Article mis à jour le 27 Janvier 2023. Frasers Group est devenu propriétaire de Gieves & Hawkes en 2022, reste à voir ce qu'il adviendra de la marque. Probablement rien de bon.
Table des matières
Avant-propos
Oh dear, si vous suivez un peu l’actualité économique de ces derniers mois il ne vous aura pas échappé que Gieves & Hawkes, qui se trouve sur Savile Row depuis 20 000 ans, risque de fermer ses portes à cause d’évènements malheureux en provenance de Chine. Évènements qui sont, cette fois, sans rapport direct avec un quelconque laboratoire de recherche. Il y a quelques années, la vénérable entreprise de confection ainsi que d’autres grands noms du textile ont été rachetés par un groupe chinois qui souhaitait mettre en place une stratégie internationale visant à concurrencer le géant LVMH - Louis Vuitton Moët Hennessy, le groupe français de champagne et de cognac qui fabrique des bagages pour footballeurs dont le facteur G est inversement proportionnel au compte en banque. Étonnamment, ce plan semble ne pas avoir fonctionné, et maintenant, à moins qu'un acheteur ne soit trouvé, Gieves & Hawkes va disparaître. Et c’est bien dommage car il est toujours triste de voir disparaitre un nom célèbre. Un nom? Oui, un nom. Gieves & Hawkes ce n’était plus que ça, un nom, ou plus exactement, une marque. Il ne faut pas pour autant se méprendre, il n’est pas question de renier l’histoire de Gieves & Hawkes, leur héritage, et ce qu’il leur reste de savoir-faire. Ça serait mal comprendre mon propos. Il s’agit plus d’expliquer que cette disparition potentielle n’est que la suite logique d’un cycle économique qui a fait de nombreuses victimes et en fera encore. Brioni, Pal Zileri, Crombie et beaucoup d’autres sont sur la sellette. Et tout cela n’a pas grand-chose à voir avec le vilain Covid, qui n’a fait que rendre plus apparentes les failles d’un système qui vide les marques de leur substance. Système qui existe en grande partie à cause de notre rapport à ces dites marques.
Introduction
Je ne vous apprends rien si je vous dis que les marques sont un signe distinctif. Elles permettent entre autres de structurer la concurrence, d’identifier les produits etc, et les enjeux qui gravitent autour d’elles sont importants car les marques sont le trait d'union entre l'entreprise et le consommateur. Les marques ont un très fort pouvoir d’évocation, elles se nourrissent parfois de plusieurs centaines d’années d’existences, et évoquent des idées, des traits de caractère, des réputations, des associations. À tel point qu’aujourd’hui elles occupent une place prédominante dans la société. Une étude publiée par le CAIRN estime par exemple qu’un consommateur connaît en moyenne 5 000 noms de marques. Certains construisent ou manifestent des pans entiers de ce qu’ils estiment être leur identité à travers une marque. Dès l’enfance on signifie son appartenance à un groupe, une caste, en choisissant des marques qui sont censées représenter notre place dans la société. Si vous avez grandi au début des années 90 vous n’étiez pas la même personne et n’aviez pas les mêmes perspectives d’avenir si votre mauvais sweater en polyplouc était griffé “Com8”, “Element” ou “Lacoste” et si vous pensez que ce phénomène se limite à l’adolescence vous n’avez jamais croisé le chemin de la tribu des traders, portfolio manager et autres bourreurs de Wall Street qui ont fait de la Patagonia jacket leur signe de ralliement. Parfois cela prend même des dimensions rigolotes, genre le Discord des suceurs monomaniaques Bonne Gueule. Vous y trouvez virtuellement tous les bobos urbains et péri-urbains hypocondriaques et à calvitie précoce de France. Le genre à se trimbaler avec un cabas à roulette et à être déjà mort en dedans. Les mecs se prennent pratiquement pour le département ressources humaines de la marque et vont jusqu’à “analyser” ses nouveaux employés tel une armée de Karen en chaleur. Cette identification aux marques est d’autant plus forte dans le monde du vêtement puisqu’il est un élément fondamental de la culture matérielle, il est l’un des marqueurs de toute société humaine. On peut même parler de véritable langage destiné à signifier et pas seulement à protéger ou à orner. Pour l’historien Daniel Roche: “l’histoire du vêtir témoigne en profondeur sur les civilisations. Elle en révèle les codes”. Le choix du vêtement et dans une certaine mesure, de la marque est tout sauf anodin.
Dans certains cas les gens deviennent complètement obnubilés par les marques, et ces dernières participent de manière non négligeable à l’acte d’achat. Je ne compte pas le nombre de fois où l’on nous a demandé “vers quelles marques faut-il se tourner pour un costume à 1000 euros” ou “à quand un guide d’achat sur les marques de demi-mesure” sans que l’on ait absolument la moindre indication sur les besoins des personnes qui posent ces questions. Car eux même n’en ont rien à foutre, ils veulent juste qu’on leur balance une liste de marques de “qualité”, comme si ça voulait dire quelque chose. Beaucoup ont tendance à avoir un raisonnement inverse à celui qui pourrait sembler logique, plutôt que de se demander quels sont leurs besoins et de voir ensuite les marques qui correspondent, ils préfèrent demander d’abord quelles sont les “bonnes marques” pour ensuite voir si elles font ce qu’ils cherchent. Et au final on se trouve avec des ploucs de 18 ans fringués à la Hugo Jacomo ou avec des ninjas full TeKOuÈrEuH en plein cœur de Paris.
D’ailleurs les articles les plus populaires du site sont justement les guides d’achats, que ça soit sur les montres ou les chaussures. Et cela n’est d’ailleurs pas spécifique à notre blog, il suffit de voir à quel point les guides, sélections et comparatifs pullulent partout ailleurs pour se rendre compte de leur succès. Et puis c’est pratique les guides d’achats, n’importe quel attardé peut en pondre une pelleté en un rien de temps. Ça va faire du clic et puis ça ne demande pas connaissances particulières. La preuve, un duo de mongoles récemment devenu Youtubeurs a fait un guide d’achat sur les pompes, dans lequel ils utilisent une photo de chaussures en cuir de pécari pour illustrer un cuir grainé…. Nouvel éclat de médiocrité chez les Laurel et Hardy du néant. Et les types sont soit disant dans la sape depuis des plombes. On pourrait multiplier les exemples à l’infini, se pencher sur le cas du karatécaca de prépa mais ce n’est pas la peine. Seulement, si quelqu’un pouvait trouver un vrai travail à tous ces demi-chômeurs issus de formations bidon dans la “communication du luxe”, ils auraient peut-être moins de temps libre pour raconter leurs conneries.
Mais revenons à nos moutons, l’obsession des gens pour les “marques de qualité” et pourquoi cette obsession est stupide. Commençons rapidement par évacuer tout possible malentendu, non nous ne faisons pas ceux qui ne veulent pas comprendre. Quand les gens demandent une “bonne marque” ils veulent en général dire : une marque qui fait de bons produits. C’est entendu. Mais c’est débile. Une marque peut très bien faire un bon produit et un produit de merde. Weston font la Chasse et ils font aussi du mauvais cousu Blake. Rien n’empêche la cohabitation au sein d’une même marque de plusieurs gammes, lignes, produits etc etc d’une qualité extrêmement variable. Comme rien n’empêche plusieurs marques de vendre le même produit. En réalité nous vivons dans une époque où il y a beaucoup de nouvelles marques, sans pour autant qu’il y ait de nouveaux produits. Et malheureusement nous sommes également à l’heure où les marques “traditionnelles” (comprendre par là non 2.0) “historiques”, “Ivy leage” ou encore “old money” subissent pratiquement toutes le même sort que Gieves & Hawkes et deviennent des coquilles vide dont l’objectif est de remplir les poches d’actionnaires et autres investisseurs.
Les nouvelles marques 2.0 sans nouveaux produits
Il n’y a pas si longtemps Simone Crumpet a rédigé un billet sur son blog dressant le constat que la mode (comprendre par-là l’industrie de l’habillement) arrivait à court d'idées, et cela de plus en plus vite. Et il avait raison. Je ne suis pas certain d’en connaître la cause, est-ce là une manifestation de la post-modernisation et sa mondialisation, la désindustrialisation, le fait que les crétins d’école de commerces ne puissent rien faire sans copier le travail des autres. Ce phénomène est probablement multifactoriel, toujours est-il qu’on voit de moins en moins de choses intéressantes qui arrivent sur le marché. Et pourtant, on assiste à une explosion de nouvelles marques.
Aujourd’hui n’importe qui peut créer une marque, il faut dire que c’est beaucoup plus facile que d’apprendre à fabriquer quelque chose de ses propres mains. Alors que les tailleurs, bottiers et autres artisans disparaissent de nouvelles marques toutes plus vides de savoir-faire les unes que les autres apparaissent de façon aussi inopportune qu’un furoncle au derrière.
Je ne vais pas m’étendre longtemps sur le sujet, si vous êtes familier du blog vous n’êtes pas sans ignorer que je suis très critique des private labels. Car dans beaucoup de cas, il ne s’agit que de marques. Comprenez par là qu’il n’y a absolument rien derrière le marketing puisque le produit est fabriqué par une usine qu’ils ne contrôlent pas, et qu’il est bien souvent trouvable ailleurs sous un autre nom. Au début des années 2010, les marques dites 2.0 se sont concentrées sur la production de produits de faible qualité et à fort contenu conceptuel (low quality, high concept) ça a été l’explosion des marques “disruptives” sans intermédiaires etc etc. En réalité, comme Alain, ils produisent du concept. Leur créneau c’est exclusivement la communication. On s’est alors retrouvé avec des dizaines de modèles de sneakers blanches pratiquement identiques, qui sortaient toutes des mêmes usines, totalement dopées à la communication sur les rézaux. Et chacun insistant, ils avaient là un produit r.é.v.o.l.u.t.i.o.n.n.a.i.r.e. Ces ploucs trouvent tous des arguments plus débiles les uns que les autres pour dire pourquoi leur modèle est unique. Et vas-y que le mien il est écolo, le mien y vient du Népal, le mien il est cousu par mama Rosa. Et ils ont déclinés ça à toutes les sauces. Regarde mon t-shirt blanc révolutionnaire, mon pull parfait, mon jean ultime. Et chaque saison ça recommence avec tous les hivers la blague du manteau long (qui arrive à mi-cuisse) en tissus résistant etc etc. Quant au produit, il est le plus souvent de qualité moyenne, sans être franchement mauvais, il est en décalage total avec le battage qui est fait autour de lui et qui lui attribue des pouvoirs magiques. Il n’est d’ailleurs jamais iconique puisqu’il ne s’agit justement que de produire des copies de modèles iconiques déjà vus ailleurs. Ce qui est amusant avec cette surabondance de communication c’est que les gens sont complètement paumés (en même temps, c’est le but). Quand ils nous demandent quel t-shirt blanc acheter et qu’on se contente de dire “le premier venu à la bonne taille” ils ne comprennent pas pourquoi on n’en recommande pas un des marques avec les pouvoirs magiques. C’est un putain de t-shirt blanc bande de cons.
Certains vont très probablement me reprocher de forcer le trait, mais en réalité je ne fais qu’effleurer la surface. Si vous avez lu notre démontage de la chaussure Andrew 6942 par Carlos Santos vous savez que Loding, Malfroid, Monsieur Chaussure et probablement d’autres ont, peausserie mis à part, exactement le même modèle à leur catalogue. Mais vous pouvez être certain que la perception par le public de ces modèles n’est pas la même, à cause de la marque et donc du prix. On pourrait multiplier les exemples à l’infini. Et certes, certains produits qui sont fabriqués en private label peuvent être d’excellente facture et sont parfois proposés à des prix “moins chers que les marques de luxe”. Le secret c’est de rogner à mort sur la marge. Mais au final est-ce que le produit est “mieux” ? Pas toujours, très concrètement vous prenez une paire de Jacques et Déméter, qui sont de très bonnes chaussures, et vous les mettez en face d’une paire de Weston. À montage et prix équivalent les Weston auront un meilleur cuir. Car quand on en vient à la question du sourçage, une PME n’a pas la même force de frappe qu’une multinationale, et cela est vrai sur d’autres domaines comme celui de l’utilisation des peausseries etc etc. Et puis il y a le cas du private label d’excellente facture, qui n’est pas du tout moins cher que “la marque de luxe” car il vient d’une marque de luxe. Dans certain cas l’arnaque est même totale. Drake’s ont dans leur collection un cardigan en private label à 520€, vous pouvez trouver exactement le même chez William Lockie (le fabricant et fournisseur de Drake’s pour les mailles) pour 320€, la seule différence étant l’étiquette. Est-ce qu’une étiquette vaut à elle seule une différence 200€ pour le même produit ? Évidemment non, mais c’est là tout le pouvoir des marques. Pouvoir vous faire payer 60 % plus cher pour un simple nom, et c’est pour obtenir ce résultat que toutes les marques dépensent des fortunes en communication. Encore une fois l’idée n’est pas de mettre tous les private labels dans le même panier, ni de dire que ces produits ne valent pas la peine d’être acheté. Mais simplement de dire que l’obsession des gens pour les marques permet à ce genre de système de perdurer comme elle permet de maintenir en vie de façon plus ou moins artificielle des entreprises qui ne sont plus que des coquilles vides qui ne vivent que sur leur nom et leur gloire passée.
Le cycle de vie des marques traditionnelles
Des marques qui vivent de leur nom et de leur réputation sans que cette dernière ne repose sur grand-chose si ce n’est la marque, il en existe beaucoup dans le monde du style classique. Brooks Brothers, Ralph Lauren, Aquascatum, L.L. Bean, Sebago, Church’s, Berluti, Barbour, Crombie, Brioni, J. Crew, Gieves & Hawkes, Gant…. Sont toutes à ce stade ou sont en passe de le devenir, alors évidemment ce ne sont que des exemples parmi tant d’autres et toutes ne sont pas au même niveau de décadence, il existe en réalité un cycle de vie propre au monde de l’entreprise. En fonction des théories, ce cycle comporte plus ou moins de phases mais tout le monde s’accorde à dire qu’il y a quatre temps principaux, la création, le développement, la maturité et le déclin. Certains ajoutent des temps intermédiaires, comme la phase critique qui est suivie soit de la réorganisation, de la cession ou de la fusion. Je n’invente donc rien, je me suis contenté de préciser le modèle pour l’adapter aux entreprises du vestiaire classique et je l’ai présenté sous la forme du graphique que vous pouvez voir ci-dessous. Il est important de préciser que ce graphique ne tient absolument pas compte de l’échelle temporelle. Il faut parfois 100 ou 200 ans pour voir une entreprise passer de sa genèse à une coquille vide.
Alors évidemment il faut donner les réserves d’usages, toutes les entreprises ne suivent pas exactement le même schéma. Certaines disparaissent bien avant d’avoir atteint le statut de coquille vide. Il existe, comme toujours, des situations particulières et dans le cas des entreprises qui font à la fois du bespoke et du pàp il faut se garder de les juger ensemble, tout en étant lucide sur le fait que l’activité bespoke est souvent résiduelle. Qu’il s’agisse de Berluti ou de Gieves & Hawkes leur production en bespoke reste d’une qualité exceptionnelle, mais elle ne représente pas grand chose en termes de volume par rapport aux activités annexes qui ont été développées et qui n’ont rien à voir avec ce qui a fait la réputation de la marque. De la même façon que l’activité de malletier de Vuitton ne représente rien par rapport aux produits dérivés vendus par la marque. C’est là tout l’intérêt de la coquille vide, utiliser un nom prestigieux pour lui faire vendre n’importe quoi. Et bien évidemment, une coquille vide peut sortir des produits intéressants ou qui satisfont vos besoins, là n’est pas la question.
Avant d’aller plus loin, nous pouvons également identifier sur le graphique un phénomène qui est évident mais qui est important de souligner. Ce ne sont pas les meilleures marques, mais les moins bonnes qui ont tendance à être les plus mises en avant, en ligne ou ailleurs. Cela va de soi, mais pour certain il s’opère dans leur esprit ce phénomène curieux qui veut que : marque omniprésente = marque intéressante, marque de qualité ou marque je ne sais quoi. C’est un peu l’effet Mercurochrome ou Juvamine, à force de répétition on finit par céder. Plus le budget marketing est important plus la marque est présente, il n’y a rien de difficile à comprendre.
Nous allons maintenant préciser les différentes phases qui sont sur le graphique, gardez à l’esprit que toutes les caractéristiques ne s’appliquent pas à toutes les entreprises. Notez également que l’existence d’une entreprise se complexifie au fur et à mesure qu’elle progresse dans le cycle, ce qui explique le déséquilibre manifeste dans la quantité de critères listés.
La genèse
- Le fondateur est omniprésent et est en contrôle direct de beaucoup d’aspects de l’entreprise
- Les produits évoluent rapidement, et l’entreprise est réactive aux besoins des clients
- L’entreprise fait en général UNE chose très bien
- Le marketing est basique
- L’avenir de l’entreprise est incertain car elle est fragile
- Le public aime les produits, sans nécessairement reconnaître l'entreprise qui les a créés (le sempiternel “who made this ?” sur Instagram…)
- Le prix est élevé, mais le client qui ose franchir le pas est récompensé par un produit de qualité
La maturation
- Le fondateur est toujours très impliqué et bien qu’il ait moins de contacts avec les clients il reste en général accessible et peut même intervenir directement
- Les produits se stabilisent, la gamme s’affirme
- Les prix sont justes, constants et sans manipulations artificielles
- Une base de clients passionnés se forme et ils deviennent fidèles
- L’entreprise pratique des prix plus élevés que la concurrence sans que les clients ne rechignent car la qualité est présente
- Le marketing n’est pas une priorité mais n’est plus au stade basique
Iconique
- Le fondateur est pratiquement inaccessible aux clients
- Les produits sont immédiatement reconnaissables et ont une aura unique sur le marché
- La marque gagne une reconnaissance au-delà de son audience originelle
- Les prix et la qualité demeurent élevés
- La gamme est développée en cohérence et en harmonie avec les produits iconiques de la marque
- Le personnel commercial est d’une excellente qualité et fait tout pour satisfaire le client
- Le marketing n’est toujours pas une priorité mais il prend une importance croissante
- Tout ralentissement de la croissance est inquiétant pour la marque car bien que prospère elle opère avec des marges “justes”
- La mode n’est pas une considération, l’accent est mis sur la qualité des produits et leur durabilité.
Nouveaux marchés
- Le fondateur n’est plus aux commandes de l’entreprise, ou a délégué sa gestion et ne supervise plus que de très loin
- Le nouveau management (ou la nouvelle direction) est issu d’écoles de commerce et ont une logique financière et non commerciale
- Le nouveau management (ou la nouvelle direction) cherche à augmenter les marges de façon significative et fait appel à de nouveaux investisseurs
- La qualité baisse sur toute la gamme, y compris les produits iconiques, mais la qualité de ces derniers demeure acceptable
- Des changements mineurs apportés aux produits iconiques (nouvelle couleur, nouvelle matière...) sont traités du point de vue marketing comme le lancement d’un tout nouveau produit
- Le personnel historique de la marque qui a fait son succès est petit à petit purgé ou voit son rayon d’action et d’initiative limité voire neutralisé
- L’entreprise considère comme conquis son marché traditionnel et s’intéresse à de nouvelles catégories de clients
- Ces nouveaux clients sont soit étrangers (expansion à l’international) soit d’une catégorie socioprofessionnelle différente (expansion vers le bas, avec des prix toujours élevés)
- L’effort d’expansion (à l’international ou vers le bas) est supporté par une augmentation considérable du marketing
- L’entreprise s’aventure sur des marchés qu’elle ne connaît (ou comprend) pas et rencontre des échecs parfois cuisants
- Les clients historiques de la marque commencent à s’en détourner
Pompe à fric
- Le fondateur de l’entreprise n’a plus aucune implication avec cette dernière, dans bien des cas il est décédé, parfois depuis plusieurs générations
- La nouvelle direction cherche exclusivement à générer une manne financière considérable pour son bénéfice propre, par le biais d'une expansion rapide de la marque avec des produits de qualité nettement inférieure à des prix encore élevés et des marges très importantes. Cela en sacrifiant irrévocablement tout ce qui a été fait par le fondateur de l’entreprise. En d'autres termes, partir de rien pour former une grande entreprise est moyennement rentable. Transformer une grande entreprise en rien est extrêmement rentable
- L’entreprise à une vision à court terme et prend des raccourcis pour atteindre ses objectifs
- Les modèles iconiques sont en voie de disparition, leur qualité est très inférieure à ce qu’elle était par le passé
- Les prix fluctuent de manière extrême. Les prix sont élevés mais cassés par des soldes intempestives, multiplication des opérations promotionnelles, adoption du système de coupon et de code de réduction
- La mode et les tendances sont une obsession, la marque doit paraître “branchée”
- Le marketing est omniprésent, et totalement schizophrénique puisqu’il est dans un premier temps utilisé pour se distancier du passé de l’entreprise et promouvoir de nouveaux produits à très forte marge
- Pour dans un second temps invoquer sans relâche l’héritage de la marque lorsque les nouveaux produits sont un échec
- Des magasins de type “outlet” apparaissent (surtout vrai chez les anglo-saxons)
- Recours pratiquement systématique à la délocalisation ou au private labeling
- Les clients historiques sont partis
Coquille vide
- L’entreprise entre à plusieurs reprises dans des périodes de difficulté et d’administration. L’endettement et les pertes sont des problèmes endémiques
- L’entreprise connaît un cycle de faillite/rachat
- La nouvelle direction après une faillite pense qu’elle peut redresser les ventes de l’entreprise grâce au marketing
- Le marketing demeure schizophrénique
- Utilisation de directeurs artistiques célèbres et/ou perçus comme branchés
- L’entreprise utilise l’histoire de la marque alors qu’elle n’a plus aucune connexion avec elle
- Une personne sans lien avec l’entreprise originale ou avec un lien ténu sert de figure de paille pour émuler la personne du fondateur (disparu depuis plusieurs générations)
- Le nom de la marque est exploité par des licences, des liges de diffusion, des lignes d’outlet qui n’ont aucun lien avec l’entreprise originale
- La gamme est volontairement illisible pour tromper le client
- Les produits ne sont plus différenciés sur le marché et se retrouvent confrontés à une nouvelle concurrence
- Le savoir-faire de la marque a été entièrement dilapidé ou dilué
- Les produits iconiques n’existent plus, ou ne partagent aucune qualité des produits originels
Quelques exemples
Maintenant que vous savez plus ou moins à quoi correspond le cycle de vie des entreprises, nous pouvons nous aborder le cas de quelques entreprises afin de voir où elles se situent dans ce cycle.
Gieves & Hawkes
Nous allons naturellement commencer par Thieves & Hawkes. Il n’y a guère de surprise puisque j’ai déjà qualifié la marque de coquille vide à plusieurs reprises, mais il me reste à expliquer pourquoi. Parlons tout d’abord de l’histoire derrière la création de Gieves & Hawkes. La marque aime rappeler à qui veut l’entendre qu’elle a maintenant 250 années d’existence…. C’est faux. Thomas Hawkes a bel et bien ouvert son premier magasin en 1771 sur Brewer Street, mais la marque de son vivant n’a jamais été appelée Gieves & Hawkes. En réalité Gieves & Hawkes n’opère sous ce nom que depuis 1974… après la fusion de Hawkes & Co (qui n’avait déjà plus rien à voir avec Thomas Hawkes) et de Gieves, Ltd, une autre entreprise fondée en 1841.
Le cœur de métier de Hawkes & Co et de Gieves, Ltd c’était la fourniture d’uniformes pour la royal navy, l’armée, les explorateurs et la famille royale. Mais en réalité cela fait plus de 40 ans que la marque utilise son nom pour faire du prêt à porter de qualité variable. Dès les années 80, Gieves & Hawkes vendent une licence à Hickey Freeman pour que ces derniers puissent exploiter le nom sur le marché Américain avec une ligne de prêt à porter très médiocre. Au Royaume-Uni, c’est la même chose la ligne a d'abord été fabriquée par Chester Barrie, et puis il y a eu une ligne italienne fabriquée par d'Avenza, ainsi qu'une ligne à bas prix fabriquée par Wensum et ainsi de suite. En réalité de 1996 à 2002 Gieves & Hawkes n’enregistrent pas le moindre profit sauf pour l’exercice de 1999. D’année en année, la société réalise perte sur perte, s’endette et est dans une situation catastrophique. La faute au covid ?
En 2002 Gieves & Hawkes sont rachetés par les Chinois de USI Holdings Limited, le groupe a pour objectif de développer la marque sur le marché Asiatique, plus spécifiquement Chinois, qui commence à s’embourgeoiser. Cela tombe bien car ils disposent également d’usines de confections sur place et c’est donc tout naturellement qu’une grande partie de la production de Gieves & Hawkes est délocalisée vers la Chine. Ils en profitent également pour décortiquer la marque et lance une nouvelle griffe baptisée “ Gieves”. Cette nouvelle marque est censée occuper le segment des vêtements “branchés et décontractés”, comprendre par là de qualité médiocre mais de prix élevé. Elle ne fera pas long feu. En 2007 Robert Gieve, la cinquième et dernière génération de la famille “au service” de Gieves & Hawkes, décède et avec lui s’éteint le lien entre la marque et la famille du même nom.
Malgré leurs efforts les Chinois de USI Holdings Limited ne parviennent pas à redresser la situation, ils essayent de pénétrer le marché Russe, c’est un cuisant échec, et ils vont alors se concentrer sur le marché Chinois. Gieves & Hawkes ne réalisent des bénéfices que sur l’année 2005, tous les autres exercices comptables sont déficitaires parfois de 3 à 4 millions de livre sterling, du jamais vu dans l’histoire de la marque. En 2012 USI Holdings Limited finissent par céder Gieves & Hawkes à un autre consortium Chinois, Trinity Ltd. Qui eux même appartient à Shandong Ruyi, la grenouille chinoise qui voulait devenir aussi grosse que le bœuf LVMH. Trinity a poursuivi le travail de sape effectué par USI et s’est immédiatement dotée d’un nouveau directeur créatif. Qui a ensuite été remplacé par un autre… et puis un autre… et encore un autre….
Le consortium a surtout poussé très fort pour l’expansion de Gieves & Hawkes en Chine, à tel point qu’aujourd’hui la marque dispose de 30 magasins en Chine. Contre 5 pour le reste du monde, tous localisés en Angleterre. La marque reste toujours excessivement déficitaire à l’exception de 2016 et 2018 où de faibles profits sont enregistrés grâce au marché Chinois. La marque est maintenue sous perfusion uniquement pour servir de vitrine à Trinity qui souhaite se donner une image de luxe et de tradition, le Covid n’a rien à voir dans tout ça, cela fait des décennies que les dés étaient pipés. Marks and Spencer ont récemment fait savoir qu’ils étaient potentiellement intéressés pour racheter Gieves & Hawkes. Si l’acquisition se fait ce n’est qu’une question de temps avant que vous ne puissiez acheter un costume avec plus de 250 ans d’histoire fantasmée et plein de royal warrants entre vos plats surgelés et votre papier toilette. On n’arrête pas le progrès.
Puisque l’on parlait d’une marque du groupe Trinity, nous pouvons parler d’une autre en lien avec le groupe Chinois, Aquascutum.
Aquascutum
Fondée en 1851, par John Emary Aquascutum (d’aqua, eau et scutum, bouclier) est réputé pour ses toiles imperméables. Emary fait breveter sa découverte et devient fournisseur de manteaux imperméables pour l’armée, l’aristocratie, les dirigeants politiques…. Dès 1897 la marque est gratifiée d’un royal warrant et elle diversifie son activité en créant également des vêtements pour femme ainsi que des costumes et autres accessoires de haute qualité. À travers les époques la marque habille, notamment de ses trench-coats, le prince Rainier de Monaco, Winston Churchill, Humphrey Bogart, Margaret Thatcher, Sophia Loren, Cary Grant, Michael Caine…. Aquascutum était une entreprise familiale jusqu'en 1990, date à laquelle elle a été rachetée par le conglomérat textile japonais Renown Incorporated. À partir de cette époque commence la longue descente aux enfers, les résultats ne suivent pas et la société enchaine les exercices déficitaires. La marque est rachetée par Jaeger en septembre 2009 et entre dans le cycle traditionnel de faillite et de rachat des coquilles vides. Elle est devenue la propriété d'YGM Trading, un détaillant de mode de Hong Kong en avril 2012, qui comme toujours dans ces cas développe la marque sur le marché Chinois. En mars 2017, YGM Trading a revendu Aquascutum à Jining Ruyi Investment Co, une société holding de Shandong Ruyi. En 2020 Aquascutum entre en liquidation, et dans la même année elle a accordé à Trinity Limited les droits exclusifs de conception, de fabrication et de distribution de ses produits en Chine et a désigné Trinity comme son agent de licence exclusif pour gérer son activité de licence mondiale. La société disparait du registre du commerce Anglais, l’entreprise se retire intégralement du marché Européen dans le plus grand silence. Aquascutum est aujourd’hui une entreprise intégralement Chinoise sans le moindre lien avec son pays d’origine.
JM Weston
Parlons maintenant d’une entreprise plus proche de chez nous, J.M. Weston qui sont en train de négocier à toute vitesse leur passage de l’étape “nouveau marché” à “pompe à fric”. L’entreprise fondée en 1891 à Limoges, par Édouard Blanchard est réputée pour ses chaussures, notamment la 180 ou encore la “chasse” mais elle est également responsable de la fourniture des bottes de la garde républicaine et de la gendarmerie nationale.
Weston intègre le giron d’EPI en 1976, une société de holding qui comporte de nombres pôles (luxe, immobilier, spiritueux…). L’histoire de la marque sous EPI est riche, puisqu’elle se caractérise entre autres par l’achat en 1981 la tannerie Bastin & Fils, et en 2011 par l’achat de la tannerie du Puy qui sera ensuite revendue à Hermès en 2015. Weston a ensuite passé beaucoup de temps à essayer de se développer sur de nouveaux marchés, notamment l’Amérique et l’Asie. Elle essuiera un échec cuisant aux États-Unis où elle fermera finalement sa seule boutique de New York city après des années d’une présence timorée, pour ne pas dire franchement anecdotique. La situation en Asie est en revanche plus heureuse avec un certain succès sur le marché Japonais puisque la marque possède plusieurs magasins au pays du soleil levant, le seul qui bénéficie d’ailleurs d’un site internet local.
En revanche la gamme de la marque est maintenant développée en dehors de toute cohérence, l’arrivée de Michel Perry en tant que directeur artistique (remplacé par Olivier Saillard en 2017) n’est probablement pas étrangère à cela, bien que la tendance se poursuive après son départ. De nombreux modèles branchés, moches et bien en deçà des standards habituels de la marque en termes de qualité font leur apparition. Autrefois Weston utilisaient leur autre marque, Sylvestre Vincent quand ils voulaient faire des modèles "moins chers". Maintenant, ils le font directement sous leur propre nom. Et puis on ne compte plus les absurdités entre la 180 triple semelle pour jouer au clown, les sneakers immondes dont même les CPF ne voudraient pas et les copies de Schmoove pour... mais pour qui en fait? C'est bien simple il y a maintenant de quoi ouvrir un musée des horreurs de renommée mondiale.
Plus récemment, Valérie Hermann (ancienne de Ralph Lauren) a rejoint EPI à la tête de leur pôle luxe, l’avenir nous dira combien de temps il faudra pour transformer Weston en une coquille vide. À en juger par la dernière ineptie de la marque ça ne saurait être long. En effet Weston vient de sortir une bottine appelée Léonard, 1300€ pour un montage qui n’est pas effectué sous gravure.…
Weston est une marque qui a tellement d’estime pour ses clients qu’au moment de passer à la caisse elle vous défonce la rondelle sans vaseline ET vous crache à la gueule en même temps. Ça doit être ça l’élégance.
On pourrait multiplier les exemples à l’infini, et je n’ai cité que des entreprises historiques, n’imaginez pas que les marques plus récentes sont épargnées. Nous avons par exemple écrit un article sur Loding et la procédure de sauvegarde dont l’entreprise fait l’objet, et qui illustre parfaitement ce que nous évoquons ici. On pourrait parler de Suitsupply qui s’est étendu à un nombre considérable de nouveaux pays à travers le monde, dont les prix montent et la qualité baisse. Certes leur stratégie a toujours été de favoriser une expansion rapide au détriment de la rentabilité, toujours est-il que la marque a connu ses premiers revers puisque dans le plus grand silence, elle a été forcée de laisser tomber sa ligne pour femme Suitstudio. Une fois de plus, le Covid chinois est le responsable tout désigné, en réalité cette ligne n’a jamais fonctionné et était moribonde dès son lancement. Les soldes étaient presque permanentes, les modèles n’étaient pas renouvelés, et tout indiquait que la marque allait arrêter les frais tôt ou tard. Et puis, on pourrait également aborder les cas particuliers, comme Arnys. Lors de son absorption par Berluti la qualité a augmenté plutôt que de baisser. Il faut dire qu’avec Arnys on se demande s’il était réellement possible de descendre plus bas. Toujours est-il qu’il existe évidement des anomalies et exceptions comme c’est le cas dès qu’une règle se détache.
Excellent article
L’exemple de Weston est frappant
L’achat d’une paire est généralement le résultat d’une certaine maturité de l’acheteur et un petit “investissement”
Ils ont complètement éludé cet aspect de leur stratégie. Pathétique
Je crois que c’est le système inflationniste de ces marques qui finit par les perdre (nouveau marché, nouvelle cible, renouveau incessant…)
A l’opposé, il existe heureusement encore des petits fabricants français comme Le Soulor (64), leur modele commercial est à part. Dans leur boutique, le choix est limité, les finitions simples, le délai de fabrication est de 2 à 3 mois et, surtout, on voit les ouvriers s’affairer à côté du salon.
Une aventure humaine avant d’être un système pour “marger”
Mais c’est une marque toute jeune…
CQFD
Bonjour,
merci pour cet article encore une fois fort intéressant.
Le portrait de la situation apparaît malheureusement assez sombre pour le consomateur en 2022. Il est certain qu’il est extrêmement difficile d’accéder à une information de qualité permettant des décisions pertinentes dans l’achat de vêtements dans l’objectif d’une construction de garde-robe qualitative, intemporelle et de bon goût.
A vous écouter il n’est plus possible de s’acheter des vêtements qualitatifs en dessous d’un certain budget et/ou en seconde main.
Il est clair que « l’internaute moyen » a beaucoup plus de chances de tomber sur des articles de type « top 10 sneakers », « 5 must-have blabla », » best 15 brands » où il subira une lobotomisation avec téléguidage marketing vers l’achat de vêtements surpricé de piètre qualité dont l’impact marketing est important.
La mode a principalement suivi l’influence occidentale ces derniers siècles. Pensez-vous que le renouveau puisse venir d’Asie (je pense en particulier au Japon) avec des marques dont on observe un regain d’intérêt pour le craftsmanship de qualité (je pense par exemple à Kamakura, Kanpekini, Ring Jacket …) ? Ils me semblent que ce type de marques asiatiques sont aujourd’hui au même niveau de confection que certaines marques européennes mais n’ont pas encore une aura internationale ou une aure de type « héritage » qui leur permettraient de passer en mode « pompe à fric ».
Cordialement,
Bonjour,
Par principe le sartorialisme est un style vestimentaire qui très onéreux et si l’on veut de l’excellente qualité dans tous les domaines (chaussures, accessoires…) il faut effectivement s’attendre à devoir débourser beaucoup d’argent ou à passer par la seconde main.
Toutefois, je pense que si l’on est conscient de ce que l’on achète et que par conséquent on n’a pas des attentes irréalistes, il est toujours possible de trouver des choses relativement qualitatives à pas trop cher. Que l’on prenne Meermin ou SuitSupply jusqu’en 2017/2018 c’était pas mal pour leur segment tarifiaire. Maintenant que SuitSupply laisse à désirer, Spier&Mackay prend la relève, et ainsi de suite. Même s’il est vrai qu’aujourd’hui les marques ont en général une “durée de vie” beaucoup plus courtes qu’avant.
Pour ma part, je ne crois pas à un renouveau. Le style classique a connu son âge d’or et l’on ne reverra jamais des pièces industrielles comme il pouvait exister dans les années 50 avec le même niveau de qualité aujourd’hui et à des prix similaires. Même dans l’artisanat le savoir-faire se perd. Nous avons la chance d’avoir encore des artisans compétents, il faut en profiter tant que c’est possible. Après, ça deviendra autre chose.
En ce qui concerne le Japon, ils fabriquent effectivement des choses intéressantes, le fait que ça soit une société encore assez traditionnelle et qu’il y ait toujours un intérêt vif pour le vêtement classique fait que le marché y est très dynamique. Mais attention à ne pas tomber dans l’idolâtrie. Les Japonais sont très forts dans la communication sur le marché du luxe. Le salaryman sert de pigeon local et il est bon client.
Bien à vous
Et le pire est devant nous. La qualité de la mode féminine est descendu bien en deçà du torchon. Vraiment, on voit des choses folles. Pour les hommes, c’est certain, on y arrivera aussi. Et avec le sourire !
C’est malheureusement très vrai.
Excellent article comme d’habitude.
Effectivement, cela est parfois triste à voir. Je ne suis pas encore totalement immergé dans le sartorialisme, mais le cas Suitsupply me marque.
Passer en fin d’année de 300e le costume à 330e, sachant qu’il y a un an ou 2 on en trouvait à 250, je veux bien que le Covid soit passé par là, mais le fait de grimper autant les prix semble louche.
Malheureusement toute marque auparavant intéressante coule vers le désintérêt au fil du temps.
C’est bien là le problème de notre époque, quand on a des passionnés aux commandes, l’entreprise est intéressante, quand des Master Marketing prennent la main, ils appliquent ce qu’ils ont appris en cours sans penser à autre chose.
S’intéresser à la mode masculine est un vrai calvaire, je commence à m’en rendre compte, mais l’important c’est de garder des distances avec ce que l’on propose.
Quand je pense que les anciens avaient de superbes costumes bien coupés en laine alors qu’ils travaillaient à la mine, aujourd’hui il est impossible de bien s’habiller sans un peu de budget car étrangement, bien s’habiller relève de l’exceptionnel pour reprendre un article précédent.
L’auteur n’aurait-il pas été satisfait de sa dernière commande BonneGueule ? La sortie de sulfateuse est assez lourde…
Sinon très bon article, hélas très pessimiste…mais n’y aurait-il pas qq marques assumant complètement un modèle familial ou similaire qui échappent à ce destin infernal ?
Bien cordialement,
Il est bien cet article, mais quel modèle économique est viable pour l’entreprise et le consommateur ?
Si les seules fringues recommandables sont la seconde main et de très petites marques artisanales qui vivotent, c’est tout simplement pas pérenne.
Comme vous le constatez, pour une partie des marques anciennement « iconiques » (Gieves & Hawkes, Aquascutum, mais aussi Church’s, Ballantyne…) le rachat par un investisseur et la thérapie de choc qui l’accompagne fait suite à des années de pertes financières et de repli sur une image traditionnelle un peu ringarde où la « qualité » est le seul argument de vente (« waou, les Church’s de papy durent 30 ans ! »).
Enfin le truc que j’ajouterais à votre diagramme, c’est le budget créatif. A la fin il y en a trop, et c’est un cache-misère. Au début il n’y en a pas, et c’est souvent pas très excitant (regardez Cheaney, plus ou moins resté au stade de la maturation). Au milieu il y en a, mais le rapport Q/P est déjà nettement moins bon. Et c’est normal : c’est la visibilité sur les catwalks et sur Instagram qui permet à une marque d’augmenter ses prix et sa valeur financière.
Alors à la fin je fais comme vous – mes pulls Lockie sont subventionnés par les fan de Drakes, mes fringues de secondes main par le premier propriétaire – mais si tout le monde faisait ça, ça ne marcherait pas.
Je ne pense pas que l’image traditionnelle/ringarde soit un facteur si important que ça dans l’équation. Notamment car le style classique est déjà totalement ringard aux yeux du plouc de base. Paradoxalement pas mal de marques totalement archaïques se portent très bien (Albert Thurston, Charvet, Mercer & Sons, Omega guanti…) et ce sont souvent celles qui sont restées fidèles à ce qu’elles savent faire. Cette peur de la ringardise se rencontre beaucoup plus chez les gros généralistes et les marques d’entrée/milieu de gamme car en période de contraction du marché, elles sont les premières à sauter. C’était d’ailleurs le cheval de bataille d’un interdit de gestion bien connu qui parlait du “marketing de la poussière”. Il m’a été rapporté que nombre de ses clients regrettaient le résultat et qu’au final cela avait fait plus de mal que de bien.
Et je ne me préoccupe pas de savoir quel modèle économique est viable pour l’entreprise et le consommateur. Il y a une frange de clients qui achètent pratiquement exclusivement de la seconde main, car il est impossible de trouver un équivalent en neuf aujourd’hui et il y en a qui veulent être un lookbook Drake’s. Chacun fait ce qu’il veut et au final l’offre s’adapte en conséquence. L’objectif est, entre autres, d’expliquer que le bourrage est partout, parfois même chez des marques qui étaient réputées. Et que si elles ne le sont plus, c’est bien souvent de leur faute.
OK sur le second point mais pour le premier, j’ai un doute.
Quand je dis « ringard », je parle surtout de l’âge de la clientèle et de son renouvellement, plutôt que de l’image servie au chaland. Dormeuil ou Ballantyne pré-LBO, par exemple, est/étaient ringards parce que leur clientèle est morte, littéralement. Ce sont des exemples de marque qui n’avaient pas grand chose d’autre à offrir que la « qualité ».
Les marques archaïques que vous citez offrent justement quelque chose d’autre : un charme anachronique (souvent discrètement modernisé), un style fort, l’adhésion aux codes d’une niche (le sarto… le site d’Omega s’ouvre sur un « croquis sartorial »), etc.
A mon sens elles sont moins ringardes que Weston qui se met sur le tard aux sneakers minimalistes.
Par ailleurs je comprends que des gens paient pour du Ralph Lauren (Purple Label) ou du Tom Ford. Les deux sont probablement produits en private label par Canali ou une boîte similaire, mais les costumes Canali n’ont pas un style aussi distinctif. L’obsession pour la qualité (ou l’anxiété à l’idée de se faire avoir), ça ne donne pas toujours un truc éblouissant.
Merci d’avoir clarifié votre propos, nous ne parlions pas de la même chose. Je suis d’accord, de même sur le second point.
Si l’on peut saluer l’effort (plus de 30 000 signes), on n’apprend dans le fond rien de bien nouveau. Toute entreprise est éphémère et ne dure le plus souvent que tant que l’individu qui en est l’instigateur reste aux commandes, qu’il s’agisse d’une marque de vêtement, d’un courant artistique ou d’un mouvement politique. En fait, les sujets réellement intéressants auxquels touche l’article, comme la fascination que suscitent les marques (chose qui relève tout particulièrement de la psychologie évolutionniste) ou le glissement observable chez la plupart des enseignes de producteurs jadis à uniquement vendeurs aujourd’hui, dépassent le cadre d’un tel site : on comprend bien que c’est notre société libérale, mercantile, qui délocalise et ne produit plus rien, qui est au centre du problème. Mais on est alors en droit de s’interroger quant à l’intérêt d’un site dédié au « style » si ce n’est justement pour parler de marques, trier le bon du mauvais, ou informer le lecteur sur le produit avec, par exemple, l’excellent article sur les souliers (en somme, plus ou moins ce que propose Crompton, que notre autarque ne se prive néanmoins jamais de critiquer, le plus souvent à tort, mais passons…). Enfin, tout cela nous ramène peut-être à la futilité relative de toute cette entreprise sartoriale : est-elle réellement pertinente aujourd’hui dans une telle société ? Quel avenir pour le tailoring dans un monde où tout le monde s’habille en training ?
La vaste majorité des sites dédiés au “style” n’ont aucun intérêt justement car ils parlent essentiellement de marques. C’est un exercice qui a son utilité, mais qui est totalement sur-représenté surtout quand vous voyez qu’en parallèle beaucoup de gens ne savent même pas choisir ou identifier un vêtement à leur taille.
Je suis d’accord, mais c’est souvent parce que leurs auteurs n’y connaissent pas grand chose et se lancent dans l’exercice par intérêt personnel.
Concernant le private labeling, il conviendrait de rappeler que c’est rarement aussi simple que de tout ramener au producteur : les marques sérieuses ont en général un cahier des charges précis et, pour prendre un exemple, il ne m’étonnerait pas qu’en plus de proposer des couleurs différentes de celles offertes par William Lockie, Drake’s fasse produire ses cardigans à des cotes légèrement différentes. Autre exemple : on sait que beaucoup de marques de chaussures font produire par Sendra. Or, il y a un sensible écart qualitatif entre une paire de Morjas et une autre de Sons of Henrey, et pas qu’au niveau du cuir, vous en conviendrez sûrement. Les magasins comme Drake’s ont aussi beaucoup de charges (loyers dans des quartiers chics, marketing etc.), et cela se repercute d’une manière ou d’une autre sur le prix, et il n’est pas déraisonnable de penser que sans Drake’s, Lockie n’existerait peut-être simplement plus, à l’instar de Ballantyne et bien d’autres.
« Sans DRAKE’s , Lockie n’existerait peut-être plus simplement plus» : non, je ne crois pas ( la marque a des partenariats avec des enseignes comme Frans Boone) , mais si c’était le cas, cela serait justement bien là le problème. On est quand même arrivé à un niveau de gogolerie extrême chez les consommateurs les plus aisés ( car tout coûte un bras chez Drake’s) et qui logiquement ont les moyens de se renseigner. Tout ça, c’est de la hype. D’ailleurs, depuis quelques temps Drake’s penche dangereusement vers la vulgarité habituelle des enseignes de luxe, avec leurs logos ostentatoires. Il me semble qu’ils soient déjà -ou presque – dans l’étape nouveau marché.
On peut regretter la quasi disparition des boutiques comme Aux Laines Écossaises.
Chez Drake’s, il semble que ce soit en effet la direction prise par la marque depuis que Michael Drake s’est retiré. Mais je crois que c’est quelque chose d’assez récent de pouvoir, grâce à internet, approcher les producteurs directement, et ils sont encore nombreux à ne pas avoir de site ou à ne pas vendre aux particuliers. Le site de William Lockie (teviotdalemills.com), sauf erreur, n’existe que depuis quelques années et la plupart de leurs photos ne font pas très envie comparées à ce qu’on peut voir sur le site de Drake’s.
C’est tout à fait vrai. Toutes ces marques, comme Drake’s, Rubato, Perro, sont excellentes dans la mise en scène, dans le storytelling. Le consommateur a envie de s’identifier à elles, à leur univers, de faire partie d’une tribu.
Le principe du private labelling est déjà expliqué en détails (cahier des charges etc etc) dans plusieurs articles déjà publiés, il n’a pas été jugé nécessaire de le refaire ici. Dans le cas spécifique du cardigan Lockie/Drake’s je peux en revanche confirmer qu’il s’agit exactement du même modèle.
Merci pour cet article, beau travail de recherche.
Merci pour cet article, beau travail de recherche
Une remarque toutefois, si Drake’s revend plus cher le produit d’un autre fabriquant, a vrai dire ou est le probleme? A part les clients de Drake’s (qui probablement s’en foutent, vu les prix pratiqués), personne n’est lésé. Drake’s a peut-etre des defauts, mais leur marketing est relativement efficace, en tous cas ils ont peut-etre plus d’audience que William Lockie ?
Pour Weston c’est effectivement lamentable, c’est au point de se demander si le directeur artisitique n’est pas absolument aveugle, non seulement leurs sneakers sont moches, mais personne ne porte ca. Le public cible, serait donc en consequence la partie de la clientele historique totalement depourvue de gout. Ces gens existent sans doute, mais il leur faudra 5 minutes pour se rendre compte qu’une paire de Stan Smith est moins hideuse, et a au moins pour elle-meme que « c’est ce que tout le monde porte, alors en bon normie, j’ai revetu mon uniforme de l’annee 2015 ».
Existe-t-il un public cible suffisamment large pour le style traditionnel, pour que la minorité qui échappera au Charbyde des blogs « style masculin » et au Scylla des marketeurs constitue une clientele capable d’assurer la viabilite financiere des fabriquants de ces pieces?
Survivra-t-on a la dictature des ploucs en entreprise ?
Merci pour l’analyse. Un schéma d’évolution qui fait peur !
Est-il inéluctable ? Point de salut ? Jamais ?
Est-ce un modèle économique applicable à d’autres secteurs que la mode ?
Il me semble qu’il existe des marques qui ont su rebondir. Dans d’autres domaines au hasard Renault, ou le Marquis de Terme ont connu l’enfer (ou la nullité totale) avant de remonter.
Autre exemple pour revenir dans l’orbite sartoriale, Seiko ne me semble pas suivre ce schéma depuis des décennies. Bon, sans briller non plus. Mais leurs errances marketing ne semblent jamais encore avoir coulé le noyau qualitatif. Peut-être parce qu’ils s’appuient toujours sur le même calibre, décliné ad nauseam à quelques variations près ?
Cher Autarcie, au-delà du style qui « ventile façon puzzle », on sent une profonde connaissance du fonctionnement de l’entreprise et de la mercatique ou bien un esprit brillant accompagné d’un gros travail d’analyse … sans doute les deux. Foin de flagornerie, merci pour ce papier pointu qui se lit sans effort et même avec un certain plaisir. Enfin, ce que vous annoncez fort justement concernant Weston m’attriste, il va falloir que je songe à considérablement augmenter ma surface financière si je veux continuer à me chausser français et de qualité (ie passer en grande mesure). Bien à vous et surtout, continuez !
Un dernier article dans Le Figaro illustre parfaitement le propos développé ici : le nouveau directeur artistique de Burberry, nommé Ricardo Tisci, tristement célèbre pour avoir « inventé » le street luxe chez Givenchy, explique comment « il veut déconstruire le côté classique de cette institution britannique pour la muer en marque de mode. ». Ok, on connaît donc la suite.
Effectivement, j’ai vu ça. On ne pouvait pas rêver mieux comme timing et comme illustration. De toute façon au point où Burberry en est…
Article très intéressant et documenté.
J’ai enfin compris pourquoi, dans le TGV, je ne cesse de croiser des hommes de tous âges avec ces affreuses doudounes sans manche, tout juste bonnes pour sortir les poubelles, utilisées comme gilet sous leur veste. Je n’ai toujours pas fait ma religion sur le point de savoir si le pire était le gilet-doudoune avec costume ou le combo jean/chino – doudounette – veste. Et je me suis toujours demandé comment leurs femmes pouvaient les laisser sortir avec une telle dégaine d’agent général d’assurances ou de notable socialiste. Mais, me dira-t-on, c’est que je n’ai pas vu leurs femmes, justement…
Excellent article fort bien documenté. J’ai néanmoins quelques doutes sur vos propos : « De la même façon que l’activité de malletier de Vuitton ne représente rien par rapport aux produits dérivés vendus par la marque ». Déjà parce que l’activité maroquinerie de Vuitton, à laquelle vous faîtes référence, est intégrée aux comptes de LVMH. Ainsi hormis les résultats commerciaux, c’est à dire concernant le Chiffre d’Affaires, aucune donnée comptable n’est publiée par le groupe, tout juste est-il possible grâce à des publications comme Challenges de connaitre le résultat net approximatif. Vous agrégez plusieurs lignes d’activité, ici maroquinerie et textile, or clairement l’activité Maroquinerie est clairement le catalyseur et fer de lance du CA total de LV. Le textile ne représentant qu’une part minime. Car quand bien même le péquin moyen ne pourrait se payer une malle, l’entreprise exporte une énorme partie de sa production à l’étranger : Asie, Moyen Orient et Etats-Unis.
Je parle bel et bien de l’activité de malletier de la marque et non de son activité de maroquinerie, qui sont deux choses totalement distinctes. Le fondateur, Louis Vuitton était originellement un layetier-emballeur et fabriquait exclusivement des malles. Son fils poursuit cette tradition, et ce n’est qu’à partir de la troisième génération que le petit fils Vuitton décide de se lancer dans la fabrication de sacs, et donc de maroquinerie, activité qui ne battra pas son plein avant 1960 et l’invention de la toile PVC moderne Vuitton. Soit presque 70 ans après la mort du fondateur.
Je maintiens donc que l’activité de malletier de la marque est résiduelle par rapport aux produits dérivés que sont la maroquinerie, le textile et tous les autres produits Vuitton qui n’existaient pas au moment de la fondation.
Et pour ce qui est de la maroquinerie Vuitton/LVMH, elle n’est qu’un produit fabriqué dans des usines où le savoir faire n’a rien d’exceptionnel. J’ai pu approcher d’assez prêt la fondation de l’une d’elles, avec recrutement d’amateurs subventionnés par pôle emploi. Je ne leur enlève pas tout mérite, mais on est très très loin de l’artisanat d’élite.
Le travail à la chaîne dans les fameuses « entreprise familiales »…
Bonjour,
Toujours des articles très pertinents ! Pour Aquascutum, il me semblait que les pièces disposant du Royal Warrant Appointment de la reine étaient gages de qualité, est-ce un repère suffisant ? Royal Warrant qu’ils ont d’ailleurs perdu au fil de leurs rachats successifs…
Bonjour,
Très franchement, aucune idée, acheter un modèle vintage en bon état est probablement la meilleure solution. Ce site donne une idée de l’âge des manteaux en fonction des labels et j’imagine qu’il doit exister d’autres forums/blogs/sites qui font la même chose et peuvent servir de référence.
Weston est devenu une honte. Je ne parle pas de la colle qui reste sur les coutures du plateau quand on demande à le resserrer ou des commandes spéciales à erreur à répétition (2 sur 4 pour moi). Résultat jai stoppé le délire commande spéciale et je prend du 180 à l’occasion quand une couleur me plaît (toujours en veau velours pour éviter les cassures). Sinon, les Adidas Originals se révèlent avec le temps très résistantes et qq fois au design bien plus fun que les itérations westonniennes dans ce domaine. Je ne compte plus les remarques sur les sneakers 70s Adidas à travers le monde. Comme quoi tout s’inverse