Sous-traitance et méthodes de fabrication dans la maroquinerie de luxe

Avant-propos

Si vous ignorez tout du marché de la maroquinerie, nous vous conseillons de commencer par lire notre précédent article intitulé “état des lieux de la maroquinerie de luxe”. Il présente la façon dont s’est structuré ce marché et permet de mieux comprendre le sujet que nous allons développer aujourd'hui.

La maroquinerie de luxe est un milieu qui contient une certaine part d’opacité, notamment car il s’agit de faire payer très chers des produits industriels fabriqués à la chaine qui sont censés être luxueux. Dès lors que le client est reçu dans des showrooms vaguement cossus on met parfois des gants blancs, on parle avec des trémolos dans la voix de “fabrication artisAnale”, de “fait main”. Chez Hermès on va jusqu’à donner rendez-vous pour l’achat de certains sacs à main “en raison de leur rareté”. En réalité, derrière les simagrées les marques sont de plus en plus désespérées pour produire toujours plus vite et pour cela elles sont prêtes à faire beaucoup de concessions en ce qui concerne la fabrication. Dans cet article nous allons justement vous expliquer comment les grandes marques de luxe fabriquent leur maroquinerie.

Le marché Chinois, l’une des raisons derrière la demande soutenue que les grandes marques doivent satisfaire. (Source : UBC)
Le marché Chinois, l’une des raisons derrière la demande soutenue que les grandes marques doivent satisfaire. (Source : UBC)
Gants blancs de rigueur chez Chanel, même si la qualité décline de manière constante depuis au moins la fin des années 80. (Source : Chinadaily)
Gants blancs de rigueur chez Chanel, même si la qualité décline de manière constante depuis au moins la fin des années 80. (Source : Chinadaily)

Commençons par rétablir une vérité qui pourrait sembler évidente, et qui pourtant ne l’est pas pour beaucoup de gens. Non, la maroquinerie Dior, Chanel, Lancel, Hermès, Louis Vuitton, Cartier, Lonchamp etc etc n’est pas fabriquée main. En réalité la vaste majorité de la maroquinerie qui se trouve sur le marché aujourd’hui fait l’objet d’une fabrication industrielle ou semi industrielle, des machines sont utilisées tout au long du processus de fabrication et par conséquent il est mensonger de parler de fabrication main. Bien évidemment dès qu’il s’agit d’une règle il existe des exceptions mais il ne s’agit bien que d’exceptions. Nous avons déjà abordé cette question dans notre “état des lieux de la maroquinerie de luxe” mais nous allons l’approfondir ici. Il s’agit ici de donner une vision d’ensemble, nous n’allons pas aborder tous les cas de figure, toutes les situations, l’idée est de vous donner une compréhension globale des processus de fabrication employés dans le milieu. Bien qu'il soit probablement complexe pour le profane cet article est donc schématique.

Les processus de fabrication

Avec l'industrialisation massive de la maroquinerie les processus de fabrications se sont dramatiquement standardisés. Cela étant dit les grandes étapes de la fabrication sont les mêmes dans la maroquinerie artisanale et dans la maroquinerie industrielle ou semi industrielle. La différence se fait au niveau de la mise en application. Dans l’artisanat c’est bien souvent une seule et même personne qui va réaliser toutes les étapes du processus. Dans l’industriel voire le semi-industriel vous avez en revanche plusieurs personnes qui vont intervenir et qui en général ne réalisent qu’une étape bien spécifique. De nos jours certaines usines se content d'assembler des kits de pièces qu'elles reçoivent, parfois en provenance de l'étranger. Hermès se targue d’être une exception et prétend que chaque sac est réalisé par une seule personne de A à Z… ça n’est pas totalement vrai. Le choix et l’examen de la peausserie est fait en amont par un autre employé, il en va de même pour la coupe. Il est en revanche exact de dire que la marque segmente un peu moins que beaucoup de ses concurrents.

On peut découper le travail de fabrication d'un objet de maroquinerie en trois grandes phases. Il y a tout d'abord la mise au point du modèle, puis le travail de préparation et enfin le travail d'assemblage. Il existe bien évidements des étapes intermédiaires qui peuvent s'ajouter en fonction des objets fabriqués, on pense par exemple au travail de fermeture pour un sac (on parle alors du travail de bijouterie) etc etc.

Conception

Le travail de conception vise à imaginer un produit et implique la création de prototypes et de gabarits pour la découpe. Dans l'industrie cette étape implique plusieurs personnes, dont des créateurs de mode, des designers... Dans l'artisanat le maroquinier est le penseur de ses créations et il a (normalement) été formé à la création de patrons et gabarits. Certains artisans travaillent parfois avec des designers mais c’est une pratique qui est relativement rare. Le travail de prototypage et d’élaborations des gabarits est fortement numérisé. Seul les artisans le font encore à la main et pas nécessairement de manière systématique. C'est un domaine dans lequel l'informatisation a facilité énormément de choses.

Réalisation d’un dessin de designer pour un modèle de sac Dior. L'objectif est de finaliser l'esthétique du produit. (Source: Dior)
Réalisation d’un dessin de designer pour un modèle de sac Dior. L'objectif est de finaliser l'esthétique du produit. (Source: Dior)
Prototypage de sac réalisé par ordinateur. (Source : Cad software)
Prototypage de sac réalisé par ordinateur. (Source : Cad software)
Patron papier de portefeuilles. Le patron de gauche a été réalisé par ordinateur. Celui de droite à la main sur papier millimétré. (Source : Sartorialisme)
Patron papier de portefeuilles. Le patron de gauche a été réalisé par ordinateur. Celui de droite à la main sur papier millimétré. (Source : Sartorialisme)

Préparation

Vient ensuite le travail de préparation. Il est divisé en deux grandes étapes, il y a tout d'abord la découpe et ensuite la mise à l'épaisseur. Il peut également y avoir un travail de rigidification. Idéalement un cuir doit avoir une “main” en accord avec l’utilisation qui va en être faite. Mais c'est de moins en moins le cas, il peut alors être nécessaire de renforcer certains cuirs par du box, une toile, du salpa ou tout autre renfort synthétique pour éviter qu'ils ne se déforment. C’est notamment le cas lorsque vous voulez travailler du cuir tanné au chrome. Toutes les marques ne prennent pas la peine de rigidifier les cuirs trop souples, vous avez donc des produits sans structure qui vont se déformer rapidement. Notez que l'inverse peut également se produire, à savoir que certaines marques utilisent des cuirs trop rigides ou rigidifient trop un cuir souple.

La préparation se fait de plus en plus dans des usines dédiées, les pièces de cuir sont ensuite envoyées sous forme de kits à d'autres usines qui sont chargées de faire l'assemblage. Nous allons voir pourquoi plus loin, mais cela tient essentiellement à l'incompétence générale des ouvriers du milieu, qui en réalité ne font qu'une chose toute leur vie.

Historiquement la découpe se faisait à la main puis est apparue la presse hydraulique et en enfin la découpe laser ou encore à eau. Le levage des peaux à la main se rencontre encore chez certains artisans ou certains faiseurs semi-industriels, le principal inconvénient de cette méthode repose sur sa lenteur. La découpe à la presse hydraulique ou au laser/eau permet un gain de temps considérable c’est d’ailleurs pour cela que ces deux méthodes sont utilisées par tous les grands groupes du luxe. Même Hermès est passé de la découpe manuelle à la presse hydraulique vers la fin des années 80, années charnières pour le groupe qui avait jusque-là la réputation de faire passer la qualité avant la rentabilité. La mise à l’épaisseur est une autre étape qui a fortement été mécanisée, aujourd’hui certains artisans travaillent avec des pareuses mécaniques car le gain de temps est absolument considérable. Le parage manuel étant une technique qui requiert précision, patience et dextérité, des qualités qui ne riment pas avec vitesse. Dans l’industrie il est extrêmement rare de trouver du parage manuel, sauf lorsqu’il n’est pas possible d’utiliser une pareuse mécanique. Certaines marques ne parent rien du tout, on trouve ainsi sur le marché bon nombre de portefeuilles ou porte-cartes qui ont l'épaisseur d'un mauvais sandwich Sodebo.

La découpe des peaux chez Hermès. Depuis la fin des années 80 la marque est passée aux emportes pièces (à gauche), mais la marque utilise également la découpe laser depuis quelques années (à droite). En revanche l’atelier de sellerie du Faubourg Saint-Honoré fait toujours la découpe à main. (Source : Hermès)
La découpe des peaux chez Hermès. Depuis la fin des années 80 la marque est passée aux emportes pièces (à gauche), mais la marque utilise également la découpe laser depuis quelques années (à droite). En revanche l’atelier de sellerie du Faubourg Saint-Honoré fait toujours la découpe à main. (Source : Hermès)
Choix d’emportes pièces pour la fabrication des bracelets de montre Camille Fournet (Source : Camille Fournet)
Choix d’emportes pièces pour la fabrication des bracelets de montre Camille Fournet (Source : Camille Fournet)
Trois types de couteaux à parer sur un bloc de granit servant de pierre à parer. Le premier (à gauche) utilise une lame de rasoir qui est remplaçable. Le second (au centre) est un couteau dit Japonais et est en réalité multi-usage. Le troisième (à droite) est dit Anglais et est uniquement dédié au parage, il est donc extrêmement tranchant. Il existe encore d’autres types de couteaux à parer qui ne sont pas présentés ici. (Source : Sartorialisme)
Trois types de couteaux à parer sur un bloc de granit servant de pierre à parer. Le premier (à gauche) utilise une lame de rasoir qui est remplaçable. Le second (au centre) est un couteau dit Japonais et est en réalité multi-usage. Le troisième (à droite) est dit Anglais et est uniquement dédié au parage, il est donc extrêmement tranchant. Il existe encore d’autres types de couteaux à parer qui ne sont pas présentés ici. (Source : Sartorialisme)
Parage machine dans l’usine Parisienne de Camille Fournet (Source : Camille Fournet)
Parage machine dans l’usine Parisienne de Camille Fournet (Source : Camille Fournet)
Des "maroquiniers" du groupe Rioland (sous-traitant LVMH, entre autres) qui sont chargés de l’élaboration de kits de pièces. Ils ne font que du parage à longueur de journée. (Source: franceterretextile)
Des "maroquiniers" du groupe Rioland (sous-traitant LVMH, entre autres) qui sont chargés de l’élaboration de kits de pièces. Ils ne font que du parage à longueur de journée. (Source: franceterretextile)
Deux exemples de l'effet "boudin" causé par une absence de parage sur des porte-cartes. Celui de gauche est un modèle de chez YSL, l'épaisseur est de 5mm. À droite un parpaing Bleu de Chauffe qui doit largement dépasser le centimètre. Sur un porte-carte au delà de 3mm en tranche on est sur du (gros) foutage de gueule. (Source: YSL/Bleu de chauffe)
Deux exemples de l'effet "boudin" causé par une absence de parage sur des porte-cartes. Celui de gauche est un modèle de chez YSL, l'épaisseur est de 5mm. À droite un parpaing Bleu de Chauffe qui doit largement dépasser le centimètre. Sur un porte-carte au delà de 3mm en tranche on est sur du (gros) foutage de gueule. (Source: YSL/Bleu de chauffe)

Assemblage

Le travail d'assemblage comprend plusieurs étapes successives qui visent à monter ensemble toutes les pièces pour obtenir un produit fini. Il y a l’encollage, le piquage (ou la couture, c’est selon), les finitions (filetage, teinture ou peinture des tranches...). Dans la maroquinerie industrielle ou semi industrielle il n’y a que rarement de la couture main, tout ou presque est piqué machine. Lorsque les contraintes structurelles sont fortes il est possible de trouver du point sellier mais c’est rare. Un sac Hermès va peut-être avoir 5 % de ses coutures faites au point sellier. Pour les bracelets de montre c’est pareil puisque l’intégralité du bracelet est cousu machine et seuls les 2 ou 3 derniers points au niveau de la boucle sont cousus main, ainsi que les 3 points du passant. Bien évidemment l’objectif n’est pas de dénigrer le piquage machine, même s’il est fragile. Il a sa place en maroquinerie, il doit se trouver là ou une couture est nécessaire mais non vue, ou lorsqu’on se trouve sur une pièce de cuir peu sollicitée. Autant dire que son usage actuel est totalement disproportionné et contraire à toute notion de durabilité. Nous consacrerons bientôt un article entier au point sellier et au piquage machine.
D’une façon générale le travail d’assemblage est globalement très mécanisé dans l’industrie aujourd’hui il existe même des machines qui servent à appliquer la peinture de tranche. D’ailleurs la peinture de tranche est elle-même un symbole de l’industrialisation de la maroquinerie de luxe, elle est une innovation relativement récente et elle remplace le rembort qui, avant, était largement majoritaire.

Le genre d’image que les médias et les marques aiment à mettre en avant, l’ouvrière jeune et consciencieuse qui s’applique sur son point sellier dans le calme et la tranquillité. (Source : Hermès)
Le genre d’image que les médias et les marques aiment à mettre en avant, l’ouvrière jeune et consciencieuse qui s’applique sur son point sellier dans le calme et la tranquillité. (Source : Hermès)
Alors que la réalité c’est plutôt des salles pleines de piqueuses qui font ça toute la journée.
L’artisanat à la Française, ici nous avons pour exemple une usine de Maroquinerie Thomas un géant sur le marché Européen et très gros sous-traitant de LVMH. (Source : Maroquinerie Thomas)
Alors que la réalité c’est plutôt des salles pleines de piqueuses qui font ça toute la journée. L’artisanat à la Française, ici nous avons pour exemple une usine de Maroquinerie Thomas un géant sur le marché Européen et très gros sous-traitant de LVMH. (Source : Maroquinerie Thomas)
Ce qui est cousu main sur un sac Birkin est entouré en orange. Les attaches pour les anses le sont mais elles sont en parties invisibles (triangle orange), en revanche la lanière attachant la clochette au sac ne l’est pas, elle est dans le triangle uniquement à cause de la perspective. Quelques points de la clochette sont cousus mains (carrés orange). Le reste est piqué machine. (Source : Sartorialisme)
Ce qui est cousu main sur un sac Birkin est entouré en orange. Les attaches pour les anses le sont mais elles sont en parties invisibles (triangle orange), en revanche la lanière attachant la clochette au sac ne l’est pas, elle est dans le triangle uniquement à cause de la perspective. Quelques points de la clochette sont cousus mains (carrés orange). Le reste est piqué machine. (Source : Sartorialisme)
Un portefeuille Vuitton, intégralement piqué machine, la régularité laisse un peu à désirer pour de l’industriel et c’est le modèle qui a été sélectionné pour le packshot… (Source : LVMH)
Un portefeuille Vuitton, intégralement piqué machine, la régularité laisse un peu à désirer pour de l’industriel et c’est le modèle qui a été sélectionné pour le packshot… (Source : LVMH)

La standardisation dans le monde de la maroquinerie est relativement récente, elle commence véritablement à battre son plein à partir des années 70. L'objectif n'est pas de débattre des effets positifs ou non de la mécanisation, mais il est nécessaire de l'expliquer car cela permet de comprendre pourquoi la maroquinerie de luxe d'aujourd'hui est aussi uniforme en apparence. Car ce que les clients perçoivent comme de la beauté est en réalité de l’uniformité. Non qu’il y ait un problème avec l’uniformité l’artisan doit lui-même tendre vers l’uniformité. La valeur de son travail réside dans la maitrise qu’il a de ses mains et de ses gestes. Mais il est bien évidemment beaucoup plus difficile d’obtenir un résultat uniforme avec ses mains qu’avec une bête machine. Non seulement la maroquinerie moderne est fortement mécanisée, mais elle est mécanisée de la même façon partout, ce qui en passant facilite le travail des contrefacteurs. Aujourd'hui la majorité des entreprises de maroquinerie fonctionnent sur une stricte division du travail, sur une absence totale d'initiative et sur un schéma préétabli à l'avance via la fiche de travail. La fiche de travail comporte une description du mode de montage des pièces pour le façonnage de l'objet, mais également tous les détails nécessaires à la fabrication de la commande (type de cuir, spécification etc etc). Énormément d'usines (même petites) utilisent le schéma dans lequel chaque personne a un rôle bien défini. Pour cette forme de travail, l'ouvrier n'est pas obligé de maîtriser la conception de l'ensemble de la fabrication. Il est en fait un simple exécutant. Et c'est ce que l'on essaye de vous vendre pour du “savoir-faire”, des gens qui touchent des machines toute la journée.
L'industrie n'a pas toujours fonctionné de cette façon, et heureusement il existe encore des entreprises qui travaillent autrement, sans parler bien évidemment des artisans, enfin les bons, car c’est comme tout, il en existe aussi des mauvais et des véreux. Certaines entreprises privilégient la polyvalence et utilisent encore des méthodes “à l'anciennes”. C'est encore un peu le cas d'Hermès qui a une façon plus proche du semi-industriel que ses concurrents. On va en revanche éviter de parler des sujets qui fâchent comme leur marque petit H, et dire à la place qu'ils ont de très bons selliers si jamais vous faites du cheval et que vous avez envie de monter plutôt que de vous faire monter.

Une vidéo promotionnelle intitulée « savoir-faire » chez Chanel, alors qu’il n’y a pratiquement QUE du travail machine. Deux choses amusantes, la première ce sont les moutons en commentaire sur la page Youtube qui bêlent au génie à l’unisson, alors qu’il n’y a aucun savoir-faire. La seconde ce sont les mains que vous voyez dans la vidéo : elles sont toutes parfaitement manucurées, pas question de foutre les doigts boudinés de la grosse Josette. À croire qu’ils ont été recruter des mannequins mains juste pour l’occasion. (Source : Chanel)

Comme la maroquinerie moderne est très industrialisée, elle ne repose pas sur des compétences qui sont difficiles à acquérir. Elle se prête donc particulièrement bien à la pratique de la sous-traitance. Voire à la délocalisation. C’est ce que nous allons voir maintenant.

La sous-traitance dans le monde du luxe, un secret de polichinelle.

Il faut savoir que tous les grands groupes du luxe répartissent leur production entre des usines qu'ils possèdent en nom propre et des sous-traitants.
À ce petit jeux Hermès possède en nom propre le plus d'ateliers (un peu plus de 20) dédiés à la maroquinerie en France suivi par Louis Vuitton (17 ateliers en France). En réalité quand on parle du tissu industriel de la maroquinerie en France, on parle essentiellement de ces deux marques. Ces deux marques représentent à elles seules pratiquement 40 lieux de productions de bonne taille.
Les autres groupes sont plus internationalisés. Le cas de Kering est un peu à part, le groupe est Français mais possède un portefeuille de marques essentiellement Italiennes et n'a qu'un seul lieu de production Français dans les environs d'Angers, tout le reste est fabriqué à l’étranger et en sous-traitance. Chanel est également un cas à part car le groupe est immatriculé au Royaume-Unis, il ne possède en nom propre que les Ateliers de Verneuil, qui viennent d'être agrandis, le reste de la production se fait soit à l’étranger soit en sous-traitance notamment chez Sophan à Segré. Les sous-traitants des maisons de luxe sont totalement dépendant de ces dernières. Il se murmure que 60% de la production estampillée Louis Vuitton en maroquinerie est réalisé par des sous-traitants notamment chez Ateliers d'Armançon, une usine du groupe Maroquinerie Thomas, l'un des plus gros sous-traitants du milieu (plus de 100 millions d’€ de CA). Il n'est donc pas surprenant d'apprendre que les maisons de luxe représentent parfois jusqu'à 90% du chiffre d’affaires de ces sous-traitants, ce qui assure leur coopération et surtout leur docilité.

L'intérêt des sous-traitants est évident, d'un côté en cas de crise cela permet de réduire la voilure chez eux, avant de devoir la réduire en interne. Les journalopes ont tendance à faire plus de battage merdiatique quand ça vire chez Hermès ou n’importe quel autre gros nom que chez un sous-traitant dont le grand public n'a rien à faire car il ignore jusqu’à son existence. Existence qui fait en général peu de vagues, les usines sont grises et anonymes, les employés signent des contrats comportant des clauses de confidentialité. Ce genre de montage a été bien utile lors de la récente panique sanitaire puisqu’on peut lire dans le rapport financier d’Hermès que “Fidèle à son engagement d’employeur responsable, Hermès a maintenu les emplois et les salaires de base de ses collaborateurs partout dans le monde, sans avoir recours aux aides gouvernementales. Le groupe versera en 2021 une prime de 1 250 € à l’ensemble des collaborateurs pour leur engagement et leur contribution aux résultats”. Autrement dit, le recours à l’externalisation permet de rassurer les actionnaires sur la bonne santé du groupe puisqu’ils n’ont pas à se préoccuper outre mesure du devenir des sous-traitants et de leurs problèmes.

Avoir recours à des sous-traitants permet également de faire produire beaucoup de choses dans des pays du tiers monde sans que cela ne se sache trop. C'est le principe des poupées russes qui est très utilisé dans le milieu et qui bénéficie d’ailleurs d’une législation française extrêmement laxiste.
Prenons un exemple concret, le groupe Maroquinerie Thomas, principal sous-traitant de Vuitton dispose d'une usine en France ainsi que d'une usine au Vietnam. Rien ne les empêche de faire produire certaines pièces au Vietnam pour ensuite les assembler en France. Car comme vous le savez, il n’est pas nécessaire d’assembler intégralement un produit sur le territoire hexagonal pour revendiquer une fabrication Française. En assemblant en France des pièces fabriquées à l’étranger vous faites baisser vos coûts de production, vous conservez le sacro-saint “fabriqué en France” et c'est plus discret que de se retrouver dans la presse avec des titres du genre “Louis Vuitton délocalise au Vietnam” ou “ Louis Vuitton fait fabriquer sa maroquinerie au Vietnam”. C'est une pratique extrêmement courante qui permet de faire fabriquer énormément de pièces en Chine, Roumanie, Espagne pour ensuite les assembler en France sans que cela n'endommage l'image de marque du donneur d'ordre. En retour ce dernier peut satisfaire la demande qui est en pleine expansion tout en communiquant à fond sur le savoir-faire Français pluriséculaire (qui est en réalité en train de disparaitre). Cela étant dit et sans cautionner la pratique il y a quelque chose d'amusant à revendre 1000 fois plus chers aux Chinois ce qui est en partie fabriqué pour trois fois rien dans leurs propres usines.

Le projet de campus flambant neuf des ateliers de Verneuil, l’unique usine de maroquinerie appartenant à Chanel en France. Comme c'est la maison mère il faut que l'image soit imposante. (Source : leparisien)
Le projet de campus flambant neuf des ateliers de Verneuil, l’unique usine de maroquinerie appartenant à Chanel en France. Comme c'est la maison mère il faut que l'image soit imposante. (Source : leparisien)
Alors qu'en réalité la majorité de la production sort d'usines comme celle-ci. L’usine Sophan, sous-traitant de Chanel, l’usine pourrait produire des boites de vitesses que cela ne choquerait absolument pas. Personne n'est au courant, donc l'image de luxe n'est pas nécessaire. (Source : Actu.fr)
Alors qu'en réalité la majorité de la production sort d'usines comme celle-ci. L’usine Sophan, sous-traitant de Chanel, l’usine pourrait produire des boites de vitesses que cela ne choquerait absolument pas. Personne n'est au courant, donc l'image de luxe n'est pas nécessaire. (Source : Actu.fr)
 Quand Louis Vuitton parle de sa main d’œuvre c’est soit sous le prisme de gens morts il y a plus de 100 ans (à gauche) soit sous le prisme de l’artisan imaginaire à gants blancs (à droite). Paradoxalement, les ouvriers NUPES aux carottes (en bas) des ateliers d’Armançon (maroquinerie Thomas) qui fabriquent (entre autres) des sacs Vuitton, on n’en entend jamais parler. Je peux le comprendre hein, objectivement ça ferait baisser la valeur des produits, c’est ça aussi l’intérêt de la sous-traitance, anonymiser la main d'œuvre pour mieux l'exploiter dans la communication. (Source LVMH / Bien public)
Quand Louis Vuitton parle de sa main d’œuvre c’est soit sous le prisme de gens morts il y a plus de 100 ans (à gauche) soit sous le prisme de l’artisan imaginaire à gants blancs (à droite). Paradoxalement, les ouvriers NUPES aux carottes (en bas) des ateliers d’Armançon (maroquinerie Thomas) qui fabriquent (entre autres) des sacs Vuitton, on n’en entend jamais parler. Je peux le comprendre hein, objectivement ça ferait baisser la valeur des produits, c’est ça aussi l’intérêt de la sous-traitance, anonymiser la main d'œuvre pour mieux l'exploiter dans la communication. (Source LVMH / Bien public)

Grande marque de luxe cherche désespérément maroquinier bon à presser.

En France la maroquinerie de luxe manque constamment de main d'œuvre à tel point que cela freine la capacité de production et donc la croissance de certains géants du milieu. Exemple typique du serpent qui se mord la queue, on ne peut pas participer pendant des décennies au démantèlement complet et systématique d'une filière entière et espérer ensuite qu'elle attire de nouveaux talents. Vous combinez une éducation nationale qui s'acharne depuis 40 ans à dévaloriser les formations manuelles (les CAP sont devenus des formations pour cas sociaux) à une industrie du luxe qui s'est lancée dans le massacre des artisans (à l'exception de ceux qui acceptent de travailler pour eux comme des espèces en voie d'extinction dans un zoo) et vous savez pourquoi personne n'a envie de tenter sa chance. Je peux comprendre que personne ne soit particulièrement excité par l'idée d'être payé 10€ de l'heure pour fabriquer des sacs qui se vendent 7000€. Et qu'on ne blâme pas les multinationales trop rapidement, les charges imposées par l'état Français sont purement et simplement débiles, mais que voulez-vous, il y a des retraites à payer. Je peux également comprendre que personne ne soit particulièrement tenté pour se lancer dans l’apprentissage de la maroquinerie de luxe. Le rendement est naze en raison d’un ratio temps de travail/prix de vente dérisoire et vous allez vous faire chier à apprendre des techniques qui ne sont pas valorisées. Quel est l'intérêt de passer des heures sur une couture point sellier quand Lancel, Longchamp, Goyard, Chanel, Vuitton... peuvent dire à leur client dans le confort de leur showroom “tout coudre à la main” alors que ça n'est pas vrai. N’espérez pas que cela change, la France est opposée à la préservation de son artisanat, et dans une moindre mesure de son industrie. Il ne faut pas ensuite s'étonner qu'il y ait pénurie de main d'œuvre. Mais alors, d'où viennent les “artisans” des maisons de luxe ? Facile, de Pôle emploi, tout simplement.

Je n'ai rien contre les gens qui veulent changer de carrière et se reconvertissent. Beaucoup ont été poussés par un système con à obtenir un diplôme universitaire afin de “rejoindre l'élite” de la classe moyenne. Les diplômes étant comme la monnaie, à savoir que plus vous en imprimez moins ils ont de valeur, ces personnes sont ensuite confrontées à un monde du travail saturé de diplômés inutiles et se retrouvent à faire un métier qui ne leur convient pas. Souvent dans les bureaux, car cela fait intelligent. Déçus ils décident qu'ils ont envie de revenir à quelque chose de plus concret, tant mieux pour eux et bravo pour avoir le courage de prendre leur vie en main. J'ai en revanche un problème avec la façon dont les marques de luxe en font ensuite de égéries de l'artisanat Français, des demi dieux détenteurs d'un savoir-faire immémoriel, alors qu'ils ont été sélectionnés sur du collage de gommettes et ont 4 mois de formation dans les pattes. À noter tout de même qu’Hermès ont lancé en 2021 leur propre CFA (centre de formation d’apprentis) qui délivre un CAP de maroquinerie après une formation d’un an et demi, dans leur cas ils ne se limitent donc pas à piocher chez Pôle emploi. Cela dit, on reste bien loin du savoir-faire des anciens.

La manufacture de Senlis travaille pour Hermès et est partenaire de Pôle emploi (Source : Pôle emploi)
La manufacture de Senlis travaille pour Hermès et est partenaire de Pôle emploi (Source : Pôle emploi)
Le genre d’annonce qui pullule sur les réseaux sociaux de la maroquinerie, dans les groupes Facebook etc etc. Ça parle de savoir faire millénaire, d'excellence, d'ardeur et d'artisanat. Tout ça pour finir derrière une machine à coudre à 10€/heure. (Source : manufacture de Senlis)
Le genre d’annonce qui pullule sur les réseaux sociaux de la maroquinerie, dans les groupes Facebook etc etc. Ça parle de savoir faire millénaire, d'excellence, d'ardeur et d'artisanat. Tout ça pour finir derrière une machine à coudre à 10€/heure. (Source : manufacture de Senlis)

Les industriels toutes catégories confondues aiment beaucoup sacraliser leur main d'œuvre. Qu'on parle d'une usine de province qui va faire des portefeuilles dans des chutes de cuir sous prétexte d'écologie ou d'une grande marque qui va faire des sacs à main à la chaine pour les Chinois, tous mettent sur un piédestal leurs ouvriers. Je n'ai rien contre la main d'œuvre qualifiée, bien au contraire, mais il arrive un moment où il faudrait voir à ne pas trop se foutre de la gueule du monde. Malgré le fait qu'Hermès ou encore Chanel appellent tous leurs ouvriers des artisans voire des maroquiniers, il est bien évident qu'ils n'en sont pas. C'est comme si Weston appelait tous leurs ouvriers des bottiers. Bien sûr, il y a des cadres qui sont effectivement maroquiniers, comme il existe encore des bottiers chez Weston mais la fabrication dans les usines est uniformisée et le travail divisé, la majorité des ouvriers ont en général une vision parcellaire de ce qu'ils fabriquent. Je sais bien qu'il est à la mode de faire des vidéos pour Youtube avec des ouvriers en gants blancs qui par la magie du montage vont donner l'impression de fabriquer un sac tout seul comme si c'était de l'art, mais c'est bien évidemment de la communication. Comme toujours on vise à mettre en avant un savoir-faire ancestral etc etc... Alors que la réalité est tout autre, pire il y a eu un appauvrissement terrible du savoir-faire, même à un niveau industriel. Même chez Hermès, les ouvriers qui ont 10 ans de maison se plaignent toujours que le sac Constance est “difficile à réaliser”, car il comporte beaucoup de point de sellier, ce qui est vrai (dommage qu’il soit si laid). Mais c’est la base même de la maroquinerie, on parle là des rudiments du métier, se plaindre de la difficulté d’un sac car il comporte “beaucoup de point sellier” c’est aussi ridicule qu’être médecin et hypocondriaque. On en est là aujourd’hui niveau savoir faire. Il faut savoir que jusque dans les années 80 les ouvriers “voyageaient”, c'était la terminologie employée dans le milieu. À l'époque une fois sortis de formation il était courant qu'un employé ne reste pas dans le même atelier très longtemps. Si le salaire ne leur convenaient pas, si ils n'aimaient pas les conditions ou le patron, ils mettaient les voiles et allaient voir ailleurs. Ce faisant ils voyaient énormément de techniques différentes, ils apprenaient des normes nouvelles et d'autres façons de travailler. On trouve d'ailleurs un principe similaire dans le compagnonnage avec l'idée du tour de France. Cela permettait bien évidemment aux ouvriers d'acquérir de l'expérience, mais surtout cela leur donnait un fort pouvoir d'initiative car ils pouvaient introduire des techniques apprises ailleurs dans leur nouveau lieu de travail. Malheureusement dans la maroquinerie, même les Compagnons sont devenus des fournisseurs de chaire à canon pour Vuitton, les apprentis se retrouvent chez les sous-traitants des grands groupes du luxe alors qu’ils voulaient apprendre un métier dans le respect de ses traditions. Aujourd'hui vous imaginez bien que les ouvriers de Cartier comme de Longchamp n'ont pas la moindre initiative et se contentent de bien sagement suive leur fiche de travail.

Les outils d’ateliers qui servent à des tâches spécifiques. Ils sont étiquetés avec le nom de modèle ou les spécifications… juste au cas où un “maroquinier” ès Pôle emploi ne s’emmêle les pinceaux. Ça évite aussi que les outils ne disparaissent et servent à la fabrication de contrefaçons (véridique). (Source : Hermès).
Les outils d’ateliers qui servent à des tâches spécifiques. Ils sont étiquetés avec le nom de modèle ou les spécifications… juste au cas où un “maroquinier” ès Pôle emploi ne s’emmêle les pinceaux. Ça évite aussi que les outils ne disparaissent et servent à la fabrication de contrefaçons (véridique). (Source : Hermès).

Vous avez maintenant trois grands profils dans la maroquinerie industrielle. Vous avez les maroquiniers de formation, qui sont en général des contremaitres et qui s'assurent que tout fonctionne comme il se doit. Ils ne sont en général pas directement impliqués dans la fabrication au quotidien. Vous avez ensuite les ouvriers de formations, ils peuvent être piqueurs, assembleurs etc etc. Ce sont des ouvriers plus ou moins qualifiés qui sont en charge de la production quotidienne. Vous avez ensuite les personnes sans qualification recrutées via Pôle emploi et formées en interne. En raison de la pénurie de main d'œuvre cette dernière catégorie représente une part de plus en plus importante des effectifs. Pour vous expliquer comment fonctionnent aujourd'hui les usines nous allons vous détailler le parcours qui est suivi par un employé recruté par Pôle emploi. Bien évidement il ne s'agit ici que de vous donner un aperçu, toutes les formations ne fonctionnent pas exactement de la même façon, mais nous essaierons comme toujours d'être le plus complet possible.

Formation Pôle emploi, la nouvelle main d'œuvre du luxe.

Les formations manuelles étant devenues en partie un vaste zoo pour mongoles cela fait plusieurs années que pour remplir les postes de leurs nouvelles usines les grandes marques du luxe recrutent des personnes sans formation ni expérience via Pôle emploi. Il existe différentes périodes de recrutement pendant l'année et les exigences sont différentes en fonction des centres chargés de faire passer les tests d'embauches. De façon générale les candidats doivent passer une épreuve pratique, on parle de recrutement par simulation, autrement dit de la dinette pour débiles, et un entretien oral. Lors de l'épreuve pratique on mesure surtout leur dextérité, pour connaître plusieurs personnes passées par cette étape je peux vous assurer que la sélection est intraitable, les nerfs sont mis à rude épreuve. Coller des gommettes dans le centre d'un cercle, découper au ciseau pile sur le trait, colorier avec un feutre sans déborder... l'excellence à la Française quoi. Pratiquement Versailles. Vous auriez tort de penser que c'est une blague, c'est très sérieux. Quand les postes à remplir sont plus importants, les exercices augmentent en difficulté et on demande de faire une couture en point sellier ou un astiquage (ça n'est pas sale). Lors de l'épreuve orale il s'agit de vérifier que le candidat potentiel peut s'adapter au moule “de la maison”. Il s'agit aussi de s'assurer que c’est une personne fiable qui ne va pas être responsable de la “disparition” de sacs, ne riez pas, ça s’est déjà vu et bien plus souvent que vous ne l’imaginez.

Panneau publicitaire pour le maroquinier Sofama, un autre sous-traitant de Louis Vuitton (entre autres). Là aussi pas besoin d’expérience, la formation est faite via le Pôle emploi et à la fin vous devenez un maroquinier au savoir-faire millénaire. (Source: Sofama)
Panneau publicitaire pour le maroquinier Sofama, un autre sous-traitant de Louis Vuitton (entre autres). Là aussi pas besoin d’expérience, la formation est faite via le Pôle emploi et à la fin vous devenez un maroquinier au savoir-faire millénaire. (Source: Sofama)
Séance de recrutement par simulation au pays des autistes. Gants blancs obligatoires pour le coloriage, il paraît qu’on se sent plus artisan millénaire comme ça. (Source: centrefrance)
Séance de recrutement par simulation au pays des autistes. Gants blancs obligatoires pour le coloriage, il paraît qu’on se sent plus artisan millénaire comme ça. (Source: centrefrance)

Une fois les candidats sélectionnés (moins ils ont d'expérience dans le domaine du cuir, mieux c'est) ils passent par une période de “formation” dont la durée varie, de 3 mois pour les plus courtes à 18 pour les plus longues. Les programmes de formations sont très différents, par exemple Hermès a pendant longtemps travaillé en collaboration avec l’école Boudard. L'objectif de cette formation est d'apprendre à maitriser les techniques de bases et surtout de valider ou non le recrutement du candidat afin de pouvoir le lancer sur la fabrication de l'unique modèle de sac qu'il aura appris à fabriquer dans sa formation. Si la personne reste dans l'entreprise (ou plus exactement si l'entreprise lui fait signer un contrat) elle apprendra ensuite à fabriquer d'autres modèles de produits. Les personnes formées via Pôle emploi n'apprennent pas tant la maroquinerie qu'ils apprennent à assembler des pièces de cuir. Le collage de gommettes c’est ça aujourd'hui le “savoir-faire à la Française” et c’est ça qu’on essaye de vous vendre dans des showrooms feutrés. C’est d’ailleurs en partie pour cette raison que le showroom est feutré, le feutre c’est la vaseline du débile. Cela fait bien longtemps que l’industrie du luxe est devenue un monde de simagrées qui se concentre plus sur les apparences que sur le produit en lui-même. Car souvent le produit ne représente plus grand-chose si ce n’est une image.

10,57€ brut de l’heure pour bosser chez Senlis débutant ou pas, vous n’êtes pas tenté les cons ?    (Source Manufacture Senlis)
10,57€ brut de l’heure pour bosser chez Senlis débutant ou pas, vous n’êtes pas tenté les cons ? (Source Manufacture Senlis)

État des lieux du marché de la maroquinerie

Cet article s’adresse avant tout à ceux qui veulent apprendre comment s’est structuré le marché de la maroquinerie en France et quel est son état actuel. Nous traitons ici essentiellement de la maroquinerie “fine” ou “de luxe”. Nous ne parlons donc pas de la maroquinerie “rustique”. Par définition il s’agit d’un article long et technique, n’hésitez pas à le lire en plusieurs parties.

Il existe principalement deux grandes traditions de la maroquinerie. La maroquinerie “fine” (à gauche), et la maroquinerie “rustique” (à droite), au sens non péjoratif du terme. Cette maroquinerie utilise beaucoup le repoussage et est par exemple très populaire chez les médiévistes ou aux États-Unis. Nous traitons uniquement de la maroquinerie fine. (Source : 20 minutes / tandy museum)
Il existe principalement deux grandes traditions de la maroquinerie. La maroquinerie “fine” (à gauche), et la maroquinerie “rustique” (à droite), au sens non péjoratif du terme. Cette maroquinerie utilise beaucoup le repoussage et est par exemple très populaire chez les médiévistes ou aux États-Unis. Nous traitons uniquement de la maroquinerie fine. (Source : 20 minutes / tandy museum)

Avant-propos

Le cuir est l’une des plus vieilles ressources naturelles de l’humanité. L’archéologie moderne permet de suivre l’évolution de ce matériau à travers les millénaires. Ainsi des outils vieux de plus de 400 000 ans destinés au travail du cuir ont été récemment découverts lors de fouilles dans les environs de Rome. Autre exemple, une chaussure en cuir vieille de 5 500 ans, a été trouvée en 2008 sur le site archéologique Areni-1, situé en Arménie. Il s’agit de la plus ancienne chaussure en cuir connue à ce jour. L'histoire du cuir est étroitement liée au progrès de l'humanité, le cuir n’a cessé de servir l’homme et c’est toujours vrai à notre époque. Toutefois en raison de l’apparition de nouveaux matériaux et du progrès technique l’utilisation du cuir a changé. Elle est de moins en moins utilitaire et de plus en plus décorative. C’est en partie pour cette raison qu’à notre époque la maroquinerie est plus une affaire de statut que de besoin. Il se trouve que les gens qui cherchent à exprimer leur statut social par leur vestiaire le font essentiellement par l’achat de marques. Et il n’y a aucun problème à cela, l’expression du statut passe nécessairement par la reconnaissance par les pairs. Reconnaissance en partie obtenue grâce à l’identité forte et au pouvoir d’évocation des marques. Cela veut dire que nous avons aujourd’hui toute une masse de ploucs qui s'imaginent dur comme fer que Vuitton, Chanel et compagnie c'est le soleil et qu’il n’existe rien d’autre. Pour beaucoup il importe peu de savoir qui fabrique quoi et comment. Si c’était le cas personne ne paierait 800€ les bracelets petit H fabriqués en moins de deux avec des chutes de cuir destinées à la poubelle. L’important c’est le H et l’idée qu’il véhicule, pas autre chose.

$315 le pendentif petit H réalisé à l’emporte-pièce en 3 secondes (littéralement). Un moyen efficace de rentabiliser les chutes de cuir. (Source : Hermès)
$315 le pendentif petit H réalisé à l’emporte-pièce en 3 secondes (littéralement). Un moyen efficace de rentabiliser les chutes de cuir. (Source : Hermès)
Vous préférez un bracelet en chutes de croco ? Pas de problème. C’est $800. Au moins le fermoir est en palladium, c’est d’ailleurs probablement ce qui coûte le plus cher sur ce bracelet. (Source : Hermès)
Vous préférez un bracelet en chutes de croco ? Pas de problème. C’est $800. Au moins le fermoir est en palladium, c’est d’ailleurs probablement ce qui coûte le plus cher sur ce bracelet. (Source : Hermès)

L’objectif de cet état des lieux va être d’expliquer comment fonctionne le marché actuel de la maroquinerie, en trois grands axes. Qui sont les acteurs, ce qu’ils fabriquent et comment ils le fabriquent. Il ne s’agit pas d’un guide des marques ou d’un article expliquant en détails les méthodes de fabrication utilisées dans le milieu. Cet article va traiter indifféremment de la maroquinerie industrielle et de la maroquinerie artisanale afin de refléter au mieux la réalité du marché actuel. Cela peut sembler arbitraire tant il existe un gouffre entre les deux mais à partir du moment où l'industriel prétend posséder les qualités de l'artisanal il n'est pas injuste de lui mettre le nez dans sa merde.

Que recouvre la maroquinerie ?

Avant de s’attaquer au cœur du sujet il est important de revenir sur la définition même de la maroquinerie. Les secteurs professionnels qui transforment le cuir et les peaux sont aujourd’hui regroupées dans ce que l’on appelle la filière cuir, les mégisseries, les tanneries, les bottiers, maroquiniers… tous en font partie mais la maroquinerie occupe une place distincte puisqu’elle regroupe une multitude d’activités. La maroquinerie au sens le plus large et vague du mot correspond à une famille de professions qui ont en commun de travailler le cuir ou des matériaux de substitution du cuir (on pense par exemple à la toile PVC Vuitton ou à la lozine de la même marque), pour confectionner des objets d'usage personnel couvrant une gamme étendue.
Il n'existe pas dans le vocabulaire de distinction entre la maroquinerie traditionnelle et la maroquinerie industrielle. La différenciation n’est donc pas aussi simple qu’entre les bottiers et les chausseurs par exemple. Un bottier fabrique une chaussure de façon artisanale alors qu’un chausseur est un fabricant industriel. Alors certes il arrive de temps en temps qu’un chausseur se dise bottier mais c’est comme pisser sur quelqu’un et tenter de le convaincre que c’est de la pluie, l’imposture est grossière. Cela n'empêche pourtant pas les chausseurs industriels de s’attribuer régulièrement des qualités qu'ils n'ont pas, sans que personne ne moufte. Mieux, des cons leurs donnent même une tribune pour le faire. Imaginez maintenant un peu la jungle que c'est dans la maroquinerie où cette distinction n’existe pas, on dirait les abords du stade de France un soir de finale de Ligue des Champions avec sa horde “d'Anglais” sanguinaires.

D'un point de vue historique, pour une même profession -fabricant de sac- il existe deux termes qui chacun représentent un métier. Il y avait tout d’abord le sellier dont le nom est lié au monde du cheval. Dans le cadre du compagnonnage, "sacul" est le nom donné au sellier. Ce surnom aurait pour origine l'expression des soldats sous l'Empire qui appelaient "sac au cul" le sellier qui allait de compagnie en compagnie pour réparer et fabriquer les sacs qui servaient à caler le cul sur le cheval : la selle. L'apparition du "cheval vapeur" remet en question le travail de beaucoup de selliers. Certains s’adaptent et changent de métier pour fabriquer divers objets en cuir principalement à usage féminin. Ils donnent naissance aux selliers-maroquiniers que l’on connaît aujourd’hui.
Il y a ensuite le maroquinier, appelé maroco chez les compagnons. Le terme "maroquinier" désigne dans un premier temps celui qui tanne le cuir de chèvre : le maroquin. Cuir qui était utilisé dès le XIème siècle pour les reliures de livre notamment dans le sud de l'Espagne à Cordoue. Au début du XXème siècle, le "maroquin" désigne aussi un portefeuille, sorte de sac fait d'une feuille de cuir pliée, dans lequel on glisse des billets.

En France la maroquinerie est un secteur d’activité qui se porte bien, tellement bien que ça en est presque suspect si on le compare au reste de l'industrie nationale. Après des années passées à brader ses secteurs stratégiques et à délocaliser tout ce qui pouvait l'être la France est à la ramasse dans beaucoup de domaines, même là où elle ne s'en sortait pas trop mal il y a encore quelques années. Dieu merci, nous avons des sacs à mains. En cas de conflit mondial nos troupes d'élite sont d’ores et déjà équipées de sacs Birkin tactiques et ça n'est qu'une question de temps avant que les hommes du 3ème RIMA ne reçoivent les nouveaux modèles de Kelly furtifs. L'excellence Française sauvera le monde.
Alors certes, je déconne, je déconne, mais le fait est que la maroquinerie Française, notamment de très haut de gamme (comprendre par là très cher, mais pas forcément très bien faite) rayonne à l'international. En 2021, les importations de l’industrie française de la maroquinerie s’élèvent à 3,4 milliards d’euros pendant que les exportations culminent à 10 milliards d’euros, la balance commerciale de la filière est donc excédentaire. De façon globale 14,8% des articles de maroquinerie exportés dans le monde viennent de France. D'après le Conseil National du Cuir (CNC) les ventes de sacs à main, évaluées à 6,3 milliards d’euros, représentent 63% des exportations du secteur et ont progressé de 34% en 2021. Cela permet à la France de se positionner en 3ème position dans le palmarès des principaux exportateurs mondiaux d’articles de maroquinerie, derrière la Chine et l’Italie.

Qui sont les acteurs du marché ?

Au même titre que pour le costume, le soulier et bien d’autres domaines, le marché de la maroquinerie est divisé entre les industriels et les artisans. Avec néanmoins quelques spécificités.

Les grands groupes du luxe composés d’industriels.

Quand on parle de maroquinerie l'image des grands groupes du luxe vient immédiatement en tête, pour beaucoup de gens cette association est pratiquement automatique. Dans le petit monde du vêtement classique demandez à quelqu’un de vous citer un bottier réputé indépendant, et vous entendrez parler de quelques noms. Demandez la même pour un maroquinier, vous risquez le blanc. Demandez maintenant à une femme, qui reste quand même la principale cliente du milieu, le résultat sera le même. C’est bien simple la maroquinerie est tellement dominée par les groupes du luxe que les deux sont devenus indissociables. D’après les chiffres du CNC en 2020 les trente-deux entreprises qui emploient plus de 200 salariés réalisent 86% des facturations du secteur et emploient un peu moins des trois quarts des salariés. Il s’agit d’une constante, si l’on remonte à 2015 les vingt-cinq entreprises qui employaient plus de 200 salariés réalisaient 82% des facturations du secteur et employaient un peu moins des deux tiers des salariés. À eux seuls Hermès emploient directement 4 300 ouvriers dans une filière qui en compte environ 24 000, soit 18 % de toute la main d’œuvre pour une seule et unique entreprise. Si vous ajoutez leurs sous-traitants français, cette part dépasse allègrement les 20 %. La domination est totale.

Vous pouvez trouver les rapports du CNC très facilement sur leur site. (Source : CNC)
Vous pouvez trouver les rapports du CNC très facilement sur leur site. (Source : CNC)

Rétablissons en passant une vérité étonnamment inconnue de beaucoup. Au risque d’en décevoir certains, non vos sacs griffés Lancel, Dior, Longchamp, Céline, Louis Vuitton, Goyard etc etc ne sont pas fabriqués à la main. Ça n’est pas le sujet, mais si vous devez retenir au moins une chose de cet article c’est bien celle-ci.

D’où viennent les grands groupes du luxe ?

En dehors de l’exception notable d’Hermès et de quelques autres, les fondations des grands groupes du luxe ne sont pas à chercher du côté des artisans célèbres dont ils usent et abusent des noms. Les racines de LVMH ne se situent pas chez Louis Vuitton malletier attitré de l’impératrice Eugénie qui en 1854 s’établit à son compte en région Parisienne. En réalité les grands groupes du luxe sont une création relativement récente puisqu’ils s’affirment véritablement au début des années 90. Mais leurs origines sont beaucoup plus anciennes et remontent à la fin de la seconde guerre mondiale. À partir des années 30/40 une nouvelle ère commence pour le luxe, un véritable secteur économique s’orientant de plus en plus vers la production de masse commence à apparaître. Une transition s’opère et l’on assiste à un glissement de l’artisanat de luxe vers l’industrie du luxe. Ce processus est très bien documenté et a déjà fait l’objet de nombreuses études on peut entre autres citer les recherches de Marc de Ferrière le Vayer, spécialiste d’histoire des entreprises et d’histoire des techniques.

Les atelier d'Asnières de Louis Vuitton vers 1888. Louis Vuitton est assis à la place du conducteur. Son petit-fils est allongé sur la malle lit du premier plan. En dehors de l’activité résiduelle de malletier qu’a la marque aujourd’hui, il est évident que le lien entre l’entreprise à ses débuts et ce qu’elle est aujourd’hui est ténu. (Source : Louis Vuitton)
Les atelier d'Asnières de Louis Vuitton vers 1888. Louis Vuitton est assis à la place du conducteur. Son petit-fils est allongé sur la malle lit du premier plan. En dehors de l’activité résiduelle de malletier qu’a la marque aujourd’hui, il est évident que le lien entre l’entreprise à ses débuts et ce qu’elle est aujourd’hui est ténu. (Source : Louis Vuitton)

L'idée d'industrie du luxe n'est pas née du jour au lendemain. Elle s'est forgée au fil des années, des crises et bien évidemment de l'évolution du progrès technique. Au lendemain de la Première Guerre mondiale on commence à voir émerger l'idée de pouvoir distribuer en masse des produits raffinés, c'est le cas par exemple avec la parfumerie et le succès de Coco Chanel ou de la famille Guerlain. Mais à cette époque le luxe est encore majoritairement associé au savoir-faire et à la rareté. Alors que l'industrie est associée à la diffusion la plus large possible à bas prix. La contradiction entre les deux est évidente, mais l'enjeu pour les industriels l’est également. Il s'agit pour eux de trouver un équilibre entre le savoir-faire et la production de masse en intégrant de nouveaux procédés de fabrication afin de tirer les prix vers le bas. Cela afin de toucher une toute nouvelle clientèle, la classe moyenne. Seulement, l’industrialisation du luxe va être stoppée net par la Seconde Guerre mondiale. Au sortir de la guerre certains industriels, dont Guerlain, n'ont qu'une envie c'est de reprendre cette marche vers le luxe industrialisé. Mais les fonctionnaires du Plan (les planificateurs de l'économie chargés de lire l'avenir dans le marc de café) ont d'autres priorités. C'est pour cela que dès 1947, Lucien Lelong et Jean-Jacques Guerlain (fils de Jacques Guerlain) vont travailler à la création du Comité Colbert qui verra finalement le jour en 1954. Il s'agit au début d'un groupe de pression qui espère obtenir le redémarrage du secteur du luxe industriel, et qui petit à petit va se transformer en lobby dont le but est de défendre et promouvoir une industrie du luxe qui souhaite être le symbole de la France à l’étranger. Aujourd’hui le comité Colbert existe toujours et son dada c'est plutôt la lutte contre la contrefaçon qui fait du tort aux actionnaires, pas tellement la protection des traditions. Traditions qui empêcheraient de sortir toujours plus de merdes plus vite.

Les 92 membres du comité Colbert tous secteurs confondus. En réalité ils sont beaucoup moins que cela puisque 13 % des marques membres appartiennent à LVMH. Si vous prenez le département “mode”, les indépendants ne sont pas bien nombreux entre LVMH, Chanel, L’Oréal, Hermès, Mayhoola... (Source : Comité Colbert)
Les 92 membres du comité Colbert tous secteurs confondus. En réalité ils sont beaucoup moins que cela puisque 13 % des marques membres appartiennent à LVMH. Si vous prenez le département “mode”, les indépendants ne sont pas bien nombreux entre LVMH, Chanel, L’Oréal, Hermès, Mayhoola... (Source : Comité Colbert)

Christian Dior sera véritablement l’un des premiers à montrer la voie. Il avait compris comme beaucoup d’autres que le marché intermédiaire représentait une manne financière considérable, mais il fallait encore trouver le moyen de taper les classes moyennes. Il décide alors de vendre ses idées mais aussi son nom à des entreprises qui pourraient diffuser l'évangile selon Saint Dior à ceux qui ne pouvaient autrement pas se permettre d’acheter ses créations. Il commence par des bas de fabrication américaine, car comme nous venons de le voir l'industrie française ne s'est pas encore tout à fait remise de la guerre. Il décide d’utiliser son propre nom et c’est ainsi qu’en 1949 sont nées les bas Dior et avec eux la notion de licence en tant qu'option commerciale viable dans le monde du luxe. Dior considérait la concession de licences comme un moyen d'étendre l'activité de sa marque à un public plus large sans en assumer le coût ou les responsabilités de gestion. Il contactait les principaux fabricants dans des domaines particuliers et négociait des accords pour qu'ils produisent des articles portant le nom magique. En contrepartie, Dior recevait une redevance sur les ventes. En 1951, Dior exploitait des licences pour de nombreux produits de maroquinerie (des sacs à main, portefeuilles, gants) mais également des chemises pour hommes, des écharpes, des chapeaux, etc etc.

Deux anciens assistants de Dior, et malheureusement dépravés notoires, Pierre Cardin et plus tard Yves Saint Laurent, vont réellement pousser jusqu’au bout l’idée de licence. Yves Saint Laurent lance en 1966 une ligne de prêt-à-porter à bas prix appelée Rive Gauche qui ciblait les jeunes, son public favori. En 1967 il publiera également un livre intitulé “La Vilaine Lulu” qui raconte ses autres manières de cibler les plus jeunes, que l'on m’arrête à la sortie si ce que je dis n'est pas vrai. De son côté Cardin a un amour immodéré de l’argent, ce qui le conduit à mettre son nom sur absolument tout, y compris des poêles à frire. C’est à cette époque que l’on a vraiment totalement changé le paradigme de la mode et du luxe. Auparavant, tout était simple, les artisans fabriquaient des produits très chers que l’aristocratie ou la bourgeoisie achetait encore plus cher et cela servait à perpétuer le cycle. Désormais, il existe un nouveau modèle pyramidal dicté par les industriels. Tout au sommet ils ont leur fabrication iconique en petite série pour les vrais riches, leur production industrielle pour la classe moyenne, et une large gamme de produits sous licence pour ceux qui sont au bas de l'échelle. Le Ponzi appliqué au luxe, où ce sont les échelons inférieurs qui permettent de financer les ateliers de Pantin ou d’Asnières qui fournissent les échelons supérieurs.

Illustration du modèle pyramidal chez Vuitton vous avez d’un côté le produit industriel pour les classes moyennes qui est fabriqué à la chaine. (Source : LVMH)
Illustration du modèle pyramidal chez Vuitton vous avez d’un côté le produit industriel pour les classes moyennes qui est fabriqué à la chaine. (Source : LVMH)
Et de l’autre les ateliers historiques d’Asnières qui se chargent de la bagagerie, des commandes spéciales et qui hébergent un véritable savoir-faire. (Source : Usinenouvelle)
Et de l’autre les ateliers historiques d’Asnières qui se chargent de la bagagerie, des commandes spéciales et qui hébergent un véritable savoir-faire. (Source : Usinenouvelle)
Saint Laurent ainsi qu’un extrait de la vilaine Lulu. L’ouvrage, réservé aux initiés, est publié en 1967, une époque où certaines personnes ne cachaient plus leurs fantasmes. Et dire que certains se plaignent de Tintin au Congo. (Source : la vilaine Lulu)
Saint Laurent ainsi qu’un extrait de la vilaine Lulu. L’ouvrage, réservé aux initiés, est publié en 1967, une époque où certaines personnes ne cachaient plus leurs fantasmes. Et dire que certains se plaignent de Tintin au Congo. (Source : la vilaine Lulu)
Est-ce que tous les industriels se valent ?

Il serait injuste de mettre les industriels dans le même sac, bien qu’ils aient tous plus ou moins suivis la même évolution au fil des ans, tous n’ont pas les mêmes standards. Certes, il est également vrai qu’ils ont tous tendance à mentir comme des arracheurs de dents mais certains sont plus investis dans la maroquinerie que d’autres. Pour Hermès par exemple la maroquinerie représente environ 50 % de leur chiffre d’affaires. Il est donc normal que la marque ne traite pas ce domaine comme peuvent le faire d’autres concurrents. Il est également évident que tous les industriels ne véhiculent pas la même image. Or on le sait, ce qui intéresse les ploucs c’est l’image. Certaines marques ont dilué leur réputation à force de multiplier les licences, Cardin et Saint Laurent sont de bons exemples, aujourd’hui il faut être sacrément limité pour considérer ces marques comme ayant une image de luxe. Elles n’ont d’ailleurs plus aucun savoir-faire à mettre en vitrine. Alors que Vuitton par exemple ont encore leurs malles fabriquées dans leur atelier à Asnières dans les règles de l’art. Hermès ont également retenu un certain savoir-faire. Quand les marques n’ont pas totalement massacré leur renommée elles misent énormément sur les apparences. C’est le cas justement de Vuitton qui font beaucoup de simagrée, ils entubent le trèpe mais avec des gants blancs, c’est fait en douceur dans des boutiques feutrées. Le niveau de service est en général proportionnel aux prix pratiqués. L’un des dilemmes rencontrés par beaucoup de marques pour ne pas diluer totalement leur image réside dans la relation d’ils entretiennent avec la rareté ou non de leurs produits. Je cite le document d’enregistrement universel propre à LVHM “Les Maisons du Groupe se concentrent sur la créativité de leurs collections, le développement de produits iconiques et intemporels, l’excellence de leur distribution et le renforcement de leur présence en ligne, tout en préservant leur identité.” Traduction, il ne faut pas dénaturer la poule aux œufs d’or, mais il faut qu’elle ponde quand même le plus possible.

Répartition du chiffre d’affaires d’Hermès par secteurs en 2020. (Source : Hermès)
Répartition du chiffre d’affaires d’Hermès par secteurs en 2020. (Source : Hermès)
La même répartition chez LVMH, malheureusement le groupe réunit ensemble les secteurs mode et maroquinerie (Source : LVMH)
La même répartition chez LVMH, malheureusement le groupe réunit ensemble les secteurs mode et maroquinerie (Source : LVMH)

On le sait que la valeur est en partie corrélée avec la rareté, le luxe a certes changé, mais il n’a pas changé au point où la rareté a totalement perdu de son importance. Enfin tout est relatif, les sacs Vuitton ont la réputation d’être des sacs de catins tant ils sont courants dans la profession et ça ne semble pas déranger grand monde. Mieux, la marque a l’air de prendre ça comme un compliment. Je rappelle à tout hasard qu’en 2013 Louis Vuitton avait réalisé en collaboration avec Love magazine un court-métrage promotionnel où des mannequins de la marque jouaient le rôle de gagneuses. Ça n’est pas surprenant quand on sait que le directeur créatif de la marque était à l’époque un dépravé notoire, décidément…

Louis Vuitton fournisseurs officiels du marché de la luxure monnayable. Remarquez dans luxure il y a “luxe”, ça colle. (Source: Love magazine).

Chez Hermès on ne saurait faire des scandales de ce genre. La marque a une autre spécialité qui est celle de volontairement frustrer ses clients quitte à les éconduire. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai toujours une once de respect pour eux, l’argent ne suffit pas à être client. À partir des années 2000 Hermès va mettre en place une stratégie de “rareté organisée” pour ses sacs les plus iconiques. La marque sait bien que 90 % des clientes qui franchissent le seuil d’une boutique le fait pour acheter un Kelly ou un Birkin. Dès lors comment s’assurer que ces modèles très demandés retiennent leur cachet et surtout leur exclusivité ? Simple, il suffit de refuser de les vendre. Ou plus exactement de prétexter qu’ils ne sont pas en stock dans la spécification demandée par le client, et ça même s’ils sont disponibles. Pour se couvrir face au Code de la consommation Hermès argue du fait que la demande dépasse leur capacité de production.
La marque a ensuite différentes méthodes pour “résoudre le problème de disponibilité” en fonction de la boutique. Il y a tout d’abord le système de loterie, vous demandez à avoir un rendez-vous et les places sont distribués au hasard parmi les candidats. Le rendez-vous en lui-même ne garantit rien, il est tout à fait possible que si vous demandez un Kelly sellier bleu le vendeur disparaisse dans la réserve pendant 30 minutes et revienne avec un Kelly retourné vert fluo, même s’il y a bien un sellier bleu en stock, il ne vous sera tout simplement jamais proposé.

Message du système de loterie Hermès qui évoque les difficultés de production de la marque. Il faut tout de même noter que ce système est en place depuis plus de 20 ans maintenant. Malgré la construction de nouvelles usines et la mécanisation, Hermès ne parviendrait donc toujours pas à satisfaire la demande. Sont-ils incapables ou sont-ils simplement menteurs ? (Source: Sartorialisme)
Message du système de loterie Hermès qui évoque les difficultés de production de la marque. Il faut tout de même noter que ce système est en place depuis plus de 20 ans maintenant. Malgré la construction de nouvelles usines et la mécanisation, Hermès ne parviendrait donc toujours pas à satisfaire la demande. Sont-ils incapables ou sont-ils simplement menteurs ? (Source: Sartorialisme)

Certaines boutiques fonctionnent sur une base de “premier arrivé premier servi” avec un système de liste d’attente qui peut s’étendre sur plusieurs années. D’autres laissent la possibilité aux clientes de remplir une liste de souhaits, qui ne garantit en aucun cas qu’elles recevront le sac convoité. Il s’agit plus ou moins d’un système de notification qui permettra au magasin de contacter la cliente, si un jour, par chance, ils ont un sac aux bonnes spécifications (ou approchantes) en boutique. Pour Hermès c’est une façon de maintenir le contact et de proposer à la vente d’autres produits, que les clientes achètent en espérant que cela débouche un jour sur la proposition du sac rêvé.
C’est là que l’astuce se manifeste dans toute sa splendeur, elle joue sur l’envie et la frustration. De fait les clientes éconduites, vont avoir deux types d’attitudes : soient elles vont claquer la porte et voir ailleurs, soit elles vont dédier toute leur énergie à l’acquisition du sac rêvé. Et puis de toute façon même celles qui claquent la porte finissent parfois par y revenir. Beaucoup vont tenter de “construire une relation avec la marque”, ou plus exactement d’avoir un historique d’achat en s’imaginant que cela va augmenter leurs chances. Elles vont alors acheter beaucoup de petites choses (celles sur lesquelles Hermès réalise le plus de marge) en espérant qu’à la fin du parcours initiatique se trouve le sac tant convoité. C’est là qu’Hermès fait d’une pierre deux coups, d’un côté ils préservent la valeur de leurs sacs iconiques, et de l’autre ils écoulent leurs produits à forte marge. Certaines clientes font en sorte d’être reconnues par les vendeurs (quitte à les harceler), d’autres inventent des techniques absurdes proches du vaudou. C’est pour cette raison que vous trouvez sur Youtube un nombre considérable de débiles plus ou moins hystériques qui font des vidéos se plaignant d’avoir été “insultées par Hermès” et qui expliquent que leur expérience client a été la pire chose de leur vie et qu’en raison de cela elles sont devenues grosses et ou dépressives. Je n’invente rien et je vous mets un florilège juste en dessous. À noter qu’Hermès exerce une parité stricte, les hommes sont traités de la même façon surtout dès qu’il s’agit des portefeuilles mais c’est valable pour le sac à missive et bien d’autres pièces. La marque a ainsi envoyé chier Fok, le créateur de l’arnaque qu’est Styleforum, et ce dernier n’a pas manqué d’aller pleurer sur son safespace virtuel comme quoi c’était injuste. Rien que pour avoir mis cet étron à sa place Hermès mérite une certaine forme de respect.

Petit florilège d'un genre en pleine expansion sur Youtube, les dingues "maltraitées" par Hermès avec les thumbnails qui transpirent le 80 de QI.

Si nous avons expliqué comment les industriels ont envahi le luxe nous n’avons pas expliqué comment la maroquinerie spécifiquement avait été conquise. Pourquoi les grands groupes contrôlent la maroquinerie ? La réponse est simple, la maroquinerie se meurt. Comment ça la maroquinerie se meurt ? Ne viens-je pas de dire que la maroquinerie est une industrie qui se porte bien et qui génère des milliards ? N’est-ce pas paradoxal ? Pas du tout. Malgré la bonne santé affichée des grandes marques internationales, les petits acteurs du luxe sur lesquels elles reposent sont aujourd’hui fragilisés, à tel point que certaines filières de fabrication d’objets de luxe et de formations sont soit disparues ou sur le point de disparaître. La maroquinerie se meurt de la même façon que les ébénistes du faubourg Saint Antoine sont morts. Pourtant les Parisiens ont toujours des meubles dans leurs appartements. Seulement plutôt que d’acheter une salle à manger à un ébéniste ils achètent de l’aggloméré Ikea tout naze. En quelque sorte les ébénistes ont été grand remplacés par l’ameublement froid et sans âmes nordique. Il en va de même pour la maroquinerie traditionnelle qui a été grand remplacée par la maroquinerie sans frontière et sans talent de LVMH. Une bonne partie de la filière a été décimée sans que cela n’émeuve personne et cela sur des décennies, mais aujourd’hui que les actionnaires ont besoin de vendre toujours plus de sacs toujours plus vite, ils se plaignent de ne pas trouver d’artisans…

Les petites entreprises et les artisans

Les maroquiniers traditionnels se font rares alors qu’ils constituaient avant le cœur du métier, cela s’explique par de nombreuses raisons. La situation des petites entreprises et des indépendants fabricant des produits de luxe pour la bourgeoisie, autrefois florissantes est plus que menacée par de nouveaux enjeux économiques, des nouvelles attentes sociales et une transformation fondamentale des espaces urbains comme des fonctions qui s'y déploient. La mondialisation ou encore la tertiarisation de la société avec son dénigrement systématique des formations manuelles sont bien évidemment des causes. Mais il existe aussi des raisons plus directes qui expliquent cette mutation et qui sont en rapport avec l'histoire industrielle Française comme nous venons de le voir par exemple avec la création du comité Colbert et la transition qui s’est opérée de l’artisanat de luxe à l’industrie du luxe.

Un atelier en banlieue Parisienne de maroquinerie/bagagerie dans les années 30, en dehors des piqueuses au premier plan tout le travail est effectué à la main. (Source:Sartorialisme)
Un atelier en banlieue Parisienne de maroquinerie/bagagerie dans les années 30, en dehors des piqueuses au premier plan tout le travail est effectué à la main. (Source:Sartorialisme)

Cette transition est vraie pour le monde du luxe en général, mais pour la maroquinerie il faut également ajouter le fait que les métiers de l'accessoire subissent la mode plus qu'ils ne la créent. Ils sont en expansion quand leur produit est à la mode et en crise quand il ne l'est plus. Dès lors, lorsque le marché se contracte, les plus compétitifs survivent, même s’ils ne sont pas les plus qualitatifs. À ce petit jeu les géants industriels sont beaucoup plus solides que n'importe quel artisan. Artisans dont la nature même est en partie responsable de leur disparition, ayant un caractère fortement individualiste ils sont attachés à leur liberté et sont en général peu intéressé par l’idée de s’unir dans le travail comme dans l'administratif. Il existe des initiatives de ce genre mais elles sont en général d’un succès limité, par exemple la fédération Française de la maroquinerie a une force de frappe totalement risible par rapport à celle du Comité Colbert qui est aux premières loges du pouvoir.
Comité dont le nombre de marques représentées ne fait que s'accroire alors que les entreprises participantes sont de moins en moins nombreuses puisqu'elles se rachètent entre elles et forment des groupes gigantesques. Un petit nombre de mains détient aujourd'hui la quasi-totalité de l'industrie du luxe mondial, entre les colonnes l'union fait la force.

Ainsi derrière les unes fanfaronnes des médias annonçant la belle santé de la maroquinerie Française, les chiffres toujours rassurant du CNC ou les résultats financiers astronomiques des groupes du luxe, la tendance globale est assez sombre puisque le “fleuron français” est bâti sur des fondations vermoulues, pour ne pas dire totalement pourries.

Le premier indicateur de cette décomposition est bien évidemment le nombre d’entreprises en lui-même. Ce dernier a baissé de façon dramatique au fil des ans. Vous allez me dire qu’avec l’amélioration de la mécanisation, la tertiarisation et la mondialisation il est normal que le nombre d’entreprises baisse avec le temps. Certes, mais le même phénomène n’a pas été observé avec la même violence chez les Italiens qui ont été parfaitement capable de préserver un tissu industriel fort dans le domaine de la maroquinerie ou vestimentaire en général, c’est donc bien un problème Français et non une sorte de fatalité irrémédiable.
En recoupant les chiffres publiés par les différents organismes de la filière cuir il est assez facile de suivre l’évolution du nombre d’entreprises de maroquinerie en France. Ce chiffre est beaucoup plus fiable que celui du nombre d’ouvriers. D’une part les comptages n’était pas toujours effectués de façon fiable et régulière, d’autre part la maroquinerie a eu pendant des années une forte tradition du travail à domicile, voire même plus généralement du travail au noir.
Il est important de préciser une chose, en 2013 le CNC a décidé de changer sa façon de compter les entreprises du secteur maroquinier. Avant 2013 seules les entreprises de plus de 5 salariés étaient comptabilisées, à partir de 2013 ce sont toutes les entreprises d’au moins un employé qui sont comptabilisées. Nous allons revenir là-dessus dans notre développement.

Les années 80/90 sont une époque charnière où l’on arrive vers la toute fin des petites entreprises et où l’hégémonie des grands groupes commence à s'affirmer. Dans les années 80 le secteur est en pleine mutation à plusieurs niveaux. Les industriels s’affirment mais une génération termine de mourir (littéralement), c'est celle des artisans des dernières heures du luxe à la Française. Ceux qui ont commencé à travailler durant les années folles et qui ont connu le style classique dans ses heures de gloire disparaissent et avec eux bien souvent leur entreprise. Ce phénomène commence vraiment dans les années 70, ainsi selon le bulletin professionnel de la maroquinerie n°l de 1973 il y avait lors de cette année 2000 entreprises de maroquinerie en France. En 1980 selon les chiffres du CNC il n’en reste plus que 436. En 7 ans plus de 1500 entreprises ont disparues. Alors certes le CNC ne compte à cette époque que les entreprises de plus de 5 salariés alors qu’il n’est pas donné de précision quant à la méthode de comptage du bulletin professionnel de la maroquinerie. Mais cela importe peu, puisque si l’on ne prend que les chiffres du CNC de 1980 à 1985 le nombre d’entreprises de maroquinerie de plus de 5 salariés passe de 436 à 337, presque 100 entreprises ont disparues en l’espace de seulement 5 ans. À partir de 1985 la situation se stabilise et l’on constate même une faible hausse, puisqu’en 1990 le CNC comptabilise 357 entreprises. Mais la guerre du Golfe va passer par là et va faire entrer le secteur en crise, en 1991 on ne compte plus que 298 entreprises. À partir de cette époque s’opère un phénomène intéressant, le nombre d’entreprises de plus de 5 employés ne cesse de baisser alors que pourtant la génération des maroquiniers de l’âge d’or a déjà disparu et celle qui la suivait aussi. De 1991 à 2012, dernière année de comparaison possible avant que le CNC ne change sa manière de compter, la filière est passée de 298 entreprises à 151. La raison est en partie due à l’hégémonie des grands groupes du luxe qui commence. Je rappelle que LVMH a été fondé en 1987, qu’Hermès a connu une période difficile dans les années 70 (on disait que la marque sacrifiait sa rentabilité sur l’hôtel de l’excellence) et se refait une santé à partir de 1990 et que PPR (aujourd’hui Kering) se lance dans le luxe en 1999 avec le rachat de Gucci et Yves Saint Laurent.

En raison de ces différents facteurs le nombre d’entreprises de maroquinerie en France n’a de cesse de baisser depuis les années 70. C’est alors qu’un paradoxe commence à apparaître, le nombre d’entreprises de la filière est en chute libre, mais le chiffre d’affaires lui est en hausse constante à partir du début des années 2000. Pour enrayer la chute du nombre d’entreprises le CNC a trouvé l’astuce que nous évoquions, il aura fallu attendre 30 ans pour qu'il se décide à partir de 2013 de comptabiliser toutes les entreprises ayant au moins un salarié. Et là miracle, on passe de 151 entreprises en 2012 à 431 en 2013, un nombre qui n’a plus été vu depuis les années 80. Sans surprise, cet ajout n’a pas fait croitre de façon significative le chiffre d’affaires de la filière car déjà en 2013 les 24 entreprises qui emploient plus de 200 salariés réalisaient plus de trois quarts de la facturation du secteur. Autant dire que les 280 entreprises ajoutées ne comptent que pour une goutte d’eau. Leur incorporation n’est qu’une manipulation statistique pour masquer la disparition progressive de tout ce qui n’est pas un industriel du luxe ou une grosse multinationale. En réalité le marché de la maroquinerie devient de plus en plus polarisé entre deux extrêmes, d'un côté vous avez les très grands et de l'autres les très petits, l’entre deux lui est en train de complètement disparaître et c’est pour lisser cette disparition que le CNC s’est senti forcé d’apporter une correction dans sa façon de compter les entreprises. Il faut dire que le “milieu”, ce monde de petites entreprises de 5 à 10 salariés, est soumis à une concurrence rude, une pression délirante des cotisations, contributions et autres taxes étatiques et qu'il est limité quant aux mesures d’optimisation fiscale qu’il peut mettre en place. Ça n'est pas exactement ce que l'on pourrait appeler attractif.

Le nombre d’entreprises dans le secteur de la maroquinerie de 2000 à 2020. La manipulation statistique saute aux yeux. (Source : CNC)
Le nombre d’entreprises dans le secteur de la maroquinerie de 2000 à 2020. La manipulation statistique saute aux yeux. (Source : CNC)

Cette bipolarisation est également visible quand on s’intéresse au chiffre d’affaires réalisé par le secteur de la maroquinerie. De 1980 à 1987 la maroquinerie Française présente un chiffre d’affaires qui tourne autour des 500 millions d’euros (420 millions en 1980, 628 en 1987). C’est la période de transition, qui est également visible si l’on regarde les importations et exportations de la filière, de 1980 à 1990 les importations sont toujours supérieures aux exportations, cette tendance ne commence à changer de façon définitive qu’à partir de 1994. En réalité le chiffre d’affaires de la maroquinerie restera constamment sous la barre du milliard d’euros jusqu’en 2001. C’est à partir de cette période que l’industrie du luxe a la mainmise complète sur la maroquinerie et que le chiffre d’affaires va augmenter de façon exponentielle. Ce qui compte ce n’est plus la qualité du produit, mais sa marque. Les industriels du luxe peuvent se permettre de produire beaucoup et pour pas cher, c’est la définition même de leur activité. Si vous combinez l’image de marque, la production en série rapide et bon marché à l’émergence d’une nouvelle catégorie de clients aux poches pleines plus rien ne s’oppose à ce que le chiffre d’affaires de la maroquinerie Française explose. Et c’est ce qu’il a fait. Aujourd’hui la maroquinerie réalise un chiffre d’affaires qui flirte avec les 4 milliards d’euros (3,3 milliards en 2020, 3,8 milliards en 2019), des chiffres totalement impensables dans les années 80. Rappelons à tout hasard qu’en 1994 un sac Kelly d’Hermès coutait approximativement 10 000 francs (2100€ actuels selon le convertisseur de l’Insee tenant compte de l’inflation) aujourd’hui pour un modèle similaire il faut compter aux alentours de 8000€. Pour la même année les sacs à main Vuitton iconiques commençaient à 3500 francs (768€ actuels selon l’Insee) alors qu’aujourd’hui pour le même prix vous n’avez même pas une pochette. Lorsqu’un sac à main produit par un artisan et un sac Hermès sont au même prix, le prix du premier correspond à ce qu’il vaut, le prix du second correspond à ce que la marque vaut.

Le comité Colbert peut être fier, son objectif originel : faire de l’industrie du luxe Française une référence est aujourd’hui réalisé. (Source : usinenouvelle)
Le comité Colbert peut être fier, son objectif originel : faire de l’industrie du luxe Française une référence est aujourd’hui réalisé. (Source : usinenouvelle)

Les conséquences ne se sont pas faites attendre certains secteurs ont pratiquement disparus, c’est le cas par exemple de la gainerie, la formation à l'école de gainier a disparu et aujourd’hui il n’existe plus de formation complète intégralement dédiée à cet artisanat d’excellence qui était plus ancien que la maroquinerie elle-même. Pour ceux qui l’ignorent le gainier est un artisan capable de recouvrir n’importe quel objet de cuir, et parfois de le dorer dans le cas du gainier-doreur. Étymologiquement le nom provient des gaines d'épée en cuir mais le gainier pouvait en plus des fourreaux fabriquer des écrins, coffrets, socles.… C’est au mieux s’il existe aujourd’hui une vingtaine de gainiers dans toute la France et parmi eux il n’existe que 3 ou 4 véritables spécialistes dont la formation s'est faite de père en fil ou via les maîtres d'art. Les maîtres d'art, une initiative de préservation du savoir-faire Français.

Court mais très beau reportage de France 3 sur Bernard Rosenblum qui était l’un des derniers très grands gainier doreur d'art. (Source: France 3).

La classe de gainerie du lycée professionnel de l'abbé Grégoire en 1962. 60 ans plus tard il ne reste plus qu’une poignée de gainiers en activité. (Source : copainsdavant)
La classe de gainerie du lycée professionnel de l'abbé Grégoire en 1962. 60 ans plus tard il ne reste plus qu’une poignée de gainiers en activité. (Source : copainsdavant)
Exemple d’articles de gainerie publié dans Les Modes en 1931 (Source : BNF)
Exemple d’articles de gainerie publié dans Les Modes en 1931 (Source : BNF)
La vie de Bernard Steff, une sommité dans le monde de la gainerie. Il est décédé en 2021 et était, Meilleur ouvrier de France, Gainier d'Art,
Chevalier de l'ordre national du Mérite,
Chevalier des Arts et des Lettres, Grand Maître d'Arts. Benoît Quinoa et tous les privates labels minables sont rhabillés pour l'hiver.
La vie de Bernard Steff, une sommité dans le monde de la gainerie. Il est décédé en 2021 et était, Meilleur ouvrier de France, Gainier d'Art, Chevalier de l'ordre national du Mérite, Chevalier des Arts et des Lettres, Grand Maître d'Arts. Benoît Quinoa et tous les privates labels minables sont rhabillés pour l'hiver.

Il en va de même avec les pareurs, le parage est une technique qui permet d’amincir le cuir dans le but de diminuer son épaisseur sur une partie de la pièce, notamment les bords, à ne pas confondre avec le refendage qui consiste à faire diminuer l’épaisseur d’une pièce sur son intégralité. La technique du parage est ardue à maitriser et a fait l’objet d’une spécialisation avec l’apparition de pareurs indépendants notamment en ce qui concerne les cuirs exotiques qui sont particulièrement exigeants et coûteux. Dans les années 90 l’activité avait quasiment disparu avec seulement 5 à 6 pareurs à Paris. Aujourd’hui plus aucun de ces spécialistes n’est en activité, il existe encore une petite poignée de pareurs mais d’une nature différente. Il va s’agir essentiellement de sous-traitants multi-services offrants du parage à la machine pour les très petites entreprises ou les particuliers. Il en va de même pour les professions de fermoiriste ou de sertisseur-riveur qui ont pour ainsi dire totalement disparues avec la généralisation, entre autres, de la fermeture éclair.

La disparition de ces spécialistes s’est accompagnée de la perte d’un certain nombre de maroquiniers indépendants ou d’entreprises de taille familiale. Trop petits ils n’ont pas été en mesure de s’adapter à la concurrence des industriels du luxe comme à celle des pays du tiers monde. Tiers monde qui a été capable d’inonder le marché de produits peu coûteux et de piètre qualité d’une façon impressionnante. Il existe d’ailleurs à ce sujet une statistique amusante, ou déprimante c’est selon. Les prix moyens de sacs à main en sortie de douanes donnent une indication sur la gamme de produits que la France importe et exporte. En effet, pour les sacs à main en cuir, le prix moyen est de 89€ à l’import contre 500€ à l’export. Autrement dit, la France importe des sacs du tiers monde pour son marché domestique de ploucs et exporte ses sacs “de luxe” fabriqués par ces mêmes ploucs à l’international. Cela rend bien évidemment difficile toute survie d’un marché domestique non tourné vers l’export comme cela pouvait exister par le passé.

Pareuse mécanique, vous pouvez voir la pièce de cuir dont les bords ont été parés sur le dessus de la machine. (Source : Directsewing)
Pareuse mécanique, vous pouvez voir la pièce de cuir dont les bords ont été parés sur le dessus de la machine. (Source : Directsewing)
Parage à la main, une technique beaucoup plus chronophage qui demande du savoir-faire. (Source : Sartorialisme)
Parage à la main, une technique beaucoup plus chronophage qui demande du savoir-faire. (Source : Sartorialisme)

Il faut également réaliser que financer une petite ou moyenne entreprise de maroquinerie dans un monde de start-ups informatiques n'est pas évident. Toute entreprise qui souhaite se lancer doit tout d’abord parvenir à se financer auprès de banques ou par levées de fonds, alors que son profil ne correspond souvent pas aux attentes des investisseurs. Les besoins de financement des artisans en maroquinerie sont lourds, leur activité reposant sur des outils, des machines et des matières premières très onéreuses. Concrètement vous mettez bout à bout une pareuse, une machine à coudre, une presse hydraulique, une machine pour la dorure à chaud et vous en avez déjà pour 8000€ d’équipement et ça c'est en ne prenant qu'un exemplaire (neuf) de chaque, ajoutez à ça le local, les fournitures, les outils, le cuir... Certes vous pouvez vous passer de beaucoup de machines et vous lancer comme artisan, paradoxalement vous avez de meilleures chances puisque vous pouvez commencer sur vos fonds propres mais vous avez intérêt à être (très) bon sinon vous n'allez pas rester en business longtemps... Et même si vous l’êtes n’espérez pas attirer les Gucci coochie en parlant technique ou qualité, elles s’en branlent, votre clientèle ça sera la niche. C’est bien simple, certains maroquiniers indépendants en sont à faire de la revente ou du reconditionnement de sacs Hermès d’occasion pour arrondir les fins de mois.
Vous comprenez donc que les investissements dans de telles entreprises présentent des temps de retour très longs et sont particulièrement risqués. De fait les banques sont de plus en plus frileuses, méfiantes et exigeantes pour accorder un financement. Alors forcément, vous pensez que ce genre d'investissement ça fait bien rire Benoit Quinoa tout juste sorti de son école de commerce et qui n'a besoin que d'un ordinateur et d'un bureau en co-working pour lancer son biz de private labeling. Il n'a même pas besoin d'avoir un gros QI, il lui suffit juste de savoir mentir. Lui n'aura évidemment aucun problème pour obtenir ses financements, on lui donnera même une subvention.

Les Private labels

Cela m'amène tout naturellement à parler des private labels. La maroquinerie “basique” est un domaine particulièrement marqué par l’explosion des private labels. Le marché a été littéralement inondé de produits fabriqués un peu partout sous des “marques blanches” et cela depuis maintenant très longtemps. Cela ne veut d’ailleurs pas dire que ces produits sont bons marché, ils utilisent l’image luxueuse du cuir pour vendre à des prix parfois (trop) élevés une production industrielle tout ce qu’il y a de plus bête. Dieu merci, la maroquinerie de luxe a été en partie épargnée par l’explosion des private labels, mais en partie seulement. Ce qui est relativement nouveau en revanche c’est l’émergence de private labels plus que basiques qui tentent de faire passer leurs produits pour du luxe. Si la pratique n’est pas nouvelle, elle fonctionnait beaucoup moins bien dans les années 80/90 qu’elle ne fonctionne aujourd’hui.
Nous allons également rappeler pour ceux qui l'ignorent que nous faisons toujours une distinction entre private labelling et sous-traitance. Si vous êtes un lecteur habitué vous savez déjà de quoi nous voulons parler. Dans le cas de la sous-traitance on parle d'une relation qui va du haut vers le bas, c'est à dire le donneur d'ordre vient chercher un outil de production, mais il réalise en amont toute la conception technique et contrôle plus ou moins directement tous les aspects techniques de son produit. Tous les groupes de luxe sous-traitent abondamment, en ce qui concerne Vuitton plus de la moitié de la maroquinerie de la marque est produite par des sous-traitants. Dans le cas du private labelling on parle d'une relation qui va du bas vers le haut, c'est l'usine qui contrôle les aspects techniques de la production et qui offre une solution plus ou moins “clef en main” à différentes marques (souvent des start-ups) qui vendent donc le même produit, mais sous une marque différente. C'est pour cela que l'on parle parfois de “marque blanche”, ça n'est pas raciste. Il existe ensuite plusieurs niveaux d'intégrations (là encore, ça n'est pas raciste) chaque marque va choisir ses options de “personnalisations” en fonction de ce qui est proposé par l'usine et va faire “sa” propre tambouille, sachant qu'un autre client peut très bien faire les mêmes choix. Il existe ensuite une certaine liberté ou non en ce qui concerne le sourcing des matières premières etc etc qui sera propre à chaque usine.

Dans le cas de la maroquinerie le tissu industriel appartient majoritairement aux grands groupes du luxe soit directement soit via une relation de sous-traitance très poussée (Maroquinerie Thomas, Rioland etc etc dépendent presque intégralement des grandes marques pour leur existence). Il existe relativement peu d'usines de taille importante qui peuvent faire de la maroquinerie industrielle ou semi industrielle de haut vol et qui ne soit pas déjà dans le giron d'Hermès, Vuitton etc etc. Il n’existe pas vraiment d'Edward Green ou d’Enzo Bonafe de la maroquinerie qui peuvent alimenter toutes les marques en private label 2.0 qui prétendent faire du luxe. Néanmoins, cela ne veut pas dire que ce cancer n’existe pas, loin de là, il y a des starts-ups de petits bobos urbains qui essayent de se faire passer pour ce qu’ils ne sont pas. On en compte même un certain nombre. Quand ils ne trouvent pas une usine en France ils vont voir du côté des Italiens, des Espagnols ou encore des Roumains. Mais ils sévissent un peu moins que dans le domaine du soulier par exemple. Ces marques fonctionnent toutes selon le principe du “remplissage de cases” ou de la fiche technique pour parler simplement, il va s’agir de choisir des critères techniques simples sur lesquels communiquer. Par exemple dans le monde de la chaussure l’exemple typique est le montage Goodyear. Qu’il s’agisse de Max Suceur, Sale Gueule ou Macadam tous ont contribué à promouvoir le Goodyear master race à leurs clients. Dès lors, tout autre montage est considéré comme suspect par le lecteur de blogs.
Dans la maroquinerie c’est un exercice un peu plus difficile à faire, car malgré toutes les conneries qu’ils peuvent raconter leur fabrication est industrielle et quelconque. Ils ne vont pas pouvoir proposer du beau point sellier ou des tranches impeccables car cela demande trop de temps, et donc d'argent. Comme leur modèle économique repose sur des marges “faibles” et du volume, ils ne seraient pas compétitifs. Ils savent également que le milieu de la maroquinerie de luxe est déjà extrêmement saturé et comme ils ont du mal à communiquer sur le sujet, se faire une place va être difficile. Ça ne va pas les empêcher de mentir et d'avancer du “fait main” ou de la “fabrication française”, certains se risquent à du “cousu main” mais avec une bonne tarte dans la gueule il ne devrait pas être trop difficile de leur faire admettre que c'est de la machine.

L’exemple typique de la maroquinerie industrielle basique en private label qui s’approprie des qualités qu’elle n’a pas. “Artisanal, savoir-faire, traditionnel, fait main” en même pas quelques lignes, à croire qu’ils cherchent à cacher quelque chose. (Source : Atelier Particulier)
L’exemple typique de la maroquinerie industrielle basique en private label qui s’approprie des qualités qu’elle n’a pas. “Artisanal, savoir-faire, traditionnel, fait main” en même pas quelques lignes, à croire qu’ils cherchent à cacher quelque chose. (Source : Atelier Particulier)
Un autre exemple, Guibert Paris, dans la première image j’attire votre attention sur la mention du point sellier. Dans la seconde image on vous montre une jolie petite aiguille soulignée d’un “artisanat d’excellence”. Sauf que comme le montre la 3ème image c’est du piquage machine tout ce qu’il y a de plus moche. (Source : Guibert Paris)
Un autre exemple, Guibert Paris, dans la première image j’attire votre attention sur la mention du point sellier. Dans la seconde image on vous montre une jolie petite aiguille soulignée d’un “artisanat d’excellence”. Sauf que comme le montre la 3ème image c’est du piquage machine tout ce qu’il y a de plus moche. (Source : Guibert Paris)

Qu’est ce qui est fabriqué et comment ?

Nous allons maintenant parler un peu des objets couramment fabriqués en maroquinerie. Il n'est pas question de faire un inventaire à la Prévert, cela n'aurait aucun intérêt. L'objectif est simplement de donner une idée de ce qui est fabriqué en France.

Depuis 2013 le CNC publie une liste portant sur le nombre d'articles de maroquinerie fabriqués chaque année en France avec la facturation correspondante. Cette liste permet d'observer certaines grandes tendances, tout d’abord il n'est pas surprenant de voir que les sacs à main sont de loin en tête du classement du nombre d'unités produites, avec plus de 11 millions de pièces fabriquées chaque année si l'on fait exception de 2020, année de la panique sanitaire. D'une manière générale et sans entrer en détails dans les chiffres, les sacs à main représentent à eux seuls près des deux tiers de la production de maroquinerie Française. La fabrication Française de sac à main représente environ 20% de la production Européenne, la France se situe au deuxième rang des fabricants européens, loin derrière l’Italie qui assure à elle seule plus ou moins 60% de cette production en fonction des années.
La prépondérance des sacs à main se confirme quand on regarde la facturation. Les sacs génèrent en général aux alentours de 2 milliards d'euros par an soit là aussi les deux tiers de la facturation totale. Il est d'ailleurs intéressant de constater qu'en 2020 la France n'a produit que 8 millions de sacs, contre 11 millions en moyenne les années normales, mais que la facturation représentait 2,3 milliards d'euros soit le même montant que pour l'année 2018 et ses 11 millions de sacs. La baisse de production a donc été répercutée sur le prix de vente. L’offre et la demande toussa, toussa, un concept toujours inconnu de certains.

En France le second domaine en matière de volume de production est la petite maroquinerie, on parle ici d'une catégorie un peu fourre-tout qui concerne les articles de bureaux, les étuis (téléphone, cigares, lunettes…) mais pas les bracelets de montre où les portes-feuilles qui sont comptabilisés à part. Les autres produits issus de la maroquinerie se décomposent ensuite en parts plus ou moins égales.

On pourrait penser que les objets fabriqués par la filière de la maroquinerie ont toujours été plus ou moins constants dans leur nature à travers les ans. C’est en partie vrai, mais c’est également une vision simpliste. Comme nous l’avons déjà mentionné les métiers de l'accessoire subissent la mode plus qu'ils ne la créent. Cela se voit par exemple dans le cas des serviettes, cartables, attachés-cases et autres portes documents. On touche là à ce qui était le cœur historique de la maroquinerie Française, le sac rigide. Aujourd’hui les cartables et serviettes ne sont plus à la mode et cela se voit lorsque l’on regarde les volumes de productions. Il s’agit d’un domaine qui est en baisse constante depuis 2016. On est passé de 912 000 pièces en 2014 à 586 000 en 2020, et même en prenant 2019 ou 2018 comme année de référence, la production a pratiquement été divisée par deux. Cela s’explique comme nous l’avons dit par le fait que ces objets ne sont plus à la mode mais également par la généralisation du sac dit souple (ou retourné). Peu de gens imaginent ce qu’a représenté pour la maroquinerie ce changement brutal dans la mode, nous allons donc vous raconter cette révolution puisqu’elle permet également de comprendre comment la maroquinerie actuelle est devenue ce qu’elle est.

La fabrication du sac rigide avec fermoir correspond à une forme de sac couramment fabriquée dans la période d'Entre-deux-guerres jusqu'aux années 70/80. C’est ce qu’énormément d’hommes mais aussi d’écoliers utilisaient chaque jour pour porter leurs affaires. Pour beaucoup de maroquiniers à cette époque le sac rigide est un produit qui représente la tradition Française du secteur. À partir des années 70 les choses changent radicalement et le sac souple commence à se diffuser massivement en raison de son faible coût de production, mais également en raison de l’avènement du sportswear. Le sac souple n’est en soit pas une nouveauté, il existe déjà depuis des décennies, par exemple le sac haut à courroie d’Hermès est commercialisé pour la première fois aux alentours de 1890 mais c’est en raison d’un changement majeur dans la société et dans la façon dont les gens s’habillent que le sac souple devient incontournable.

Le sac haut à courroie d’Hermès, grand père du Kelly actuel. (Source : resee)
Le sac haut à courroie d’Hermès, grand père du Kelly actuel. (Source : resee)
C’est dans les années 80 qu’Hermès se met à proposer deux versions de son sac Kelly. L’un rigide dit “sellier” et l’autre souple dit “retourné”. (Source : yoogiscloset)
C’est dans les années 80 qu’Hermès se met à proposer deux versions de son sac Kelly. L’un rigide dit “sellier” et l’autre souple dit “retourné”. (Source : yoogiscloset)

L’Italie est déjà un très grand producteur de ce type de sac car le pays dispose de nombreuses peaux souples, notamment de l’agneau. En France les réticences sont plus grandes et l’'introduction du travail "souple" ne se fait pas sans mal. Il faut bien comprendre qu’une grande partie de l’industrie était structurée autour du travail rigide, et elle devait maintenant s’adapter au travail souple. Ce ne sont pas les mêmes techniques, le sac rigide demande beaucoup plus de travail, il faut encarter le cuir, pour le rigidifier, mais il faut également effectuer tout un travail de table (parer, coller, remborder) qui est exigeant. En comparaison le sac souple demande moins de travail, son montage est également beaucoup plus facile à effectuer. Les cadences changent drastiquement.
Pour le travail rigide de maroquinerie, certaines entreprises qui faisaient 5 à 6 pièces par jour, passent à 100 pièces par jour avec le souple. Il est estimé en moyenne qu’avec la mode du sac souple le temps de fabrication est divisé par 10 par rapport au sac rigide. Cela entraine évidemment des modifications au niveau des salaires et des emplois, les fermoiristes sont les premiers à pâtir des changements. Les mécaniciennes également appelées assembleuses qui étaient moins payées dans le travail du sac rigide que les coupeurs voient leur salaire devenir supérieur à celui de ces derniers. Beaucoup d’ouvriers habitués à la fabrication de sacs rigides ne vont pas accepter ces changements. Le fait est que le hasard a voulu que le sac souple devienne à la mode alors que la génération des maroquiniers qui ont connu essentiellement le travail rigide arrivait en fin de carrière, parfois même en fin de vie. La génération de l’âge d’or du style classique. Pour désigner un sac souple on parlait à l’époque dans le milieu de sac chiffon ou de sac torchon, parfois de sac fourre-tout et plus rarement de sac à merde. Certains disaient même “je n'ai pas supporté, je faisais de la maroquinerie” sous-entendu que le travail du sac souple n’en était pas. Le milieu a eu parfois tant de dédain pour le sac souple que certaines entreprises se refusaient à en fabriquer. Peut-être espéraient ils ainsi faire changer la mode. En réalité beaucoup d’entre eux n’étaient pas dupes, ils n’étaient simplement pas en mesure de transformer leur outil de production pour s’adapter à cette nouvelle demande. Ils devaient en plus faire face à la concurrence asiatique, qui si elle n’avait jamais été en mesure de véritablement s’imposer sur le sac rigide était en revanche tout à fait capable de faire des sacs souples en grande quantité. D’ailleurs beaucoup d’entreprises Françaises vont faire le choix à cette époque de délocaliser intégralement leur production vers l’Asie ou tout au moins d’y installer des unités de productions tout en conservant une activité résiduelle en France pour certaines étapes de production.

Comment c’est fabriqué ?

Avec le développement sur la différence entre le sac souple et le sac rigide nous avons déjà donné une idée de la latitude qui existe dans les méthodes de fabrication de la maroquinerie mais uniquement en rapport avec un aspect spécifique du secteur. Dans cette partie nous allons poursuivre cette explication tout en prenant un point de vue plus global et moins centré sur les sacs. Nous n’allons pas entrer dans les détails des techniques utilisées, nous ferons cela dans un prochain article. Le but est avant tout de vous permettre de comprendre un peu mieux comment est fabriqué ce que vous achetez.

Si vous croyez le discours tenu par n'importe quelle usine qui fait de la maroquinerie en France, tous font de l'artisAnal, tous sont des protecteurs de la tradition et du savoir-faire Français. Il n’en est bien évidemment rien, et vous pouvez déplacer leur production en Chine, ou en Espagne sans que cela ne change quoique ce soit, si ce n'est la nationalité de celui qui est derrière les machines. Contrairement à certains métiers de l’élégance, la maroquinerie a pu bénéficier de l’industrialisation et du développement des machines, ce qui a permis à certaines petites ou moyennes entreprises de perdurer. Mais se faisant elles ont souvent également abandonné les techniques de fabrications traditionnelles qui étaient jusqu’alors les leurs et donc abandonné leur statut d'artisan. Comme dans le monde de la chaussure il existe en maroquinerie un viol total et répété de la mention “fait main” ou plus généralement du concept d'artisanat. Encore une fois, ça n'est pas parce que vous mettez avec vos main une pièce de cuir sous une presse hydraulique ou que vous la guider, là aussi avec vos mains, dans une pareuse mécanique que c'est de l'artisanat. Toucher du cuir n'a jamais transformé personne en artisan. Sinon vous pensez bien que depuis le temps qu'il est avec sa Brigitte, Micron aurait déjà été nommé meilleur ouvrier de France. Comme il n'y a pas de règle, ni de contrôle chacun fait ce qu'il veut et vous dira absolument n'importe quoi sur ce qu'ils fabriquent et sur leur façon de le fabriquer.

La Maroquinerie de l’Indre crée en 1916 à Issoudun une entreprise indépendante de qualité. Elle a été rachetée par Louis Vuitton en 1983, le sort de beaucoup d’ateliers du secteurs. (Source : Jacky Raveau)
La Maroquinerie de l’Indre crée en 1916 à Issoudun une entreprise indépendante de qualité. Elle a été rachetée par Louis Vuitton en 1983, le sort de beaucoup d’ateliers du secteurs. (Source : Jacky Raveau)
Cette même entreprise mais dans les années 70. La mécanisation est passée par là. (Source : lanouvellerepublique)
Cette même entreprise mais dans les années 70. La mécanisation est passée par là. (Source : lanouvellerepublique)

Une vision plus réaliste serait de dire qu'il existe en maroquinerie trois façons de faire, il y a une façon industrielle, une façon artisanale et une façon semi-industrielle. La maroquinerie industrielle est mécanisée et n'utilise pas ou peu le point sellier. La maroquinerie artisanale est fabriquée essentiellement à la main et surtout doit faire usage du point sellier. L'artisan est celui qui travaille à la main contrairement à l’ouvrier qui travaille de ses mains. Le plus important est donc que l'essentiel du travail soit fait à la main. Vous noterez que cette définition n’exclue pas l’usage de machine, rien n’interdit à un artisan d’utiliser un fer à fileter électrique. À titre personnel je considère qu'il n'y a pas d'artisanat là où il n'y a pas de point sellier. Le point sellier fait partie intégrante de la tradition maroquinière, il est son expression la plus pure, il est indestructible et surtout il ne peut pas être répliqué à la machine ce qui veut dire qu'il demande un véritable savoir-faire. La maroquinerie semi-industrielle est réalisée essentiellement à la machine mais inclue des étapes réalisées à la main et recours parfois au point sellier. C’est le cas par exemple de marques comme Hermès, ou encore Camille Fournet mais il en existe d’autres. Certains fabricants de maroquinerie vont également avoir tendance à revendiquer leur appartenance au monde de l'artisanat sous prétexte d'être une petite structure. L'argument est bien évidemment fallacieux, ça n'est pas la taille qui fait l’artisanat mais la façon. Vous mettez 100 maroquiniers dans une pièce, chacun travaillant à la main de A à Z, vous avez des artisans. Vous mettez 3 clampins derrière 5 machines, ça n'est pas parce qu'ils vont déplacer du cuir avec leurs mains d'une machine à l'autre que vous avez autre chose que de l'industriel. Si vous vous demandez pourquoi le point sellier en lui seul n’est pas constitutif d’artisanat, la raison est simple. Vous avez des pays, l’Italie notamment, qui font du point sellier comme ils font du cousu trépointe, un point tous les kilomètres et emballé c’est pesé. La densité de couture est ridicule et ne présente pas la même solidité. Et c'est pour cela qu'à mon avis la meilleure définition de la maroquinerie artisanale est une combinaison de deux facteurs, le travail doit être fait majoritairement à la main ET doit impérativement être fait au point sellier.

Exemple de point sellier sur un cartable réalisé par Célia Granher, maroquinière indépendante. (Source : Celia Granger)
Exemple de point sellier sur un cartable réalisé par Célia Granher, maroquinière indépendante. (Source : Celia Granger)
Côté pile. Les simagrées de Louis Vuitton autour de la fabrication du sac à main petite malle. Gants blancs et tout le toutim, forcément vous vous dite “c’est de l’artisanat”. (Source : LVMH)
Côté pile. Les simagrées de Louis Vuitton autour de la fabrication du sac à main petite malle. Gants blancs et tout le toutim, forcément vous vous dite “c’est de l’artisanat”. (Source : LVMH)
Côté face. En réalité c’est Monique 45 ans avec son haleine de Roquefort et ses bras de camionneur qui fabrique votre petite malle. Sans gants blancs qui plus est. Il n’en reste pas moins que c’est un superbe produit au rapport qualité/prix largement supérieur aux sacs souples de la marque. Ça n’en reste pas moins de l’industriel. Sinon, pour mettre tout le monde d'accord je propose également l'appellation d'artisananas. (Source : API)
Côté face. En réalité c’est Monique 45 ans avec son haleine de Roquefort et ses bras de camionneur qui fabrique votre petite malle. Sans gants blancs qui plus est. Il n’en reste pas moins que c’est un superbe produit au rapport qualité/prix largement supérieur aux sacs souples de la marque. Ça n’en reste pas moins de l’industriel. Sinon, pour mettre tout le monde d'accord je propose également l'appellation d'artisananas. (Source : API)

Et la contrefaçon, on en fait quoi ?

Enfin il serait dommage dans un état des lieux de la maroquinerie de ne pas aborder très brièvement la question des contrefaçons. La maroquinerie est un domaine particulièrement touché et pour beaucoup comme seule la marque compte, peu importe la légitimité de la provenance. Vous le savez si vous êtes un lecteur régulier du blog, nous avons une opinion assez favorable de la seconde main et des opportunités qu'elle propose. Pour la maroquinerie je suis personnellement beaucoup plus réservé. Oui, il y a des affaires à faire, parfois d'excellentes même, mais le risque de tomber sur une contrefaçon est immense. La vaste majorité des produits provenant de marques de luxe que vous trouvez sur les sites de seconde main sont des faux. Nous l'avons dit, les contrefacteurs ont leur travail facilité par l'industrialisation et l'uniformisation de la maroquinerie de luxe. Certains sacs contrefaits sont parfois mieux réalisés que certains sacs originaux. Il arrive même que les employés des marques de luxe ne sachent pas différencier leurs propres sacs des sacs contrefaits. Vous imaginez donc bien que les sites qui proposent d’authentifier des sacs de grandes marques ne sont donc pas toujours très fiables. Il arrive même que des sacs contrefaits soient fabriqués directement par ces mêmes employés, avec du matériel “emprunté” à l’usine, un réseau d’anciens d’Hermès a ainsi été démantelé. La justice n’a pas été tendre avec les fabricants de ces “faux vrais” sacs, certains se sont vu infligés des peines similaires à celles de violeurs ou d’homicidaires… Pour lutter contre ces problèmes de contrefaçons les marques ont des parades mais elles sont vaines, ils apposent des signes, ajoutent des numéros etc etc mais rien qui au final ne puisse être répliqué. Vuitton mettent depuis 2021 une puce dans leurs sacs pour authentifier les sacs originaux. Pour l’heure la marque n’a pas encore beaucoup communiqué sur le sujet et n’a pas non plus lancé d’application qui permette à des particuliers de scanner le contenu de la puce. Mais j’ai bien peur que cet effort soit vain, ça n’est qu’une question de temps avant que les contrefacteurs ne soient en mesure de trouver une parade en fournissant leurs propres puces.