importe quel procédé, rigidifier un tissu. Si vous êtes des gens de goût, vous portez une chemise à l’heure actuelle et vous pourrez aisément constater en caressant langoureusement votre col qu’il est plus rigide que le reste du vêtement, il en va de même pour les poignets. Cet effet n’est pas produit par l’empilement de deux couches d’un même tissu fluide (le poids d’un tissu de chemise va chercher autour de 100g/m2 en général, ce qui est très léger). Sinon l’empiècement dans le dos aurait la même rigidité, ce qui fort heureusement n’est pas le cas. Ainsi, cette rigidité salutaire pour le bon aspect de la chemise est produite par un procédé d’entoilage. Le plus souvent, une toile thermocollante est appliquée sur l’une des deux pièces qui forment le tombant du col, le montant du col et les poignets. Votre chemise est donc entoilée, c'est-à-dire rigidifiée, mais par une toile thermocollante. C’est ça la définition de “l’entoilage”, l’utilisation d’une toile intermédiaire entre deux tissus pour en rigidifier la tenue. C’est pour cela que sur n’importe quel site commercial pour couturière du samedi après-midi, les toiles thermocollantes sont nommées “entoilage”. Rien de plus logique.

Maintenant que je vous ai donné l’anecdote linguistique pour frimer devant vos 3 potes rencontrés sur des forums obscurs, on va discuter de ce qui différencie vraiment des vestes dites thermocollées, semi-entoilées et entoilées, autrement dit vraiment pas grand-chose pour ne pas dire absolument rien dans la grande majorité des cas.

Le semi-entoilé est un vaste foutage de gueule

Vous allez finir par me détester, c’est mon premier article et je n’ai toujours pas justifié mon titre, donc on va y aller et plonger dans le sujet, parlons quelques instants du semi-entoilé.

Comparons donc, avec quelques photos de vestes démontées, éventrées et souillées, la différence concrète entre ces deux concepts : le thermocollé et le semi-entoilé.

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Ici, le démontage d’une veste dite “thermocollée” (figure ici le devant et le petit côté, une fois la parementure et la doublure retirées ainsi que l’épaulette pour rendre tout cela plus lisible). Il ne fait aucun doute qu’une toile thermocollante a été appliqué sur le tissu (de couleur blanchâtre) par une presse dans l’usine de fabrication. On est donc bien en face d'une veste thermocollée, aucun doute. Cependant, vous remarquerez que le traitement réservé à la poitrine et à l’épaule est différent de celui réservé au reste du vêtement. En effet, il y a une poitrine ! Elle est traditionnellement composée d’une espèce de pad à la forme analogue à celle du devant haut de la veste (revers excepté) qui comprend de la toile tailleur (ce n’est pas du crin de cheval donc c’est sans doute de la laine non raffinée ou un mélange entre de la laine et des tissus synthétiques). Ce pad est surmonté parfois d’une couche de ouate, pour soit ajouter de l’épaisseur, soit empêcher le contact de la toile avec la peau à travers la doublure. Tout ça pour vous dire que même dans une veste dont la nature thermocollée ne fait aucun doute, m’ayant coûté 2 francs 6 sous dans l'Emmaüs du coin, ne pouvant en rien être nommée “semi-entoilée” selon les principes conceptuels de la sartorialierie numérique et bien, il y a de la toile tailleur dans la poitrine. Choc et stupeur vous emplissent, je l’espère, tant c’était inattendu ! Et comme je sens que la polémique est partout derrière cette déclaration, je peux vous assurer que j’ai trouvé de la toile tailleur dans toutes les vestes thermocollées que j’ai démontées et j’en ai éventré un certain nombre !

Le point fondamental qui devait faire la différence entre la veste thermo et semi-entoilée eh bas... Il n’existe pas. Le coup porté est dur mais on continue, j’ai encore des trucs à dire, et vous n'avez sans doute rien de mieux à faire que de me lire.

On va désormais s’attaquer au démontage d’une veste qui coche les principes d’une semi-entoilée, à savoir dont le plastron est monté en “libre” (comprenez par là que les coutures qui retiennent l’entoilage au corps sont les uniques coutures “pad stitching” qui attache au revers la toile de laine de l’entoilage ainsi que la couture de l’emmanchure et non par des procédés de thermocollage).

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Je vous l'avoue, la différence avec les photos précédentes n’est pas absolument renversante. Je m’excuse, cet article envoie beaucoup moins de rêve que la majorité des autres sur le merveilleux semi-entoilé.

Allons-y, vous constaterez sans peine qu’ici aussi la totalité du vêtement a été copieusement arrosée de toile thermocollante (en beige rosé). On remarque peu ou prou le même pad bizarre dans la poitrine, la seule différence est qu’ici il descend un peu plus bas et qu’il y a une couche de ouate. Je précise ici que même si la ouate était absente dans la veste dite “thermocollée” que j’ai démontée plus tôt cette absence est bien davantage une exception qu’une règle, la ouate est dans la grande majorité des cas présente dans ce genre de veste également. En fait la seule différence fondamentale sic entre cette veste et la précédente se situe dans le revers. Ici, la toile a l'immense l'audace d’aller jusqu’au revers, tout arrive ! Vous avez sûrement entendu la bande de “mes blogueurs ont du talent” vous faire le couplet mille fois sur l’importance de l’entoilage du revers, que ça donnait un roulé, une volupté, une beauté inégalée, des cheveux aux aveugles et des yeux aux chauves et bien voilà, bienvenu au paradis le revers est entoilé ! En fait, c'est la seule différence notable entre les deux constructions. Si ça vous branche de payer deux fois le prix pour ce genre de connerie, ça vous regarde, mais quand même faut aimer se faire prendre dans les grandes largeurs !

Évidemment, je ne peux pas vous garantir que toutes les marques vendent le même semi-entoilé, en fait ça me paraît même très improbable, ça doit dépendre du cahier des charges des marques et surtout des différentes usines, dans le monde de la confection industrielle, on trouve de tout.

Cependant, il n’est pas compliqué de garantir que même s'il y a une variabilité des qualités dans le “semi-entoilé”, d’abord vous ne pouvez pas éventrer une veste en boutique avant d’acheter donc vous ne pouvez pas vous assurer que ladite qualité soit plus ou moins là et ensuite une veste faite en industrie obéira partout aux mêmes déterminants. Il faut accélérer les processus pour réduire les coûts. Cet impératif conduit à la mécanisation des processus de production. Pour le dire autrement, à moins d’acheter sa veste chez Kiton, rien n’est fait main sur ce que vous achetez dans la majorité des cas. Le problème, c’est que le tissu ce n’est pas de l’acier trempé, ça n’obéit pas à la machine comme à la main de l’homme. Prenons l’exemple de l’entoilage du revers, il est tout à fait inutile de le coudre à la machine, ça n’a aucun intérêt. Car ce que l’on recherche c’est à obtenir un roulé dans le revers, pour cela le tailleur lorsqu’il coud la toile au tissu prend soin de toujours coudre alors que le revers est enroulé, ce qui permet au drap du costume d'imprimer une forme produite en raison de la différence de volume entre le tissu principal et la toile tailleur qu’on obtient avec ce positionnement particulier de la main pendant la couture ainsi que grâce au type de point de couture (le fameux pad stitching). Dans le cas d’un entoilage fait à la machine, bien que durant la couture les deux tissus soient légèrement coudés l’effet produit est très différent, en l’occurrence quasi aucun effet n’est produit, il n’y a pas de rouler car il n’est pas mis en œuvre la technique qui permette de l’obtenir, une machine en est, pour le moment tout du moins et à ma connaissance tout à fait incapable.

Exemple de l’entoilage d’un revers à la machine, admirez le respect ancestral des traditions tailleurs. (Source: Pad-stitching by machine / jack_jdsuit / Instagram)

Exemple du résultat obtenu par un entoilage du revers cousu main avant le travail au fer. (Source:Pad stitching the lapels / krarimtailoring / Instagram)

Pour vous en convaincre, voici un comparatif des fameux roulés des deux vestes que vous avez vues démontées auparavant :

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Franchement moi, je ne suis pas convaincu par la fondamentale différence entre les deux approches. Est-ce que ça roule légèrement plus sur la veste “semi-entoilée” ? Oui, bon, si on travaille ardemment pour s’en convaincre on devrait réussir à y arriver mais ça ne saute qu’assez peu aux yeux.

Je dois à l’honnêteté de vous montrer avec précision la différence entre ces deux constructions, à savoir le revers piqué à la strobel de la veste semi-entoilée. Je précise ici que c’est la seule partie du devant sur une veste “semi-entoilée” qui n’est pas arrosée de thermocollant, sinon cette piqûre passerait d’un intérêt relatif à l’absence absolue d'intérêt.

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La seule différence véritablement notable est la piqûre (que vous voyez en blanc presque transparent) faîte à la machine. Elle crée un différentiel de volume entre le drap du costume et l’entoilage qui, certes, le force quand on le retourne à retrouver sa place contre la poitrine. C’est la vérité, mais cela n’a qu’une influence esthétique et pratique très faible sur la veste une fois finie, comme sur la longévité globale du vêtement qui est tout de même thermocollé et donc souffre des défauts du thermocollage, variable en fonction de la qualité, l’épaisseur et de la juste correspondance entre la toile thermocollante et le drap de laine du costume. Autant de facteurs que vous ne pouvez pas évaluer en boutique.

Cette constatation nous amène à ce qui, au fond, est le seul sujet qui puisse être un tant soit peu important dans toute cette histoire, à quoi bon entoiler ? À quoi cela peut-il véritablement servir d’avoir une veste faite à la main par un vieillard moustachu, nostalgique des colonies et du Général qui lui, au moins, savait faire les coups d’État correctement ?

Une veste véritablement entoilée : différentes méthodes et pratiques de l’entoilage

Vous pardonnerez le fait que cette partie regorge bien plus de dessins et de schémas techniques que de photos, je vous aime bien mais faut pas pousser, je ne compte pas détruire les quelques vestes faites à la main que je possède pour impressionner trois clampins sur internet.

L'enjeu de cette dernière partie est de rentrer dans la théorie de l’entoilage, vous faire sentir que la classification tripartite thermo-semi-complet est vraiment absolument idiote quand on se retrouve devant une table de coupe et qu’on a l’idée un peu conne de se demander comment on va construire son entoilage. Évidemment, je n’ai pas la science infuse et on se moque assez des singes savants d’Internet ici pour que je me pose en repère moral, alors pour toute question, remarques ou commentaires, le bien nommé espace des réflexions est plus bas et j’y campe déjà, je vous y attends.

Les toiles tailleurs, un bordel sympathique

(oui, il n’y a de sous-parties qu’au III, mais ce n’est pas un mémoire universitaire donc on s’en fout).

Sujet qu’on a rapidement effleuré dans les parties précédentes, il y a plusieurs sortes de “toiles tailleurs”, et on n'est pas juste accro à la différenciation à tout prix, quand on pense un entoilage, on part des effets produits par les différentes toiles.

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(Gauche) Toile tailleur 100% laine non raffinée légère / (Droite) Toile tailleur mélangée laine/viscose épaisse.

D’abord la toile tailleur la plus classique, qui est aussi souvent appelée toile tailleur sans se creuser la tête beaucoup plus. C’est celle qu’on utilise pour recouvrir la totalité du devant, sûrement celle avec laquelle la majorité d’entre vous êtes familier, c'est la plus connue et répandue sur les photos trouvables sur Internet. Pour les jolies toiles, c'est de la pure laine non raffinée, ce qui donne cet aspect brut, C’est un tissu très agréable à travailler je dois dire avec un toucher sympathique. Il en existe des versions tout à fait comparables qui sont faites avec des mélanges, laine/lin/mohair/chèvres... Tout ce que vous pouvez imaginer. Il y a aussi des versions avec des étoffes moins nobles comme de la viscose sur le marché, je n’ai pas observé que la présence de viscose produise un travail inférieur et je dois dire, il m’arrive d’utiliser des toiles dans lesquelles elle est présente et ça n’est pas déplaisant.

Il est à noter un point important, on entoile pour renforcer un vêtement, lui donner un tombé et jouer sur ces formes et son esthétique, donc on entoile avec une toile qui correspond au drap dans lequel on coupe le vêtement. Tous les entoilages ne vont pas avec tous les tissus. Les principales différences tiennent au poids des entoilages, à leur matière et à la façon dont ils sont tissés. Un tissu lourd, disons une flanelle de 420g/m2, doit être entoilé avec un entoilage plutôt lourd, qui ait de la consistance. Là où un lin pour l’été trouvera une meilleure combinaison avec une toile de laine d’entoilage légère pour l’été. Pour un tissu lourd, on veut un entoilage lourd et pour un tissu léger un entoilage léger, au moins en règle générale. Ainsi, n’importe qui qui vous dit qu’entoiler une veste de 420g/m2 avec une toile tailleur de 135g/m2 est une idée brillante est certainement aussi fiable que le discernement de Joe Biden. Si on vous en donne le choix, optez pour des entoilages lourds si vous commandez des vêtements d’hiver, ça tient plus chaud, ça correspond au tissu, ça vieillit mieux et ça permet un travail sur la forme du vêtement très intéressant.

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Toile de poitrine, 100% crin de cheval.

La deuxième toile la plus importante est la toile qui est utilisée dans la poitrine, c’est une toile constituée de crin de cheval. Alors, vous me direz, mon Dieu, mais pourquoi le crin de cheval ? En fait, ce n’est pas compliqué. Les toiles de crin de cheval sont constituées de fibres qui n’ont aucun problème à se plier dans un sens, mais refusent ABSOLUMENT de se tordre dans l’autre sens ! (naturellement, je parle de sens par rapport au droit-fil). C’est très pratique pour les poitrines, car c’est la partie de la veste qui par excellence ne doit pas être froissée, ça ne mettrait pas en valeur la belle carrure d’une poitrine que doit retranscrire une veste bien coupée ! Eh bien en orientant soigneusement cet entoilage, pas de risque de froissure, donc une belle poitrine en vue.

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Toile de ouate blanche, très classique.

Cependant, la toile de crin a un sérieux problème, ses fibres sont très abrasives et au contact de la peau, on passe vraiment un moment à chier. Donc, on place généralement une couche de ouate entre la toile de crin et la doublure pour éviter cet effet. Il me semble qu’on peut débattre de la présence de cette ouate, on peut ne pas en mettre partout sur la poitrine mais uniquement sur les endroits abrasifs, c'est-à-dire les bords à vifs. Cependant, en général, sauf pour les vestes que l’on cherche à rendre les plus légères et les moins chaudes possibles, on applique de la ouate sur une superficie légèrement supérieure à celle de la toile de crin et on s’assure qu’aucune fibre ne puisse traverser la ouate.

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Toile de bougan 100% coton.

Quelque chose dont peu de personnes parlent désormais le bougan. C’est une toile de coton assez particulière car une fois empilée une couche sur l’autre et mouillée, elle se solidifie. On peut l’utiliser pour rigidifier encore davantage que ne le ferait la toile seule la pointe d’un revers, la partie basse du col, on le trouve aussi pour amidonner la poche poitrine, mais dans le cas d’un entoilage de corps. J’ai personnellement plus tendance à en user pour renforcer les basques (ou quartier selon l'appellation). J’ai souvent lu que de nombreux tailleurs utilisent ou utilisaient des toiles de lin non raffinées pour servir cet objectif, je n’ai jamais eu l’occasion d’en travailler mais c’est sans doute une excellente option, encore faut-il trouver un lin bien rigide ce qui est difficile de nos jours.

Un dernier point pour vous parler de ce dont, précisément, on ne va pas discuter aujourd’hui (j’espère qu’on le fera un autre jour), le col ! En effet, le col lui aussi est entoilé, formé et plaqué grâce à une toile de lin coupée en biais dont voici une photo :

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Toile 100% lin pour entoiler le col.

Maintenant qu’on a passé en revue les différents éléments utilisés dans la conception d’un entoilage on va s’atteler à leur disposition sur le devant d’une veste, c’est la partie la plus amusante !

La disposition des toiles, le patronage de l’entoilage ou la partie vraiment sympa de toute cette histoire

Je vais essayer de vous présenter les types d’entoilages les plus répandus et leur adjoindre mes commentaires pour essayer de vous convaincre de l’idée qu’il n’y a jamais eu, n’a pas et n’aura jamais la veste “entoilée” ou “intégralement entoilée” mais que l’entoilage est une question en débat, qui va dépendre du goût, du vœu et du style de chacun.

La version basique, tellement basique que vous l’avez peut-être déjà vu sur un internet, un corps, une poitrine et au lit :

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(Ici la toile tailleur est en vert et la toile de crin est orange)

Il y a quand même quelques trucs à dire sur cette construction. Déjà, il y a une pince. On n'a pas parlé patronage dans cet article, on le fera, j'espère une prochaine fois mais basiquement une pince enlève du tissu à un endroit et crée du volume à son point (le point d’une pince est son extrémité terminale en rouge ici, c’est le même topo sur l’arrière d’un pantalon) ici, on fait une découpe, les pointillés, pour insérer la pince donc on n'a pas de point sur le dessous ce qui viendrait signer une double pince, cette manipulation qui est utilisée dans la majorité des vestes modernes évite de créer du volume au niveau des hanches mais uniquement au niveau de la poitrine. Ainsi, on va venir créer du volume dans la poitrine, ce que personne ne devrait trouver bizarre dans la mesure où la poitrine, même masculine, a un volume que l'entoilage doit embrasser, et la taille, une circonférence plus petite qu’il faut venir marquer.

Le deuxième point intéressant de cet entoilage se trouve au niveau de la ligne d’épaule. Il y a une découpe dans l’entoilage, ouverte, dans laquelle on coud une autre toile (ici je l’ai laissé blanche pour que vous visualisiez bien). Alors pourquoi donc a-t-on attaqué au sécateur rouillé un si bel édifice ? Eh bien pour le comprendre, il va falloir reparler d’anatomie qui, in fine, commande en toute matière quand on discute patronage.

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Comme vous pouvez le voir sur cette image d’anatomie, on a une sorte de creux qui vient se loger sous la clavicule avant d’en arriver à la forme de l’épaule. C’est ce creux auquel va venir s’adapter la découpe de l’entoilage pour que le corps de la veste se pose correctement sur le corps et ne réagisse pas de façon étrange ou disgracieuse.

Évidemment, je ne l’ai pas mentionné mais pour une forme d’entoilage classique on retrouve une toile de ouate sur la toile de crin pour protéger la poitrine du porteur, rien à dire de particulier, elle est cousue avec la toile de crin au corps de l’entoilage (la toile tailleur) soit avec un pad stitching horizontal, vertical ou qui intervertit l’un pour l’autre à mi-poitrine. À savoir que la manière dont est cousu ce point est indifférente, il ne sert pas à créer un différentiel de volume et donc une forme (comme c’est le cas au niveau du revers) mais uniquement à raccorder la ouate à la toile et les toiles entre elles.

Pour complexifier notre entoilage, on va faire un truc assez simple, on va lui rajouter des pièces. Tout d’abord quelque chose d’assez répandu et selon moi de plutôt intelligent, on peut ajouter une plaque d’épaule au niveau de la ligne d’épaule.

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C’est une couche de toile tailleur coupée en droit-fil qui s’insère au niveau de la couture d’épaule et qui sert à renforcer et améliorer la netteté de cet endroit. Je dis que je trouve ça intelligent car l’épaule est l'endroit, sur un devant de veste qui est sans doute le plus anguleux et complexe, aussi si on opte pour des épaulettes plutôt légères, voir pas d’épaulettes du tout, ajouter de la netteté à la ligne d’épaule via une plaque d’épaule ne peut pas faire de mal. C’est une bonne idée qui ne mange pas de pain.

Si on veut encore rendre cette histoire un peu plus compliquée, on peut s'intéresser aux basques.

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C’est quelque chose qu’on voit peu mais certains utilisent des toiles, souvent de lin, personnellement je lui substitue le bougan, pour renforcer ici la tenue des basques, c’est sûrement davantage une question de goût qu’autre chose, selon qu’on préfère avoir des basques plutôt plus ou moins rigides. Cela doit également améliorer le tombé global de la veste, pourquoi pas au final, sur un vêtement de mi-saison ou d’hiver qui ne nous fera pas crever de chaud à cause d’une couche de tissu en plus (en trop).

Pour complexifier encore un peu cette histoire on peut aussi ajouter des pinces pour ajouter du volume dans la poitrine.

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J’ai le sentiment que c’est plutôt quelque chose de rare dans le vêtement masculin, ça trouverait plus d’utilité si on parlait des femmes. Cependant, si vous voulez un vêtement avec un peu plus de volume à la poitrine, on ne peut que conseiller cette option. Le rendu, en termes de style, sera plus maximaliste et clivant mais il y a du bon dans le clivage.

Alors, si vous n’êtes pas encore rassasié de schémas en tout genre, on peut discuter d’un autre point vraiment important. En théorie si vous lisez sartorialisme, vous devriez savoir ce que sont un droit-fil et un biais mais on va quand même revoir les bases avant d’appliquer cette distinction à nos entoilages. Le tissu a un sens, si on prend le sens parallèle à son côté non découpé (là où on trouve la lisière sur les beaux tissus de grands drapiers) on est dans le droit-fil, si le tissu est à rayure, la rayure va dans le sens du droit-fil. Le droit-fil (sauf s'il y a de l'élasthanne dans le tissu mais comme on est entre gens sérieux ça ne devrait pas arriver), je disais donc, le droit fil ça ne s’élargit pas quand on tire dessus, ça reste comme c’est. Au contraire du biais. Le biais ce n’est pas l’opposé du droit-fil, mais le tissu pris dans un angle de 45° par rapport au droit-fil. Dans cette orientation-là, le tissu a une grande capacité à s’étendre si on tire dessus, il est très malléable.

Cette distinction est très intéressante une fois appliquée à l’entoilage d’un vêtement. Pourquoi ? Parce qu’en choisissant de positionner plutôt les toiles d’entoilage en droit-fil ou plutôt en biais on va avoir un rendu différent, on va avoir un entoilage plus ou moins strict ou plus ou moins souple. On va jouer sur le style de notre pièce (d’ailleurs, j'ai mis des flèches qui indiquent le sens du droit-fil sur les dessins précédents si vous voulez vous faire une idée de la façon dont on place la toile)

Exemple : vous voulez une veste plus légère et malléable, optez pour un entoilage du corps en léger biais (en biais total ça n’aurait aucune tenue faut pas pousser) et une poitrine tout à fait en biais qui sera bien plus malléable, il me semble que Steven Hitchcock sur Savile Row fait plus ou moins ça.

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À l’inverse, vous voulez une veste stricte qui vous tienne et vous fasse paraître puissant, fort et jeune, optez pour un entoilage en droit-fil, ça produira un effet plus strict et conforme à une esthétique plus tenue, c’est le schéma que j’ai présenté en premier.

Je pense qu’on a plus ou moins fait le tour des principaux points à avoir en tête quand on imagine entoiler un devant de veste de façon un peu correcte. Maintenant, on va voir quelques cas particuliers et curiosités en tout genre avant de passer à une conclusion que vous aurez bien mérité.

L’entoilage ça peut être vachement rigolo. Curiosités d’entoilage dénichées çà et là

J’ai un peu parlé dans le paragraphe précédent de l’intérêt de positionner la toile de poitrine en droit-fil ou en biais. Eh bien, figurez-vous que certains ont entrepris de mêler ces deux approches pour arriver au meilleur des deux mondes. C’est sur une veste d’un grand tailleur italien dont j’ai oublié le nom (l’article doit encore être trouvable sur tutofattoamano).

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L’idée est simple. La partie de la poitrine la plus proche de l’épaule voit sa toile (en crin de cheval) être coupée en droit-fil, l’épaule est donc “stricte”. Mais l’autre partie de la poitrine est coupée en biais, donc le bas de la poitrine est plus “malléable”. Très honnêtement, vu le niveau de complication de la chose, je ne sais pas si ça produisait un effet intéressant. J’ai entendu dire que la maison italienne qui faisait ça dans les années 90 ne le fait plus, alors c’est une sorte d’hommage à une pratique disparue.

Une autre curiosité sur laquelle je suis tombé et à laquelle je dois dire, j'ai adhéré assez franchement est le fait d’étendre l’entoilage au niveau du bassin comme sur le schéma suivant :

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Pour comprendre pourquoi on voudrait faire ça, il faut rappeler un concept que j'ai déjà distillé dans cet article quand il s'agissait de parler des revers. En anglais on appelle ça "Law of relative length", je ne connais pas de traduction française mais l'idée est qu’une forme est créée lorsque la longueur d’une surface change relativement à la longueur du reste de cette surface sur une ou plusieurs couches.

Dans notre cas, on va rendre l'entoilage au niveau des hanches plus petit que le tissu du costume. Ainsi, on va forcer le tissu du costume à prendre une forme et à se courber dans le sens des hanches. Au lieu de vivre sa vie et souvent de donner un résultat disgracieux, il va être forcé de rester en place. C'est une excellente application de cette théorie, surtout pour les hanches compliquées et si vous en avez l'opportunité, je vous recommande de tester cela.

Enfin et pour finir, on peut parler de quelque chose qui est, je le crois aussi relativement rare de nos jours, une plaque de toile tailleur en biais dans l’arrière de l’emmanchure. Celle-ci va servir de base et de renfort à la couture de la cigarette qui donne son bel aspect à la couronne de la manche. Voici son schéma :

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Conclusion

Au fond, ce que j’ai essayé de vous dire durant cet article est de ne pas vous arrêter aux typologies toutes faites, aux idées simples ou aux constructions intellectuelles trop répandues et rapides pour être fidèles à la réalité matérielle. L’entoilage, la façon dont il est réalisé, dont il est pensé, dont il émerge dans le travail du tailleur doit se reposer sur l’anatomie, l’envie et le style du porteur comme de la pièce. Il compte infiniment plus que le nombre infini des fioritures grotesques que proposent les salons de mesure industrielle. La beauté de l’entoilage, c'est son adéquation avec le porteur et son corps.

À bon entendeur.

Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur les semelles en caoutchouc

Avant-propos

Nous avons évoqué le cas des semelles en cuir dans la première partie de cet article, nous allons donc maintenant traiter des semelles en caoutchouc.

Ces semelles sont de plus en plus populaires et elles sont bien souvent présentées par les marques comme une option plus “durable” aux semelles en cuir. Libre à vous de le croire, après tout certain accordent du crédit aux promesses des politiques néanmoins il serait quand même bien naïf de prendre les affirmations des fabricants pour argent comptant. En réalité, comme pour les semelles en cuir on trouve des semelles en caoutchouc qui sont de plus ou moins bonne qualité et qui vont donc être plus ou moins durables. Le problème c’est que beaucoup de gens l’ignorent et pensent qu’une semelle en caoutchouc en vaut une autre ce qui entraine parfois des déceptions. Dans la pratique je ne suis pas convaincu par l’argument de durabilité des semelles en caoutchouc et ce pour une raison très simple. Elles s’usent certainement beaucoup moins vite que les semelles en cuir (enfin, ça, ça dépend des marques), mais une fois usées, il faut les remplacer. Or les cordonniers sont de moins en moins courants, et en dehors des quelques grands noms, de moins en moins compétents. Autant le dire simplement, beaucoup de souliers avec une semelle en caoutchouc usée ne seront jamais ressemelés et se dirigeront à la poubelle ou sur Ebay.

Vous allez me dire qu’il en va de même avec les chaussures qui ont des semelles en cuir et vous avez bien raison. Mais il est toujours possible de leur faire poser un patin. C’est d’ailleurs une source de bonnes affaires si vous êtes un peu doué de vos mains, vous pouvez acheter des souliers que beaucoup pensent foutus car la semelle leur paraît trop usée et leur coller un patin, une redresse et un fer et vous obtenez une paire de pompe pratiquement neuve. Ce qu’il est impossible de faire avec des semelles gomme. Mais c’est une considération qui ne va intéresser qu’une minorité de gens, en réalité la vaste majorité des chaussures ressemelables finissent tout simplement à la poubelle.

Dans cet article nous traitons essentiellement de l’utilisation urbaine des semelles en caoutchouc. Nous allons aborder rapidement les semelles commandos, mais il faut garder à l’esprit que quand nous mentionnons les avantages ou inconvénients de certains types de semelles c’est dans le cadre d’une utilisation à la ville.

Nous allons commencer par présenter les différents types de semelles en caoutchouc qui existent. Ce qu’il faut bien comprendre c’est que le type de semelle n’a pas autant une influence sur sa durabilité que sa dureté, mais nous allons revenir là-dessus dans un instant. Le principal intérêt de tel ou tel type de semelle en caoutchouc réside dans l’adhérence qu’elle offre, sa finesse ou son aspect visuel. Bien évidemment cette liste n’est pas exhaustive, nous présentons simplement les semelles les plus courantes.

Typologie des semelles

La semelle York

1 patine guide semelle caoutchouc

La semelle York est une semelle en caoutchouc partielle puisqu’en cambrure elle est composée d’une partie en cuir. Elle réplique l’apparence d’une semelle en cuir avec un patin à la différence près que la partie de la semelle en caoutchouc dispose de picots pour une meilleure adhérence. C’est un type de semelle que l’on trouve essentiellement chez les fabricants de la péninsule ibérique, moins chez les autres.

La semelle City

2 patine

La semelle de type City devient de plus en plus courante sur les modèles de chaussures “habillées” car elle est en général très fine. Elle est donc difficilement décelable quand vous voyez une chaussure de profil et c’est en réalité là son intérêt principal. Je ne pense pas qu’elle soit plus ou moins adaptée à la ville qu’un autre type de semelle en caoutchouc, son nom “city” étant plus à mettre en relation avec le vestiaire urbain qu’avec une habilité particulière à écraser des pieds dans le métro ou casser des têtes sur un trottoir. Deux caractéristiques pourtant primordiales dans nos métropoles modernes.

La semelle de type “Dainite” (ou semelle stud)

3

C’est de loin le type de semelle le plus populaire. Fabriquée à l’origine par la marque Dainite (d’où le nom) elle est aujourd’hui copiée par pratiquement tous les fabricants, bons ou mauvais. C’est une semelle assez polyvalente qui s’adapte à une utilisation urbaine comme rurale. En hiver elle a tendance à être un peu glissante et peut devenir même franchement casse gueule. L’inconvénient d’une semelle Dainite de la marque Dainite est son prix. Beaucoup de fabricants utilisent donc des copies “no name” qui leur coûtent beaucoup moins cher, qui sont absolument nazes et vont s’user rapidement. La copie produite par Vibram est de bonne qualité. Notez qu'il n'est pas rare que les studs soit sur le passage de la couture PP chez certains fabricants un peu pressés, comme c'est le cas dans l'image ci dessus. Ça ne porte en général pas à conséquence, surtout si la couture n'est que décorative comme cela arrive parfois.

La semelle Ridgeway

4

Là aussi une fabrication originale de Dainite qui existe sur le marché en de nombreuses versions no name de qualité médiocre. C’est une semelle que l’on trouve surtout sur les bottines et autres chaussures d’utilisation plus rurale mais il n’est pas rare de la voir sur des chaussures de ville, ce qui est d’ailleurs assez laid.

La semelle commando

5 C&J

C’est une semelle qui a été inventée par Vibram, le nom d’origine était Carrarmato, mais les Anglais ont rapidement pondu une copie pour usage militaire, d’où le nom Commando. C’est un type de semelle qui est particulièrement adapté aux bottines mais certaines marques ont pris pour habitude d’en mettre sur des mocassins, et autres chaussures de ville. C’est un peu l’équivalent d’avoir un SUV en milieu urbain, ça ne sert à rien et vous avez l’air d’un plouc mais ça fait crier les écolos donc c’est rigolo.

La semelle en crêpe

6 Weston

Ce type de semelle est réalisé à partir de caoutchouc de plantation, alors que les autres semelles en caoutchouc sont réalisées à partir de dérivés du pétrole. Ce sont des semelles très souples et donc très confortables mais elles ont tendance à être aussi très peu durable. Notamment en raison de la souplesse du matériau, mais aussi parce que le crêpe est très sensible à la chaleur et aux solvants. Ces semelles ont la réputation d'être excessivement glissantes sous la pluie.

Ce sont là les types de semelle les plus courants, mais il en existe un bon nombre d’autres qui peuvent être propres à certaines marques de chaussures. Ce sont des semelles qui viennent de fournisseurs tiers (comme toujours) mais qui sont fabriquées selon les spécifications de la marque de chaussure qui les commande, et qui peuvent être “griffées” (comprendre par là qu’elles ont le logo de la marque de chaussure) je pense par exemple aux semelles en caoutchouc Weston, parmi bien d’autres. Ces semelles ne sont pas toujours de bonne qualité, car il arrive bien souvent qu’elles soient commandées chez des fournisseurs qui sont assez bas de gamme, ou qu’elles soient spécialement pensées pour le confort du porteur au détriment de la durabilité.

Une semelle Weston qui craque en 18 mois. (Source: depiedencap)
Une semelle Weston qui craque en 18 mois. (Source: depiedencap)
Une semelle Lobb qui part en vrille, là aussi rapidement. Le client semble user prématurément le bout de ses chaussures. Nous allons revenir là dessus plus tard dans l'article. (Source:styleforum)
Une semelle Lobb qui part en vrille, là aussi rapidement. Le client semble user prématurément le bout de ses chaussures. Nous allons revenir là dessus plus tard dans l'article. (Source:styleforum)

Maintenant que vous connaissez les principaux types de semelles en caoutchouc nous allons aborder quelques questions techniques et commerciales.

La popularité des semelles gomme

Il est évident que les semelles gomme deviennent de plus en plus populaires. C’est une célébrité un peu tardive quand on considère que ces semelles existent depuis plus d’un siècle. Il faut dire que beaucoup de progrès ont été fait depuis. Les marques poussent de plus en plus pour la généralisation des semelles en gomme. Notamment car cela leur permet d’économiser un peu voire même beaucoup d’argent, une paire de semelles J. Rendenbach coûte (au prix cordonnier, les usines payent moins, évidemment) environ 60€, une paire de Dainite stud on est plus aux alentours des 30€ (là aussi, tarif cordonnier) et c’est plus ou moins LA marque de référence. Si vous voulez une copie Chinoise de Dainite on va descendre allègrement en dessous des 6€ la paire. Si une usine part sur du croupon no name à tannage végétal classique plutôt que du Rendenbach, on est quand même aux alentours de 15€ la paire (toujours prix cordonnier). La semelle en gomme Chinoise reste donc toujours moins chère, et surtout elle va probablement durer plus longtemps que le croupon naze, donc le fabricant est gagnant. Et puis les usines savent bien qu’aujourd’hui l’écrasante majorité de la population ne sait pas ce que c’est que d’avoir des chaussures en cuir, les semelles en caoutchouc vont donc être plus populaires tout simplement car elles glissent moins, sont moins contraignantes vis à vis de la météo et sont plus durables. Bref, les marques ont toutes les raisons de les mettre en avant.

Une copie no name de Dainite, ça ne coûte pas cher et le client est content.... du moins dans un premier temps. (Source: Morjas)
Une copie no name de Dainite, ça ne coûte pas cher et le client est content.... du moins dans un premier temps. (Source: Morjas)
D’après Cobbler Union le seul avantage de la semelle en cuir par rapport à la semelle en gomme est d’être trop classe. Ça n’est pas totalement faux quand on considère le papier mâché qui sert de semelle cuir dans cette gamme de prix.   (Source:cobblerunion)
D’après Cobbler Union le seul avantage de la semelle en cuir par rapport à la semelle en gomme est d’être trop classe. Ça n’est pas totalement faux quand on considère le papier mâché qui sert de semelle cuir dans cette gamme de prix. (Source:cobblerunion)
Les marques font le forcing au point de commander des articles à des pigistes pour ensuite spammer les différents media maintream avec le même article. Ici un article de commande que l’on trouve un peu partout, et qui sans surprise demande à Dainite… ce qu’ils pensent de Dainite. (Source:robbreport)
Les marques font le forcing au point de commander des articles à des pigistes pour ensuite spammer les différents media maintream avec le même article. Ici un article de commande que l’on trouve un peu partout, et qui sans surprise demande à Dainite… ce qu’ils pensent de Dainite. (Source:robbreport)

La durabilité des semelles en gomme

Comme pour les semelles en cuir, l’un des éléments qui va déterminer de la durabilité (ou non) d’une semelle en caoutchouc est sa dureté. Bien évidemment, comme pour les semelles en cuir le poids du porteur, sa démarche, la fréquence d’utilisation... vont avoir une influence sur la durée de vie d’une semelle. Le climat en revanche beaucoup moins, c’est d’ailleurs là l’un des principaux avantages des semelles en caoutchouc, leur résistance à la pluie. Plus une semelle en caoutchouc va être dure plus elle va être résistante. Le problème c’est qu’en tant que client vous n’avez absolument aucune idée de la dureté de vos semelles en caoutchouc. Comme vous n’avez d’ailleurs aucune idée de leur composition réelle. Pour mesurer la dureté d’une semelle en caoutchouc on utilise la dureté Shore. Nommée d'après son inventeur, Albert Ferdinand Shore, la dureté Shore offre différentes échelles pour mesurer la solidité de différents matériaux. Il existe un total de 12 échelles de dureté Shore pour mesurer la dureté de différents matériaux, tels que les caoutchoucs souples, les plastiques rigides et les gels super souples. Ces échelles de dureté ont été créées pour que tout le monde puisse discuter de ces matériaux et avoir un point de référence commun pour eux. Les 3 échelles les plus courantes sont 00, A et D, L'échelle Shore 00 est utilisée pour les gels et caoutchoucs super souples (exemple une semelle interne en gel), l’échelle shore A est utilisée pour les caoutchoucs "plus souples" (pneu, semelle de chaussure en caoutchouc...), tandis que l'échelle Shore D est couramment utilisée pour les caoutchoucs "plus durs" (roue de caddy, casque de chantier). Pour les semelles on est en général sur des valeurs qui vont de 55 à 85 Shore A mais il y a des exceptions. Les marques n’indiquent jamais la dureté shore de leurs semelles et dans un sens ça n’est pas plus mal. Car ça évite que les marques d’école de commerce en fassent une “caractéristique” de leur produit comme ça l’a été avec le cousu Goodyear. Et puis ça évite aussi que les débilos qui lisent sans comprendre n’en parlent comme ils peuvent le faire souvent dès qu’ils ont l’impression qu’un concept est important mais qu’ils n’en maîtrisent pas le sens. Toujours est-il qu’il existe des disparités assez importantes en fonction de la qualité de la semelle. C’est également valable pour les patins à mettre sur une semelle cuir. Le patin standard “Topy Élysée” est à 85 Shore A un patin très dur, bien souvent beaucoup plus résistant que n’importe quelle semelle Dainite no name que vous trouvez sur les marques d’entrée de gamme. D’autres patins sont plus proches des 60 ou 65.

Les échelles de dureté shore 00 A et D avec des objets de référence. (Source:artmolds)
Les échelles de dureté shore 00 A et D avec des objets de référence. (Source:artmolds)

Est-ce qu’on fait poser un fer sur une semelle en caoutchouc ?

L’un des inconvénients majeurs des semelles en caoutchouc c’est qu’elles ne protègent pas les mangeurs de bouts. Qu’est-ce qu’un mangeur de bout ? Ça n’est pas une nouvelle perversion sexuelle à la mode, mais un symptôme que l’on retrouve chez certaines personnes. À cause d’une démarche "anormale" ces gens abîment l’avant de leur chaussure à une vitesse hallucinante. Sur une semelle en cuir, en moins d’une dizaine de ports un mangeur de bout peut avoir totalement détruit l’avant de sa semelle. C’est un phénomène qui est plus ou moins prononcé et qui touche beaucoup de gens. La solution sur les semelles en cuir est de faire poser un fer encastré. Les semelles en caoutchouc ne sont pas immunisées contre les mangeurs de bouts. Il leur faudra plus de temps pour détruire l’avant de leur chaussure, mais ils y arriveront toujours. J’en connais qui au bout d’une trentaine de ports arrivent à vraiment bien attaquer le bout d’une semelle en caoutchouc, il est entendu que c’est un cas désespéré. Est-il possible de faire poser un fer sur ces semelles ? Oui et non. Il est parfaitement techniquement possible de faire poser un fer sur une semelle Dainite (du moment que ça n’est pas un fer Triumph), mais je ne suis pas convaincu de l’efficacité.... et c'est un euphémisme.

Certains cordonniers l’ont fait à la demande de leur client, mais la majorité vont refuser. Car c’est un assemblage difficile à faire, le mariage de la semelle en caoutchouc et du fer encastré est précaire. Il y a un risque que le fer ne tienne pas en place, bref, en réalité cela ne sert à rien. Globalement il faut dire que les semelles en caoutchouc sont quand même moins faciles à attaquer au niveau du bout, surtout si c’est de la Dainite ou de la Vibram véritable (d’autres marques sont réputées, je ne nomme que les 2 plus connues). Si en revanche c’est de la copie no name, là c’est autre chose.

Un mangeur de bout sur semelle en cuir   (Source:styleforum)
Un mangeur de bout sur semelle en cuir (Source:styleforum)
Un mangeur de bout sur une semelle gomme. (Source:styleforum)
Un mangeur de bout sur une semelle gomme. (Source:styleforum)
Un fer sur une semelle Dainite. Bedos, le cordonnier derrière cela dit accepter les demandes de ses clients même si elles sont débiles. (Source:bedos)
Un fer sur une semelle Dainite. Bedos, le cordonnier derrière cela dit accepter les demandes de ses clients même si elles sont débiles. (Source:bedos)

Conclusion

Alors, semelle en caoutchouc ou patin ? Selon moi c’est une question de préférence et surtout d'utilisation. Mais ceux qui achètent des semelles en caoutchouc car ils n’ont pas facilement accès à un cordonnier et se disent "j'ai le temps de voir venir" ou qui sont trop maladroits pour mettre un patin eux même font une erreur. En même temps il faut dire que la vaste majorité des zélégants des zinternets ne savent rien faire de leurs 10 doigts, les amateurs de voitures ou de moto aiment en général bricoler, les zélégants eux aiment bien astiquer (les chaussures bien sûr), c’est un autre style. Toujours est-il que si votre objectif est celui de la durabilité, pour une utilisation en ville le patin en caoutchouc sur semelle en cuir est à mon sens supérieur à la semelle en caoutchouc. D’ailleurs l’argument de la durabilité chez les zélégants est bien souvent un prétexte qu’ils utilisent pour convaincre leur femme de les laisser acheter toujours plus de merdes pour faire les kékés sur Discord et autres forums. La vaste majorité des achats qui sont réalisés (les costumes SS, la demi mesure de plouc, les pompes chinoises) sont jetables. La durabilité c’est devenu un running gag, peu de choses aujourd’hui sur le marché sont véritablement durables comme elles pouvaient l’être avant. Il n’est donc pas étonnant qu’il en soit de même avec beaucoup de semelles en caoutchouc. Les fabricants sont limités par plusieurs choses, ils ne peuvent pas se permettre de faire des semelles extrêmement dures, car c’est assez inconfortable (à dureté équivalente vous n’allez pas sentir un patin, une semelle, si) et puis il y a la question des coûts. Ils utilisent déjà des semelles en caoutchouc pour faire baisser les prix par rapport aux semelles en cuir, donc vous ne voulez pas non plus qu'ils y mettent trop d’argent. Cela étant dit, il est évident que les semelles en caoutchouc ont leur utilité, surtout pour ce qui est du domaine d’une utilisation en dehors de la ville. Je ne suis guère en revanche impressionné par les semelles gomme de type city et York. Dans le cas de la semelle York, elle est certes assez solide en général mais franchement, j’ai du mal à saisir l’intérêt par rapport à un patin.