État des lieux du marché de la maroquinerie

Cet article s’adresse avant tout à ceux qui veulent apprendre comment s’est structuré le marché de la maroquinerie en France et quel est son état actuel. Nous traitons ici essentiellement de la maroquinerie “fine” ou “de luxe”. Nous ne parlons donc pas de la maroquinerie “rustique”. Par définition il s’agit d’un article long et technique, n’hésitez pas à le lire en plusieurs parties.

Il existe principalement deux grandes traditions de la maroquinerie. La maroquinerie “fine” (à gauche), et la maroquinerie “rustique” (à droite), au sens non péjoratif du terme. Cette maroquinerie utilise beaucoup le repoussage et est par exemple très populaire chez les médiévistes ou aux États-Unis. Nous traitons uniquement de la maroquinerie fine. (Source : 20 minutes / tandy museum)
Il existe principalement deux grandes traditions de la maroquinerie. La maroquinerie “fine” (à gauche), et la maroquinerie “rustique” (à droite), au sens non péjoratif du terme. Cette maroquinerie utilise beaucoup le repoussage et est par exemple très populaire chez les médiévistes ou aux États-Unis. Nous traitons uniquement de la maroquinerie fine. (Source : 20 minutes / tandy museum)

Avant-propos

Le cuir est l’une des plus vieilles ressources naturelles de l’humanité. L’archéologie moderne permet de suivre l’évolution de ce matériau à travers les millénaires. Ainsi des outils vieux de plus de 400 000 ans destinés au travail du cuir ont été récemment découverts lors de fouilles dans les environs de Rome. Autre exemple, une chaussure en cuir vieille de 5 500 ans, a été trouvée en 2008 sur le site archéologique Areni-1, situé en Arménie. Il s’agit de la plus ancienne chaussure en cuir connue à ce jour. L'histoire du cuir est étroitement liée au progrès de l'humanité, le cuir n’a cessé de servir l’homme et c’est toujours vrai à notre époque. Toutefois en raison de l’apparition de nouveaux matériaux et du progrès technique l’utilisation du cuir a changé. Elle est de moins en moins utilitaire et de plus en plus décorative. C’est en partie pour cette raison qu’à notre époque la maroquinerie est plus une affaire de statut que de besoin. Il se trouve que les gens qui cherchent à exprimer leur statut social par leur vestiaire le font essentiellement par l’achat de marques. Et il n’y a aucun problème à cela, l’expression du statut passe nécessairement par la reconnaissance par les pairs. Reconnaissance en partie obtenue grâce à l’identité forte et au pouvoir d’évocation des marques. Cela veut dire que nous avons aujourd’hui toute une masse de ploucs qui s'imaginent dur comme fer que Vuitton, Chanel et compagnie c'est le soleil et qu’il n’existe rien d’autre. Pour beaucoup il importe peu de savoir qui fabrique quoi et comment. Si c’était le cas personne ne paierait 800€ les bracelets petit H fabriqués en moins de deux avec des chutes de cuir destinées à la poubelle. L’important c’est le H et l’idée qu’il véhicule, pas autre chose.

$315 le pendentif petit H réalisé à l’emporte-pièce en 3 secondes (littéralement). Un moyen efficace de rentabiliser les chutes de cuir. (Source : Hermès)
$315 le pendentif petit H réalisé à l’emporte-pièce en 3 secondes (littéralement). Un moyen efficace de rentabiliser les chutes de cuir. (Source : Hermès)
Vous préférez un bracelet en chutes de croco ? Pas de problème. C’est $800. Au moins le fermoir est en palladium, c’est d’ailleurs probablement ce qui coûte le plus cher sur ce bracelet. (Source : Hermès)
Vous préférez un bracelet en chutes de croco ? Pas de problème. C’est $800. Au moins le fermoir est en palladium, c’est d’ailleurs probablement ce qui coûte le plus cher sur ce bracelet. (Source : Hermès)

L’objectif de cet état des lieux va être d’expliquer comment fonctionne le marché actuel de la maroquinerie, en trois grands axes. Qui sont les acteurs, ce qu’ils fabriquent et comment ils le fabriquent. Il ne s’agit pas d’un guide des marques ou d’un article expliquant en détails les méthodes de fabrication utilisées dans le milieu. Cet article va traiter indifféremment de la maroquinerie industrielle et de la maroquinerie artisanale afin de refléter au mieux la réalité du marché actuel. Cela peut sembler arbitraire tant il existe un gouffre entre les deux mais à partir du moment où l'industriel prétend posséder les qualités de l'artisanal il n'est pas injuste de lui mettre le nez dans sa merde.

Que recouvre la maroquinerie ?

Avant de s’attaquer au cœur du sujet il est important de revenir sur la définition même de la maroquinerie. Les secteurs professionnels qui transforment le cuir et les peaux sont aujourd’hui regroupées dans ce que l’on appelle la filière cuir, les mégisseries, les tanneries, les bottiers, maroquiniers… tous en font partie mais la maroquinerie occupe une place distincte puisqu’elle regroupe une multitude d’activités. La maroquinerie au sens le plus large et vague du mot correspond à une famille de professions qui ont en commun de travailler le cuir ou des matériaux de substitution du cuir (on pense par exemple à la toile PVC Vuitton ou à la lozine de la même marque), pour confectionner des objets d'usage personnel couvrant une gamme étendue.
Il n'existe pas dans le vocabulaire de distinction entre la maroquinerie traditionnelle et la maroquinerie industrielle. La différenciation n’est donc pas aussi simple qu’entre les bottiers et les chausseurs par exemple. Un bottier fabrique une chaussure de façon artisanale alors qu’un chausseur est un fabricant industriel. Alors certes il arrive de temps en temps qu’un chausseur se dise bottier mais c’est comme pisser sur quelqu’un et tenter de le convaincre que c’est de la pluie, l’imposture est grossière. Cela n'empêche pourtant pas les chausseurs industriels de s’attribuer régulièrement des qualités qu'ils n'ont pas, sans que personne ne moufte. Mieux, des cons leurs donnent même une tribune pour le faire. Imaginez maintenant un peu la jungle que c'est dans la maroquinerie où cette distinction n’existe pas, on dirait les abords du stade de France un soir de finale de Ligue des Champions avec sa horde “d'Anglais” sanguinaires.

D'un point de vue historique, pour une même profession -fabricant de sac- il existe deux termes qui chacun représentent un métier. Il y avait tout d’abord le sellier dont le nom est lié au monde du cheval. Dans le cadre du compagnonnage, "sacul" est le nom donné au sellier. Ce surnom aurait pour origine l'expression des soldats sous l'Empire qui appelaient "sac au cul" le sellier qui allait de compagnie en compagnie pour réparer et fabriquer les sacs qui servaient à caler le cul sur le cheval : la selle. L'apparition du "cheval vapeur" remet en question le travail de beaucoup de selliers. Certains s’adaptent et changent de métier pour fabriquer divers objets en cuir principalement à usage féminin. Ils donnent naissance aux selliers-maroquiniers que l’on connaît aujourd’hui.
Il y a ensuite le maroquinier, appelé maroco chez les compagnons. Le terme "maroquinier" désigne dans un premier temps celui qui tanne le cuir de chèvre : le maroquin. Cuir qui était utilisé dès le XIème siècle pour les reliures de livre notamment dans le sud de l'Espagne à Cordoue. Au début du XXème siècle, le "maroquin" désigne aussi un portefeuille, sorte de sac fait d'une feuille de cuir pliée, dans lequel on glisse des billets.

En France la maroquinerie est un secteur d’activité qui se porte bien, tellement bien que ça en est presque suspect si on le compare au reste de l'industrie nationale. Après des années passées à brader ses secteurs stratégiques et à délocaliser tout ce qui pouvait l'être la France est à la ramasse dans beaucoup de domaines, même là où elle ne s'en sortait pas trop mal il y a encore quelques années. Dieu merci, nous avons des sacs à mains. En cas de conflit mondial nos troupes d'élite sont d’ores et déjà équipées de sacs Birkin tactiques et ça n'est qu'une question de temps avant que les hommes du 3ème RIMA ne reçoivent les nouveaux modèles de Kelly furtifs. L'excellence Française sauvera le monde.
Alors certes, je déconne, je déconne, mais le fait est que la maroquinerie Française, notamment de très haut de gamme (comprendre par là très cher, mais pas forcément très bien faite) rayonne à l'international. En 2021, les importations de l’industrie française de la maroquinerie s’élèvent à 3,4 milliards d’euros pendant que les exportations culminent à 10 milliards d’euros, la balance commerciale de la filière est donc excédentaire. De façon globale 14,8% des articles de maroquinerie exportés dans le monde viennent de France. D'après le Conseil National du Cuir (CNC) les ventes de sacs à main, évaluées à 6,3 milliards d’euros, représentent 63% des exportations du secteur et ont progressé de 34% en 2021. Cela permet à la France de se positionner en 3ème position dans le palmarès des principaux exportateurs mondiaux d’articles de maroquinerie, derrière la Chine et l’Italie.

Qui sont les acteurs du marché ?

Au même titre que pour le costume, le soulier et bien d’autres domaines, le marché de la maroquinerie est divisé entre les industriels et les artisans. Avec néanmoins quelques spécificités.

Les grands groupes du luxe composés d’industriels.

Quand on parle de maroquinerie l'image des grands groupes du luxe vient immédiatement en tête, pour beaucoup de gens cette association est pratiquement automatique. Dans le petit monde du vêtement classique demandez à quelqu’un de vous citer un bottier réputé indépendant, et vous entendrez parler de quelques noms. Demandez la même pour un maroquinier, vous risquez le blanc. Demandez maintenant à une femme, qui reste quand même la principale cliente du milieu, le résultat sera le même. C’est bien simple la maroquinerie est tellement dominée par les groupes du luxe que les deux sont devenus indissociables. D’après les chiffres du CNC en 2020 les trente-deux entreprises qui emploient plus de 200 salariés réalisent 86% des facturations du secteur et emploient un peu moins des trois quarts des salariés. Il s’agit d’une constante, si l’on remonte à 2015 les vingt-cinq entreprises qui employaient plus de 200 salariés réalisaient 82% des facturations du secteur et employaient un peu moins des deux tiers des salariés. À eux seuls Hermès emploient directement 4 300 ouvriers dans une filière qui en compte environ 24 000, soit 18 % de toute la main d’œuvre pour une seule et unique entreprise. Si vous ajoutez leurs sous-traitants français, cette part dépasse allègrement les 20 %. La domination est totale.

Vous pouvez trouver les rapports du CNC très facilement sur leur site. (Source : CNC)
Vous pouvez trouver les rapports du CNC très facilement sur leur site. (Source : CNC)

Rétablissons en passant une vérité étonnamment inconnue de beaucoup. Au risque d’en décevoir certains, non vos sacs griffés Lancel, Dior, Longchamp, Céline, Louis Vuitton, Goyard etc etc ne sont pas fabriqués à la main. Ça n’est pas le sujet, mais si vous devez retenir au moins une chose de cet article c’est bien celle-ci.

D’où viennent les grands groupes du luxe ?

En dehors de l’exception notable d’Hermès et de quelques autres, les fondations des grands groupes du luxe ne sont pas à chercher du côté des artisans célèbres dont ils usent et abusent des noms. Les racines de LVMH ne se situent pas chez Louis Vuitton malletier attitré de l’impératrice Eugénie qui en 1854 s’établit à son compte en région Parisienne. En réalité les grands groupes du luxe sont une création relativement récente puisqu’ils s’affirment véritablement au début des années 90. Mais leurs origines sont beaucoup plus anciennes et remontent à la fin de la seconde guerre mondiale. À partir des années 30/40 une nouvelle ère commence pour le luxe, un véritable secteur économique s’orientant de plus en plus vers la production de masse commence à apparaître. Une transition s’opère et l’on assiste à un glissement de l’artisanat de luxe vers l’industrie du luxe. Ce processus est très bien documenté et a déjà fait l’objet de nombreuses études on peut entre autres citer les recherches de Marc de Ferrière le Vayer, spécialiste d’histoire des entreprises et d’histoire des techniques.

Les atelier d'Asnières de Louis Vuitton vers 1888. Louis Vuitton est assis à la place du conducteur. Son petit-fils est allongé sur la malle lit du premier plan. En dehors de l’activité résiduelle de malletier qu’a la marque aujourd’hui, il est évident que le lien entre l’entreprise à ses débuts et ce qu’elle est aujourd’hui est ténu. (Source : Louis Vuitton)
Les atelier d'Asnières de Louis Vuitton vers 1888. Louis Vuitton est assis à la place du conducteur. Son petit-fils est allongé sur la malle lit du premier plan. En dehors de l’activité résiduelle de malletier qu’a la marque aujourd’hui, il est évident que le lien entre l’entreprise à ses débuts et ce qu’elle est aujourd’hui est ténu. (Source : Louis Vuitton)

L'idée d'industrie du luxe n'est pas née du jour au lendemain. Elle s'est forgée au fil des années, des crises et bien évidemment de l'évolution du progrès technique. Au lendemain de la Première Guerre mondiale on commence à voir émerger l'idée de pouvoir distribuer en masse des produits raffinés, c'est le cas par exemple avec la parfumerie et le succès de Coco Chanel ou de la famille Guerlain. Mais à cette époque le luxe est encore majoritairement associé au savoir-faire et à la rareté. Alors que l'industrie est associée à la diffusion la plus large possible à bas prix. La contradiction entre les deux est évidente, mais l'enjeu pour les industriels l’est également. Il s'agit pour eux de trouver un équilibre entre le savoir-faire et la production de masse en intégrant de nouveaux procédés de fabrication afin de tirer les prix vers le bas. Cela afin de toucher une toute nouvelle clientèle, la classe moyenne. Seulement, l’industrialisation du luxe va être stoppée net par la Seconde Guerre mondiale. Au sortir de la guerre certains industriels, dont Guerlain, n'ont qu'une envie c'est de reprendre cette marche vers le luxe industrialisé. Mais les fonctionnaires du Plan (les planificateurs de l'économie chargés de lire l'avenir dans le marc de café) ont d'autres priorités. C'est pour cela que dès 1947, Lucien Lelong et Jean-Jacques Guerlain (fils de Jacques Guerlain) vont travailler à la création du Comité Colbert qui verra finalement le jour en 1954. Il s'agit au début d'un groupe de pression qui espère obtenir le redémarrage du secteur du luxe industriel, et qui petit à petit va se transformer en lobby dont le but est de défendre et promouvoir une industrie du luxe qui souhaite être le symbole de la France à l’étranger. Aujourd’hui le comité Colbert existe toujours et son dada c'est plutôt la lutte contre la contrefaçon qui fait du tort aux actionnaires, pas tellement la protection des traditions. Traditions qui empêcheraient de sortir toujours plus de merdes plus vite.

Les 92 membres du comité Colbert tous secteurs confondus. En réalité ils sont beaucoup moins que cela puisque 13 % des marques membres appartiennent à LVMH. Si vous prenez le département “mode”, les indépendants ne sont pas bien nombreux entre LVMH, Chanel, L’Oréal, Hermès, Mayhoola... (Source : Comité Colbert)
Les 92 membres du comité Colbert tous secteurs confondus. En réalité ils sont beaucoup moins que cela puisque 13 % des marques membres appartiennent à LVMH. Si vous prenez le département “mode”, les indépendants ne sont pas bien nombreux entre LVMH, Chanel, L’Oréal, Hermès, Mayhoola... (Source : Comité Colbert)

Christian Dior sera véritablement l’un des premiers à montrer la voie. Il avait compris comme beaucoup d’autres que le marché intermédiaire représentait une manne financière considérable, mais il fallait encore trouver le moyen de taper les classes moyennes. Il décide alors de vendre ses idées mais aussi son nom à des entreprises qui pourraient diffuser l'évangile selon Saint Dior à ceux qui ne pouvaient autrement pas se permettre d’acheter ses créations. Il commence par des bas de fabrication américaine, car comme nous venons de le voir l'industrie française ne s'est pas encore tout à fait remise de la guerre. Il décide d’utiliser son propre nom et c’est ainsi qu’en 1949 sont nées les bas Dior et avec eux la notion de licence en tant qu'option commerciale viable dans le monde du luxe. Dior considérait la concession de licences comme un moyen d'étendre l'activité de sa marque à un public plus large sans en assumer le coût ou les responsabilités de gestion. Il contactait les principaux fabricants dans des domaines particuliers et négociait des accords pour qu'ils produisent des articles portant le nom magique. En contrepartie, Dior recevait une redevance sur les ventes. En 1951, Dior exploitait des licences pour de nombreux produits de maroquinerie (des sacs à main, portefeuilles, gants) mais également des chemises pour hommes, des écharpes, des chapeaux, etc etc.

Deux anciens assistants de Dior, et malheureusement dépravés notoires, Pierre Cardin et plus tard Yves Saint Laurent, vont réellement pousser jusqu’au bout l’idée de licence. Yves Saint Laurent lance en 1966 une ligne de prêt-à-porter à bas prix appelée Rive Gauche qui ciblait les jeunes, son public favori. En 1967 il publiera également un livre intitulé “La Vilaine Lulu” qui raconte ses autres manières de cibler les plus jeunes, que l'on m’arrête à la sortie si ce que je dis n'est pas vrai. De son côté Cardin a un amour immodéré de l’argent, ce qui le conduit à mettre son nom sur absolument tout, y compris des poêles à frire. C’est à cette époque que l’on a vraiment totalement changé le paradigme de la mode et du luxe. Auparavant, tout était simple, les artisans fabriquaient des produits très chers que l’aristocratie ou la bourgeoisie achetait encore plus cher et cela servait à perpétuer le cycle. Désormais, il existe un nouveau modèle pyramidal dicté par les industriels. Tout au sommet ils ont leur fabrication iconique en petite série pour les vrais riches, leur production industrielle pour la classe moyenne, et une large gamme de produits sous licence pour ceux qui sont au bas de l'échelle. Le Ponzi appliqué au luxe, où ce sont les échelons inférieurs qui permettent de financer les ateliers de Pantin ou d’Asnières qui fournissent les échelons supérieurs.

Illustration du modèle pyramidal chez Vuitton vous avez d’un côté le produit industriel pour les classes moyennes qui est fabriqué à la chaine. (Source : LVMH)
Illustration du modèle pyramidal chez Vuitton vous avez d’un côté le produit industriel pour les classes moyennes qui est fabriqué à la chaine. (Source : LVMH)
Et de l’autre les ateliers historiques d’Asnières qui se chargent de la bagagerie, des commandes spéciales et qui hébergent un véritable savoir-faire. (Source : Usinenouvelle)
Et de l’autre les ateliers historiques d’Asnières qui se chargent de la bagagerie, des commandes spéciales et qui hébergent un véritable savoir-faire. (Source : Usinenouvelle)
Saint Laurent ainsi qu’un extrait de la vilaine Lulu. L’ouvrage, réservé aux initiés, est publié en 1967, une époque où certaines personnes ne cachaient plus leurs fantasmes. Et dire que certains se plaignent de Tintin au Congo. (Source : la vilaine Lulu)
Saint Laurent ainsi qu’un extrait de la vilaine Lulu. L’ouvrage, réservé aux initiés, est publié en 1967, une époque où certaines personnes ne cachaient plus leurs fantasmes. Et dire que certains se plaignent de Tintin au Congo. (Source : la vilaine Lulu)
Est-ce que tous les industriels se valent ?

Il serait injuste de mettre les industriels dans le même sac, bien qu’ils aient tous plus ou moins suivis la même évolution au fil des ans, tous n’ont pas les mêmes standards. Certes, il est également vrai qu’ils ont tous tendance à mentir comme des arracheurs de dents mais certains sont plus investis dans la maroquinerie que d’autres. Pour Hermès par exemple la maroquinerie représente environ 50 % de leur chiffre d’affaires. Il est donc normal que la marque ne traite pas ce domaine comme peuvent le faire d’autres concurrents. Il est également évident que tous les industriels ne véhiculent pas la même image. Or on le sait, ce qui intéresse les ploucs c’est l’image. Certaines marques ont dilué leur réputation à force de multiplier les licences, Cardin et Saint Laurent sont de bons exemples, aujourd’hui il faut être sacrément limité pour considérer ces marques comme ayant une image de luxe. Elles n’ont d’ailleurs plus aucun savoir-faire à mettre en vitrine. Alors que Vuitton par exemple ont encore leurs malles fabriquées dans leur atelier à Asnières dans les règles de l’art. Hermès ont également retenu un certain savoir-faire. Quand les marques n’ont pas totalement massacré leur renommée elles misent énormément sur les apparences. C’est le cas justement de Vuitton qui font beaucoup de simagrée, ils entubent le trèpe mais avec des gants blancs, c’est fait en douceur dans des boutiques feutrées. Le niveau de service est en général proportionnel aux prix pratiqués. L’un des dilemmes rencontrés par beaucoup de marques pour ne pas diluer totalement leur image réside dans la relation d’ils entretiennent avec la rareté ou non de leurs produits. Je cite le document d’enregistrement universel propre à LVHM “Les Maisons du Groupe se concentrent sur la créativité de leurs collections, le développement de produits iconiques et intemporels, l’excellence de leur distribution et le renforcement de leur présence en ligne, tout en préservant leur identité.” Traduction, il ne faut pas dénaturer la poule aux œufs d’or, mais il faut qu’elle ponde quand même le plus possible.

Répartition du chiffre d’affaires d’Hermès par secteurs en 2020. (Source : Hermès)
Répartition du chiffre d’affaires d’Hermès par secteurs en 2020. (Source : Hermès)
La même répartition chez LVMH, malheureusement le groupe réunit ensemble les secteurs mode et maroquinerie (Source : LVMH)
La même répartition chez LVMH, malheureusement le groupe réunit ensemble les secteurs mode et maroquinerie (Source : LVMH)

On le sait que la valeur est en partie corrélée avec la rareté, le luxe a certes changé, mais il n’a pas changé au point où la rareté a totalement perdu de son importance. Enfin tout est relatif, les sacs Vuitton ont la réputation d’être des sacs de catins tant ils sont courants dans la profession et ça ne semble pas déranger grand monde. Mieux, la marque a l’air de prendre ça comme un compliment. Je rappelle à tout hasard qu’en 2013 Louis Vuitton avait réalisé en collaboration avec Love magazine un court-métrage promotionnel où des mannequins de la marque jouaient le rôle de gagneuses. Ça n’est pas surprenant quand on sait que le directeur créatif de la marque était à l’époque un dépravé notoire, décidément…

Louis Vuitton fournisseurs officiels du marché de la luxure monnayable. Remarquez dans luxure il y a “luxe”, ça colle. (Source: Love magazine).

Chez Hermès on ne saurait faire des scandales de ce genre. La marque a une autre spécialité qui est celle de volontairement frustrer ses clients quitte à les éconduire. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai toujours une once de respect pour eux, l’argent ne suffit pas à être client. À partir des années 2000 Hermès va mettre en place une stratégie de “rareté organisée” pour ses sacs les plus iconiques. La marque sait bien que 90 % des clientes qui franchissent le seuil d’une boutique le fait pour acheter un Kelly ou un Birkin. Dès lors comment s’assurer que ces modèles très demandés retiennent leur cachet et surtout leur exclusivité ? Simple, il suffit de refuser de les vendre. Ou plus exactement de prétexter qu’ils ne sont pas en stock dans la spécification demandée par le client, et ça même s’ils sont disponibles. Pour se couvrir face au Code de la consommation Hermès argue du fait que la demande dépasse leur capacité de production.
La marque a ensuite différentes méthodes pour “résoudre le problème de disponibilité” en fonction de la boutique. Il y a tout d’abord le système de loterie, vous demandez à avoir un rendez-vous et les places sont distribués au hasard parmi les candidats. Le rendez-vous en lui-même ne garantit rien, il est tout à fait possible que si vous demandez un Kelly sellier bleu le vendeur disparaisse dans la réserve pendant 30 minutes et revienne avec un Kelly retourné vert fluo, même s’il y a bien un sellier bleu en stock, il ne vous sera tout simplement jamais proposé.

Message du système de loterie Hermès qui évoque les difficultés de production de la marque. Il faut tout de même noter que ce système est en place depuis plus de 20 ans maintenant. Malgré la construction de nouvelles usines et la mécanisation, Hermès ne parviendrait donc toujours pas à satisfaire la demande. Sont-ils incapables ou sont-ils simplement menteurs ? (Source: Sartorialisme)
Message du système de loterie Hermès qui évoque les difficultés de production de la marque. Il faut tout de même noter que ce système est en place depuis plus de 20 ans maintenant. Malgré la construction de nouvelles usines et la mécanisation, Hermès ne parviendrait donc toujours pas à satisfaire la demande. Sont-ils incapables ou sont-ils simplement menteurs ? (Source: Sartorialisme)

Certaines boutiques fonctionnent sur une base de “premier arrivé premier servi” avec un système de liste d’attente qui peut s’étendre sur plusieurs années. D’autres laissent la possibilité aux clientes de remplir une liste de souhaits, qui ne garantit en aucun cas qu’elles recevront le sac convoité. Il s’agit plus ou moins d’un système de notification qui permettra au magasin de contacter la cliente, si un jour, par chance, ils ont un sac aux bonnes spécifications (ou approchantes) en boutique. Pour Hermès c’est une façon de maintenir le contact et de proposer à la vente d’autres produits, que les clientes achètent en espérant que cela débouche un jour sur la proposition du sac rêvé.
C’est là que l’astuce se manifeste dans toute sa splendeur, elle joue sur l’envie et la frustration. De fait les clientes éconduites, vont avoir deux types d’attitudes : soient elles vont claquer la porte et voir ailleurs, soit elles vont dédier toute leur énergie à l’acquisition du sac rêvé. Et puis de toute façon même celles qui claquent la porte finissent parfois par y revenir. Beaucoup vont tenter de “construire une relation avec la marque”, ou plus exactement d’avoir un historique d’achat en s’imaginant que cela va augmenter leurs chances. Elles vont alors acheter beaucoup de petites choses (celles sur lesquelles Hermès réalise le plus de marge) en espérant qu’à la fin du parcours initiatique se trouve le sac tant convoité. C’est là qu’Hermès fait d’une pierre deux coups, d’un côté ils préservent la valeur de leurs sacs iconiques, et de l’autre ils écoulent leurs produits à forte marge. Certaines clientes font en sorte d’être reconnues par les vendeurs (quitte à les harceler), d’autres inventent des techniques absurdes proches du vaudou. C’est pour cette raison que vous trouvez sur Youtube un nombre considérable de débiles plus ou moins hystériques qui font des vidéos se plaignant d’avoir été “insultées par Hermès” et qui expliquent que leur expérience client a été la pire chose de leur vie et qu’en raison de cela elles sont devenues grosses et ou dépressives. Je n’invente rien et je vous mets un florilège juste en dessous. À noter qu’Hermès exerce une parité stricte, les hommes sont traités de la même façon surtout dès qu’il s’agit des portefeuilles mais c’est valable pour le sac à missive et bien d’autres pièces. La marque a ainsi envoyé chier Fok, le créateur de l’arnaque qu’est Styleforum, et ce dernier n’a pas manqué d’aller pleurer sur son safespace virtuel comme quoi c’était injuste. Rien que pour avoir mis cet étron à sa place Hermès mérite une certaine forme de respect.

Petit florilège d'un genre en pleine expansion sur Youtube, les dingues "maltraitées" par Hermès avec les thumbnails qui transpirent le 80 de QI.

Si nous avons expliqué comment les industriels ont envahi le luxe nous n’avons pas expliqué comment la maroquinerie spécifiquement avait été conquise. Pourquoi les grands groupes contrôlent la maroquinerie ? La réponse est simple, la maroquinerie se meurt. Comment ça la maroquinerie se meurt ? Ne viens-je pas de dire que la maroquinerie est une industrie qui se porte bien et qui génère des milliards ? N’est-ce pas paradoxal ? Pas du tout. Malgré la bonne santé affichée des grandes marques internationales, les petits acteurs du luxe sur lesquels elles reposent sont aujourd’hui fragilisés, à tel point que certaines filières de fabrication d’objets de luxe et de formations sont soit disparues ou sur le point de disparaître. La maroquinerie se meurt de la même façon que les ébénistes du faubourg Saint Antoine sont morts. Pourtant les Parisiens ont toujours des meubles dans leurs appartements. Seulement plutôt que d’acheter une salle à manger à un ébéniste ils achètent de l’aggloméré Ikea tout naze. En quelque sorte les ébénistes ont été grand remplacés par l’ameublement froid et sans âmes nordique. Il en va de même pour la maroquinerie traditionnelle qui a été grand remplacée par la maroquinerie sans frontière et sans talent de LVMH. Une bonne partie de la filière a été décimée sans que cela n’émeuve personne et cela sur des décennies, mais aujourd’hui que les actionnaires ont besoin de vendre toujours plus de sacs toujours plus vite, ils se plaignent de ne pas trouver d’artisans…

Les petites entreprises et les artisans

Les maroquiniers traditionnels se font rares alors qu’ils constituaient avant le cœur du métier, cela s’explique par de nombreuses raisons. La situation des petites entreprises et des indépendants fabricant des produits de luxe pour la bourgeoisie, autrefois florissantes est plus que menacée par de nouveaux enjeux économiques, des nouvelles attentes sociales et une transformation fondamentale des espaces urbains comme des fonctions qui s'y déploient. La mondialisation ou encore la tertiarisation de la société avec son dénigrement systématique des formations manuelles sont bien évidemment des causes. Mais il existe aussi des raisons plus directes qui expliquent cette mutation et qui sont en rapport avec l'histoire industrielle Française comme nous venons de le voir par exemple avec la création du comité Colbert et la transition qui s’est opérée de l’artisanat de luxe à l’industrie du luxe.

Un atelier en banlieue Parisienne de maroquinerie/bagagerie dans les années 30, en dehors des piqueuses au premier plan tout le travail est effectué à la main. (Source:Sartorialisme)
Un atelier en banlieue Parisienne de maroquinerie/bagagerie dans les années 30, en dehors des piqueuses au premier plan tout le travail est effectué à la main. (Source:Sartorialisme)

Cette transition est vraie pour le monde du luxe en général, mais pour la maroquinerie il faut également ajouter le fait que les métiers de l'accessoire subissent la mode plus qu'ils ne la créent. Ils sont en expansion quand leur produit est à la mode et en crise quand il ne l'est plus. Dès lors, lorsque le marché se contracte, les plus compétitifs survivent, même s’ils ne sont pas les plus qualitatifs. À ce petit jeu les géants industriels sont beaucoup plus solides que n'importe quel artisan. Artisans dont la nature même est en partie responsable de leur disparition, ayant un caractère fortement individualiste ils sont attachés à leur liberté et sont en général peu intéressé par l’idée de s’unir dans le travail comme dans l'administratif. Il existe des initiatives de ce genre mais elles sont en général d’un succès limité, par exemple la fédération Française de la maroquinerie a une force de frappe totalement risible par rapport à celle du Comité Colbert qui est aux premières loges du pouvoir.
Comité dont le nombre de marques représentées ne fait que s'accroire alors que les entreprises participantes sont de moins en moins nombreuses puisqu'elles se rachètent entre elles et forment des groupes gigantesques. Un petit nombre de mains détient aujourd'hui la quasi-totalité de l'industrie du luxe mondial, entre les colonnes l'union fait la force.

Ainsi derrière les unes fanfaronnes des médias annonçant la belle santé de la maroquinerie Française, les chiffres toujours rassurant du CNC ou les résultats financiers astronomiques des groupes du luxe, la tendance globale est assez sombre puisque le “fleuron français” est bâti sur des fondations vermoulues, pour ne pas dire totalement pourries.

Le premier indicateur de cette décomposition est bien évidemment le nombre d’entreprises en lui-même. Ce dernier a baissé de façon dramatique au fil des ans. Vous allez me dire qu’avec l’amélioration de la mécanisation, la tertiarisation et la mondialisation il est normal que le nombre d’entreprises baisse avec le temps. Certes, mais le même phénomène n’a pas été observé avec la même violence chez les Italiens qui ont été parfaitement capable de préserver un tissu industriel fort dans le domaine de la maroquinerie ou vestimentaire en général, c’est donc bien un problème Français et non une sorte de fatalité irrémédiable.
En recoupant les chiffres publiés par les différents organismes de la filière cuir il est assez facile de suivre l’évolution du nombre d’entreprises de maroquinerie en France. Ce chiffre est beaucoup plus fiable que celui du nombre d’ouvriers. D’une part les comptages n’était pas toujours effectués de façon fiable et régulière, d’autre part la maroquinerie a eu pendant des années une forte tradition du travail à domicile, voire même plus généralement du travail au noir.
Il est important de préciser une chose, en 2013 le CNC a décidé de changer sa façon de compter les entreprises du secteur maroquinier. Avant 2013 seules les entreprises de plus de 5 salariés étaient comptabilisées, à partir de 2013 ce sont toutes les entreprises d’au moins un employé qui sont comptabilisées. Nous allons revenir là-dessus dans notre développement.

Les années 80/90 sont une époque charnière où l’on arrive vers la toute fin des petites entreprises et où l’hégémonie des grands groupes commence à s'affirmer. Dans les années 80 le secteur est en pleine mutation à plusieurs niveaux. Les industriels s’affirment mais une génération termine de mourir (littéralement), c'est celle des artisans des dernières heures du luxe à la Française. Ceux qui ont commencé à travailler durant les années folles et qui ont connu le style classique dans ses heures de gloire disparaissent et avec eux bien souvent leur entreprise. Ce phénomène commence vraiment dans les années 70, ainsi selon le bulletin professionnel de la maroquinerie n°l de 1973 il y avait lors de cette année 2000 entreprises de maroquinerie en France. En 1980 selon les chiffres du CNC il n’en reste plus que 436. En 7 ans plus de 1500 entreprises ont disparues. Alors certes le CNC ne compte à cette époque que les entreprises de plus de 5 salariés alors qu’il n’est pas donné de précision quant à la méthode de comptage du bulletin professionnel de la maroquinerie. Mais cela importe peu, puisque si l’on ne prend que les chiffres du CNC de 1980 à 1985 le nombre d’entreprises de maroquinerie de plus de 5 salariés passe de 436 à 337, presque 100 entreprises ont disparues en l’espace de seulement 5 ans. À partir de 1985 la situation se stabilise et l’on constate même une faible hausse, puisqu’en 1990 le CNC comptabilise 357 entreprises. Mais la guerre du Golfe va passer par là et va faire entrer le secteur en crise, en 1991 on ne compte plus que 298 entreprises. À partir de cette époque s’opère un phénomène intéressant, le nombre d’entreprises de plus de 5 employés ne cesse de baisser alors que pourtant la génération des maroquiniers de l’âge d’or a déjà disparu et celle qui la suivait aussi. De 1991 à 2012, dernière année de comparaison possible avant que le CNC ne change sa manière de compter, la filière est passée de 298 entreprises à 151. La raison est en partie due à l’hégémonie des grands groupes du luxe qui commence. Je rappelle que LVMH a été fondé en 1987, qu’Hermès a connu une période difficile dans les années 70 (on disait que la marque sacrifiait sa rentabilité sur l’hôtel de l’excellence) et se refait une santé à partir de 1990 et que PPR (aujourd’hui Kering) se lance dans le luxe en 1999 avec le rachat de Gucci et Yves Saint Laurent.

En raison de ces différents facteurs le nombre d’entreprises de maroquinerie en France n’a de cesse de baisser depuis les années 70. C’est alors qu’un paradoxe commence à apparaître, le nombre d’entreprises de la filière est en chute libre, mais le chiffre d’affaires lui est en hausse constante à partir du début des années 2000. Pour enrayer la chute du nombre d’entreprises le CNC a trouvé l’astuce que nous évoquions, il aura fallu attendre 30 ans pour qu'il se décide à partir de 2013 de comptabiliser toutes les entreprises ayant au moins un salarié. Et là miracle, on passe de 151 entreprises en 2012 à 431 en 2013, un nombre qui n’a plus été vu depuis les années 80. Sans surprise, cet ajout n’a pas fait croitre de façon significative le chiffre d’affaires de la filière car déjà en 2013 les 24 entreprises qui emploient plus de 200 salariés réalisaient plus de trois quarts de la facturation du secteur. Autant dire que les 280 entreprises ajoutées ne comptent que pour une goutte d’eau. Leur incorporation n’est qu’une manipulation statistique pour masquer la disparition progressive de tout ce qui n’est pas un industriel du luxe ou une grosse multinationale. En réalité le marché de la maroquinerie devient de plus en plus polarisé entre deux extrêmes, d'un côté vous avez les très grands et de l'autres les très petits, l’entre deux lui est en train de complètement disparaître et c’est pour lisser cette disparition que le CNC s’est senti forcé d’apporter une correction dans sa façon de compter les entreprises. Il faut dire que le “milieu”, ce monde de petites entreprises de 5 à 10 salariés, est soumis à une concurrence rude, une pression délirante des cotisations, contributions et autres taxes étatiques et qu'il est limité quant aux mesures d’optimisation fiscale qu’il peut mettre en place. Ça n'est pas exactement ce que l'on pourrait appeler attractif.

Le nombre d’entreprises dans le secteur de la maroquinerie de 2000 à 2020. La manipulation statistique saute aux yeux. (Source : CNC)
Le nombre d’entreprises dans le secteur de la maroquinerie de 2000 à 2020. La manipulation statistique saute aux yeux. (Source : CNC)

Cette bipolarisation est également visible quand on s’intéresse au chiffre d’affaires réalisé par le secteur de la maroquinerie. De 1980 à 1987 la maroquinerie Française présente un chiffre d’affaires qui tourne autour des 500 millions d’euros (420 millions en 1980, 628 en 1987). C’est la période de transition, qui est également visible si l’on regarde les importations et exportations de la filière, de 1980 à 1990 les importations sont toujours supérieures aux exportations, cette tendance ne commence à changer de façon définitive qu’à partir de 1994. En réalité le chiffre d’affaires de la maroquinerie restera constamment sous la barre du milliard d’euros jusqu’en 2001. C’est à partir de cette période que l’industrie du luxe a la mainmise complète sur la maroquinerie et que le chiffre d’affaires va augmenter de façon exponentielle. Ce qui compte ce n’est plus la qualité du produit, mais sa marque. Les industriels du luxe peuvent se permettre de produire beaucoup et pour pas cher, c’est la définition même de leur activité. Si vous combinez l’image de marque, la production en série rapide et bon marché à l’émergence d’une nouvelle catégorie de clients aux poches pleines plus rien ne s’oppose à ce que le chiffre d’affaires de la maroquinerie Française explose. Et c’est ce qu’il a fait. Aujourd’hui la maroquinerie réalise un chiffre d’affaires qui flirte avec les 4 milliards d’euros (3,3 milliards en 2020, 3,8 milliards en 2019), des chiffres totalement impensables dans les années 80. Rappelons à tout hasard qu’en 1994 un sac Kelly d’Hermès coutait approximativement 10 000 francs (2100€ actuels selon le convertisseur de l’Insee tenant compte de l’inflation) aujourd’hui pour un modèle similaire il faut compter aux alentours de 8000€. Pour la même année les sacs à main Vuitton iconiques commençaient à 3500 francs (768€ actuels selon l’Insee) alors qu’aujourd’hui pour le même prix vous n’avez même pas une pochette. Lorsqu’un sac à main produit par un artisan et un sac Hermès sont au même prix, le prix du premier correspond à ce qu’il vaut, le prix du second correspond à ce que la marque vaut.

Le comité Colbert peut être fier, son objectif originel : faire de l’industrie du luxe Française une référence est aujourd’hui réalisé. (Source : usinenouvelle)
Le comité Colbert peut être fier, son objectif originel : faire de l’industrie du luxe Française une référence est aujourd’hui réalisé. (Source : usinenouvelle)

Les conséquences ne se sont pas faites attendre certains secteurs ont pratiquement disparus, c’est le cas par exemple de la gainerie, la formation à l'école de gainier a disparu et aujourd’hui il n’existe plus de formation complète intégralement dédiée à cet artisanat d’excellence qui était plus ancien que la maroquinerie elle-même. Pour ceux qui l’ignorent le gainier est un artisan capable de recouvrir n’importe quel objet de cuir, et parfois de le dorer dans le cas du gainier-doreur. Étymologiquement le nom provient des gaines d'épée en cuir mais le gainier pouvait en plus des fourreaux fabriquer des écrins, coffrets, socles.… C’est au mieux s’il existe aujourd’hui une vingtaine de gainiers dans toute la France et parmi eux il n’existe que 3 ou 4 véritables spécialistes dont la formation s'est faite de père en fil ou via les maîtres d'art. Les maîtres d'art, une initiative de préservation du savoir-faire Français.

Court mais très beau reportage de France 3 sur Bernard Rosenblum qui était l’un des derniers très grands gainier doreur d'art. (Source: France 3).

La classe de gainerie du lycée professionnel de l'abbé Grégoire en 1962. 60 ans plus tard il ne reste plus qu’une poignée de gainiers en activité. (Source : copainsdavant)
La classe de gainerie du lycée professionnel de l'abbé Grégoire en 1962. 60 ans plus tard il ne reste plus qu’une poignée de gainiers en activité. (Source : copainsdavant)
Exemple d’articles de gainerie publié dans Les Modes en 1931 (Source : BNF)
Exemple d’articles de gainerie publié dans Les Modes en 1931 (Source : BNF)
La vie de Bernard Steff, une sommité dans le monde de la gainerie. Il est décédé en 2021 et était, Meilleur ouvrier de France, Gainier d'Art,
Chevalier de l'ordre national du Mérite,
Chevalier des Arts et des Lettres, Grand Maître d'Arts. Benoît Quinoa et tous les privates labels minables sont rhabillés pour l'hiver.
La vie de Bernard Steff, une sommité dans le monde de la gainerie. Il est décédé en 2021 et était, Meilleur ouvrier de France, Gainier d'Art, Chevalier de l'ordre national du Mérite, Chevalier des Arts et des Lettres, Grand Maître d'Arts. Benoît Quinoa et tous les privates labels minables sont rhabillés pour l'hiver.

Il en va de même avec les pareurs, le parage est une technique qui permet d’amincir le cuir dans le but de diminuer son épaisseur sur une partie de la pièce, notamment les bords, à ne pas confondre avec le refendage qui consiste à faire diminuer l’épaisseur d’une pièce sur son intégralité. La technique du parage est ardue à maitriser et a fait l’objet d’une spécialisation avec l’apparition de pareurs indépendants notamment en ce qui concerne les cuirs exotiques qui sont particulièrement exigeants et coûteux. Dans les années 90 l’activité avait quasiment disparu avec seulement 5 à 6 pareurs à Paris. Aujourd’hui plus aucun de ces spécialistes n’est en activité, il existe encore une petite poignée de pareurs mais d’une nature différente. Il va s’agir essentiellement de sous-traitants multi-services offrants du parage à la machine pour les très petites entreprises ou les particuliers. Il en va de même pour les professions de fermoiriste ou de sertisseur-riveur qui ont pour ainsi dire totalement disparues avec la généralisation, entre autres, de la fermeture éclair.

La disparition de ces spécialistes s’est accompagnée de la perte d’un certain nombre de maroquiniers indépendants ou d’entreprises de taille familiale. Trop petits ils n’ont pas été en mesure de s’adapter à la concurrence des industriels du luxe comme à celle des pays du tiers monde. Tiers monde qui a été capable d’inonder le marché de produits peu coûteux et de piètre qualité d’une façon impressionnante. Il existe d’ailleurs à ce sujet une statistique amusante, ou déprimante c’est selon. Les prix moyens de sacs à main en sortie de douanes donnent une indication sur la gamme de produits que la France importe et exporte. En effet, pour les sacs à main en cuir, le prix moyen est de 89€ à l’import contre 500€ à l’export. Autrement dit, la France importe des sacs du tiers monde pour son marché domestique de ploucs et exporte ses sacs “de luxe” fabriqués par ces mêmes ploucs à l’international. Cela rend bien évidemment difficile toute survie d’un marché domestique non tourné vers l’export comme cela pouvait exister par le passé.

Pareuse mécanique, vous pouvez voir la pièce de cuir dont les bords ont été parés sur le dessus de la machine. (Source : Directsewing)
Pareuse mécanique, vous pouvez voir la pièce de cuir dont les bords ont été parés sur le dessus de la machine. (Source : Directsewing)
Parage à la main, une technique beaucoup plus chronophage qui demande du savoir-faire. (Source : Sartorialisme)
Parage à la main, une technique beaucoup plus chronophage qui demande du savoir-faire. (Source : Sartorialisme)

Il faut également réaliser que financer une petite ou moyenne entreprise de maroquinerie dans un monde de start-ups informatiques n'est pas évident. Toute entreprise qui souhaite se lancer doit tout d’abord parvenir à se financer auprès de banques ou par levées de fonds, alors que son profil ne correspond souvent pas aux attentes des investisseurs. Les besoins de financement des artisans en maroquinerie sont lourds, leur activité reposant sur des outils, des machines et des matières premières très onéreuses. Concrètement vous mettez bout à bout une pareuse, une machine à coudre, une presse hydraulique, une machine pour la dorure à chaud et vous en avez déjà pour 8000€ d’équipement et ça c'est en ne prenant qu'un exemplaire (neuf) de chaque, ajoutez à ça le local, les fournitures, les outils, le cuir... Certes vous pouvez vous passer de beaucoup de machines et vous lancer comme artisan, paradoxalement vous avez de meilleures chances puisque vous pouvez commencer sur vos fonds propres mais vous avez intérêt à être (très) bon sinon vous n'allez pas rester en business longtemps... Et même si vous l’êtes n’espérez pas attirer les Gucci coochie en parlant technique ou qualité, elles s’en branlent, votre clientèle ça sera la niche. C’est bien simple, certains maroquiniers indépendants en sont à faire de la revente ou du reconditionnement de sacs Hermès d’occasion pour arrondir les fins de mois.
Vous comprenez donc que les investissements dans de telles entreprises présentent des temps de retour très longs et sont particulièrement risqués. De fait les banques sont de plus en plus frileuses, méfiantes et exigeantes pour accorder un financement. Alors forcément, vous pensez que ce genre d'investissement ça fait bien rire Benoit Quinoa tout juste sorti de son école de commerce et qui n'a besoin que d'un ordinateur et d'un bureau en co-working pour lancer son biz de private labeling. Il n'a même pas besoin d'avoir un gros QI, il lui suffit juste de savoir mentir. Lui n'aura évidemment aucun problème pour obtenir ses financements, on lui donnera même une subvention.

Les Private labels

Cela m'amène tout naturellement à parler des private labels. La maroquinerie “basique” est un domaine particulièrement marqué par l’explosion des private labels. Le marché a été littéralement inondé de produits fabriqués un peu partout sous des “marques blanches” et cela depuis maintenant très longtemps. Cela ne veut d’ailleurs pas dire que ces produits sont bons marché, ils utilisent l’image luxueuse du cuir pour vendre à des prix parfois (trop) élevés une production industrielle tout ce qu’il y a de plus bête. Dieu merci, la maroquinerie de luxe a été en partie épargnée par l’explosion des private labels, mais en partie seulement. Ce qui est relativement nouveau en revanche c’est l’émergence de private labels plus que basiques qui tentent de faire passer leurs produits pour du luxe. Si la pratique n’est pas nouvelle, elle fonctionnait beaucoup moins bien dans les années 80/90 qu’elle ne fonctionne aujourd’hui.
Nous allons également rappeler pour ceux qui l'ignorent que nous faisons toujours une distinction entre private labelling et sous-traitance. Si vous êtes un lecteur habitué vous savez déjà de quoi nous voulons parler. Dans le cas de la sous-traitance on parle d'une relation qui va du haut vers le bas, c'est à dire le donneur d'ordre vient chercher un outil de production, mais il réalise en amont toute la conception technique et contrôle plus ou moins directement tous les aspects techniques de son produit. Tous les groupes de luxe sous-traitent abondamment, en ce qui concerne Vuitton plus de la moitié de la maroquinerie de la marque est produite par des sous-traitants. Dans le cas du private labelling on parle d'une relation qui va du bas vers le haut, c'est l'usine qui contrôle les aspects techniques de la production et qui offre une solution plus ou moins “clef en main” à différentes marques (souvent des start-ups) qui vendent donc le même produit, mais sous une marque différente. C'est pour cela que l'on parle parfois de “marque blanche”, ça n'est pas raciste. Il existe ensuite plusieurs niveaux d'intégrations (là encore, ça n'est pas raciste) chaque marque va choisir ses options de “personnalisations” en fonction de ce qui est proposé par l'usine et va faire “sa” propre tambouille, sachant qu'un autre client peut très bien faire les mêmes choix. Il existe ensuite une certaine liberté ou non en ce qui concerne le sourcing des matières premières etc etc qui sera propre à chaque usine.

Dans le cas de la maroquinerie le tissu industriel appartient majoritairement aux grands groupes du luxe soit directement soit via une relation de sous-traitance très poussée (Maroquinerie Thomas, Rioland etc etc dépendent presque intégralement des grandes marques pour leur existence). Il existe relativement peu d'usines de taille importante qui peuvent faire de la maroquinerie industrielle ou semi industrielle de haut vol et qui ne soit pas déjà dans le giron d'Hermès, Vuitton etc etc. Il n’existe pas vraiment d'Edward Green ou d’Enzo Bonafe de la maroquinerie qui peuvent alimenter toutes les marques en private label 2.0 qui prétendent faire du luxe. Néanmoins, cela ne veut pas dire que ce cancer n’existe pas, loin de là, il y a des starts-ups de petits bobos urbains qui essayent de se faire passer pour ce qu’ils ne sont pas. On en compte même un certain nombre. Quand ils ne trouvent pas une usine en France ils vont voir du côté des Italiens, des Espagnols ou encore des Roumains. Mais ils sévissent un peu moins que dans le domaine du soulier par exemple. Ces marques fonctionnent toutes selon le principe du “remplissage de cases” ou de la fiche technique pour parler simplement, il va s’agir de choisir des critères techniques simples sur lesquels communiquer. Par exemple dans le monde de la chaussure l’exemple typique est le montage Goodyear. Qu’il s’agisse de Max Suceur, Sale Gueule ou Macadam tous ont contribué à promouvoir le Goodyear master race à leurs clients. Dès lors, tout autre montage est considéré comme suspect par le lecteur de blogs.
Dans la maroquinerie c’est un exercice un peu plus difficile à faire, car malgré toutes les conneries qu’ils peuvent raconter leur fabrication est industrielle et quelconque. Ils ne vont pas pouvoir proposer du beau point sellier ou des tranches impeccables car cela demande trop de temps, et donc d'argent. Comme leur modèle économique repose sur des marges “faibles” et du volume, ils ne seraient pas compétitifs. Ils savent également que le milieu de la maroquinerie de luxe est déjà extrêmement saturé et comme ils ont du mal à communiquer sur le sujet, se faire une place va être difficile. Ça ne va pas les empêcher de mentir et d'avancer du “fait main” ou de la “fabrication française”, certains se risquent à du “cousu main” mais avec une bonne tarte dans la gueule il ne devrait pas être trop difficile de leur faire admettre que c'est de la machine.

L’exemple typique de la maroquinerie industrielle basique en private label qui s’approprie des qualités qu’elle n’a pas. “Artisanal, savoir-faire, traditionnel, fait main” en même pas quelques lignes, à croire qu’ils cherchent à cacher quelque chose. (Source : Atelier Particulier)
L’exemple typique de la maroquinerie industrielle basique en private label qui s’approprie des qualités qu’elle n’a pas. “Artisanal, savoir-faire, traditionnel, fait main” en même pas quelques lignes, à croire qu’ils cherchent à cacher quelque chose. (Source : Atelier Particulier)
Un autre exemple, Guibert Paris, dans la première image j’attire votre attention sur la mention du point sellier. Dans la seconde image on vous montre une jolie petite aiguille soulignée d’un “artisanat d’excellence”. Sauf que comme le montre la 3ème image c’est du piquage machine tout ce qu’il y a de plus moche. (Source : Guibert Paris)
Un autre exemple, Guibert Paris, dans la première image j’attire votre attention sur la mention du point sellier. Dans la seconde image on vous montre une jolie petite aiguille soulignée d’un “artisanat d’excellence”. Sauf que comme le montre la 3ème image c’est du piquage machine tout ce qu’il y a de plus moche. (Source : Guibert Paris)

Qu’est ce qui est fabriqué et comment ?

Nous allons maintenant parler un peu des objets couramment fabriqués en maroquinerie. Il n'est pas question de faire un inventaire à la Prévert, cela n'aurait aucun intérêt. L'objectif est simplement de donner une idée de ce qui est fabriqué en France.

Depuis 2013 le CNC publie une liste portant sur le nombre d'articles de maroquinerie fabriqués chaque année en France avec la facturation correspondante. Cette liste permet d'observer certaines grandes tendances, tout d’abord il n'est pas surprenant de voir que les sacs à main sont de loin en tête du classement du nombre d'unités produites, avec plus de 11 millions de pièces fabriquées chaque année si l'on fait exception de 2020, année de la panique sanitaire. D'une manière générale et sans entrer en détails dans les chiffres, les sacs à main représentent à eux seuls près des deux tiers de la production de maroquinerie Française. La fabrication Française de sac à main représente environ 20% de la production Européenne, la France se situe au deuxième rang des fabricants européens, loin derrière l’Italie qui assure à elle seule plus ou moins 60% de cette production en fonction des années.
La prépondérance des sacs à main se confirme quand on regarde la facturation. Les sacs génèrent en général aux alentours de 2 milliards d'euros par an soit là aussi les deux tiers de la facturation totale. Il est d'ailleurs intéressant de constater qu'en 2020 la France n'a produit que 8 millions de sacs, contre 11 millions en moyenne les années normales, mais que la facturation représentait 2,3 milliards d'euros soit le même montant que pour l'année 2018 et ses 11 millions de sacs. La baisse de production a donc été répercutée sur le prix de vente. L’offre et la demande toussa, toussa, un concept toujours inconnu de certains.

En France le second domaine en matière de volume de production est la petite maroquinerie, on parle ici d'une catégorie un peu fourre-tout qui concerne les articles de bureaux, les étuis (téléphone, cigares, lunettes…) mais pas les bracelets de montre où les portes-feuilles qui sont comptabilisés à part. Les autres produits issus de la maroquinerie se décomposent ensuite en parts plus ou moins égales.

On pourrait penser que les objets fabriqués par la filière de la maroquinerie ont toujours été plus ou moins constants dans leur nature à travers les ans. C’est en partie vrai, mais c’est également une vision simpliste. Comme nous l’avons déjà mentionné les métiers de l'accessoire subissent la mode plus qu'ils ne la créent. Cela se voit par exemple dans le cas des serviettes, cartables, attachés-cases et autres portes documents. On touche là à ce qui était le cœur historique de la maroquinerie Française, le sac rigide. Aujourd’hui les cartables et serviettes ne sont plus à la mode et cela se voit lorsque l’on regarde les volumes de productions. Il s’agit d’un domaine qui est en baisse constante depuis 2016. On est passé de 912 000 pièces en 2014 à 586 000 en 2020, et même en prenant 2019 ou 2018 comme année de référence, la production a pratiquement été divisée par deux. Cela s’explique comme nous l’avons dit par le fait que ces objets ne sont plus à la mode mais également par la généralisation du sac dit souple (ou retourné). Peu de gens imaginent ce qu’a représenté pour la maroquinerie ce changement brutal dans la mode, nous allons donc vous raconter cette révolution puisqu’elle permet également de comprendre comment la maroquinerie actuelle est devenue ce qu’elle est.

La fabrication du sac rigide avec fermoir correspond à une forme de sac couramment fabriquée dans la période d'Entre-deux-guerres jusqu'aux années 70/80. C’est ce qu’énormément d’hommes mais aussi d’écoliers utilisaient chaque jour pour porter leurs affaires. Pour beaucoup de maroquiniers à cette époque le sac rigide est un produit qui représente la tradition Française du secteur. À partir des années 70 les choses changent radicalement et le sac souple commence à se diffuser massivement en raison de son faible coût de production, mais également en raison de l’avènement du sportswear. Le sac souple n’est en soit pas une nouveauté, il existe déjà depuis des décennies, par exemple le sac haut à courroie d’Hermès est commercialisé pour la première fois aux alentours de 1890 mais c’est en raison d’un changement majeur dans la société et dans la façon dont les gens s’habillent que le sac souple devient incontournable.

Le sac haut à courroie d’Hermès, grand père du Kelly actuel. (Source : resee)
Le sac haut à courroie d’Hermès, grand père du Kelly actuel. (Source : resee)
C’est dans les années 80 qu’Hermès se met à proposer deux versions de son sac Kelly. L’un rigide dit “sellier” et l’autre souple dit “retourné”. (Source : yoogiscloset)
C’est dans les années 80 qu’Hermès se met à proposer deux versions de son sac Kelly. L’un rigide dit “sellier” et l’autre souple dit “retourné”. (Source : yoogiscloset)

L’Italie est déjà un très grand producteur de ce type de sac car le pays dispose de nombreuses peaux souples, notamment de l’agneau. En France les réticences sont plus grandes et l’'introduction du travail "souple" ne se fait pas sans mal. Il faut bien comprendre qu’une grande partie de l’industrie était structurée autour du travail rigide, et elle devait maintenant s’adapter au travail souple. Ce ne sont pas les mêmes techniques, le sac rigide demande beaucoup plus de travail, il faut encarter le cuir, pour le rigidifier, mais il faut également effectuer tout un travail de table (parer, coller, remborder) qui est exigeant. En comparaison le sac souple demande moins de travail, son montage est également beaucoup plus facile à effectuer. Les cadences changent drastiquement.
Pour le travail rigide de maroquinerie, certaines entreprises qui faisaient 5 à 6 pièces par jour, passent à 100 pièces par jour avec le souple. Il est estimé en moyenne qu’avec la mode du sac souple le temps de fabrication est divisé par 10 par rapport au sac rigide. Cela entraine évidemment des modifications au niveau des salaires et des emplois, les fermoiristes sont les premiers à pâtir des changements. Les mécaniciennes également appelées assembleuses qui étaient moins payées dans le travail du sac rigide que les coupeurs voient leur salaire devenir supérieur à celui de ces derniers. Beaucoup d’ouvriers habitués à la fabrication de sacs rigides ne vont pas accepter ces changements. Le fait est que le hasard a voulu que le sac souple devienne à la mode alors que la génération des maroquiniers qui ont connu essentiellement le travail rigide arrivait en fin de carrière, parfois même en fin de vie. La génération de l’âge d’or du style classique. Pour désigner un sac souple on parlait à l’époque dans le milieu de sac chiffon ou de sac torchon, parfois de sac fourre-tout et plus rarement de sac à merde. Certains disaient même “je n'ai pas supporté, je faisais de la maroquinerie” sous-entendu que le travail du sac souple n’en était pas. Le milieu a eu parfois tant de dédain pour le sac souple que certaines entreprises se refusaient à en fabriquer. Peut-être espéraient ils ainsi faire changer la mode. En réalité beaucoup d’entre eux n’étaient pas dupes, ils n’étaient simplement pas en mesure de transformer leur outil de production pour s’adapter à cette nouvelle demande. Ils devaient en plus faire face à la concurrence asiatique, qui si elle n’avait jamais été en mesure de véritablement s’imposer sur le sac rigide était en revanche tout à fait capable de faire des sacs souples en grande quantité. D’ailleurs beaucoup d’entreprises Françaises vont faire le choix à cette époque de délocaliser intégralement leur production vers l’Asie ou tout au moins d’y installer des unités de productions tout en conservant une activité résiduelle en France pour certaines étapes de production.

Comment c’est fabriqué ?

Avec le développement sur la différence entre le sac souple et le sac rigide nous avons déjà donné une idée de la latitude qui existe dans les méthodes de fabrication de la maroquinerie mais uniquement en rapport avec un aspect spécifique du secteur. Dans cette partie nous allons poursuivre cette explication tout en prenant un point de vue plus global et moins centré sur les sacs. Nous n’allons pas entrer dans les détails des techniques utilisées, nous ferons cela dans un prochain article. Le but est avant tout de vous permettre de comprendre un peu mieux comment est fabriqué ce que vous achetez.

Si vous croyez le discours tenu par n'importe quelle usine qui fait de la maroquinerie en France, tous font de l'artisAnal, tous sont des protecteurs de la tradition et du savoir-faire Français. Il n’en est bien évidemment rien, et vous pouvez déplacer leur production en Chine, ou en Espagne sans que cela ne change quoique ce soit, si ce n'est la nationalité de celui qui est derrière les machines. Contrairement à certains métiers de l’élégance, la maroquinerie a pu bénéficier de l’industrialisation et du développement des machines, ce qui a permis à certaines petites ou moyennes entreprises de perdurer. Mais se faisant elles ont souvent également abandonné les techniques de fabrications traditionnelles qui étaient jusqu’alors les leurs et donc abandonné leur statut d'artisan. Comme dans le monde de la chaussure il existe en maroquinerie un viol total et répété de la mention “fait main” ou plus généralement du concept d'artisanat. Encore une fois, ça n'est pas parce que vous mettez avec vos main une pièce de cuir sous une presse hydraulique ou que vous la guider, là aussi avec vos mains, dans une pareuse mécanique que c'est de l'artisanat. Toucher du cuir n'a jamais transformé personne en artisan. Sinon vous pensez bien que depuis le temps qu'il est avec sa Brigitte, Micron aurait déjà été nommé meilleur ouvrier de France. Comme il n'y a pas de règle, ni de contrôle chacun fait ce qu'il veut et vous dira absolument n'importe quoi sur ce qu'ils fabriquent et sur leur façon de le fabriquer.

La Maroquinerie de l’Indre crée en 1916 à Issoudun une entreprise indépendante de qualité. Elle a été rachetée par Louis Vuitton en 1983, le sort de beaucoup d’ateliers du secteurs. (Source : Jacky Raveau)
La Maroquinerie de l’Indre crée en 1916 à Issoudun une entreprise indépendante de qualité. Elle a été rachetée par Louis Vuitton en 1983, le sort de beaucoup d’ateliers du secteurs. (Source : Jacky Raveau)
Cette même entreprise mais dans les années 70. La mécanisation est passée par là. (Source : lanouvellerepublique)
Cette même entreprise mais dans les années 70. La mécanisation est passée par là. (Source : lanouvellerepublique)

Une vision plus réaliste serait de dire qu'il existe en maroquinerie trois façons de faire, il y a une façon industrielle, une façon artisanale et une façon semi-industrielle. La maroquinerie industrielle est mécanisée et n'utilise pas ou peu le point sellier. La maroquinerie artisanale est fabriquée essentiellement à la main et surtout doit faire usage du point sellier. L'artisan est celui qui travaille à la main contrairement à l’ouvrier qui travaille de ses mains. Le plus important est donc que l'essentiel du travail soit fait à la main. Vous noterez que cette définition n’exclue pas l’usage de machine, rien n’interdit à un artisan d’utiliser un fer à fileter électrique. À titre personnel je considère qu'il n'y a pas d'artisanat là où il n'y a pas de point sellier. Le point sellier fait partie intégrante de la tradition maroquinière, il est son expression la plus pure, il est indestructible et surtout il ne peut pas être répliqué à la machine ce qui veut dire qu'il demande un véritable savoir-faire. La maroquinerie semi-industrielle est réalisée essentiellement à la machine mais inclue des étapes réalisées à la main et recours parfois au point sellier. C’est le cas par exemple de marques comme Hermès, ou encore Camille Fournet mais il en existe d’autres. Certains fabricants de maroquinerie vont également avoir tendance à revendiquer leur appartenance au monde de l'artisanat sous prétexte d'être une petite structure. L'argument est bien évidemment fallacieux, ça n'est pas la taille qui fait l’artisanat mais la façon. Vous mettez 100 maroquiniers dans une pièce, chacun travaillant à la main de A à Z, vous avez des artisans. Vous mettez 3 clampins derrière 5 machines, ça n'est pas parce qu'ils vont déplacer du cuir avec leurs mains d'une machine à l'autre que vous avez autre chose que de l'industriel. Si vous vous demandez pourquoi le point sellier en lui seul n’est pas constitutif d’artisanat, la raison est simple. Vous avez des pays, l’Italie notamment, qui font du point sellier comme ils font du cousu trépointe, un point tous les kilomètres et emballé c’est pesé. La densité de couture est ridicule et ne présente pas la même solidité. Et c'est pour cela qu'à mon avis la meilleure définition de la maroquinerie artisanale est une combinaison de deux facteurs, le travail doit être fait majoritairement à la main ET doit impérativement être fait au point sellier.

Exemple de point sellier sur un cartable réalisé par Célia Granher, maroquinière indépendante. (Source : Celia Granger)
Exemple de point sellier sur un cartable réalisé par Célia Granher, maroquinière indépendante. (Source : Celia Granger)
Côté pile. Les simagrées de Louis Vuitton autour de la fabrication du sac à main petite malle. Gants blancs et tout le toutim, forcément vous vous dite “c’est de l’artisanat”. (Source : LVMH)
Côté pile. Les simagrées de Louis Vuitton autour de la fabrication du sac à main petite malle. Gants blancs et tout le toutim, forcément vous vous dite “c’est de l’artisanat”. (Source : LVMH)
Côté face. En réalité c’est Monique 45 ans avec son haleine de Roquefort et ses bras de camionneur qui fabrique votre petite malle. Sans gants blancs qui plus est. Il n’en reste pas moins que c’est un superbe produit au rapport qualité/prix largement supérieur aux sacs souples de la marque. Ça n’en reste pas moins de l’industriel. Sinon, pour mettre tout le monde d'accord je propose également l'appellation d'artisananas. (Source : API)
Côté face. En réalité c’est Monique 45 ans avec son haleine de Roquefort et ses bras de camionneur qui fabrique votre petite malle. Sans gants blancs qui plus est. Il n’en reste pas moins que c’est un superbe produit au rapport qualité/prix largement supérieur aux sacs souples de la marque. Ça n’en reste pas moins de l’industriel. Sinon, pour mettre tout le monde d'accord je propose également l'appellation d'artisananas. (Source : API)

Et la contrefaçon, on en fait quoi ?

Enfin il serait dommage dans un état des lieux de la maroquinerie de ne pas aborder très brièvement la question des contrefaçons. La maroquinerie est un domaine particulièrement touché et pour beaucoup comme seule la marque compte, peu importe la légitimité de la provenance. Vous le savez si vous êtes un lecteur régulier du blog, nous avons une opinion assez favorable de la seconde main et des opportunités qu'elle propose. Pour la maroquinerie je suis personnellement beaucoup plus réservé. Oui, il y a des affaires à faire, parfois d'excellentes même, mais le risque de tomber sur une contrefaçon est immense. La vaste majorité des produits provenant de marques de luxe que vous trouvez sur les sites de seconde main sont des faux. Nous l'avons dit, les contrefacteurs ont leur travail facilité par l'industrialisation et l'uniformisation de la maroquinerie de luxe. Certains sacs contrefaits sont parfois mieux réalisés que certains sacs originaux. Il arrive même que les employés des marques de luxe ne sachent pas différencier leurs propres sacs des sacs contrefaits. Vous imaginez donc bien que les sites qui proposent d’authentifier des sacs de grandes marques ne sont donc pas toujours très fiables. Il arrive même que des sacs contrefaits soient fabriqués directement par ces mêmes employés, avec du matériel “emprunté” à l’usine, un réseau d’anciens d’Hermès a ainsi été démantelé. La justice n’a pas été tendre avec les fabricants de ces “faux vrais” sacs, certains se sont vu infligés des peines similaires à celles de violeurs ou d’homicidaires… Pour lutter contre ces problèmes de contrefaçons les marques ont des parades mais elles sont vaines, ils apposent des signes, ajoutent des numéros etc etc mais rien qui au final ne puisse être répliqué. Vuitton mettent depuis 2021 une puce dans leurs sacs pour authentifier les sacs originaux. Pour l’heure la marque n’a pas encore beaucoup communiqué sur le sujet et n’a pas non plus lancé d’application qui permette à des particuliers de scanner le contenu de la puce. Mais j’ai bien peur que cet effort soit vain, ça n’est qu’une question de temps avant que les contrefacteurs ne soient en mesure de trouver une parade en fournissant leurs propres puces.

Archibald London: mode d’emploi d’une arnaque

Article mis à jour pour inclure la réponse du principal intéressé.

Avant-propos

Depuis quelques années il s’est opéré une sorte de retour au cousu trépointe, comme en témoigne le développement de nouvelles offres en Asie et dans les pays de l’Est. Cela fait longtemps que les chausseurs industriels s’écharpent sur les caractéristiques techniques de leurs produits pour tenter de conquérir de nouvelles parts de marché et se rapprocher au maximum de la botterie traditionnelle sans toutefois en être. Il était donc évident que le cousu trépointe allait à un moment ou un autre être projeté sur le devant de la scène. Avec la démocratisation des ressources en ligne sur le sujet n’importe quel blogs ou chaine youteube un peu naze a son avis sur la question, ce qui entraine un effet de caisse de résonance chez la clientèle, qui se découvre une nouvelle marotte pour distraire la vacuité de son existence. Et comme la majorité des gens sont un peu con (l’intelligence forme une courbe de Gauss, en Europe il y a beaucoup d’un peu con pour peu de très cons, mais plus pour longtemps) on se retrouve avec une hiérarchisation totalement artificielle des montages qui ne correspond pas à grand-chose, si ce n’est aux intérêts des influenceurs et de leurs maitres qui ont des stocks à écouler. C’est ainsi que le Blake se coltine une réputation de montage fragile et pas cher et le Goodyear une réputation de montage indestructible ressemelable éternellement. Quant au cousu trépointe c’est devenu le saint des saints, si vous avez une paire dans ce montage vous avez accumulé tous les points de l’internet, tous vos copains Discord sont jaloux, et vous êtes tellement populaire que vous êtes peut-être Huguette en chair et en botox. Et cela peu importe la façon dont est réellement effectué ce cousu trépointe. Forcément avec une telle hype, ce n’était qu’une question de temps avant qu’un escroc ne tente sa chance et c’est l’histoire de cette escroquerie que nous allons vous raconter.

La genèse

Pour narrer l’épopée Archibald London le plus simple est de commencer par présenter celui qui se trouve derrière cette énième start-up miraculeuse. Rhoan Dhir est un étudiant modèle ainsi que le parfait prototype du petit bourgeois citoyen du monde. Cet immigré Indien de nationalité Britannique fait sa scolarité au United World College of South East Asia de Singapour. Il y intègre le Davis United World College Scholars Program, un programme privé de bourse, qui lui permet de rejoindre ensuite la prestigieuse université de Columbia à New York. Enfin, prestigieuse, c’est vite dit. Les écoles Ivy League d’aujourd’hui sont essentiellement des pouponnières hors de prix destinées à faire les poches à une jeunesse privilégie. En échange ils reçoivent un label distinctif marquant leur appartenance à la caste des zélites cosmopolites, mais on va y revenir. Dhir sort de Columbia en 2011 avec un diplôme en...business. Cela ne vous aura pas surpris, dès qu’il y a un plan un peu foireux vous pouvez être certain qu’il y a un plouc d’école de commerce pas très loin. D’ailleurs il n’est pas le plus débile de sa promotion, et c’est probablement là l’un de ses plus grands accomplissements. Car figurez-vous que 2 autres étudiantes diplômée la même année ont lancé une start-up qui commercialise une huile pour… assouplir les poils pubiens. Le fameux prestige des écoles Ivy League… À titre personnel cela m’ennuierait un peu d’envoyer mes enfants dans une école à $100 000 l’année pour qu’ils en arrivent à vendre comme de vulgaires représentants de commerce des produits pour se lustrer le castor, enfin, ça pourrait toujours être pire. Comme envoyer sa gamine à Stanford pour qu’ensuite elle commercialise un truc “révolutionnaire” appelé… je sais pas moi… Théranos par exemple… mais ça n’est pas le sujet.

Rohan Dhir, businessman disruptif, membre caché des Gipsy Kings et plouc de compèt, comme en atteste l'ensemble t-shirt/costume. (Source: wework.com)
Rohan Dhir, businessman disruptif, membre caché des Gipsy Kings et plouc de compèt, comme en atteste l'ensemble t-shirt/costume. (Source: wework.com)

Toujours est-il qu’une fois son MBA en poche, comme tous les diplômés d’école de commerce, Rhoan n’a qu’une envie, celle d’être disruptif. Car cet hideux néologisme est le mot d’ordre de toutes les formations en business de ces 20 dernières années. Vous l’ignorez peut-être mais les écoles de commerce sont de véritables pépinières à punks, révolutionnaire et autres anarchistes de bac à sable. Ce qui est assez amusant quand on considère qu’en réalité le diplômé d’école de commerce est en général plutôt quelqu’un de petit bourgeois qui mange du quinoa et baisse les yeux dans le métro.… quand il n’a tout simplement pas abandonné ce mode de transport. Mais laissons-les vivre leur rêve pendant une minute et imaginons qu’ils soient ce qu’ils prétendent. Ils veulent tout casser, ils sont incontrôlables et ont des business plans trop bien pour faire des produits de “meilleure qualité à un prix plus restreint”. Ils n’ont qu’un objectif, faire peur aux modes de distributions traditionnels, mettre un gros coup de pied dans la fourmilière et proposer quelque chose de “différent”. Vous savez un peu comme Max Rudy Sfez Sauveur, qui fait genre il propose un truc tout nouveau sans intermédiaire, ultra révolutionnaire alors que derrière maman elle est propriétaire de Rudy’s. Rhoan il est tout pareil. Alors à sa sortie d’université et avec le financement de papa, il se lance dans leuh bizeuness. Il fait ses premières armes dans la création de sites internet. C’est un autre point commun à tous les ploucs d’écoles de commerce qui se lancent dans “l’économie digitale”, ce sont des pros de la tech. Souvenez-vous des petits génies derrière Lanieri qui font des costumes aux proportions totalement foireuses avec un “algorithme magique”. Le raisonnement derrière est assez simple, comme ces business en ligne n’ont pas de clientèle (an sens traditionnel du terme), leur seule raison d’exister est d’être le premier résultat sur la première page de recherche Google et d’avoir un site cossu. C’est l’équivalent 2.0 d’avoir une boutique sur les champs Élysées, peu importe ce que vous vendez, vous êtes certain que quelqu’un va pousser la porte à un moment ou à un autre. Assez rapidement Rhoan va ensuite se lancer, toujours avec l’argent de papa, dans son premier véritable business Archibald Optics. Qui sans surprise est une entreprise de…. private labelling. C’est un autre apprentissage de la formation d’école de commerce, faire des lignes de codes avec une main dans le slip, pendant que des gens dans une usine quelque part dans le monde fabriquent “vos” produits.

Columbia University présente fièrement une start-up disruptive: Archibald Optics. (Source: Columbia University)
Columbia University présente fièrement une start-up disruptive: Archibald Optics. (Source: Columbia University)

Archibald Optics

Archibald Optics est le résultat d’un long voyage initiatique effectué par Rohan. Ce dernier est mû par l’ardent désir de libérer les masses des diktats du luxe en permettant à la plèbe d’accéder à des lunettes haut de gamme pour un prix moindre. Pour cela il se lance à la recherche d’une usine et se dirige vers l’Italie, qui dans son esprit étriqué doit être une sorte de symbole du luxe. À son horreur il découvre que les grandes marques Italienne font produire en Chine et vendent une fortune un produit de mauvaise qualité qui coûte trois fois rien à fabriquer. Déçu et toujours sans usine Rohan est totalement désœuvré, c’est alors qu’il rencontre dans un bar gay à la mode, un certain Archibald, qui lui fait part des merveilles insoupçonnées dont regorge le pays du soleil levant. Il lui parle d’artisans ermites qui utilisent des méthodes secrètes “like 100 years ago™” et qui tels des alchimistes maitrisent l’art du shokushu gōkan soit littéralement “fabrication de la lunette à la main sans l’aide de machines”.
Troublé par ces révélations Rohan prend son petit sac à dos direction le Japon, et part gravir le mont Norikura, au sommet duquel maitre Takagi Kasamoto forge à main nue, et uniquement par les nuits de pleine lune des lunettes en écailles de licorne. Rohan supplie Takagi-san de bien vouloir lui fabriquer des lunettes trop bien directement sans intermédiaire, pour qu’il puisse ensuite les revendre sur son site internet à un prix tellement disruptif que même Soros il va trembler. Takagi-san hésite mais voyant que son carnet de commande n’est pas trop chargé et que de toute façon il n’a que ça à faire de ses journées, il accepte.

À son retour Rohan s’empresse d’enregistrer la marque Archibald Optics via une entreprise fondée à Singapour en 2012 car on a beau être révolutionnaire, on fait tout comme les grands dès qu’il s’agit d’optimisation fiscale. Et bien évidemment il s’empresse également de contacter toutes les journalopes du monde entier pour raconter sa formidable aventure spirituelle, et c’est ainsi que l’internet se couvre d’articles dithyrambiques sur sa nouvelle marque, sans qu’aucune transaction financière n’ait eu lieu, bien évidemment. Vous allez vous dire que ça y est, j’ai complètement débloqué et que je babille. Mais non, je vous assure que, licence poétique mis à part, c’est véritablement plus ou moins l’histoire qui est mise en place, à savoir que le mec en fait des tonnes alors qu’il a juste passé un contrat de private labelling avec une usine au Japon.

Archibald Optics a une domiciliation intéressante... c'est pas mal ça, Singapour. (Source: INPI)
Archibald Optics a une domiciliation intéressante... c'est pas mal ça, Singapour. (Source: INPI)
Forbes approuve. Notez au passage que ma version de l'histoire ne diffère pas beaucoup de la leur. Cet article n'est bien évidemment pas du tout rémunéré, c'est du véritable journalisme total, pas de la promotion déguisée. (Source: Forbes)
Forbes approuve. Notez au passage que ma version de l'histoire ne diffère pas beaucoup de la leur. Cet article n'est bien évidemment pas du tout rémunéré, c'est du véritable journalisme total, pas de la promotion déguisée. (Source: Forbes)
Même son de cloche chez le Wall Street Journal. (Source: Wall Street Journal)
Même son de cloche chez le Wall Street Journal. (Source: Wall Street Journal)

Mais là n’est pas le problème. Car autant être honnête avec vous, je m’en tamponne les amygdales des lunettes Archibald optics. Peut-être que ces lunettes sont très bien, peut-être même que c’était une bonne affaire mais cela n’a aucune importance, je ne raconte cela que pour planter le décor. En tout cas, pour Rhoan ça a été une excellente affaire car il va vouloir décliner son concept, après n’avoir fait que de la lunette de 2012 à 2016 il commence à développer une nouvelle offre et Archibald optics va se muer en Archibald London. Le concept est le même, mais plutôt que de se limiter aux bézigues, il va être appliqué à littéralement n’importe quel objet dont la connotation est vaguement luxueuse. Les mailles, les couteaux de cuisine, les vestes en cuir, la maroquinerie, les jeans selvedge, les casseroles, les chaussures…. Tout y passe, mais c’est plus spécialement avec les chaussures que ça va devenir sacrément rigolo.

Les casseroles de "luxe" Archibald. Un signe du destin? (Source: Archibald London)
Les casseroles de "luxe" Archibald. Un signe du destin? (Source: Archibald London)

Pour ma part je découvre la marque en Aout 2019 quand elle rejoint l’incubateur à arnaque qu’est le programme de vendeur affilié de Styleforum. Souvenez-vous que quelques années auparavant c’est également par là que le grand Gianni Ponzi Cerruti avait pris son envol, avant qu’il ne fasse mauvaise impression auprès de ses clients. Un jour il faudra probablement que l’on traite de la décharge à ciel ouvert qu’est Styleforum et sur le nombre sensationnel d’arnaques auquel ce site a activement participé. La plus drôle d’entre elle est une histoire sordide de vestes en cuir et de poulet frit mais chaque chose en son temps. Je disais donc qu’en Aout 2019 je découvre Archibald London et surtout j’apprends qu’ils proposent des chaussures en cousu trépointe aux alentours de 450€. Je découvre également que sous certaines conditions ces même chaussures sont accessibles à 290€ via un programme spécial appelé “naked”, au moins la volonté de mettre le client à poil est annoncée.

Naked

Avant de parler plus en détails des chaussures qui vont être le cœur de cet article, il faut ouvrir une parenthèse sur “naked” car cela aide à la compréhension du cancer mental qu’est Archibald London. Naked c’est une idée débile comme seule un plouc d’école de commerce du 21ème siècle peut en avoir. Le principe est simple, la marque prétend y vendre à prix coutant pour une durée limitée, les produits qu’elle fait fabriquer par ses fournisseurs, ils troquent de la rentabilité pour de la visibilité. C’est tellement une boite de pandore qu’il faudrait presque lui consacrer un article entier. Par où commencer ? Tout d’abord J’insiste sur le “prétend” car bien évidemment à aucun moment vous n’avez la preuve que la marque ne fait pas de marge. Ils disent vendre à prix coutant, mais vous devez bien évidemment les croire sur parole. Certes 290€ pour des chaussures en cousu trépointe est peu mais ce n’est pas inédit. Meermin et sa gamme Maestro est passé par là. Et même plus récemment on a déjà vu des Vass soldées à ce prix voire même moins quand ils étaient dans le creux de la vague. Toujours est-il qu’il est certain qu’à 290€ les chaussures d’Archibald London ne sont pas à prix coutant contrairement à ce qu’ils racontent.

Par ailleurs ce concept est révélateur d’un problème bien plus profond avec Archibald London, ils vivent littéralement dans une hyper-réalité, au sens de Baudrillard ou d’Eco, les mecs s’y croient et cela se confirmera plus tard. C’est d’ailleurs plus ou moins le cas de toute les marques 2.0 qui se disent “disruptives” etc etc qui en réalité ne “disrupte” rien du tout. Ce que ces marques 2.0 font c’est offrir un produit moins cher et souvent moins bien que les marques de luxe “traditionnelle” dans le but de faire croire aux classes moyennes, les vaches à lait du 21ème siècle, qu’ils font une super affaire.

Pour les marques de luxe ces zozos d’école de commerce ne sont pas plus qu’une chiure de mouche sur une carte d’état-major. Elles ne sont pas sur le même créneau, la clientèle d’Hermès ou des véritables artisans du luxe (je ne parle pas du type qui économise pendant des années pour se faire un cadeau de Noël) n’est pas spécialement intéressée par ces inepties 2.0. Ils veulent une identité forte ou de l’exclusivité, pas une fiche technique ennuyeuse. Non seulement mettre en avant un produit en disant ne pas faire de marge est la négation même de ce qu’est le commerce, mais cela vous met directement dans la catégorie des morts de faim. Vous devenez le Lidl du luxe, votre créneau c’est le hard discount pour bobo urbains. Vous vous adressez aux gens en quêtes “d’affaires” par définition ceux qui n’ont pas suffisamment de “disposable income” pour acheter du luxe régulièrement. Et surtout vous niez explicitement que votre service ait la moindre valeur, vous dites à demi-mot ne pas valoir l’air que vous respirez, ce qui dans le cas de Rohan Dhir est un fait. Alors évidemment, derrière l’argument d’Archibald London c’est qu’ils sont tellement fiers de leur produit qu’ils n’ont pas peur de le vendre à perte pour essayer d’accrocher les gens. Ça n’a absolument aucun sens, mais c’est une citation directe de la marque à propos de son programme “naked” : “We knew the product was our unique selling point, so we stripped everything back, sold it at cost, with zero profits or margins to make it easier to try.” Je vous laisse réfléchir une minute là-dessus, “We knew the product was our unique selling point”. C’est une lapalissade, oui Rohan, c’est bien tu as tout compris… une entreprise vend soit des biens soit des services, dans ces conditions évidemment que ton produit c’est ton plus gros argument commercial. Je le rappelle au cas où, 100 000$ par an à Columbia pour en arriver là…. Les types sont tellement meta qu’ils pensent réellement réinventer l’économie.

Vous n'êtes pas un vrai private label tant que vous n'avez pas posté un tableau explicatif (comprendre par là, mensonger) de vos marges par rapport à celles des "marques de luxe". Ce gag est tellement récurent qu'il s'agit presque d'un meme dans le milieu. (Source: Archibald London)
Vous n'êtes pas un vrai private label tant que vous n'avez pas posté un tableau explicatif (comprendre par là, mensonger) de vos marges par rapport à celles des "marques de luxe". Ce gag est tellement récurent qu'il s'agit presque d'un meme dans le milieu. (Source: Archibald London)

D’ailleurs si cela vous amuse, vous pouvez aller jeter un œil sur la partie journal du site d’Archibald London. Cela vous donnera une idée de l’hyper réalité dans laquelle ils vivent. Ils y parlent de “naked”, mais pas seulement, c’est une sorte de matrice où ils expliquent leur monde parallèle et c’est très enrichissant. Archibald London explique par exemple que durant le covid ils ont relancé Naked (qui avait été fermé entre temps), cette fois non pas pour racoler des clients potentiels, mais pour “soutenir leurs artisans”. C’est là encore une citation. Le problème c’est qu’Archibald London n’ont aucun artisan, leur entreprise est littéralement composée d’une poignée d’adulescents dont le siège social est enregistré au domicile de papa maman. Leurs seules (in)compétences se limitent au marketing et au business, ils ne fabriquent rien et ce qu’ils appellent leurs artisans ce sont bien évidemment des usines. Et ces usines non seulement fabriquent des produits mais elles ont bien souvent leur propre marque, elles ne sont pas dépendantes des parasites comme Archibald. Que ces derniers soient une source de revenus est un fait, mais elles n’ont pas besoin d’Archibald pour les “protéger” car elles sont productrices de valeur, elles détiennent les moyens de productions. Au contraire d’Archibald qui ne font que gonfler artificiellement la valeur desdits produits depuis leur ordinateur par la magie du marketing. C’est l’éternel combat de la bêche et de l’épée contre l’usurier. On pourrait multiplier les exemples à l’infini, dans leur journal Archibald parlent d’absolument tous les sujets en vogue du moment leuh racismeuh, leuh environneeuhment, leuh fast fashion, leuh tiers mondeuh. Ils se paient même le luxe de critiquer les travers du marketing, alors que le leur sent le putois à des millions de kilomètres à la ronde. Bref, si vous avez envie d’entrer dans leur monde parallèle, faites-vous plaisir. Ils tentent même de justifier vendre un t-shirt de “saville row” à $110… C’est Sale Gueule et Macadam qui vont être jaloux.

La nef des fous par Rohan Dhir. Pixel sur verre. (Source: Archibald London)
La nef des fous par Rohan Dhir. Pixel sur verre. (Source: Archibald London)

Les chaussures "Goodyear a mano"

Mais tout cela est assez anecdotique, car il y a bien mieux. Il va rapidement apparaître que la marque n’a absolument aucune idée de ce qu’elle vend. Avant de rejoindre Styleforum en Aout 2019 la marque s’était déjà illustrée d’une façon assez peu glorieuse. Depuis leurs débuts Archibald London vendent des chaussures dites “Goodyear a mano” (littérairement Goodyear à la main). Si vous avez lu notre article “qu’est-ce qu’un soulier de qualité” vous savez immédiatement qu’une telle chose n’existe pas, mais c’est de cette façon que la marque présente ses chaussures, notamment via des publicités sur Facebook. Il ne faut pas longtemps pour que quelqu’un voit leur publicité et dise à la marque que du Goodyear fait main c’est un oxymore. D’ailleurs oxymore se traduit en Anglais par oxymoron, et moron veut dire crétin, un signe du destin sans doute. Bien évidemment la marque prend la mouche car ils savent forcément mieux que tout le monde, ce sont des experts en expertise. Après tout, c’est comme cela que leur usine appelle cette méthode de fabrication. Mais tout de même, ils ont un doute. Alors ils vont googler, wikipédier, ils vont même aller jusqu’à contacter la concurrence (si, si), parce que quitte à être bourreur autant l’être pleinement. Finalement, la marque est bien obligée d’admettre qu’effectivement, leur contradicteur avait raison. En effet, le cousu Goodyear est forcément effectué à la machine Goodyear, et sa contrepartie effectuée à la main s’appelle un cousu trépointe. Cependant il arrive de temps en temps que certaines marques (bien souvent Italiennes) parlent de “goodyear fait main”. Parfois c’est pour décrire un cousu trépointe, parfois c’est pour décrire un cousu Goodyear. Pour rendre le tout encore plus confus, il est possible d’effectuer un montage à la fois à la main et à la machine, à savoir que vous pouvez très bien faire la couture de la trépointe à la main et faire la couture petit point à la machine. Archibald ne savent littéralement absolument rien de tout cela, et ont juste recraché ce que leur a dit l’usine avec laquelle ils font du biz, et il se trouve que leur usine Italienne appellent leur cousu trépointe “Goodyear a mano”. De fait ils se retrouvent dans une position peu enviable, celle de devoir admettre publiquement que ce sont des gros tocards. Ils vont se fendre d’un article sur leur journal et sur Medium que vous pouvez lire ici, dans lequel ils expliquent à demi-mot que ce sont des branleurs mais que ce n’est pas grave parce qu’ils font des pompes trop spéciales que même Olga Squeri elle est trop jalouse. On pourrait penser que la moindre des choses à faire quand on cherche à vendre un produit c’est de savoir de quoi on parle, mais ça c’était avant.

Les fameuses chaussures "Goodyear a mano”. (Source: Archibald London)
Les fameuses chaussures "Goodyear a mano”. (Source: Archibald London)

Archibald London va ensuite lancer plusieurs commandes MTO de groupe durant laquelle elle fait intervenir les membres de Styleforum pour divers aspects de la conception. Car Archibald fait partie de ces marques modernes qui font remplir des questionnaires à leurs clients afin de leur donner l’impression qu’ils “participent” à la création du produit, qu’au fond est tous potes et qu’on va trop bien s’entendre. Alors qu’en fait c’est juste du bourrage pour économiser de la thune, c’est une façon ludique de faire travailler votre client potentiel tout en prenant son argent. Ils sortent ainsi des sneakers (quelle surprise, quelle rébellion) et s’attaquent ensuite à faire un Richelieu “wholecut ” (qui n’en est pas un) sobrement nommé “HW01” Comme son nom l’indique il s’agit du premier modèle ou la marque va intégralement axer sa communication sur le fait qu’il s’agit d’un cousu trépointe. Le Richelieu sera proposé à “prix coutant” pendant 14 jours aux valeureux remplisseurs de questionnaires et Styleforum touchera $10 sur chaque paire vendue. Il n’y a pas de petit profit.

Lancement du modèle HW01. Notez que si le prix final est moins cher que celui de la précommande, on vous rembourse la différence. En ARCHIBALD CREDIT. Alors, vous êtes pas excités les cons?  (Source: styleforum)
Lancement du modèle HW01. Notez que si le prix final est moins cher que celui de la précommande, on vous rembourse la différence. En ARCHIBALD CREDIT. Alors, vous êtes pas excités les cons? (Source: styleforum)

En attendant que leur nouveau modèle HW01 soit prêt, la petite équipe d’Archibald continue de passer son temps à communiquer sur Styleforum. Elle en profite pour entretenir un superbe cirque virtuel de débiles avec comme attraction principale un duel d’handicapés entre Rohan et Jesper de Shoegazing. Jesper ayant eu la malheureuse idée d’écrire un article mentionnant l’existence d’Archibald London et émettant quelques doutes quant à la qualité des cuirs, cela sans avoir vu les chaussures. Ce qui déclenchera immédiatement l’ire de Rohan “muh my shoes are da best in da world” Dhir. Car bien évidemment pour Archibald London il ne fait aucun doute qu’ils ont entre les mains un produit tout à fait spécial. Rohan est livide qu’on puisse faire des suppositions basées uniquement sur le prix du produit…. Le fait qu’il s’emporte sur un comportement parfaitement normal qu’aura n’importe quel client potentiel est peut-être le signe que l’assiduité de Rohan à ses cours d’école de commerce n’était pas optimale, mais passons. Car de toute façon il se gausse de Jesper l’incrédule, Rohan sait que son produit “il est le meilleur qu’il est trop bien”. Pour preuve Archibald utilise un cuir exceptionnel sourcé directement dans un lot réservé aux modèles customs de Lobb, Green, G&G. Rien que ça. Bien évidemment, il n’en est rien mais c’est bien ce que la marque soutient. D’ailleurs Rohan s’y connaît en pompes, il a acheté pour 30 000$ de chaussures chez Mr Porter. (Avant de les renvoyer, il est pas pété de thune à ce point).

Batailles d'infirmes entre Jesper et Rohan Dhir. Il est amusant de voir Dhir invoquer l'article dont il a bénéficié dans le Wall Street Journal. Article qu'il n'a bien évidemment pas du tout rémunéré. Et qui a été écrit par de "véritables journalistes".(Source: Styleforum)
Batailles d'infirmes entre Jesper et Rohan Dhir. Il est amusant de voir Dhir invoquer l'article dont il a bénéficié dans le Wall Street Journal. Article qu'il n'a bien évidemment pas du tout rémunéré. Et qui a été écrit par de "véritables journalistes".(Source: Styleforum)
Dhir aime rappeler qu'il a dépensé plus de 30k£ en chaussures chez Mr Porter. (Source: Styleforum)
Dhir aime rappeler qu'il a dépensé plus de 30k£ en chaussures chez Mr Porter. (Source: Styleforum)
Il se prend également la tête avec ses clients. Tout en leur rappelant encore et toujours qu'il a dépensé plus de 30k£ chez Mr Porter, et que par conséquent, il s'y connaît. (Source: Styleforum)
Il se prend également la tête avec ses clients. Tout en leur rappelant encore et toujours qu'il a dépensé plus de 30k£ chez Mr Porter, et que par conséquent, il s'y connaît. (Source: Styleforum)

Cela lui donne donc une bonne idée de ce que propose la concurrence. Du reste c’est une bonne occasion pour parler des “caractéristiques techniques” des chaussures d’Archibald. Il est bon de rappeler que les business 2.0 insistent lourdement sur les caractéristiques techniques, sans comprendre fondamentalement ce qu’elles veulent dires. Autrement dit, ils balancent des chiffres ou des noms en se disant que plus le chiffre est gros et plus le nom est connu meilleur est le produit. C’est ainsi qu’ils prétendent que leur chaussure “cousu trépointe” peuvent être ressemelées jusqu’à 12 fois. Oui mesdames et messieurs, 12 fois. Imaginez cela mais avec dit la voix de Pierre Bellemare (père ou fils) façon téléachat. Avec ce genre d’affirmation Rohan montre immédiatement son statut d’imposteur. Il n’a aucune idée de ce qu’est un ressemelage, ni de la façon dont il est effectué par n’importe quel cordonnier lambda. Dire que vous pouvez faire ressemeler vos chaussures 12 fois c’est comme dire que vous pouvez faire 12 rhinoplasties dans votre vie. C’est théoriquement possible, mais à la fin vous ressemblez à Michael Jackson. Il en sera de même pour vos chaussures, et elles vous le feront payer très cher. Chaque nuit de pleine lune, dans leur placard elles se mettront à crier “Beat it, beeeeeeaaaat it, no one wants to be defeated”. Quant à la forme utilisée pour monter les chaussures, Archibald disent en utiliser une qui est adaptée aux pieds étroits, comme aux pieds larges. D’ailleurs, d’après la marque, une forme similaire serait utilisée par Cleverley, G&G et Berluti… Est-il vraiment nécessaire d’expliquer en quoi cette affirmation est une vaste fumisterie ? De plus chez Archibald on a un peu de mal à se souvenir des mensonges que l’on professe, vous vous souvenez du cuir magique qu’ils sourcent dans un lot réservé aux modèles customs de Lobb, Green ou G&G…. ils disent ensuite qu’il vient de chez Conceria Valdarno, une tannerie qui n’est justement pas utilisée par les marques précitées…. Maintenant que nous avons clairement établi que les chaussures d’Archibald sont très haut de gamme, il est temps de révéler ce à quoi ressemble leur futur modèle HW01…

Le nouveau modèle HW01, celui qui sera à l'origine du scandale. (Source: Archibald London)
Le nouveau modèle HW01, celui qui sera à l'origine du scandale. (Source: Archibald London)

Voici donc la fameuse chaussure vendue pratiquement 500$ qui devrait couter beaucoup plus et dont toutes les marques de luxe sont jalouses. Ne vous laissez pas berner par l’apparence plutôt médiocre de ces pompes, les clients d’Archibald sont ravis de ce qu’on leur propose. Ça n’est en soit pas une grande surprise, le précédent modèle de la marque (un Richelieu à bout droit) avait déjà reçus des louanges. Il y avait par exemple la review de “The Kavalier” une chaine de débiles sur Youtube spécialisée dans les “unbiased review” sponsorisée qui dépasse en nullité celle de nos Laurel et Hardy de la lose. D’après eux le constat est sans appel, le cuir est magnifique, la qualité est phénoménale. Il y a également la review d’un client Français qui s’y connaît, un champion celui-là, l’archétype du singe savant, que l’on a ici l’habitude d’appeler “le demi savant”. C’est le genre de client qui à force de voir des trucs sur les zinternets sait reconnaître une lisse ronde ou quelques détails ici et là, mais qui est invariablement incapable de savoir ce qu’il a entre les mains. Il y a aura également un autre client qui se ridiculisera avec une review totalement dithyrambique, mais l’on reviendra là-dessus, malheureusement pour lui son timing sera assez mauvais. Et puis il serait dommage de ne pas mentionner la rewiew de followsuit, un blog qui semble avoir disparu (on se demande bien pourquoi) qui est tellement aux fraises qu’il serait dommage de la manquer (Allez la voir après avoir lu cet article en entier, pour l’effet kiss cool).

"The leather quality is amazin'!" Qu'il dit. (Source: Youtube)
"The leather quality is amazin'!" Qu'il dit. (Source: Youtube)

En réalité les affaires du quotidien ne sont pas aussi brillantes que cela chez Archibald, car il y a des soucis. Ils ont notamment un problème avec leur cuir crust tellement luxueux que sa teinture ne tient pas en place. En soit ce n’est pas quelque chose d’unique, des marques bien plus prestigieuses se sont retrouvées dans une situation similaire mais tout de même ça fait désordre. Mais les problèmes ne s’arrêtent pas là. Il y a également des délais interminables, des colis qui se perdent, des chaussures envoyées à la mauvaise taille mais après tout, nous sommes à cette époque en pleine folie sanitaire, et beaucoup de marques sont face à des difficultés logistiques, Archibald n’est donc pas une exception. Vous devez vous dire “j’espère que ce con ne nous dérange pas pour si peu”. Car après tout jusque-là nous n’avons rien de bien excitant, on a affaire à une marque en private label dans le milieu de gamme qui essaye de se faire passer pour luxueuse avec un dirigeant un peu taré qui est totalement mégalo. C’est tellement banal qu’on pourrait se tromper de marque et penser qu’on a parlé de celles du vieux Fernandez. Ce genre de marques sont légion, vous en avez à chaque numéro de Point*re, D*ndy etc etc et je ne vais pas perdre mon temps à écrire un article pour si peu, en général je fais un tarif de groupe. Non, rassurez-vous, il y a bien un twist à cette histoire, comme avec Gianni. Et comme avec Gianni le pot aux roses va être découvert de façon fortuite.

La teinture qui se barre, ça fait désordre pour une marque de "luxe". Notez également la lisse qui est bien laide. (Source: Styleforum)
La teinture qui se barre, ça fait désordre pour une marque de "luxe". Notez également la lisse qui est bien laide. (Source: Styleforum)
Globalement voilà ce à quoi vous pouvez vous attendre avec Archibald London. La marque qui fait trembler Lobb, Green et toute la clique. (Source: Styleforum)
Globalement voilà ce à quoi vous pouvez vous attendre avec Archibald London. La marque qui fait trembler Lobb, Green et toute la clique. (Source: Styleforum)

Le scandale éclate

Il se trouve qu’un client de la marque un peu plus dégourdi que les autres avait acheté une paire avec pour objectif d’en faire une review. Seulement durant le processus, il s’est aperçu que quelque chose ne “collait pas”. Si vous voyez ce que je veux dire. Il décide alors de démonter la chaussure et à sa grande surprise le modèle HW01 en cousu trépointe le meilleur du monde qu’il est trop bien… s’avère ne pas être un cousu trépointe. Ça n’est même pas un cousu Goodyear, ou Blake, ou rien du tout… la chaussure est collée. Le phénomène du siècle, l’avant-garde de la chaussure du futur, la perle diplômée de Columbia vend des pompes au montage soudé tout ce qu’il y a de plus bête, avec une fausse trépointe pour la décoration. L’enculade était totale. Forcément du côté d’Archibald on joue l’incrédulité, on feint l’ignorance et surtout on passe immédiatement en “damage control” pour éviter que la situation ne dérape encore plus. Mais alors, que s’est-il passé ?

L'intérieur de la chaussure est collé. Il n'y a pas de mur de montage, à la place vous avez du tissu et beaucoup de colle. (Source: Styleforum)
L'intérieur de la chaussure est collé. Il n'y a pas de mur de montage, à la place vous avez du tissu et beaucoup de colle. (Source: Styleforum)
Dans un effort pour se dédouaner la marque envoie à la même personne un prototype pour démontage. Il s'agit bien d'un cousu trépointe, mais cela ne prouve rien, puisqu'il ne s'agit pas d'un modèle destiné à la clientèle. (Source: Styleforum)
Dans un effort pour se dédouaner la marque envoie à la même personne un prototype pour démontage. Il s'agit bien d'un cousu trépointe, mais cela ne prouve rien, puisqu'il ne s'agit pas d'un modèle destiné à la clientèle. (Source: Styleforum)
Remarquez l'absence de marques d’alêne sur la première de montage de ces 3 paires. Ces paires sont collées. La photo de gauche a été postée avant que le scandale n'éclate. Étonnamment aucun des experts de Styleforum n'a moufté à l'époque, ignorant certainement qu'il était possible de reconnaître le montage d'une chaussure en regardant dedans. (Source: Styleforum)
Remarquez l'absence de marques d’alêne sur la première de montage de ces 3 paires. Ces paires sont collées. La photo de gauche a été postée avant que le scandale n'éclate. Étonnamment aucun des experts de Styleforum n'a moufté à l'époque, ignorant certainement qu'il était possible de reconnaître le montage d'une chaussure en regardant dedans. (Source: Styleforum)
Un autre exemple qui aurait dû alerter les singes savants des interwebs. Il s'agit d'un ancien modèle de la marque. La couture petit point saute un trou (flèche rouge) ce qui indique bien souvent une fausse trépointe. (Source: Reddit)
Un autre exemple qui aurait dû alerter les singes savants des interwebs. Il s'agit d'un ancien modèle de la marque. La couture petit point saute un trou (flèche rouge) ce qui indique bien souvent une fausse trépointe. (Source: Reddit)

La version officielle de la marque est trouvable ici, mais pour résumer d’après Archibald, l’usine en charge de la fabrication aurait décidé de passer du cousu trépointe à une méthode de fabrication qu’elle utilise depuis des années pour d'autres marques de luxe italiennes et qui, selon lui, rend la chaussure plus confortable. Tout cela sans prévenir Archibald. Vous noterez que dans leur pitoyable annonce, Archibald se gardent bien de mentionner que le montage en question était collé. Il se trouve que plusieurs modèles sont concernés, c’est ainsi le cas du Richelieu à bout droit de la marque. Celui qui avait fait l’objet de tant de reviews favorables. C’est d’ailleurs ce modèle qui a inspiré cette review, postée seulement un mois avant le scandale et dont l’auteur sera moqué, à juste titre. D’après Archibald environ 20 % des chaussures produites par la marque serait concerné. En réalité nous n’en savons rien. Personne n’a jamais su, il n’y a jamais eu la moindre confirmation à ce sujet. Mais énormément de clients ont été contactés pour qu’ils renvoient leurs chaussures. Styleforum de leur côté ont l’habitude de gérer ce genre de scandales et ils se content de faire passer ça pour “un problème de précommande”. Leur seule action sera de créer un sujet spécial sur leur forum pour permettre à la marque de s’organiser.

La pleurniche de Rohan Dhir une fois que l'affaire éclate. Dès les premières lignes notre champion ne déçoit pas, il compare toujours ses chaussures à Edward Green. (Source: Styleforum)
La pleurniche de Rohan Dhir une fois que l'affaire éclate. Dès les premières lignes notre champion ne déçoit pas, il compare toujours ses chaussures à Edward Green. (Source: Styleforum)

Maintenant une question se pose. Est-ce qu’Archibald était responsable de l’arnaque ou la marque a-t-elle été trompée par son usine ? Dans le fond, cela ne fait absolument aucune différence car cela reste une arnaque absolue. Aussi incroyable que cela puisse paraître, il est possible qu’Archibald se soit fait entuber par sa propre usine. Car ni Rohan ni personne dans son équipe n’a la moindre idée de ce qu’est une chaussure en cuir. Rohan dit par exemple avoir été trompé sur « des détails invisibles ». Il n’en est rien. Il y a un certain nombre d’indices qui permettent de savoir si une chaussure est collée ou non. Les fausses trépointes sont repérables, et surtout dans le cas du cousu trépointe l’alêne du bottier laisse une empreinte caractéristique sur la première de montage (qui dans le cas d’Archibald servait également comme première de propreté), empreinte visible en regardant dans la chaussure. Mais rappelez-vous que nous parlons de quelqu’un qui ne connaît absolument rien au domaine dans lequel il travaille. Il a démontré une crasse ignorance tout au long de ses communications. De son aveu il ne sait pas ce qu’est le « lasting » (la mise sur forme) d’une chaussure. On parle de quelqu’un qui commandait régulièrement pour 30k$ de chaussures sur Mr Porter pour les “examiner” et les renvoyer, de Berluti et de Lobb il disait “ I have those pairs come in constantly from Mr Porter for regular scoping the competition and we are trouncing them.”. Mieux encore, il dit ne pas savoir ce que sont des “speed hook”, ces petits crochets métalliques qui sont présents sur les bottines afin de faciliter le laçage, et très franchement je passe sous silence beaucoup d’autres de ses aberrations. Bref, c’est un débile complet.

Petit florilège des inepties de Rohan Dhir, rien n'est inventé, toutes ces interventions sont trouvables sur Styleforum.

Il ne sait pas ce qu'est le lasting (formage), les speed hooks, et prétend détenir une forme magique qui convient à tous les types de pieds....admirez le discret name dropping impliquant Cleverley. (Source: Styleforum)
Il ne sait pas ce qu'est le lasting (formage), les speed hooks, et prétend détenir une forme magique qui convient à tous les types de pieds....admirez le discret name dropping impliquant Cleverley. (Source: Styleforum)

En ce qui concerne les cuirs utilisés par la marque ça n'est pas beaucoup mieux.

On passe du meilleur lot de cuir au monde, utilisé par Lobb, Green, G&G pour leur bespoke.... (Source: Styleforum)
On passe du meilleur lot de cuir au monde, utilisé par Lobb, Green, G&G pour leur bespoke.... (Source: Styleforum)
... à une tannerie Italienne sans réputation particulière. Pour le cordovan Archibald ne connaissent qu'Horween mais ça n'est pas surprenant. (Source: Styleforum)
... à une tannerie Italienne sans réputation particulière. Pour le cordovan Archibald ne connaissent qu'Horween mais ça n'est pas surprenant. (Source: Styleforum)
D'ailleurs certains clients sont inquiets des plis formés par leur cuir EXCEPTIONNEL. (Source: Styleforum)
D'ailleurs certains clients sont inquiets des plis formés par leur cuir EXCEPTIONNEL. (Source: Styleforum)
Mais tout va bien, car c'est parfaitement normal, c'est une caractéristique de leur super cuir bespoke haut de gamme. (Source: Styleforum)
Mais tout va bien, car c'est parfaitement normal, c'est une caractéristique de leur super cuir bespoke haut de gamme. (Source: Styleforum)

En ce qui concerne bout dur, la marque prétend utiliser du cuir...

Des bouts durs en cuir vous dites? (Source: Styleforum)
Des bouts durs en cuir vous dites? (Source: Styleforum)
Leur prototype utilise du celastic. Est-ce que le modèle final est différent? (Source: Styleforum)
Leur prototype utilise du celastic. Est-ce que le modèle final est différent? (Source: Styleforum)
Il n'en est rien. En réalité il apparaît que certains modèles de la marque n'utilisent même pas de bout dur. (Source: Styleforum).
Il n'en est rien. En réalité il apparaît que certains modèles de la marque n'utilisent même pas de bout dur. (Source: Styleforum).

Cela étant dit, il reste l’autre possibilité, celle qui rend Archibald coupable d’avoir volontairement changé la méthode de fabrication de leur chaussure. Cela afin d’empocher beaucoup d’argent en se disant que ça passerait inaperçu. C’est à vous de vous faire votre propre opinion, il n’y a pas d’élément qui permette de trancher de manière définitive dans un sens ou dans l’autre, même si à mon avis la réponse est évidente. Certains faits sont troublants, par exemple Rohan n’en est pas à son premier mensonge, et cela au-delà de toute la communication mensongère, erronée, de toutes les affirmations péremptoires, des comparaisons fallacieuses avec la concurrence. Il dit entre autres qu’Adriano, le propriétaire de l’usine avec laquelle il travaille est un associé de la société Archibald London. Il n’en est rien, les seuls associés compris dans la société sont Rohan Dhirt, son père, et deux autres adulescents qui se présentaient comme Chief Technology Officer et Business Development Manager d’Archibald. Une fois qu’il est apparu que les chaussures d’Archibald étaient collées, Rohan a annoncé à plusieurs reprises avoir entamé des actions en justice en Italie, et avait indiqué qu’il allait tenir “sa fidèle communauté” de Styleforum au courant, il allait même publier la plainte et tout le reste. Cela n’a bien évidemment jamais été fait. De mon côté j’ai épluché au mieux de mes capacités les annonces et la jurisprudence judiciaire Italienne et je n’ai rien trouvé, je reconnais en revanche avoir une maitrise limitée du langage. Il est également étonnant que l’intégralité du stock de chaussures en cuir de la marque ait été retiré de la vente et se soit envolé, plutôt que d’essayer de faire le tri entre les modèles collés et les modèles au cousu trépointe. Il est parfaitement possible que Rohan ignorait qu’il fut possible de faire la différence entre une chaussure cousue et une chaussure collée et qu’il ait donc donné son aval pour que l’usine change la méthode de fabrication. L’usine et lui-même sont suspects car il est évident que cela aurait bénéficié aux deux parties, le prix de fabrication d’une chaussure collée étant très significativement inférieur à celui d’une chaussure au cousu trépointe, les gains financiers auraient été énormes. Et puis il y a des détails qui sont tout simplement amusants. Comme le fait que Rohan se soit fait plusieurs faux comptes sur Styleforum, et ce afin de publier sur son propre fil affilié. Ces comptes étaient utilisés dans le but de discréditer les détracteurs de la marque, et bien évidement n’étaient pas avares en compliments à son encontre. L’administration de Styleforum s’est contentée de supprimer les comptes une fois qu’ils ont été grillés par les utilisateurs du forum en se refusant d’identifier publiquement qui en était le propriétaire mais tout le monde avait déjà compris de quoi il s’agissait. Le fait est que toutes ces pratiques permettent de jeter un œil nouveau au reste des produits proposés par Archibald. Il y a notamment cette écharpe en vigogne vendue 2800$ “de meilleure qualité que Loro Piana” qui était suspecte car personne n’a jamais été en mesure de confirmer s’il s’agissait bien de vigogne…. Il y a eu par ailleurs des gants, qui étaient également suspects car vendus à un prix “naked” très largement supérieur aux gants vendus directement par l’usine sous son propre nom.

Où l'on apprend que l'usine Alessandro Cappi serait également associée dans la société Archibald London. Il n'en est rien. (Source: Styleforum)
Où l'on apprend que l'usine Alessandro Cappi serait également associée dans la société Archibald London. Il n'en est rien. (Source: Styleforum)
Les 2 seuls (ex) associés de Rohan Dhir qui sont listés dans la société. Malgré les noms Italiens, ils n'ont rien à voir avec l'usine chargée de la fabrication des chaussures. Vous pouvez trouver leur Linkedin assez facilement si cela vous amuse. (Source: company house)
Les 2 seuls (ex) associés de Rohan Dhir qui sont listés dans la société. Malgré les noms Italiens, ils n'ont rien à voir avec l'usine chargée de la fabrication des chaussures. Vous pouvez trouver leur Linkedin assez facilement si cela vous amuse. (Source: company house)
L'usine Alessandro Cappi en charge de la fabrication des chaussures Archibald London. (Source: alessandrocappi)
L'usine Alessandro Cappi en charge de la fabrication des chaussures Archibald London. (Source: alessandrocappi)
La procédure en justice dont personne n'aura la moindre nouvelle. (Source: Styleforum)
La procédure en justice dont personne n'aura la moindre nouvelle. (Source: Styleforum)
L'administration de Styleforum adressant discrètement la question des nombreux faux comptes que Rohan Dhir utilise sur le site. Souffrirait-il d'un dédoublement de personnalité? (Source: Styleforum)
L'administration de Styleforum adressant discrètement la question des nombreux faux comptes que Rohan Dhir utilise sur le site. Souffrirait-il d'un dédoublement de personnalité? (Source: Styleforum)
L’écharpe en "vigogne" d'Archibald London qui bénéficie des faveurs de la presse. Notez encore une fois le titre disruptif. (Source: fashionweekdaily)
L’écharpe en "vigogne" d'Archibald London qui bénéficie des faveurs de la presse. Notez encore une fois le titre disruptif. (Source: fashionweekdaily)

Épilogue

La suite de cette affaire n’est pas sans intérêt. Pour être honnête, cet article était prêt depuis des mois mais je me refusais à le publier immédiatement après la découverte de la fraude car je voulais savoir ce qui allait ensuite se passer pour la marque, avec l’espoir qu’un babilleur débile comme Dhir ne la laisse pas couler sans continuer à faire des conneries. Mon vœu fut exaucé au-delà de tous mes espoirs puisqu’une fois que l’affaire s’est tassée Archibald London a lancé une nouvelle arnaque. En effet, la marque a mis en place un système d’abonnement. Pour pouvoir acheter “ses” produits à prix coutant, vous devez devenir membre, avec une certaine période d’engagement. Une sorte de naked, mais permanent pour lequel vous devez payer d’avance. Habile. Cette mesure de la dernière chance doit très probablement permettre à la marque d’avoir accès à du cash de manière régulière, et ce afin de refaire sa trésorerie à la suite de son fiasco sur Styleforum, puisqu’elle a été obligée de rembourser la majorité des clients lésés par les chaussures collées. En parallèle toute l’équipe d’adulescent qui entourait Dhir a été virée, il reste seul aux commandes. Aujourd’hui Archibald London est au bord de la mort, la boite est en retard pour le dépôt de ses comptes et a évité de peu une radiation du registre du commerce Anglais (qui signifierait la fin de la société). Rohan Dhir a continué à publier ses élucubrations sur Styleforum, comme un schizophrène refusant de prendre ses médocs il babille à l’infini des rêves de grandeurs, à un moment il a même entretenu l’idée de faire fabriquer ses chaussures par Fukuda et d’autres noms célèbres sans que rien de tout cela ne se concrétise, bien évidemment. Aujourd’hui il relance un nouveau projet de chaussure cousu trépointe, comme s’il aimait bien se prendre des coups. Oh et vous vous souvenez des écharpes en vigogne vendues 2800$ qui étaient une trop bonne affaire et qui étaient ultra disruptives ? Il en a encore en stock…. Sauf qu’elles ne sont plus qu’à 1000$ et ça sans solde. Désespoir vous avez dit ?

Le nouveau système de fonctionnement d'Archibald, un abonnement, pour pouvoir bénéficier de leurs fameux produits à "prix coûtants".
Le nouveau système de fonctionnement d'Archibald, un abonnement, pour pouvoir bénéficier de leurs fameux produits à "prix coûtants".
Le marché de la vigogne ne doit pas aller bien fort, la super bonne affaire qui était à 2,8k$ l'année dernière n'est plus qu'à 1k$ cette année. Belle décote. (Source: Arcihbald London)
Le marché de la vigogne ne doit pas aller bien fort, la super bonne affaire qui était à 2,8k$ l'année dernière n'est plus qu'à 1k$ cette année. Belle décote. (Source: Arcihbald London)

Mise à jour

Depuis la publication de cet article nous avons été gratifié de la présence du grand Rohan Dhir, fondateur d’Archibald London, dans la section commentaire. Nous savions que ce n’était qu’une question de temps avant qu’il ne se manifeste, dans la mesure où un article de Jesper ne faisant qu’émettre des réserves sur la qualité des cuirs Archibald l’avait déjà rendu apoplectique. Nous n’avons aucun doute que notre article l’à rendu proprement rabique.

Nous reproduisons ici son commentaire:

"The fact is everything (from the very fact that I went to business school – which I did not) right through to the company details that have been pulled up have nothing to do with Archibald. It is a poor, ill-informed and uneducated set of research written as a character assasination. Also education is something to be celebrated, not condemned and no one should be made to feel anything less for trying to improve their position by attending a school or not.
I have requested a conversation with the author so I am able to go through each of his claims and provide him with the relevant facts. Again, the tone with which the article was approached shows this was formed with ill-intentions and perhaps with the authors mind made up before he even embarked on the process.
Since this is ultimately a public character assasination, I offer an open zoom call, google meet or meeting in person depending on location and whoever wishes to join can do so, cameras-on and identities revealed so we can clarify all and speak about everything. I am happy to correct all the statements, line-by-line and offer a deeper view into what happened and provide documentary evidence to not only prove that we were totally innocent, but also show the steps we had since taken to improve our offering and service right through the collection.
From that point, I have done my legal duty to inform you about the incorrect items in the article and if you wish to make changes you can, and if not, that is another bridge each party can cross if it comes to it.
The incident taught us a lot and highlighted many errors we had made that go far beyond hand-welted shoes. Errors that have since been rectified and led to a better and stronger Archibald.
I have no idea what you are saying about free of charge etc. I am wriitng my comments in English. The detail is a result of poor searches on the internet.
Just a summary of some facts:
1. I didn’t go to business school. I have a BSc and MSc in Operations Research and Financial Engineering.
2. We raised significant seed investment from an overseas party – it isn’t family funded. The trademark was registered far before we formally launched in 2014.
3. We have continued to do eyewear since launch.
4. We don’t have PR representation and never paid for any articles aside from one advertorial piece in IGNANT magazine which was a waste of money.
5. We have sold Vicuna products since 2017, the author needs to distinguish between a STOLE and a SCARF. Both have increased in price since we originally did it. I also have a story on what allowed us to sell a Vicuna scarf for $575 when we were doing so. The current collection of items available in Vicuna has only grown since 2017 and over the past year we have added more items to the range.
6. Hand-welted shoes issue – Criminal hearing in the courts of Modena for 9th November 2022.
7. Producers are partners in the format that we have a profit sharing incentive for them that goes beyond all the costs of production. It is a performance based scheme.
8. Following the incident, we have been working closely with customers on Styleforum for the new handwelted range and understand we made a big mistake entering the category last time being so blind to the product.
9. Beaufort Mayfair has never had anything to do with Archibald London – so even an investigation into the company is done incorrectly.
The big mistake behind this issue was the fact that we got very lucky with the partners in Japan who make our eyeglasses and through that good fortune developed a scaling process that involved finding trustworthy craftsmen and building new lines with them. There are remarkable differences in the first samples (which JMR928 opened), the first sales pairs (all hand-welted and I still have a few) and finally the odd stitchdown construction known in Italy as IDEAL construction that he ended up delivering from April 2020 onwards. The threads on SF clearly show customers who received the actual product and following our
The issue blew up because of a refusal to publicly discuss compensation to affected customers. This is a normal process, and we had to individually contact each customer, ascertain if their pair was hand-welted or not and then come to an agreement that worked for them with many choosing full refunds for the. pair. The main goal was to ensure all customers were made whole and to preserve our reputation and the bigger idea behind Archibald.
We are involved in litigation in Italy, and are determined to bring Cappi to justice for his unilateral crime.
Reading articles like this released almost a year and a half after the incident, riddled with inaccuracies and personal attacks is a bit sad and I ask the author to give a man his date so I can set (at the least) the facts straight. You are all welcome to join".

Nous lui pardonnons ses nouvelles affirmations étranges. Il ne vient donc pas d’une école de commerce. Pourquoi est-ce que son profil Linkedin indique le contraire? Un double maléfique? Une erreur de frappe? Une pénurie de Prozac?
Il affirme également que Beaufort Mayfair n’a rien à voir avec Archibald. Pourquoi est-ce que l'objet social correspond à l'activité d'Archibald? Pourquoi est-ce que les associés de la société listent Archibald comme emplois dans leur profil Linkedin? Pourquoi l’adresse de la société correspond à un espace de coworking à Londre? Espace utilisé par Rohan Dhir pour donner des interviews sur Archibald. Mais nous n’avons aucun doute qu’il serait capable encore, et toujours de se justifier d’une façon ou d’une autre. Après tout, s’il le dit, c’est que ça doit être vrai.

Les associés listés par Beaufort Mayfair ont Archibald London comme emplois sur Linkedin. Mais en dehors de ça "aucun lien". Ça doit être des homonymes. (Source Company house/linkedin)
Les associés listés par Beaufort Mayfair ont Archibald London comme emplois sur Linkedin. Mais en dehors de ça "aucun lien". Ça doit être des homonymes. (Source Company house/linkedin)
Mieux, l’adresse d'un des associés et celle de Beaufort Mayfair sont identiques. Mais il n'y a probablement pas de lien. (Source: Company House/linkedin)
Mieux, l’adresse d'un des associés et celle de Beaufort Mayfair sont identiques. Mais il n'y a probablement pas de lien. (Source: Company House/linkedin)
L’adresse listée par Beaufort Mayfair correspond à un espace de coworking à Londres. Avec un beau canapé rouge. Pourquoi est-ce que Rohan conduit des interviews pour Archibald (en bas à gauche) à partir de cette location s'il ne s'agit pas du siège de la société? (Source: Company House/ wework)
L’adresse listée par Beaufort Mayfair correspond à un espace de coworking à Londres. Avec un beau canapé rouge. Pourquoi est-ce que Rohan conduit des interviews pour Archibald (en bas à gauche) à partir de cette location s'il ne s'agit pas du siège de la société? (Source: Company House/ wework)
L'objet de la société semble pourtant bien coller avec l'activité d'Archibald. Est-ce le fait qu'il soit en retard dans le dépôt de ses comptes qui le dérange? (Source Company House)
L'objet de la société semble pourtant bien coller avec l'activité d'Archibald. Est-ce le fait qu'il soit en retard dans le dépôt de ses comptes qui le dérange? (Source Company House)

Nous concédons volontiers des erreurs, ou des approximations sur des détails (bien qu’il y en ait moins que ce qu’il prétend, mais l’on mettra cela sur le compte de la barrière de la langue). Nous travaillons sur la base d’hypothèses reposant sur les informations qui sont librement accessibles. Soit, il vient de la finance et non du business. Nous nous excusons le plus platement pour cette approximation, moi aussi si j’étais lépreux je n’aimerais pas que l’on me qualifie de pesteux. La précision a son importance.

Nous lui pardonnons même ses insultes, nous traiter de journaliste est une atteinte à notre intégrité ainsi qu’à nos principes. Nous voulons bien être frappés d’ignominie, mais il y a des limites à l’indécence.

Le fait est qu’en ce qui nous concerne cela n’a aucune importance. Même si nous enlevons absolument tous les à cotés, l’article tient toujours debout. Quand un boucher prétend vendre du bœuf (Wagyu qui plus est) et qu’il vous refile du cheval, il est bien égal qu’il l’ait fait par incompétence ou par malice. La conclusion est la même: s’il n’est pas cabale de savoir ce qu’il vend, il devrait reconsidérer son choix de carrière. En ce qui nous concerne l’affaire est donc close.

La véritable histoire du cuir de Russie et de ses imitations

Avant-propos

Si vous mentionnez le cuir de Russie au détour d’une conversation sur le monde du vêtement classique vous pouvez vous attendre à trois réactions principales en fonction du type d’interlocuteur qui vous fait face. L’handicapé léger parlera du “machin là qu’on a retrouvé dans une épave de je ne sais quel bateau et dont on a perdu la recette”, le débile moyen hennira “MUUUH HORWEEN” avec une érection, et l’attardé complet vous traitera “d’enfoiré de Poutiniste” et passera ensuite les 3 prochaines heures à vous expliquer l’écume aux lèvres que le Bolchoï c’est le mal et que vous devez modérer votre consommation d'électricité.

Toujours est-il qu’il s’agit du cuir sur lequel il circule le plus grand nombre d’approximations, erreurs et mensonges. Ce n’est en soit pas étonnant, de façon générale le domaine du cuir est méconnu et mal compris. Nous avons déjà rapidement traité de cette question dans un précédent article, où nous expliquions qu’il n’existe pas véritablement de conventions entre les différents pays sur bon nombre de définitions et termes techniques en rapport avec le marché international du cuir. C’est un marché qui en raison son importance financière grandissante s’est replié sur lui-même et qui cultive de plus en plus le secret. Alors imaginez les rumeurs qui peuvent circuler sur un cuir “perdu depuis des siècles” puis retrouvé par miracle dans une épave.

Avant de parler du cuir de Russie qui a été retrouvé dans l’épave mystérieuse…. du Metta Catharina nous allons parler du cuir de Russie historique, celui qui a fait l’objet d’un commerce intense entre la grande Russie et le reste de l’Europe du XVIIIème au XIXème siècle. Il faut évidemment faire la distinction entre le cuir de Russie et le reste de l’industrie du cuir en Russie. Le cuir de Russie a des caractéristiques particulières, pour ne pas dire uniques, qui permettent de le mettre dans sa propre catégorie. Mais bien évidemment cela ne veut pas dire qu’il s’agit du seul type de cuir fabriqué sur le territoire Russe. On l’appelle traditionnellement “юфть” ce qui se traduit par youfte ou cuir jufte, cela viendrait du mot russe jufti, qui signifie paire, et qui se rapporte à la façon dont les peaux étaient disposées par paires pour le séchage. De là serait venu le mot allemand juften ou juchten ou encore yufte en Anglais. En Anglais on parle également de Russia calf, de Russian reindeer, mais ces deux appellations sont problématiques voire trompeuse pour des raisons que nous allons exposer plus tard.

En occident le youfte est surtout connu comme un cuir grainé avec des hachures irrégulières (qu’on caractérise parfois de maroquin à grain long) de couleur rouge, mais en réalité il existait un certain nombre de variantes. Les sources russes font état de trois teintes principales, le noir, le blanc et le rouge (qui pouvait être plus ou moins vibrant selon la qualité de la teinture employée) ainsi que de nombreux aspects de grainages possibles. En plus du motif que l’on connaît en Europe le cuir de Russie existait en cuir lisse mais il pouvait également être fabriqué avec un grain proche du chagrin, certaines versions plus rectilignes existaient aussi comme des grains de type “trame” ou “losange”.

Le cuir de Russie historique

Les propriétés du cuir de Russie

Il peut sembler contre-intuitif de commencer par parler des propriétés du cuir de Russie mais il y a deux raisons à cela. Tout d’abord, ce sont les propriétés et le tannage du cuir de Russie qui en font un cuir spécial, et non son aspect comme nous venons de l’expliquer en introduction. Par ailleurs c’est le seul point sur lequel la littérature est unanime, et cela depuis des siècles. Le cuir de Russie est caractérisé sur son marché domestique comme à l’export par son toucher velouté, sa souplesse, son odeur, sa résistance à l'humidité ainsi qu’à la moisissure et enfin son effet répulsif sur les insectes. La propriété qui est la plus souvent avancée de nos jours est son odeur qui est facilement reconnaissable. Elle est tellement caractéristique qu’elle a trouvé sa place dans certaines expressions et proverbes Russes. On trouve par exemple dans le dictionnaire raisonné de la langue vivante grande-russienne de 1863, l’exemple suivant : “Я люблю юфтевый духъ”. Phrase célèbre qui a été reprise par Francis Ford Coppola dans son film Apocalypse Now et qui veut dire “I love the smell of yufte in the morning”. Il semblerait toutefois que l’interprétation de Coppola soit sujette à controverse et les linguistes actuels préfèrent la traduction plus littérale suivante : “j’adore l’odeur du youfte”. Je le rappelle encore une fois, “youfte” en Français est le nom donné par les Russes au cuir de Russie. Je promets que rien de cela n’est du bourrage, à part peut-être le passage sur Coppola, il paraît que sur la fin il déconnait sec, allez savoir. En tout cas l’odeur du cuir de Russie est caractérisée par des notes de tabac blond, de whisky et surtout par une odeur d’écorce de bouleau. Cette odeur a d’ailleurs inspiré le monde de la parfumerie, dès 1875 Guerlain utilisait ce nom mais c’est Ernest Beaux le créateur du célèbre N°5 qui lui offrit la postérité puisque ce parfumeur Russe exilé en France lança pour Chanel en 1927 le parfum “cuir de Russie” qui figure toujours au catalogue de la marque. D’autres marques se sont essayées à l’exercice mais le résultat sent le ragondin crevé, il n’est donc pas nécessaire de les mentionner.

Le parfum “cuir de Russie” de Guerlain ainsi que celui de Chanel (Source :Perfumeshrine)
Le parfum “cuir de Russie” de Guerlain ainsi que celui de Chanel (Source :Perfumeshrine)

Les utilisations du cuir de Russie

L’autre point qui ne porte pas trop à controverse concerne les utilisations du cuir de Russie puisque ces dernières sont très largement documentées. Sur son marché domestique le cuir de Russie a une connotation très utilitaire, il est entre autres utilisé par l’armée et les paysans pour fabriquer des bottes. À l’export en revanche ce cuir est synonyme de luxe et de richesse, certaines villas Italiennes l’utilisent par exemple comme décoration murale à la place du damas de soie.
Le cuir de Russie est extrêmement populaire en Europe de l’Ouest ainsi qu’aux États-Unis et cela est confirmé par les données disponibles quant au commerce international de ce cuir. Aucun autre cuir de fabrication Russe n’est plus exporté que le cuir de Russie. D’une manière générale le youfte était une marchandise très recherchée dans le domaine de la reliure, notamment en raison de sa capacité à résister à la moisissure et à répulser les insectes. L’écrivain Sir Thomas Browne mentionnait dès 1658 le grain particulier du cuir de Russie que l’on pouvait observer sur certaines reliures. En 1716 l’ouvrage Bagford's Notes on Bookbindings indique que le cuir de Russie est mentionné dans une liste de matériaux utilisés en reliure du temps d'Henri VII, particulièrement pour les livres de droit. Ces mêmes livres avaient d’ailleurs tendance à coller les uns aux autres sur les étagères en raison de la nature grasse du youfte. En Europe le cuir de Russie est bien souvent synonyme de raffinement et de luxe, il n’est donc pas étonnant qu’il soit utilisé en maroquinerie pour la réalisation de valises, sacs et petits objets, on le retrouve aussi en décoration dans des carrosses. Le château de Compiègne a par exemple dans ses collections un sac et des harnachements en cuir de Russie. Il a également été rapporté par Graham Pollard que le savant anglais Richard Rawlinson avait émis le souhait qu’à sa mort son cercueil soit recouvert de cuir de Russie. Le cuir de Russie est aussi utilisé dans l’ameublement. Il sert par exemple à recouvrir le dossier et le coussin des chaises et autres fauteuils, il est aussi reporté qu’à Chiswick House Lord Burlington utilisait un bureau en acajou dont le plateau était recouvert de cuir de Russie. Enfin, l’odeur particulière du cuir de Russie était pratique pour éloigner les mites des vêtements comme le suggère un numéro datant de 1867 de l'American Naturalist, qui conseille à ses lecteurs de placer "des morceaux de cuir de Russie parmi les vêtements lorsqu'ils sont mis de côté pour l'été". Soit l’équivalent du sac de lavande ou des copeaux de cèdre actuel.

Deux chaises du XVIIIème siècle avec leur garniture en cuir de Russie d’origine. (Source : Boston Museum, Winterthur Museum)
Deux chaises du XVIIIème siècle avec leur garniture en cuir de Russie d’origine. (Source : Boston Museum, Winterthur Museum)
(En haut à gauche) Poire à poudre supposée être en cuir de Russie, période Louis XIII. (En bas à gauche) Coffre en cuir de Russie, XVIème siècle. (À droite) Bottes en cuir de Russie de Guillaume V d'Orange-Nassau. (Source : Mémoire du tan)
(En haut à gauche) Poire à poudre supposée être en cuir de Russie, période Louis XIII. (En bas à gauche) Coffre en cuir de Russie, XVIème siècle. (À droite) Bottes en cuir de Russie de Guillaume V d'Orange-Nassau. (Source : Mémoire du tan)
(À gauche) Compte rendu du mobilier présent dans la Cour suprême des États-Unis faisait état de chaises en cuir de Russie.  (À droite). Histoire de Jules César par Napoléon III T1 et T2 relié en cuir de Russie. (Source : the Decorator and Furnisher vol.26, musée d’Archéologie nationale)
(À gauche) Compte rendu du mobilier présent dans la Cour suprême des États-Unis faisait état de chaises en cuir de Russie. (À droite). Histoire de Jules César par Napoléon III T1 et T2 relié en cuir de Russie. (Source : the Decorator and Furnisher vol.26, musée d’Archéologie nationale)

La fabrication du cuir de Russie

Sur les zinternets comme ailleurs, il est souvent mentionné que le tannage du cuir de Russie faisait l’objet d’un secret de fabrication que les tanneurs Européens tentèrent de percer sans jamais y parvenir. Des siècles durant les tanneurs de la grande Russie auraient donc utilisé une technique spécifique, connue d’eux seuls, et transmise de façon orale de génération en génération. Il se murmure qu’ils se rassemblaient les nuits de pleine lune pour faire la ronde autours des cuves de tannage en chantant “Ra ra Rasputin lover of the Russian queen…”. Au risque de vous décevoir, la réalité est beaucoup plus simple, il est très difficile d’exporter la méthode de fabrication d’un cuir, secret de la recette ou non. Ce n’est pas pour rien qu’Hermès a racheté du Puy et Annonay ou que Chanel a racheté Haas. De la même manière lors de la fermeture de la célèbre tannerie Freudenberg au tout début des années 2000 les recettes de tannage et une partie du personnel ont été rachetés par une tannerie localisée à Kegar en Pologne. Cette dernière s’est évertuée à reproduire les cuirs Freudenberg mais cette fois sous le nom commercial de…. Weinheimer. Le fait est qu’il a fallu un peu de temps avant que les cuirs produits soient aux mêmes standards que ceux de Freudenberg et bien que le cuir Weinheimer soit aujourd’hui excellent, il n’est pas identique à celui de Freudenberg et ce malgré le rachat des recettes. Dès lors il est assez facile de comprendre pourquoi les tanneurs Européens ont mis plusieurs siècles avant de pouvoir copier efficacement le cuir de Russie, car détrompez-vous, son secret de fabrication n’était pas si secret que ça. Et au risque d’en décevoir certains, ce secret n’a rien à voir avec de grands barbus aux cheveux gras et aux pieds sales chantant des incantations magiques dans les bois. On trouve d’ailleurs dans la littérature Européenne (et Russe) un certain nombre de références très détaillées quant à la fabrication du cuir de Russie. On sait par exemple que les Russes utilisaient de la graisse de phoque, mais également de la chaux et des écorces diverses…. On sait également que les principaux centres de productions étaient localisés à Kazan, Novgorod, Pskov, Kostroma and Yaroslavl, la littérature Russe invalide en revanche la légende comme quoi Saint-Pétersbourg était une ville impliquée dans le tannage du cuir de Russie à une échelle significative.

Dans la littérature Française on trouve les premières références sur les méthodes de fabrication du youfte dès 1663. Des imitations ont été fabriquées de manière certaine à partir 1691, lorsqu’un dénommé John Tyzack a déposé un brevet pour "tanner toutes sortes de peaux pour le cuir et convertir ces mêmes peaux en imitation de cuir de Russie avec le même grain, la même teinture et la même odeur". L’ouvrage The Art of Tanning and Currying Leather dans sa version de 1852 mentionne qu’une tannerie a été établie à St Germain en France avec pour but d’imiter le cuir de Russie et cela il y a plus de 60 ans (donc aux alentours de 1790) mais que le résultat “n’avait pas été aussi concluant qu’espéré”. Entre temps d’autres tanneries en France, mais aussi en Allemagne ou en Autriche se sont lancées dans la fabrication et ont amélioré leur technique, ce même ouvrage décrit amplement la méthode de tannage et de grainage employée alors en Europe tout en reconnaissant qu’il existait encore des zones d’ombres et que la méthode employée par les Russes n’était toujours pas entièrement connue. À cette époque les Européens savent que le processus de tannage utilise l’écorce de saule et de bouleau. Ils savent qu’une huile spéciale, appelée huile de Russie extraite de l’écorce de bouleau (il est vrai qu’il n’y a rien de mieux que les Corses pour mettre une tannée) est utilisée pour enduire les peaux. C’est d’après eux cette huile et la bétuline qu’elle contient qui donne certaines de ses caractéristiques au cuir de Russie, notamment son odeur. La bétuline a été découverte en 1788 et sa distillation en Europe est obtenue selon le procédé mit en place par deux Français, Grouvelle et Duval, pionniers de l'industrie du cuir de Russie en France.

De la même façon la composition de la teinture qui donne la couleur rouge tant recherchée n’est pas totalement comprise mais les tanneurs Européens savent qu’elle est obtenue à partir de cochenille, de bois de santal et de pernambouc, plus communément appelé “bois-brésil”. Les pigments obtenus à partir du pernambouc étaient déjà très utilisés par l’industrie du textile de l’Europe médiévale mais des traces de ces pigments figurent également dans la palette de plusieurs peintres, dont Rembrandt et Van Gogh. À placer entre deux gorgées de Mouton-Rothschild 1989 dans les diners mondains pour amuser votre audience, ça marche aussi si vous voulez vous taper une étudiante aux Beaux-Arts.

Extrait du livre The Art of Tanning and Currying Leather mentionnant l’utilisation de “bois-brésil”
Extrait du livre The Art of Tanning and Currying Leather mentionnant l’utilisation de “bois-brésil”
Description complète du cuir de Russie dans l’ouvrage The Resources and Manufacturing Industry of Ireland As Illustrated by the Exhibition of 1853.
Description complète du cuir de Russie dans l’ouvrage The Resources and Manufacturing Industry of Ireland As Illustrated by the Exhibition of 1853.

Avec le temps les tanneurs Européens améliorent considérablement leur compréhension des méthodes de fabrications du youfte à tel point que quelques années plus tard, en 1869 pour être précis, on trouve des détails très poussés sur sa fabrication dans Le Grand Dictionnaire Universel du XIXe Siècle, V, ed. de Pierre Larousse. Non seulement l’article du dictionnaire est très détaillé pour une publication destinée au profane, mais en plus il partage des informations qui sont extrêmement proches de ce que l’on peut trouver dans les sources Russes notamment dans le Dictionnaire encyclopédique Brockhaus et Efron (Энциклопедический словарь Брокгауза и Ефрона) qui sera publié en 1895.

En 1873 l’ouvrage Les merveilles de l'industrie ou Description des principales industries modernes : industries chimiques. Le sucre, le papier, les papiers peints de Louis Figuier consacre un chapitre entier au cuir de Russie et à sa fabrication. Non seulement ce chapitre détaille avec grande précision toutes les étapes de fabrication, y compris la distillation de l’huile par la méthode Grouvelle et Duval qui a été améliorée mais en plus il donne également des informations sur les méthodes employées dans d’autres pays d’Europe, notamment l’Autriche. À cette époque il semble bien que le cuir de Russie n’ait plus vraiment de secret pour les Européens. Dans ce même ouvrage un tanneur autrichien, M. Fr. Wagmeis- ter, de Poggstall n’hésite pas à dire que la production Autrichienne peut surpasser celle de Russie en termes de qualité car “en Autriche la fleur de nos peaux est plus belle, plus fine et mieux apprêtée”. Il faut dire qu’à ce moment dans l’histoire, d’une part cela fait plus d’un siècle que l’industrie du cuir en Europe s’évertue à copier le cuir de Russie et que d’autre part les exportations Russe en youfte, sont à des niveaux bien moindres que ce qu’ils étaient au XVIIIème siècle. Cela peut laisser supposer plusieurs choses, il est possible que la qualité des imitations Européennes soit devenue telle qu’il n’était plus nécessaire d’importer directement du youfte depuis la Russie, on lit par exemple dans l’ouvrage L'Empire des tsars au point actuel de la science de Jean-Henri Schnitzler publié en 1869 que le youfte “n’appartient plus exclusivement à la Russie car on l’imite parfaitement en France ou en Angleterre”, mais il est également probable que ce cuir soit simplement passé de mode. Différentes combinaisons de facteurs peuvent être en cause, quoi qu'il en soit en 1749, 204,000 poud de cuir de Russie ont été exportés vers l’Europe, et qu’à partir de cette année les quantités vont constamment baisser jusqu’à atteindre 29,684 poud sur la période 1851/1853. À noter que le poud (prononcé “pute”, un autre célèbre produit d’exportation Russe) est une ancienne unité de masse utilisée en Russie valant 16,38 kg.

Extrait de L'Empire des tsars au point actuel de la science mentionnant les imitations Européennes du cuir de Russie.
Extrait de L'Empire des tsars au point actuel de la science mentionnant les imitations Européennes du cuir de Russie.
Statistique d’exportation du youfte, d'autres cuirs et de peaux non tannées vers le marché européen depuis la Russie 1749-1853 (Source : Russian Yufte as ‘Russia Leather’ in 18th- and 19th Century Western Bookbinding)
Statistique d’exportation du youfte, d'autres cuirs et de peaux non tannées vers le marché européen depuis la Russie 1749-1853 (Source : Russian Yufte as ‘Russia Leather’ in 18th- and 19th Century Western Bookbinding)

Néanmoins pour une raison inconnue, le cuir de Russie va petit à petit se faire oublier. Vers la fin du XIXème il semble déjà que sous l’appellation “cuir de Russie” se trouve tout un tas de cuirs sans lien direct avec le produit originel. On trouve par exemple dans le catalogue Sears (célèbre chaine de magasins Américains) de 1897 des bottes en “russia calf” moins chères que des bottes en vici kid (un cuir de chèvre utilisé dans l’industrie bottière de l’époque). Dans le volume 51 du Boot and Shoe Recorder paru en 1907 on parle même de cuir de Russie tanné au chrome, mais l’on entend également parler de cuir de Russie “Kool Kalf” voire “Cresco Grain” sans qu’il soit possible d’établir un lien avec le youfte. C’est véritablement à cette période que le cuir de Russie commence à se noyer dans l’histoire.

On dit souvent que la recette a été perdue avec la révolution Russe, que les tanneries ont été démantelées, il est effectivement probable que le retour à l’âge de pierre qui a été opéré par la Russie à cette époque ait joué un rôle, mais alors pourquoi est-ce que l’industrie des copies Européennes n’a pas pris le relai ? Est-ce qu’à cette époque le youfte n’est pas déjà passé de mode ? Il est difficile de dire avec précision pourquoi le cuir de Russie sombre dans l’oubli. Il est tout de même possible d’avancer une hypothèse en se basant sur certaines sources post soviétique. Il semble que la Russie n’a jamais cessé de produire du youfte. Aujourd’hui la mention “yufte” en Russie désigne un cuir grainé noir qui est essentiellement utilisé dans la fabrication de bottes, brodequins et autres chaussures militaires. D’ailleurs selon la revue leather international la Russie produisait en 2002 100,5 millions de dm² de yufte. Seulement aujourd’hui il s'agit d'un cuir à bas prix, épais et fortement nourri. Cette hypothèse est également celle formulée dans le Dictionnaire technique de la maroquinerie de Louis Rama publié par le CTC en 1996 selon lequel “le cuir de Russie est un cuir de vache ou de grand veau, grainé et assez fortement nourri, à usage de sellerie et maroquinerie. Anciennement tanné à l'écorce de saule, de peuplier et de mélèze, il est caractérisé par une odeur spécifique donnée par les essences de bouleau. Ce cuir est maintenant tanné au chrome (un tannage produisant une très bonne résistance à l'eau), et possède des propriétés hydrofuges”. Il est donc fort probable que le cuir de Russie originel ait été remplacé par un cuir de moindre qualité conservant les mêmes propriétés hydrophobes et ce afin de subvenir aux besoins d’un marché domestique exsangue totalement déréglé par une économie planifiée. Le nom reste mais la substance change…

Youfte moderne tel qu’il est fabriqué aujourd’hui en Russie (Source : tkaney.ru)
Youfte moderne tel qu’il est fabriqué aujourd’hui en Russie (Source : tkaney.ru)

L’histoire du Metta Catharina et de sa cargaison

Le cuir de Russie tel que connu au XVIIIème siècle va brutalement refaire surface (littéralement) en 1973 lorsqu’une épave comportant une cargaison de ce cuir est découverte pratiquement par hasard. Cette épave c’est celle du Metta Catharina, et l’histoire de sa découverte est fascinante non seulement pour son importance historique, mais également pour les mythes, rumeurs, légendes et mensonges qu’elle a pu propager. L’histoire de ce navire est terriblement commune, c’est un naufrage comme il en arrive souvent à cette époque mais pour une raison qui m’échappe, tous les blogueurs adorent raconter cette partie en commençant par des “Nous sommes le…” façon programme de service public de grande écoute alors que c’est l’après qui est intéressant d’autant plus que c’est également la partie sur laquelle ils racontent souvent de la merde. Mais bon, puisqu’il faut s’y coller nous y voilà.

Le Die Frau Metta Catharina von Flensburg était un brigantin construit en 1782 à Rønshoved (Danemark), sur la rive nord du fjord de Flensburg. Originellement le Metta Catharina avait une capacité de 122 tonnes mais elle avait été réduite à 106 tonnes (et non 53 comme on peut parfois le voir) au cours de son exploitation, c’est un détail qui va avoir son importance par la suite. Voilà l’enchaînement des évènements tels que racontés à l’époque par le Sherborne Mercury, un journal local.
En décembre 1786, le Metta Catharina avait à sa tête le capitaine Hans Jensen Twedt et transportait une cargaison de chanvre et de cuir de Russie en direction de Gênes depuis Saint-Pétersbourg. Une soudaine dégradation de la météo a contraint Twedt à mouiller dans la baie de Plymouth. Malheureusement, dans la nuit du 10 au 11, vers 22 heures, un sérieux coup de tabac a arraché le Metta Catharina de son ancrage et l’a projeté contre un banc de récifs entre l’île de Drake et le rivage. Le navire fut perdu ainsi que toute sa cargaison, mais par chance Twedt et son équipage de 6 hommes en réchappèrent. On peut douter de la véracité de ce dernier point puisque des restes humains ont été retrouvés dans l’épave lors des fouilles archéologiques que nous allons maintenant vous raconter. Soit dit en passant, le déroulement de ces fouilles n’est jamais raconté par les blogueurs et équipes marketing qui préfèrent s’en tenir à la version Pierre Bellemare de cette histoire.

Un brigantin moderne, le Metta Catharina utilisait le même type de gréement. (Source :classic-sailing)
Un brigantin moderne, le Metta Catharina utilisait le même type de gréement. (Source :classic-sailing)

L'épave va rester oubliée là sous 30 mètres de fond avant la découverte d'une cloche en bronze sur le fond marin par des membres du British Sub-Aqua Club (BSAC) de Plymouth en octobre 1973. Ce club avait récemment fondé une section archéologique et était originellement à la recherche des restes de deux navires, le HMS Harwich, et L’Aimable Victoire, mais comme il est de tradition en archéologie on trouve assez souvent ce que l’on ne cherche pas. C’est ainsi qu’ils ont mis la main sur la cloche du Metta Catharina, mais ils ont également trouvé un certain nombre de rouleaux d’environ 1,2m de long et de 30cm de diamètre d’une nature inconnue et fortement abimés. Les inscriptions sur la cloche se sont révélées inhabituellement bavardes car elles donnaient non seulement le nom du navire, mais également son type et la date de sa construction. C’est alors que commence une enquête pour connaître l’histoire du brigantin, mais également pour retrouver qui peut être en mesure de revendiquer la propriété de l’épave. Après avoir fait quelques recherches il est établi que Le Prince Charles (le frère de celui qui "aime" les gamines) Duc de Cornouailles est propriétaire de l’épave puisque cette dernière se trouvait sur le territoire du Duché de Cornouailles. Le prince accordera aux plongeurs un bail sur l’épave, dont les termes leur permettaient d'étudier et de procéder à l’excavation du site. C’est ainsi que vont commencer les fouilles archéologiques sur l’épave, elles dureront 33 ans, de 1973 à 2006.

Le cuir tel qu’il est apparu sous l’eau aux plongeurs du BSAC (Source : Rapport d’excavation, Ian Skelton)
Le cuir tel qu’il est apparu sous l’eau aux plongeurs du BSAC (Source : Rapport d’excavation, Ian Skelton)

Au début les archéologues amateurs ne sont pas exactement certains de ce qu’ils ont entre les mains. Lorsqu’ils débutent les fouilles ils ne réalisent pas immédiatement que les rouleaux qui couvrent une grande surface du site sont des rouleaux de cuir. Ce n’est qu’une fois qu’un rouleau est prélevé pour analyse qu’ils réalisent que ces rouleaux comportent en moyenne 6 peaux complètes. Des échantillons ont été envoyés pour identification au Museum of Leathercraft en 1974 ainsi qu’à la British Leather Manufacturer's Research Association (aujourd'hui dissoute) en 1980. Par consensus, il a été décidé qu’il s’agissait très probablement de peaux de rennes (nous allons revenir sur ce point) tannées à l'écorce de saule et à l'huile de bouleau et qui avait ensuite été décorées d'un grainage irrégulier. Certains échantillons de peaux étaient marqués de lettres de l'alphabet cyrillique. Les marquages du côté chair ont été appliqués au moyen d'un tampon à encre alors que le côté fleur avait été marqué au matoir. Les détails de ces marquages ont été envoyés à des experts qui ont déterminés que les lettres représentaient le nom abrégé de la société d'exportation russe, la source du cuir et possiblement le nom d'un individu. En ce qui concerne l’aspect extérieur des peaux, elles avaient une dimension moyenne de 1.65m x 0.8m à 2.1m x 1.3m. Certaines peaux étaient plus épaisses que d’autres, à l’époque le refendage n’était pas aussi précis qu’aujourd’hui. En moyenne les peaux avaient une épaisseur qui variait entre 1.4mm et 2.5mm.

Une peau complète après avoir été ramenée à la surface (Source : Rapport d’excavation, Ian Skelton)
Une peau complète après avoir été ramenée à la surface (Source : Rapport d’excavation, Ian Skelton)
Marques d’identifications sur un lot de cuir de Russie provenant d’une épave découverte en Finlande dénommée Juktenskobben. Spoiler, le Metta Catharina, n’est pas la seule épave connue avec du youfte comme cargo. Le cuir du Metta Catharina avait des marques d’identifications similaires (Source : kyppi.fi)
Marques d’identifications sur un lot de cuir de Russie provenant d’une épave découverte en Finlande dénommée Juktenskobben. Spoiler, le Metta Catharina, n’est pas la seule épave connue avec du youfte comme cargo. Le cuir du Metta Catharina avait des marques d’identifications similaires (Source : kyppi.fi)

Ayant la preuve qu'une partie importante du navire et de sa remarquable cargaison se trouvaient encore enfermés sous la vase, et conscients qu'ils avaient entre les mains une opportunité exceptionnelle, les membres de l'équipe décident alors de procéder à une excavation complète du site. La zone située à l'arrière du mât principal a été choisie comme la première à être fouillée, plutôt que de parler des nombreux artefacts qui ont été retrouvés nous allons uniquement parler du cuir, mais il s’agissait d’un site très dense. La cale arrière comportait de très nombreux rouleaux de cuir, dont beaucoup étaient maintenus fermés par des cordes d'herbe séchée et enveloppés dans des nattes de la même matière. Il est noté que cette zone du navire était littéralement pleine à craquer, notamment car les propriétaires du navire devaient maximiser leurs profits en remplissant chaque centimètre carré d'espace disponible mais également car les peaux étaient gorgées d’eau de mer et avaient gonflé en conséquence. Des deux côtés de la zone de la proue, des rouleaux de cuir renversés ont été découverts à l'extérieur des limites présumées de la coque du brigantin. Des rouleaux ont également été découverts immédiatement au sud de la position du mât avant. Malheureusement, à ce stade de la fouille, il est devenu nécessaire de mettre fin à tous les travaux sur le site. Après 33 ans de service, le chef d'équipe a exprimé le souhait de prendre sa retraite, et comme personne n'était disponible pour reprendre les rênes, la décision a été prise de mettre fin au projet. Une grande partie de la cale avant demeure inexplorée, il est fort probable qu’elle contienne encore des rouleaux de cuirs, mais également la cargaison de chanvre destinée à la fabrication de cordes qui faisait également partie du cargo du navire et qui n’a pas été retrouvé dans la partie explorée de l’épave.

Opérations d’excavation des peaux du Metta Catharina par les membres du BSAC au fil des ans. (Source : Ian Skelton)
Opérations d’excavation des peaux du Metta Catharina par les membres du BSAC au fil des ans. (Source : Ian Skelton)
L’équipe du BSAC a dû mettre en place plusieurs méthodes d’excavation. Une lance à eau de type Galeazzi couramment utilisée dans ce type de situation s’est révélée inefficace et rendait la visibilité nulle. Une suceuse-dévaseuse a ensuite été employée mais elle n'avait pas la force d'aspiration nécessaire pour atteindre la profondeur requise sous la vase. L'équipe dut alors travailler autrement et s’est dotée d’une pompe submersible reliée à une génératrice ce qui nécessitait la mise en place d’une barge en surface. (Source : Ian Skelton)
L’équipe du BSAC a dû mettre en place plusieurs méthodes d’excavation. Une lance à eau de type Galeazzi couramment utilisée dans ce type de situation s’est révélée inefficace et rendait la visibilité nulle. Une suceuse-dévaseuse a ensuite été employée mais elle n'avait pas la force d'aspiration nécessaire pour atteindre la profondeur requise sous la vase. L'équipe dut alors travailler autrement et s’est dotée d’une pompe submersible reliée à une génératrice ce qui nécessitait la mise en place d’une barge en surface. (Source : Ian Skelton)
Au final, la majorité de la cargaison de youfte a été sauvée, mais il reste encore un certain nombre de peaux dans la partie avant du navire qui demeure inexplorée. (Source : Ian Skelton)
Au final, la majorité de la cargaison de youfte a été sauvée, mais il reste encore un certain nombre de peaux dans la partie avant du navire qui demeure inexplorée. (Source : Ian Skelton)

L’identification du cuir récupéré dans l’épave

Avant d’aborder la question des autres mythes qui circulent sur ce qu’il est advenu du youfte qui a été récupéré à bord de l’épave nous allons tout d’abord revenir sur l’identification qui a été faite de ce cuir car il s’agit là d’une sorte de “mythe originel”. Les experts qui se sont penchés sur l’identification du cuir à la demande des archéologues amateurs sont arrivés en 1974 et en 1980 à la conclusion que les peaux provenaient très vraisemblablement de rennes. Cette conclusion a été naturellement reprise par les archéologues en charge du site, et figure à la fois dans leur rapports, mais également dans les livre qu’ils ont écrits (The Wreck of the Metta Catharina publié en 1987 et The Loss of the Metta Catharina in 1786 en 2010) sans toutefois que l’on sache avec précision quels ont été les critères retenus pour arriver à ce résultat, il n’est par exemple pas fait mention de la moindre source en langue Russe, ni même si la moindre analyse scientifique a été conduite. Pour eux il semble que la question était résolue et ils n’ont pas cherché à en savoir plus. À leur décharge il ne s’agissait que d’archéologues amateurs qui n’avaient pas de raison de douter des conclusions du Museum of Leathercraft et du British Leather Manufacturer's Research Association

Toutefois l’identification de la peausserie du Metta Catharina comme provenant de cervidés est problématique car elle n’est absolument pas corroborée par les sources historiques. Ce qui en soit peut s’expliquer, histoire et archéologie se confrontent sans arrêts et ne se corroborent pas tout le temps, mais en l’absence d’explication sur la façon dont les experts ont procédé pour obtenir ce résultat on peut se poser des questions sur sa validité.

Il n’a pas été trouvé dans la littérature Russe de références à l’usage de peaux de renne pour la fabrication de cuir de Russie. Cela ne veut pas dire que de telles sources n’existent pas, simplement qu’à l’heure actuelles elles sont inconnues des spécialistes. De plus les sources existantes, ne semblent pas mentionner de liens entre le cuir de Russie et le cuir de renne, par exemple le passage du Dictionnaire encyclopédique Brockhaus et Efron (une source de langue Russe faut-il le rappeler) sur le cuir d'élan et de renne, est placé après un article sur la production et l'exportation de youfte rouge, mais sans qu’il n’y ait de lien entre les deux. De la même façon le Catalogue spécial de la section russe à l'Exposition universelle de Paris en 1867, mentionne dans son volume 2 d’un côté le youfte rouge, noir et blanc et de l’autre le cuir de renne. Il a été fait de même lors des “Expositions industrielles et artistiques panrusses” (une série de 16 expositions organisées dans l'Empire russe du XIXe siècle). Un catalogue des cuirs exposés lors de la première de ces expositions publiques en 1829 mentionne d’un côté les cuirs de cerf et de renne et de l’autre le youfte rouge sans faire de lien entre les deux.

Par ailleurs de nombreuses sources Russes mentionnent que le youfte est bien souvent un cuir de vache, de veau ou de taureau. Les sources Françaises que nous avons déjà citées parlent d’utilisation de peaux de vaches, de veaux et parfois de chèvres. Les sources Anglaises parlent quant à elles de peaux de veaux, de vaches, de chèvres, mais aussi de moutons, il existe également quelques mentions de chevaux. Enfin, les documents relatifs aux exportations de youfte vers l'Europe occidentale pendant la période où il était le plus populaire semblent exclure de facto la possibilité d'identifier le cuir de Russie comme provenant majoritairement de cervidés. Il est en effet peu probable que des rennes aient été chassés et transportés du Nord et de l'Est de la Russie en si grandes quantités alors que de nombreux élevages bovins étaient largement disponibles sur les territoires les plus démographiquement et industriellement dense du pays (à savoir la partie Européenne de la Russie). Certes, la Russie exportait des peaux de rennes depuis ses territoires arctiques, tout comme elle exportait des peaux d'élan qui provenaient de Sibérie, et ces peaux servaient à l’industrie du cuir, mais ce commerce semble avoir été inadapté pour fournir des peaux de façon massive à destination de la fabrication du cuir de Russie.
Il faudrait dès lors qu’il y ait eu un coup de sort extraordinaire pour que la cargaison du Metta Catharina comporte du youfte issu de peaux de renne, si tant est que des peaux de renne aient jamais été utilisées. Pour ces différentes raisons, il existait déjà de sérieux doutes quant aux résultats obtenus par le Museum of Leathercraft et la British Leather Manufacturer's Research Association

En 2021 ces doutes sont définitivement levés, grâce à des travaux effectués entre autres par l’université d’Édimbourg qui a publié le résultat de ses recherches dans une publication scientifique intitulée Method development for the identification of Russia Leather - Comparative study of waterlogged leather samples. Contrairement à une idée reçue, le Metta Catharina n’est pas la seule épave qui a été découverte avec à son bord un cargo de youfte. Il existe au moins 3 autres épaves à travers le monde, une en Finlande, une en Russie et enfin une dans les Pays Bas. Des prélèvements ont été effectués sur ces 3 épaves plus le Metta Catharina et ont été soumis à une analyse protéomique (un processus qui n’existait pas en 1973). Il en résulte avec certitude que les peaux du Metta Catharina comme celles des autres épaves sont toutes d’origine bovines. C’est Cleverley et leur ligne de produits en “Russian reindeer” qui vont faire la gueule….

Youfte retrouvé dans une épave en Finlande communément appelée “Juktenskobben” en référence à son cargo. Le cuir est en bon état visuel de conservation mais demeure d’une qualité inférieure à celui du Metta Catharina
Youfte retrouvé dans une épave en Finlande communément appelée “Juktenskobben” en référence à son cargo. Le cuir est en bon état visuel de conservation mais demeure d’une qualité inférieure à celui du Metta Catharina
Illustration provenant de l’étude Method development for the identification of Russia Leather Comparative study of waterlogged leather samples. Tous les morceaux présents dans cet échantillon ont été analysés comme provenant de bovidés bien que provenant d'épaves différentes. Notez au passage leur degré de dégradation. (Source : ICOM/University of Edinburgh)
Illustration provenant de l’étude Method development for the identification of Russia Leather Comparative study of waterlogged leather samples. Tous les morceaux présents dans cet échantillon ont été analysés comme provenant de bovidés bien que provenant d'épaves différentes. Notez au passage leur degré de dégradation. (Source : ICOM/University of Edinburgh)

Mythes et légendes

Maintenant que nous venons de lever le voile sur le mythe “originel” qui circulait sur le cuir de Russie nous allons nous intéresser aux autres légendes qui tournent autour de cette histoire. Certaines sont particulièrement farfelues et sont le produit d’un esprit purement Britannique, par exemple il a parfois été dit que le Prince Charles aurait renoncé à ses droits sur l’épave à condition que les peaux ne soient élevées que périodiquement et vendues ensuite, sans but lucratif, uniquement à des artisans respectant les méthodes traditionnelles. C’est tellement con que ça pourrait venir de StyleForum, ou pire, de Jacomo.
La légende la plus tenace, et celle qui est de loin la plus répandue voudrait que Cleverley aient achetés l’intégralité de la cargaison. Mais on peut toujours faire mieux, si vous en croyez le plouc de compèt Kirby “ma surfine est au prix de l’or” Allison seul Cleverley aurait la permission du Prince Charles pour fabriquer des chaussures avec les peaux du Metta Catharina...

Dans la continuité de ce mythe il existe une autre histoire selon laquelle Georges Cleverley aurait lui-même fabriqué en 1974 la première paire de chaussures en cuir de Russie issu de l’épave et cela pour l’usage du Prince Charles. Une autre fable, qu’on retrouve assez régulièrement voudrait que la cargaison du Metta Catharina doive son impressionnante préservation aux propriétés mythiques (ou mystiques ?) du cuir de Russie.
Et enfin il existe la dernière catégorie de mythes qui tirent carrément sur le mensonge et visent à exagérer et romantiser l’histoire du cuir Russie afin de le vendre ou de vendre des reproductions modernes comme nous allons le voir après. C’est le cas par exemple avec Hermès, mais également bien d’autres, qui vont insister très lourdement sur le côté “mystérieux” voire presque ésotérique du tannage du cuir de Russie et son “huile secrète”, sur sa recette soi-disant “perdue” mais ensuite retrouvée grâce aux efforts conjoints d’archivistes, de mages et d’Anna Karénine en personne.

Le genre de mythes que vous pouvez trouver un peu partout sur internet en rapport avec le Metta Catharina. (Source : watchlogic)
Le genre de mythes que vous pouvez trouver un peu partout sur internet en rapport avec le Metta Catharina. (Source : watchlogic)
Aleksandar Cvetkovic, pigiste du néant pour the Rake, y va de ses élucubrations. Selon lui le cuir de Russie est un cuir de renne (c’est trompeur), illégal et pratiquement impossible à acquérir (c’est mensonger) dont il n’existe qu’une seule source (c’est incorrect). Autant de mensonges en même pas 3 lignes, en voilà un qui devrait demander sa carte de presse. (source: therake)
Aleksandar Cvetkovic, pigiste du néant pour the Rake, y va de ses élucubrations. Selon lui le cuir de Russie est un cuir de renne (c’est trompeur), illégal et pratiquement impossible à acquérir (c’est mensonger) dont il n’existe qu’une seule source (c’est incorrect). Autant de mensonges en même pas 3 lignes, en voilà un qui devrait demander sa carte de presse. (source: therake)
Il ne s’arrête pas là et continue d’ajouter connerie sur connerie. Forcément quand on sait que the Rake s’était associé à Cleverley pour vendre une série d’objets en cuir de Russie, ça explique bien des choses. (source: therake)
Il ne s’arrête pas là et continue d’ajouter connerie sur connerie. Forcément quand on sait que the Rake s’était associé à Cleverley pour vendre une série d’objets en cuir de Russie, ça explique bien des choses. (source: therake)

Le devenir des peaux

Nous allons commencer par nous intéresser à ce qu’il est advenu des premières peaux qui ont été ramenées à la surface. Comme vous le savez au début les plongeurs ne savaient pas ce qu’ils avaient sur les bras. La légende voudrait qu’ils soient allés dans un pub et aient parlé de leur découverte en toute décontraction autours d’une pinte d’affreuse lavasse que les Anglais appellent bitter. Un jeune maroquinier les aurait entendus et aurait demandé s'il pouvait voir les peaux, ils acceptèrent et c’est ainsi que le jeune maroquinier eut la révélation de sa vie en découvrant qu’il s’agissait du mystérieux cuir de Russie, celui-là même que l’infâme René Belloq recherchait en vain pour le compte des nazis et qui devait leur donner la vie éternelle. Heureusement, Indiana Jones veillait et put s’emparer du précieux trésor avant ce celui-ci ne tombe entre de mauvaises mains. “It belongs in a museum” aurait-il dit. Le fait est qu’une partie du cuir va effectivement atterrir dans les collections d’un certain nombre de musées à travers le monde, Yale en possède au moins une peau, ainsi que le Wadsworth Atheneum, le Metropolitan, le Museum of Fine Arts de Boston etc etc. Certains musées vont même acheter plusieurs peaux afin de pouvoir restaurer certaines pièces de leur collection, c’est le cas par exemple du Winterthur museum.
Tout le cuir qui n’est pas vendu à des musées est vendu à des artisans, fabricants, collectionneurs, particuliers (en majorité anglophones) … Cela afin de financer l’excavation du site de fouille. Le montage qui va se mettre en place est le suivant. Le jeune maroquinier, Robin S. va être le seul et unique distributeur du cuir provenant du Metta Catharina. Le montage qui est mis en place est le suivant, les plongeurs remontent les peaux, Robin S. les désalinise en les immergeant dans de l’eau claire, puis il les nourrit à la lanoline avant soit de les utiliser pour ses projets de maroquinerie ou de les revendre à d’autres personnes. Au début le cuir du Metta Catharina circule relativement peu et est essentiellement connu dans les alentours de la ville de Plymouth. Ce n’est que bien après que Cleverley va entrer dans l’histoire comme nous allons vous l’expliquer.

Robin S. traitant les peaux à la lanoline après les avoir désalinisées au préalable. (Source : Ian Skelton)
Robin S. traitant les peaux à la lanoline après les avoir désalinisées au préalable. (Source : Ian Skelton)
Une fois les peaux traitées elles étaient mises à sécher tendues sur de grands cadres en bois. (Source : Ian Skelton)
Une fois les peaux traitées elles étaient mises à sécher tendues sur de grands cadres en bois. (Source : Ian Skelton)
Dans un premier temps le youfte provenant du Metta Catharina est surtout utilisé par des petits artisans. Les prix sont légèrement supérieurs à ceux d’un cuir normal, mais sont sans commune mesure avec ce qu’ils sont de nos jours. La photo de droite présente des objets fabriqués par Robin S. le maroquinier chargé de revendre les peaux. Celles qu’ils utilisent pour ses objets sont, sans surprise, de première qualité. (Source : celtic empire, archive.org, islands crafts)
Dans un premier temps le youfte provenant du Metta Catharina est surtout utilisé par des petits artisans. Les prix sont légèrement supérieurs à ceux d’un cuir normal, mais sont sans commune mesure avec ce qu’ils sont de nos jours. La photo de droite présente des objets fabriqués par Robin S. le maroquinier chargé de revendre les peaux. Celles qu’ils utilisent pour ses objets sont, sans surprise, de première qualité. (Source : celtic empire, archive.org, islands crafts)
Aux États-Unis beaucoup de peaux du Metta Catharina sont revendues par un avocat collectionneur d’antiquité nommé Daniel Putnam Brown qui se fournit chez Robin S. Sous son impulsion de nombreuses pièces de mobilier vont être restaurées avec le youfte provenant de l’épave afin d’être revendus aux enchères. (Source : Sotheby’s)
Aux États-Unis beaucoup de peaux du Metta Catharina sont revendues par un avocat collectionneur d’antiquité nommé Daniel Putnam Brown qui se fournit chez Robin S. Sous son impulsion de nombreuses pièces de mobilier vont être restaurées avec le youfte provenant de l’épave afin d’être revendus aux enchères. (Source : Sotheby’s)
Certains musées vont faire de même et profiter de cet afflux inattendu de cuir de Russie pour restaurer certaines pièces de leur collection comme c’est le cas avec cette chaise du Winterthur Museum. (Source : Winterthur Museum)
Certains musées vont faire de même et profiter de cet afflux inattendu de cuir de Russie pour restaurer certaines pièces de leur collection comme c’est le cas avec cette chaise du Winterthur Museum. (Source : Winterthur Museum)
Aujourd’hui encore certains artisans Britannique de petite envergure possèdent des stocks de youfte et l’utilisent en maroquinerie comme c’est le cas par exemple chez MacGregor & Michael. Observez la différence de couleur, et d’état général de la peausserie. (Source :  MacGregor & Michael)
Aujourd’hui encore certains artisans Britannique de petite envergure possèdent des stocks de youfte et l’utilisent en maroquinerie comme c’est le cas par exemple chez MacGregor & Michael. Observez la différence de couleur, et d’état général de la peausserie. (Source : MacGregor & Michael)

La légende des chaussures du prince Charles

Nous l’avons expliqué, une légende qui a la vie très tenace voudrait que Georges Cleverley ait fabriqué la première paire de chaussures en cuir de Russie pour le prince Charles et ce en 1974. C’est en réalité une légende, dont la seule part de vérité réside dans le fait que le prince Charles possède bien une paire de chaussures en cuir de Russie. Il existe une autre légende, qui est une version abrégée de la précédente et qui veut que les chaussures en cuir de Russie du prince soient des Cleverley, mais là encore ce n’est qu’une légende colportée par la marque elle-même.

Pour bien comprendre l’histoire des chaussures du prince Charles il faut prendre quelques détours et raconter l’histoire de la marque George Cleverley, que nous allons appeler Cleverley pour éviter toute confusion, ainsi que de ses fondateurs John Carnera et George Glasgow Sr. Cela ne surprendra pas les amateurs de chaussures bespoke puisque ce fait est relativement connu, mais la marque Cleverley actuelle n’a aucun lien de parenté direct avec George Cleverley le célèbre bottier dont la longue carrière a croisée celle de l’immense Tuczek

John Carnera et George Glassgow Sr. (Source : youtube)
John Carnera et George Glassgow Sr. (Source : youtube)

Dans les années 70 John Carnera et George Glasgow Sr sont bottiers chez Poulsen Skone & Co, aux alentours de 1972 Poulsen Skone est racheté par New & Lingwood qui souhaite étendre son activité dans le monde de la chaussure. En 1976 le bail de George Cleverley (78 ans) pour sa boutique historique de Cork street arrive à son terme. Il prend alors conscience qu’à son âge il n’a plus envie de s’encombrer d’une boutique, sans pour autant vouloir prendre totalement sa retraite. George ira donc voir Carnera pour savoir s’il peut continuer à recevoir ses clients mais chez New & Lingwood. Durant cette période George Cleverley va rester indépendant, mais il est régulièrement présent dans la boutique de New & Lingwood et en profite pour introduire ses clients à Carnera qui ensuite les récupère petit à petit. Les années passent et c’est vers le milieu des années 80 que John Carnera prend connaissance de l’existence d’un lot de cuir de Russie. Il existe deux versions quant à la façon dont il apprend cette nouvelle. La première est celle racontée par Carnera lui-même. Il explique qu’à cette époque, un client américain de New & Lingwood vient les voir et demande s’ils connaissent le cuir de Russie. Carnera répond par l’affirmative mais indique qu’un tel cuir n'existe plus. Le client lui dit alors que non seulement il sait ou en trouver mais qu’il en a également acheté une peau. C'est de cette façon que Carnera va entrer en contact avec Robin, le maroquinier qui était en relation directe avec les plongeurs et qui est chargé de revendre les peaux. Carnera va donc lui rendre visite sur place en Cornouailles et achète un premier lot de cuir provenant de l’épave.

George Glasgow Sr a une version différente de l’histoire, selon lui le maroquinier était un ami et il l’a naturellement informé de l’existence de l’épave et de sa cargaison…. On peut se demander pourquoi Glasgow Sr aurait dans ses amis un jeune maroquinier jusqu’alors insignifiant et habitant à des heures de Londres, mais surtout on peut se demander pourquoi son supposé ami aurait attendu une dizaine d’année pour lui faire part de la découverte car New & Lingwood ne vont entrer en possession d’un lot de cuir Russie qu’à partir de 1986/1987. Au final vous pouvez choisir de croire l’un ou l’autre, cela n’a pas grande importance.

New & Lingwood ne sont à priori pas les premiers bottiers à avoir accès au cuir de Russie contrairement à ce qui est souvent indiqué, une paire de chaussures en cuir de Russie provenant du Metta Catharina a été réalisée à la fin des années 70 par Pat Wilson, un bottier des ateliers John Lobb. New & Lingwood sont en revanche les premiers à avoir accès à un stock relativement conséquent de peaux et comme l’épave se trouvait dans les eaux territoriales du duché de Cornouailles ils décident de fabriquer la “première paire” (de leur stock) pour le prince Charles. Un reportage réalisé à l’époque par Thames News chez New & Lingwood en 1987 confirme cela, ce qui infirme de fait la légende selon laquelle le prince aurait eu des chaussures en cuir de Russie fabriquées par George Cleverley dès 1974.

Le reportage de Thames news, la moustache est d'époque.

Une paire de souliers réalisée en cuir de Russie à la fin des années 70 par Pat Wilson, un bottier des ateliers John Lobb. Cette paire a été exposée au WhichMuseum en 2011 lors d’une exposition sur le Metta Catharina. Il s’agit possiblement de la toute première paire de chaussures réalisée avec le cuir de l’épave. (Source : vegleatherhub)
Une paire de souliers réalisée en cuir de Russie à la fin des années 70 par Pat Wilson, un bottier des ateliers John Lobb. Cette paire a été exposée au WhichMuseum en 2011 lors d’une exposition sur le Metta Catharina. Il s’agit possiblement de la toute première paire de chaussures réalisée avec le cuir de l’épave. (Source : vegleatherhub)

John Carnera aime raconter un peu partout qu'il a alors rencontré le prince pour prendre ses mesures, et qu’il a ensuite fabriqué sa paire en cuir de Russie. Ce n’est de toute évidence pas exactement la vérité car dans le reportage réalisé par Thames News, ce n’est pas John Carnera que l’on voit furtivement travailler sur la paire royale (de chaussures, et non d’oreilles, le Prince Charles les a si belles) mais un très jeune bottier inconnu. En cherchant à identifier ce bottier j’ai retrouvé une célèbre photo en noir et blanc de George Cleverley (89 ans à l’époque) regardant travailler ce même jeune homme alors qu’il s’affaire sur les chaussures du Prince. Pour ajouter à la confusion, cette même photo se trouve dans le numéro 53 du magazine Point*re qui prétend que la photo représente George Cleverley et….George Glasgow Sr. Il n’en est rien, pour tout dire Point*re étant un croisement bâtard entre un rouleau de papier toilette et un catalogue publicitaire les rares informations qu’il donne son souvent frelatées. En réalité le jeune bottier en question s’appelle Andrew G. et a à l’époque seulement 22 ans et déjà des mains d’or. Cela ne veut pas dire pour autant que Carnera n’a pas réalisé la forme du prince ou qu’il n’a pas participé à certaines étapes de la fabrication. Les bottiers Anglais travaillent très souvent en équipe, mais Carnera aime bien tirer toute la couverture à lui comme nous allons le voir avec la suite de cette histoire.

Image extraite du reportage de Thames News montrant Andrew G. Travaillant sur la paire de New & Lingwood en cuir de Russie du Prince Charles. (Source : Thames News)
Image extraite du reportage de Thames News montrant Andrew G. Travaillant sur la paire de New & Lingwood en cuir de Russie du Prince Charles. (Source : Thames News)
Andrew G. Travaillant sur cette même paire sous le regard attentif de George Cleverley. Notez au premier plan la forme au nom du Prince. (Source : permanent style)
Andrew G. Travaillant sur cette même paire sous le regard attentif de George Cleverley. Notez au premier plan la forme au nom du Prince. (Source : permanent style)
Les souliers New & Lingwood du prince Charles en cours de fabrication. (Source : Thames News)
Les souliers New & Lingwood du prince Charles en cours de fabrication. (Source : Thames News)

En 1991 il va se passer deux évènements importants. Le premier c'est le décès à l’âge de 93 ans du grand George Cleverley. Le second c’est que New & Lingwood est racheté par un sud-africain qui veut transformer l'entreprise en pompe à shekel. Assez rapidement Carnera ne s'entend plus avec la nouvelle direction de New & Lingwood, il décide alors de vendre ses parts dans la société et 18 mois après la mort de George Cleverley il relance une entreprise avec le nom de Cleverley (en profitant du carnet d'adresse des quelques 200 clients que le défunt bottier lui a apporté au cours des années). Il sera accompagné dans cette nouvelle aventure de George Glasgow Sr, ainsi que du jeune Andrew G. qui officiera comme bottier chez Cleverley pour les années à venir. À partir de 1992 Carnera va chaque année rendre visite à Robin S. en Cornouailles et va lui acheter des lots de cuir de Russie pour le compte de la nouvelle société Cleverley. Carnera fait ensuite d’une pierre deux coups, il raconte partout que la paire du Prince Charles est une Cleverley pour faire chier New & Lingwood car la séparation s’est très mal passée, ce qui lui permet en passant de rajouter du prestige à sa marque nouvellement fondée. Cleverley vont petit à petit faire du cuir de Russie un de leur produit iconique, à tel point que si aujourd’hui ce cuir est devenu aussi célèbre c’est en très grande partie grâce à l’énorme communication qui a été faite dessus par la marque. Voilà comment naissent les légendes.

Capture d’écran du site de Cleverley, qui fait passer la paire de New & Lingwood du Prince Charles pour une paire de Cleverley. Notez au passage que selon le site le Prince porte cette paire dans la photo alors qu’il n’en est absolument rien, sa paire en cuir de Russie comporte un médaillon, la paire photographiée ici en est dépourvue…. L’enculade est totale. (Source : Cleverley)
Capture d’écran du site de Cleverley, qui fait passer la paire de New & Lingwood du Prince Charles pour une paire de Cleverley. Notez au passage que selon le site le Prince porte cette paire dans la photo alors qu’il n’en est absolument rien, sa paire en cuir de Russie comporte un médaillon, la paire photographiée ici en est dépourvue…. L’enculade est totale. (Source : Cleverley)
John Carnera examinant une peau de cuir de Russie provenant de l’épave. (Source : Ian Skelton)
John Carnera examinant une peau de cuir de Russie provenant de l’épave. (Source : Ian Skelton)
 Malgré le départ de Carnera New & Lingwood vont continuer à vendre des chaussures en cuir de Russie jusqu’au début des années 2000, mais cette fois en prêt à porter. New & Lingwood faisaient fabriquer leurs chaussures chez Crockett & Jones Edward Green et Alfred Sargent mais il est très probable que le fabricant de ces modèles en particulier soit Crockett & Jones. Notez les prix qui sont bon marché par rapport à la gamme Handgrade de C&J actuelle. (Source : New & lingwood)
Malgré le départ de Carnera New & Lingwood vont continuer à vendre des chaussures en cuir de Russie jusqu’au début des années 2000, mais cette fois en prêt à porter. New & Lingwood faisaient fabriquer leurs chaussures chez Crockett & Jones Edward Green et Alfred Sargent mais il est très probable que le fabricant de ces modèles en particulier soit Crockett & Jones. Notez les prix qui sont bon marché par rapport à la gamme Handgrade de C&J actuelle. (Source : New & lingwood)

L’état de préservation des peaux et leur propriétés magiques.

À partir du moment où vous allez essayer de refourguer un cuir issu d’une épave, vous avez tout intérêt à dire aux clients que le cuir est en parfait état de conservation car leur première réaction risque d’être négative. Mieux, afin de pousser le client au-delà de ses réticences vous pouvez essayer d’insinuer dans son esprit l’idée que si le cuir est dans un excellent état de conservation c’est en raison de son tannage exceptionnel et de ses propriétés légendaires. C’est exactement la technique qui a été utilisée par Cleverley pour leurs chaussures, mais toutes les marques qui utilisent le cuir du Metta Catharina ont recours aux mêmes ficelles, selon eux le cuir a survécu grâce à son caractère hydrophobe et à son tannage exceptionnel. C’est donner une vision un peu trop idyllique du cuir de Russie. Il faut tout d’abord commencer par se poser une question, est-il si rare de trouver du cuir dans les épaves ?

Le petit texte marketing habituel qu’on retrouve chez tous les utilisateurs du youfte provenant du Metta Catharina. (Source : New & lingwood)
Le petit texte marketing habituel qu’on retrouve chez tous les utilisateurs du youfte provenant du Metta Catharina. (Source : New & lingwood)
Cleverley livrent un “certificat d’authenticité” avec chaque produit de leur gamme 1786. La fin est particulièrement rigolote. Néanmoins ils n’essayent plus de faire passer leur youfte pour du cuir de renne alors que c’est encore monnaie courante chez énormément de revendeurs. (Source : Cleverley)
Cleverley livrent un “certificat d’authenticité” avec chaque produit de leur gamme 1786. La fin est particulièrement rigolote. Néanmoins ils n’essayent plus de faire passer leur youfte pour du cuir de renne alors que c’est encore monnaie courante chez énormément de revendeurs. (Source : Cleverley)

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, les objets en cuir font partie des artefacts qui sont assez régulièrement découverts dans les épaves de navires. C’est un phénomène qui est malheureusement particulièrement observable sur les épaves qui ont été déclarées cimetière sous-marin en raison d’un grand nombre de victimes. Les corps disparaissent, mais souvent les chaussures restent. C’est le cas par exemple sur les épaves des cuirassés Hood et Bismarck où le fond marin est jonché de bottes et chaussures en cuir. Des chaussures en excellent état et des valises en cuir ont également été sauvées de l'épave du Titanic. Il existe aussi des exemples beaucoup plus anciens, bien qu’ayant coulé en 1545 l’épave du Mary Rose renfermait encore des chaussures de travail qui étaient rangées sous les ponts. Je vois déjà poindre votre indignation, comment est-il possible que des chaussures qui n’aient pas été tannées selon les préceptes des mages Russes puissent survivre sous l’eau ?

Les raisons derrière cela sont multiples, certes le cuir présente d’une manière générale une forte résistance à la détérioration microbienne notamment en raison des tanins et de certaines protéines qu’il contient. Mais ce sont surtout les facteurs environnementaux qui vont déterminer l’état de conservation du cuir comme de tous les autres artefacts. Dans le cas du Metta Catharina ces facteurs environnementaux étaient exceptionnellement favorables. Si vous vous intéressez un peu à l’archéologie vous savez que l’oxygène est un grand destructeur d’artefacts. Bien évidement je schématise, il y a d’autres facteurs qui entrent en jeux tel que le PH, le taux de salinité etc etc. Pensez par exemple au phénomène de “l’homme des tourbières” qui se produit parfois sur les corps trouvés dans les tourbières de l’Europe du Nord en raison d’une température basse, et d’un manque d'oxygène. Le cuir du Metta Catharina a bénéficié d’un contexte similaire puisque le cuir était dans une eau froide, et surtout il était enfoui sous plusieurs mètres de sédiments qui ont protégés le cuir contre l’oxygène. Les rouleaux de cuirs qui n’ont pas eu la chance d’être aussi protégés par la sédimentation étaient au contraire très fortement dégradés.
Même parmi le cuir qui était enfoui l’état de préservation des peaux était très variable. D’une façon générale les peaux qui étaient le plus à l’extérieur des rouleaux avaient le plus souffert, alors que les peaux les plus à l’intérieur étaient les mieux protégées. Beaucoup de peaux ont développées un aspect “gonflé” et rugueux, très similaire à l’aspect qu’à le cuir de requin par exemple. D’autres peaux ont noirci par endroit. Cette disparité dans l’état général du cuir est telle que certaines peaux mises côte à côte ont l’air de provenir de deux cuirs totalement différents. Elles n’ont ni la même texture, ni la même couleur, ni la même rigidité. Rigidité qui est elle aussi très variable, certaines peaux étaient parfaitement souples alors que d’autres étaient extrêmement rigides et décrites par certains artisans comme très désagréables à travailler. Et n’oubliez pas, toutes les peaux ont été traitées à la lanoline lors de leur récupération, et ce afin de les assouplir.

Un exemple de belles peaux du Metta Catharina qui sont bien préservées (Source : Smithsonian Libraries, MacGregor & Michael)
Un exemple de belles peaux du Metta Catharina qui sont bien préservées (Source : Smithsonian Libraries, MacGregor & Michael)
D’autres peaux font en revanche preuve d’un état de dégradation avancé. Si jamais vous vous posez la question ce sont des emportes pièces sur la peau la plus à droite.  (Source : Yale, Ian Skelton, celticempire)
D’autres peaux font en revanche preuve d’un état de dégradation avancé. Si jamais vous vous posez la question ce sont des emportes pièces sur la peau la plus à droite. (Source : Yale, Ian Skelton, celticempire)

Il est aussi intéressant de comparer l’état du youfte trouvé à bord du Metta Catharina avec celui qui a été retrouvé parmi les autres épaves à travers le monde. Ce travail (posté précédemment dans notre article) a été également effectué par l’université d’Édimbourg lorsqu’elle conduisait des recherches sur le cuir de Russie. Sans surprise, le youfte qui a été le mieux préservé est celui qui a bénéficié du meilleur environnement, et c’est celui du Metta Catharina, c’était d’ailleurs le seul qui ait conservé une relative souplesse naturelle. Celui qui n’a pas bénéficié d’un environnement aussi avantageux a été retrouvé dans un état avancé de dégradation.
Tout cela ne change rien au fait que la cargaison du Metta Catharina reste absolument exceptionnelle, mais cela démontre que l’on exagère les propriétés de ce cuir et qu’on lui donne une réputation d’invincibilité qui est très surfaite. D’ailleurs cette réputation n’est pas véritablement présente durant les premières années de la découverte, elle s’est établie avec le temps, au fur et à mesure que les différentes marques l’exploitant en construisaient la légende à des fins marketing.

Un portefeuille Cleverley en cuir de Russie de leur collection 1786 après quelques années d’utilisation. Le cuir magique et invincible s’est totalement désagrégé au niveau des coutures. Nous n’avons aucune information quant à la façon dont ce portefeuille a été utilisé, il ne s’agit donc pas de tirer des conclusions mais de s’interroger sur certaines affirmations débiles du marketing. (Source : facebook)
Un portefeuille Cleverley en cuir de Russie de leur collection 1786 après quelques années d’utilisation. Le cuir magique et invincible s’est totalement désagrégé au niveau des coutures. Nous n’avons aucune information quant à la façon dont ce portefeuille a été utilisé, il ne s’agit donc pas de tirer des conclusions mais de s’interroger sur certaines affirmations débiles du marketing. (Source : facebook)
Les Cleverley de Simon Crompton souffrent également d'une usure assez marquée, qu'il constate d'ailleurs de lui même. (Source: permanent style)
Les Cleverley de Simon Crompton souffrent également d'une usure assez marquée, qu'il constate d'ailleurs de lui même. (Source: permanent style)

Cela peut surprendre aujourd’hui mais à ses débuts le cuir de Russie provenant du Metta Catharina, n’est pas si cher que ça. Il faut dire que les quantités en circulation étaient énormes. Un article du Times paru en 2003 mentionne que les plongeurs ramenaient à la surface environ 200 peaux par an. Sur 27 ans d’exploitation à l’époque de la parution de l’article cela représente la somme colossale de 5,400 peaux. Cela parait immense, et est très vraisemblablement excessif mais il n’y a aucune façon de vérifier les informations données dans le Times. En réalité, il n’a jamais été mentionné combien de peaux ont été récupérées, les rapports de fouilles publiés à intervalles réguliers se contentent de mentionner que des peaux continuent à être récupérées sans jamais mentionner de quantité. En revanche nous savons que le Metta Catharina avait une capacité de 106 tonnes, que les peaux avaient été arrangée de la façon la plus optimale pour en embarquer le plus grand nombre possible et que la cargaison de chanvre semble être limitée à la partie avant du navire (celle qui est demeurée inexplorée). Il est évident que nous sommes en présence d’une cargaison, très conséquente. Après tout, Cleverley ont encore en 2022 une gamme complète de chaussures et de maroquinerie en cuir de Russie provenant de l’épave, et plus aucune nouvelle peau n’a été remontée depuis 2006, ce qui démontre qu’ils ont du stock. Cela a d’ailleurs fait dire à des esprits moqueurs, que le cuir du Metta Catharina est comme le pétrole. On répète à longueur d’années qu’il va bientôt disparaître alors qu’on en trouve toujours plus. Aujourd’hui il existe encore un certain nombre de peaux en circulations, dont la vaste majorité sont déjà entre les mains d’artisans et de marques comme Cleverley, ce qui explique une montée des prix significative de ce cuir bien que la qualité se dégrade de plus en plus, les meilleures peaux ayant été utilisées il y a des années de cela. Il faudra probablement encore quelques années avant que le stock de cuir du Metta Catharina soit complètement épuisé, même s’il y a eu un regain d’intérêt pour le cuir de Russie ces dernières années, notamment en raison de l’apparition d’un grand nombre d’imitations sur le marché.

Une photo qu’il est très rare de voir. Des peaux fraichement récupérées de l’épave du Metta Catharina. Ce lot ne représente qu’une petite partie de la cargaison du navire. Quand on vous dit qu’il y avait du stock… (Source : Ian Skelton)
Une photo qu’il est très rare de voir. Des peaux fraichement récupérées de l’épave du Metta Catharina. Ce lot ne représente qu’une petite partie de la cargaison du navire. Quand on vous dit qu’il y avait du stock… (Source : Ian Skelton)
Avec le temps les peaux qui ne sont pas déjà en possession de fabricants ou artisans sont de plus en plus rares et ont vu leur valeur augmenter de façon exponentielle, comme en témoigne ce lot d’une vente aux enchères organisée par Sotheby’s (Source : Sotheby’s)
Avec le temps les peaux qui ne sont pas déjà en possession de fabricants ou artisans sont de plus en plus rares et ont vu leur valeur augmenter de façon exponentielle, comme en témoigne ce lot d’une vente aux enchères organisée par Sotheby’s (Source : Sotheby’s)

Les imitations actuelles du cuir de Russie.

Les peaux du Metta Catharina ne sont pas éternelles et un jour où l’autre le stock s’épuisera bel et bien. Depuis quelques années on observe déjà un phénomène très amusant, à savoir que le cuir est souvent utilisé en dépit du bon sens en raison de sa rareté. Dans un souci d’optimisation absolue, les personnes qui ont encore accès à ce cuir ont tendance à utiliser les peaux de façon inadaptée et l’on trouve de très nombreux objets de maroquinerie, y compris chez Cleverley, qui sont réalisés dans ce qui serait considéré en temps normal comme des chutes. Pour autant les clients payent de plus en plus cher pour ces fonds de poubelle, c’est l’avantage d’avoir un cuir qui sort littéralement d’une épave, vous n’avez pas à vous excuser quand vous tapez dans le rebut. Ce phénomène n’a pas échappé à certains et devant le fort pouvoir d’évocation que possède le cuir de Russie originel et son histoire rocambolesque pour ne pas dire romanesque ce n’était qu’une question de temps avant que quelques pilleurs de tombes ne cherchent à tirer profit du cadavre. Après tout, jusque-là nous avions eu l’intervention d’Indiana Jones, alors qu’on ajoute l’inspecteur Clouzot et le professeur Frankenstine, c’est dans la continuité des choses. Il y a donc eu plusieurs tentatives plus ou moins couronnées de succès de mettre sur le marché des reproductions du cuir de Russie. Forcément, qui dit plusieurs tentatives dit qu’elles sont en concurrence les unes avec les autres et chacune va aller de son petit blabla marketing pour expliquer pourquoi elle est unique, authentique etc etc, ce qui va malheureusement générer beaucoup de confusion.

Un exemple qui montre bien la disparité des peaux employées.  Le bracelet de droite provient de la collection 1786 de Cleverley. Malgré son prix de £350 il n'est pas proprement fabriqué et n'utilise pas une peau particulièrement belle. Les bracelets de Julius legend sont mieux fabriqués mais la qualité des peaux demeure aléatoire (Source Julius legend, Cleverley)
Un exemple qui montre bien la disparité des peaux employées. Le bracelet de droite provient de la collection 1786 de Cleverley. Malgré son prix de £350 il n'est pas proprement fabriqué et n'utilise pas une peau particulièrement belle. Les bracelets de Julius legend sont mieux fabriqués mais la qualité des peaux demeure aléatoire (Source Julius legend, Cleverley)
La paire de Simon Crompton en cuir de Russie est fabriquée dans un cuir qui est visuellement très inférieure à ce que Cleverley utilisent en général pour leurs clients qui payent en espèce sonnante et trébuchantes, signe que les stocks diminuent.
La paire de Simon Crompton en cuir de Russie est fabriquée dans un cuir qui est visuellement très inférieure à ce que Cleverley utilisent en général pour leurs clients qui payent en espèce sonnante et trébuchantes, signe que les stocks diminuent.

Le “cuir de Russie” de J&FJ Baker

Nous allons tout d’abord parler de la tentative qui est parvenue à copier au mieux le cuir de Russie originel, il s’agit du “cuir de Russie” de J&FJ Baker, également appelé Volynka™ chez Hermès. L’histoire de l’élaboration du cuir Volynka™ par Baker est difficile à raconter, non pas parce qu’elle est complexe mais parce qu’elle a bénéficié du budget marketing Hollywoodien d’Hermès. Il est à l’heure actuelle impossible de déceler le vrai du faux, en fonction des sources et des personnes il y a des imprécisions, des contradictions. Alors je vais vous donner la version officielle et nous allons ensuite la décortiquer tant bien que mal. Tous ces propos sont trouvables à droite à gauche sur internet, je n’invente rien mais le sarcasme est bien évidemment mien.

Il était une fois une jeune conservatrice restauratrice qui lors d’un heureux concours de circonstances entre en possession d’un morceau de cuir provenant de l’épave du Metta Catherina. Elle est très étonnée de cette découverte car normalement, les cuirs provenant d’épaves sont inutilisables. Or là, elle avait devant elle un cuir magique qui était utilisable tel quel (elle oublie de dire qu’il a été désalinisé, et traité intensivement à la lanoline, mais passons). Elle a alors une épiphanie, pourquoi ce cuir a-t-il résisté ? Quelles étaient les méthodes de production ? Existe-t-il encore ? Bref, vous avez compris l’idée, le monde est une boite de chocolat, toussa toussa.
Elle décide alors en 2012 de lancer de façon indépendante un projet de recherche sur ce cuir particulier, pour le refaire “vraiment à l’identique”. Et d’après elle il ne “s’agissait pas de faire un cuir commercialisable mais de se lancer dans une recherche technique et historique”. Certes. Toujours est-il qu’elle se lance sur un projet qui va durer plusieurs années. Elle commence par effectuer des recherches historiques, puis elle recherche ensuite des fournisseurs. Il faut trouver les peaux, mais aussi les écorces, les huiles… Pour ce faire elle est accompagnée d’une traductrice, d’un parfumeur et surtout de J&FJ Baker la célèbre tannerie Anglaise. Au bout de 5 ans, ils “percent le mystère du cuir de Russie” et un livre est publié pour célébrer l’évènement “Cuir de Russie, mémoire du tan”, livre qui comme par hasard sera ensuite offerts à certains clients d’Hermès ayant acheté des sacs fabriqués en cuir Volynka.

Sac Haut à courroies d’Hermès réalisé en cuir Volynka accompagné du livre mémoire du tan. (Source : purseblog)
Sac Haut à courroies d’Hermès réalisé en cuir Volynka accompagné du livre mémoire du tan. (Source : purseblog)

Si vous avez envie de croire aux fées c’est votre problème, rien ne vous empêche d'adhérer à cette version qui est celle qui est parfois mise en avant. C’est une très belle histoire, et après tout il est même possible qu’elle soit vrai. Il y a en revanche quelques problèmes avec cette version, car elle est en partie contredite par Hermès. De leur côté Hermès disent que ce sont eux qui lancent un groupe d’étude en 2011 ou 2012 et ils commissionnent la conservatrice restauratrice et Baker pour que ces derniers leur fabriquent une réplique au cuir de Russie. Il ne semble donc pas véritablement s’agir d’un projet indépendant. Il faut dire qu’il parait difficile à une personne seule de demander à une tannerie de ressusciter un cuir, sans perspective commerciale derrière.
Hermès ont eu connaissance du cuir de Russie dans les années 90 et ils ont semble-t-il un peu raté le train. Ils achètent une douzaine de peaux et les utilisent pour faire des sacs à dépêches et des sacs à main Kelly qui sont aujourd’hui exposés au Conservatoire des créations Hermès à Pantin. Est-ce que le cuir n’est pas à la hauteur de leurs exigences, est-ce qu’ils ne sont pas en mesure d’acheter suffisamment de peaux ? Impossible de le savoir, toujours est-il qu’Hermès voient la manne financière potentielle qu’il y a à “relancer” le cuir de Russie et c’est ce qu’ils vont faire. Cela leur permettra également d’en faire une marque déposée (Volynka™) s’assurant de fait un monopole sur la production de ce cuir puisqu’Hermès sont très forts sur leur sourçage et sa protection.

Sac Hermès Kelly et Squelette boutonnière, réalisés en cuir de Russie provenant de l’épave du Metta Catharina. Ces objets sont aujourd’hui au conservatoire Hermès de Pantin. (Source : mémoire du tan)
Sac Hermès Kelly et Squelette boutonnière, réalisés en cuir de Russie provenant de l’épave du Metta Catharina. Ces objets sont aujourd’hui au conservatoire Hermès de Pantin. (Source : mémoire du tan)

Mais revenons à notre groupe de travail et au résultat qu’il a obtenu. La conservatrice restauratrice, Baker, mais également Hermès insistent tous très lourdement sur le fait qu’ils ont “percé le mystère du cuir de Russie” (la conservatrice dira même “j'ai eu la satisfaction profonde de retrouver cette recette perdue”), qu’ils l’ont recréé et qu’il s’agit d’une “résurrection”, ou encore qu’ils l’ont “sauvé de l’oubli”. Tout en mentionnant assez rapidement qu’il s’agit d’une reproduction. Pour être franc, ils ont un peu le cul entre deux chaises. D’un côté, ils ont envie de faire passer le message qu’ils ont “the real deal”, que le cuir de Russie, maintenant, c’est eux. Mais de l’autre ils doivent concéder (à demi-mot) qu’il ne s’agit bel et bien que d’une reproduction…. Comme on en faisait déjà au XVIIIème et XIXème siècle.
Il faut bien comprendre que le cuir de Russie d’Hermès a été fabriqué de la même façon que toutes les copies qui avaient été faites précédemment, à savoir en se basant sur un travail d’archive et puis en tâtonnant, en faisant des essais petit à petit. Il ne faut pas s’imaginer que l’on est en mesure de faire de l’ingénierie inversée, qu’en analysant une peau de cuir de Russie historique, on aura immédiatement toutes les informations. Ils n’ont en réalité rien percé du tout, la recette “perdue” n’a pas été retrouvée. C’est d’ailleurs évident quand la conservatrice déclare par exemple : “on est en train de comparer notre cuir moderne au cuir ancien, et ça colle parfaitement. Même au niveau des teintures utilisées, on vient juste de découvrir qu’on utilisait du bois du Brésil comme à l’époque”. Mais cela fait au moins 300 ans que l’on sait que les Russes utilisaient du bois-brésil. La seule différence c’est qu’effectivement aujourd'hui on est en mesure de le confirmer scientifiquement. D’ailleurs, les recherches scientifiques liées à au cuir de Russie (et à Hermès) ont été publiées. Ce sont ces mêmes recherches qui ont confirmés que le cuir de Russie est avant tout un cuir de bovidés. L’article Method development for the identification of Russia Leather - Comparative study of waterlogged leather samples (auquel la restauratrice a participé) donne tous les détails qu’il y a à savoir. Ces recherches ont fait l’objet d’une publication à l’ICOM, vous pouvez également trouver une conférence qui a eu lieu sur le sujet organisée par la musée du Quai Branly. Bref, le sujet est bien documenté. Vous y apprendrez que la recherche de tannins est un exercice difficile, mais qu’il a été possible de confirmer grâce à l'identification de catéchine que l'écorce de bouleau et de saule est utilisée dans le processus de fabrication du cuir de Russie, et comme il a déjà été dit, que le bois-brésil était également utilisé. En revanche l'utilisation de l'huile de bouleau n'a pu être confirmée à ce stade, d’autres recherchent semblent en cours à ce sujet. Voilà les informations que l’on peut obtenir aujourd’hui grâce à l’ingénierie inversée du cuir, cela permet de fermer des pistes, d’en ouvrir d’autres de confirmer des choses, mais ça ne dira jamais “ajoutez 500 grammes de sucre et laissez reposer pendant 12 mois”.

Malgré tout cela, il n’en reste pas moins que la reproduction de Baker est la plus belle sur le marché, et de loin. Si l’on fait abstraction du marketing, de la “recette secrète” et de tout ce qui gravite autour, le groupe de travail d’Hermès, la conservatrice, Baker, tous ont fait un travail absolument formidable pour obtenir un résultat qui est très largement au-dessus de la concurrence. Le cuir existe en deux itérations différentes, d’un côté il y a celle proposée par Baker au commun des mortels (qui demeure très belle et est adaptée en fonction des clients) et de l’autre il y a le cuir Volynka qui est un cuir spécifiquement réalisé pour Hermès. Comme je le disais c’est une marque déposée, la marque a demandé une couleur et un grain très spécifique, qui sont à mon avis parmi les plus beaux de toutes les reproductions. Le grain est légèrement plus marqué, la teinte est plus nuancée, peut-être un peu plus profonde. C’est un superbe cuir de maroquinerie qui prend très bien la lumière et qui est vraiment très joli quand il est utilisé pour les sacs ou des serviettes. Si Hermès insistent autant sur la fidélité de leur copie à l’original c’est probablement car les autres marques se contentent en général d’imiter le grainage du cuir de Russie sur des peaux au tannage lambda (par exemple l'Utah grain de Haas), sans se préoccuper des autres caractéristiques comme l’odeur. Sur cet aspect Hermès ont réussi à produire un cuir qui a une odeur immédiatement identifiable, c’est au final une odeur assez proche de ce qu’on peut avoir avec une peau du Metta Catharina, mais en plus fort. Du moins durant les premiers jours, l’odeur s’estompe un peu avec le temps. C’est une odeur assez masculine, qui mélange des notes de tourbe et qui est légèrement boisée. À mon sens leur reproduction est un sans-faute, mais par pitié, qu’on arrête avec le Metta Catharina, avec la magie, avec le cuir de Russie martyrisé, le cuir de Russie outragé, mais le cuir de Russie retrouvé.

 “Cuir de Russie” par J&FJ Baker, la tannerie le propose en noir et en marron.  (Source :millhandmade)
“Cuir de Russie” par J&FJ Baker, la tannerie le propose en noir et en marron. (Source :millhandmade)
Sac à dépêches en cuir Volynka, si vous voulez le même Hermès vous dira très probablement de passer 18 mois sur liste d’attente, ce qui est leur façon polie de vous dire d’aller vous faire mettre. (Source:purse blog)
Sac à dépêches en cuir Volynka, si vous voulez le même Hermès vous dira très probablement de passer 18 mois sur liste d’attente, ce qui est leur façon polie de vous dire d’aller vous faire mettre. (Source:purse blog)
$1099 pour une peau en “cuir de Russie” de Baker. Même si RMLS ne sont pas réputés pour des prix particulièrement “placés”, c’est très cher. Vous noterez également le très discret et subtil “200 Year Sunken Treasure Leather” qui en dit long sur le public visé. (Source : RMLS)
$1099 pour une peau en “cuir de Russie” de Baker. Même si RMLS ne sont pas réputés pour des prix particulièrement “placés”, c’est très cher. Vous noterez également le très discret et subtil “200 Year Sunken Treasure Leather” qui en dit long sur le public visé. (Source : RMLS)
Crockett & Jones prétendent également avoir l'exclusivité sur le "cuir de Russie" de Baker, mais dans leur cas c'est juste du flanc pour épater les débiles.  (source: C&J)
Crockett & Jones prétendent également avoir l'exclusivité sur le "cuir de Russie" de Baker, mais dans leur cas c'est juste du flanc pour épater les débiles. (source: C&J)
Comme en témoigne cette sélection de ”Galway” en "cuir de Russie" Baker. Vous avez Carmina, Edward Green, Winson, Midas, Lof & Tung... So original, so unique... (Source: Sartorialisme)
Comme en témoigne cette sélection de ”Galway” en "cuir de Russie" Baker. Vous avez Carmina, Edward Green, Winson, Midas, Lof & Tung... So original, so unique... (Source: Sartorialisme)

Les autres tentatives d’imitation

Il est possible que si Hermès a décidé de lancer un groupe d’étude pour la création de leur propre reproduction du cuir de Russie en 2012, c’est parce qu’à la même époque d’autres “répliques” commencent à se répandre sur le marché, ou sont en préparation, on peut évoquer par exemple l'Utah calf de Haas, le Radica Museum Russia d'Ilcea, le Hatch Grain de Conceria Walpier et d'Horween mais il en existe bien d'autres. J’insiste sur le fait de mettre réplique entre guillemets. Car au risque de me répéter Baker sont jusque-là les seuls à avoir eu réellement une démarche de reproduction d’un cuir ancien, leur “cuir de Russie” est véritablement une copie comme pouvaient en faire les tanneurs Européens du XVIIIème et XIXème siècle. Les autres cuirs “de Russie” qui sont sur le marché, ne sont que des cuirs grainés vendu une blinde aux débiles en raison d’un effet de mode. Effet de mode en grande partie lancé par Horween avec l’apparition de leur texture dite “Hatch Grain”, la tannerie Américaine est l'une des premières à se lancer sur ce marché juteux. Il semble que le lancement de cette nouvelle texture ait été combinée à l'élaboration d’un nouveau cuir dit “Pionner”, ce qui expliquerait les problèmes qu’il y a eu une fois que cette nouvelle offre s’est retrouvée sur le marché. Avant d’aller plus loin, sachez que le cuir “ Pionner” d’Horween est un cuir de vache au tannage mixte, il a donc subi un premier tannage au chrome qui a été suivi d’un second tannage végétal (ce qui est essentiellement une façon de gagner du temps par rapport à un tannage végétal strict). Ce cuir est ensuite nourri avec ce qu’Horween appelle “a rich proprietary blended oil emulsion”, comprendre par là un mélange d’huile diluée sur laquelle ils ne veulent pas trop en dire. Il ne s'agit donc pas d'un cuir au tannage végétal comme l'était le cuir de Russie originel ou comme l'est celui de Barker.

Nous allons nous focaliser sur l'imitation d'Horween car avec celle de Barker c'est la seule qui soit digne d'intérêt. Aux alentours de 2012 Gaziano & Girling (G&G) sont parmi les premiers à utiliser cette nouvelle texture “Hatch Grain” vraisemblablement combinée à leur cuir “Pionner”. Il est difficile de savoir quelles étaient les intentions d’Horween au moment du lancement de ce nouveau grainage. Aux débuts la marque ne fait absolument aucune référence au cuir de Russie, mais il est évident que le grain s’en inspire très fortement. De leur côté ils expliquent qu’il s’agit avant tout d’une texture, et qu’ils peuvent l’appliquer à différents cuirs, d’ailleurs ils vont également lancer un cuir cordovan hatch grain. Ce sont les revendeurs qui vont se charger de faire leur marketing et d’associer le hatch grain d’Horween au youfte et cela de la façon la plus putassière possible. Certains l’appellent “Horween Leather, Russian Hatch Grain”, d’autres “Pioneer Reindeer”. Même les réputés A&A Crack & Sons mentionnent le cuir de Russie dans leur fiche produit sur le Pioneer hatch grain. Mais la palme du racolage revient de loin à la marque Stephano Bemer (qui n’a plus aucun lien avec son défunt créateur, ce qui m’enlève tout scrupule si jamais j’en avais). Stephano Bemer font exactement la même chose qu’Hermès en expliquant avec des trémolos dans la voix que le cuir de Russie est légendaire et qu’avec Horween ils sont décidés à le rendre immortel. Ils parlent du Metta Catharina, du youfte légendaire et indestructible de la toundra glacée, la totale. Et je cite ce qui va suivre car c’est tellement du foutage de gueule qu’il faut le conserver pour la postérité : “Dans le respect de cet héritage, Stefano Bemer a initié une collaboration avec Horween Leather, l'une des plus importantes tanneries au monde, dans le but de faire revivre le cuir de cette époque. Grâce à nos efforts conjoints, nous avons réussi à obtenir une couleur, une texture et des caractéristiques extrêmement similaires à celles du cuir russe”. Vous allez me dire que vous ne voyez pas la différence avec communication d’Hermès… Sauf que ce cuir n’existe pas. Tout ce que Bemer a fait c’est reprendre le pioneer hatch grain qui existe déjà et lui mettre une couche d’antiquing sur la tronche (de la patine si vous préférez).

Le cuir pioneer d’Horween (Source : the TR)
Le cuir pioneer d’Horween (Source : the TR)
Stephano Bemer qui ne se sentent plus pisser (Source :  Stephano Bemer)
Stephano Bemer qui ne se sentent plus pisser (Source : Stephano Bemer)
Même le très sérieux A&A Crack ne résiste pas à l'envie de faire un peu de racolage. (Source :  A&A Crack & Sons)
Même le très sérieux A&A Crack ne résiste pas à l'envie de faire un peu de racolage. (Source : A&A Crack & Sons)

Il semble que les débuts du cuir pioneer aient été un peu difficiles. Le résultat a d’abord été problématique puisque la teinture avait tendance à ne pas tenir sur le cuir. Le résultat aurait été suffisamment mauvais pour que Gaziano & Girling aient besoin de décaper et de reteindre leur cuir avant de le vendre. Malheureusement ces problèmes ne sont pas spécialement bien documentés puisque d’une part s’agissant d’un cuir majoritairement disponible en MTO les volumes étaient restreints et d’autre part G&G ont été assez rapides à mettre une solution en place pour leurs clients. Alfred Sargent sont confrontés aux mêmes problèmes, mais là encore les volumes sont beaucoup trop faibles pour que cela fasse du bruit, au mieux on trouve quelques bruits de forum à droite et à gauche. Il semble qu’ensuite Horween ait retravaillé son cuir afin de corriger ces problèmes de teinture.

Une rare paire d’Alfred Sargent réalisée en cuir hatch grain d’Horween (Source: Styleforum)
Une rare paire d’Alfred Sargent réalisée en cuir hatch grain d’Horween (Source: Styleforum)
Cette même paire d’Alfred Sargent sauf qu’après quelques ports la finition ne tient pas en place. (Source : Styleforum)
Cette même paire d’Alfred Sargent sauf qu’après quelques ports la finition ne tient pas en place. (Source : Styleforum)
Des bruits de forum quant à la réputation du cuir hatch grain d’Horween. (Source ; Styleforum)
Des bruits de forum quant à la réputation du cuir hatch grain d’Horween. (Source ; Styleforum)

C’est avec Saint Crispin’s (et dans une moindre mesure Zonkey Boots, que je ne vais pas aborder ici) que les problèmes vont devenir beaucoup plus amusants, ce qui vaudra une volée de bois vert à la marque mais également à son distributeur Skoaktiebolaget. Pour ceux qui l’ignorent Saint Crispin’s c’est un peu une version luxe de Vass mais au lieu d’être fabriqué en Hongrie, c’est fabriqué en Roumanie. Il y aurait beaucoup à dire sur Saint Crispin’s, la marque était prometteuse au tout début des années 2000 mais elle est rapidement devenue une machine à hype pour les veaux de Styleforum. Je n’ai rien de particulier contre St Scriprin’s, mais le fait est qu’ils se trimballent quelques casseroles sur le dos, probablement à cause d’une croissance trop rapide et mal gérée. Avec le temps les prix sont passés d’un peu moins $900 pour une paire à pratiquement $1500, alors que le produit est globalement le même et utilise toujours régulièrement ce crust un peu douteux. Mais ça n’est pas grave car dans la tête du client moyen Saint Crispin’s ses chaussures Roumaines à $1500 ont la même valeur qu’une paire bespoke à $3500. C’est un peu une marque privilégiée par les hard discounteurs américains, le profil du client est souvent le même, assez riche pour dépenser $1500 dans des chaussures, pas assez pour être client bespoke des bottiers Européens. Dans leur tête c’est une affaire, et ils sont donc assez prompt au fanboyisme.

Saint Crispin’s vont proposer plusieurs modèles en “russian calf” (également appelé “RUS075”) aux alentours de 2014. Je ne suis jamais parvenu à obtenir avec certitude l’origine du cuir qui était utilisé par la marque. Certaines rumeurs insistantes parlent d’Horween, ce qui correspondrait bien avec les problèmes de décoloration observés par les autres marques quelques années auparavant. Mais Saint Crispin’s n’ont jamais communiqué ouvertement sur la tannerie qui leur fournissait ce “russian calf” donc la provenance peut être tout aussi douteuse que leur célèbre crust. Il n’en reste pas moins que c’est probablement le plus beau naufrage de toute cette histoire. Skoaktiebolaget vont lancer plusieurs MTO Saint Crispin’s avec ce nouveau cuir et vont les proposer sur Styleforum à la guilde des idiots utiles. Problème, le cuir “RUS075” vieillit très mal, marque fortement et surtout il perd sa teinture créant des griffures et autres zones décolorées et cela dès les premiers ports. Il semblerait que l’un des problèmes majeurs réside dans l’interaction entre la teinture et les huiles utilisées mais Saint Crispin’s ont toujours refusé de considérer cela comme un défaut (it’s a feature) mieux ils ont tout simplement ignoré les problèmes. Du coup cela a donné lieu à un dialogue de sourds entre clients lésés et fanboys écervelés. La réponse qui a été faite par Skoaktiebolaget a été absolument hilarante, ils se sont contentés de mettre en ligne une page expliquant à leurs clients comment entretenir leurs chaussures en “russian calf” par Saint Crispin’s. Dans un sens, Saint Crispin’s et leur tannerie (Horween ou une autre) ont peut-être réussi à émuler au mieux le cuir du Metta Catharina, c’est le seul cuir de Russie moderne qui après 5 minutes de port semble vraiment avoir passé 200 ans sous l’eau.

 Le désastre St Crispin’s. (Source : Styleforum)
Le désastre St Crispin’s. (Source : Styleforum)
Le naufrage est total (Source: Styleforum)
Le naufrage est total (Source: Styleforum)
Les recommandations de Skoaktiebolaget quant à l'entretien des chaussures en "cuir de Russie" de St Crispin's. (Source:Skoaktiebolaget)
Les recommandations de Skoaktiebolaget quant à l'entretien des chaussures en "cuir de Russie" de St Crispin's. (Source:Skoaktiebolaget)